UN JANSÉNISTE EN EXIL
CORRESPONDANCE
DE
PASQUIER QUESNEL
PRETRE DE L ORATOIRE
SUR LES AFFAIRES POLITIQUES ET RELIGIEUSES DE SON TEMPS
PUBLIEES AVEC DES NOTES
PAR
Mme ALBERT LE ROY
)
TOME SECOND
Librairie académique PERRIN et Cie
wcteur Joseph AZAÏS
S'-PON3,h
rault)
CORRESPONDANCE
DE
PASQUTER QUESNEL
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A \A MEME LIBRAIRIE
PAR ALBERT LE ROY
La France et Rome de 1700 à 1715, histoire diplomatique de
la Bulle « Unigenilus » jusqu'à la mort de Louis XIV, un
volume in-8° 8 francs.
UN JANSÉNISTE EN EXIL
CORRESPONDANCE
DE
PASQUIER QUESNEL
PRETRE DE L ORATOIRE
SUR LES AFFAIRES POLITIQUES ET RELIGIEUSES DE SON TEMPS
PUBLIEE AVEC DES NOTES
l'A R
Mme ALBERT LE ROY
TOME SECOND
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER
PERRIN ET Cj<\ LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTIN*, 35
1900
Tous droits réservés
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CORRESPONDANCE
DE
PASQUIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
11 janvier 1697.
Le cardinal Le Camus m'a toujours paru peu instruit
des affaires du jansénisme et n'avoir point de principes
assurés. S'il trouve la première partie de l'ordonnance
belle et bonne, tout le monde n'est pas de son avis.
Je ne sais à quel propos vous me dites que vous ne
voyez pas que ce soit donner un démenti aux papes
que d'autoriser la distinction du fait et du droit et
de dire que, les papes ayant pu se tromper sur la ques-
tion de fait, il suffit à cet égard de garder le silence.
Je ne suis pas encore botté pour Paris, et je ne pren-
drai pas encore sitôt la botte. Ce qu'on me proposait
d'écrire à Dom Bernard [Noailles] sur sa pièce eût été
pour l'approuver et me faire par là ouvrir la porte.
Rien ne presse.
Le R. P. général de l'Oratoire prêcha donc, le pre-
mier de Tan, aux Jésuites de Saint-Louis. Il finit son
troisième point en demandant au Saint-Esprit (le bon-
net à la main) de graver dans nos cœurs l'amour de
ce divin nom, dont il avait exalté les effets admirables
h. 1
2 CORRESPONDANCE DE PASOUIER OLESNEL
et la vertu, etc. Puis, se tournant vers l'autel (toujours
le bonnet à la main) : « Et vous, s'écria-t-il, célèbre
compagnie établie pour étendre la gloire de ce nom
adorable, pour le porter, comme l'apôtre, devant les
rois et les princes et jusqu'aux extrémités de la terre,
suivez la route qui vous est marquée! Dispersés de
l'orient à l'occident, du midi au septentrion, que rien
n'échappe à votre zèle ! Qu'il détruise, qu'il consume,
qu'il anéantisse tout ce qui s'oppose à ce rêve ! Faites
que les rois et les puissances s'y soumettent, que les
sages du siècle le révèrent, que les nations différentes
et les divers peuples disent tous d'une même bouche
avec l'apôtre : « La gloire est au Seigneur ! » Enfin
que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est
dans la gloire de Dieu son Père ! Gloire que je vous
souhaite, etc. »
Celui qui m'écrit comme témoin, en sortant du ser-
mon, entendit un abbé qui se tourmentait fort pour
faire goûter ce compliment à un vieux jésuite; mais,
quelques efforts qu'il fît, le bon Père témoignait ouver-
tement que l'encens n'était pas d'assez bonne odeur.
« Etablie, établie, destinée », disait-il, en interrompant
l'autre, et marquant qu'il avait bien compris que le
Père général n'avait pas voulu dire que la société répon-
dît aux fins de son institution. «Mais que pouvait-il
dire de plus honorable ? reprit l'abbé. » — « Il est vrai,
repartit le bon Père, il était dans la chaire de vérité,
il ne devait pas parler autrement. » Le P. Bourdaloue
a dit, chez un magistrat, que le Père général avait, dans
cette fin de sermon, donné aux prédicateurs un excel-
lent modèle à imiter, en exhortant au devoir et s'abs-
tenant de louer. Le P. Gaillard, dit-on, prêchera la fête
des grandeurs de Jésus à l'Oratoire et imitera, sans
doute, le Père général.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
24 mai 1697.
Vous demandez comment il est possible que M. de
Paris et le roi n'ouvrent point les yeux. Et qui sait
s'ils ne les ouvrent point? Les nouvelles de Paris,
manuscrites et qui seront dans la première Gazette,
disent que le P de La Chaise n'a point paru à Versailles
depuis quinze jours ; que la dernière fois que le roi
s'est confessé, c'a été à M. Hébert, curé de Versailles, et
que l'on soupçonne une disgrâce de ce pauvre Père.
D'autres lettres de particuliers marquent que c'est le
bruit de Paris.
L'évêque de Vence est mort à Tournay1. C'est bien
loin de sa résidence. Celui de Metz est aussi parti2.
On a dit à M. de Reims que le général des jésuites
s'est vanté qu'il écrirait pour le Nodus. Ce prélat l'y
attend, et il a bien promis qu'il censurera son livre, s'il
ose le faire. Il devait partir lundi dernier pour son
diocèse, d'où je doute fort qu'il revienne sans don-
ner quelque coup, ou, comme on m'écrit, sans lancer
quelque foudre qu'on craint depuis longtemps.
La querelle est toujours fort échauffée entre M. de
Cambrai et M. de Meaux. Ce dernier a fait ses remarques
sur le livre du premier et, après les avoir communi-
quées à Mgr de Paris et à M. de Chartres, il les a don-
nées à M. de Cambrai. Si celui-ci ne donne des éclair-
cissements qui tiennent lieu de rétractation, l'autre est
résolu d'écrire, prétendant que c'est l'intérêt de la reli-
gion et de la vérité.
1. Jean-Balthazar de Cabanes de Viens, évêque de Vence, de 1686
à 1697.
2. Georges d'Aubusson de la Feuillade, évêque de Metz, de 1668
à 1697.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à M. de Pomponne 1
ljr septembre 1697.
Tout le monde, à Paris et en Flandre, publie si
hautement que la paix2 est faite, que la lettre que j'ai
l'honneur de vous écrire ne devrait être qu'une lettre
de congratulation. Je la crois, au moins, si avancée
que je ne risque rien en prenant la liberté de vous
dire, par avance, qu'au milieu de la joie universelle de
toute l'Europe pour l'accomplissement d'un si grand
ouvrage, j'en aurai une toute particulière de le voir
si heureusement terminé par votre ministère. Cepen-
dant je n'ai pas laissé de me charger d'écrire à Votre
Excellence d'une chose que Ton souhaiterait fort qui
pût entrer dans les articles qui sont encore en négo-
ciation.
Vous êtes trop sérieux, Monseigneur, si vous ne
riez pas de ma proposition; niais, après avoir donné
au ridicule ce qu'il mérite, ne laissez pas d'avoir la
bonté de m'écouter et de ne m'en pas croire moins bon
Français parce que je vous sollicite en faveur de l'Es-
pagne. Mais non, ce n'est point pour l'Espagne, c'est
pour l'Eglise, c'est pour l'université de Louvain, qui
en est un ornement et un soutien. Il est question de
la faire jouir des grâces que les papes et les souve-
rains lui ont accordées, en lui donnant le droit de no-
mination à quelques bénéfices dans les églises qui étaient
alors sous la domination de ses anciens souverains, et
maintenant sous l'obéissance du roi.
Je n'explique pas l'affaire davantage à Votre Excel-
1. Lettre appartenant en original au P. Ingold, de l'Oratoire.
2. Paix de Ryswick, en quatre traités conclus : avec la Hollande, le
20 septembre; avec l'Espagne, une heure après; avec l'Angleterre, le
21 ; enfin avec l'empereur, le 30 octobre 1697.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 5
lence, Monseigneur, sachant qu'elle en est amplement
informée d'ailleurs. J'ose seulement la supplier très
humblement de vouloir bien écouter très favorablement
ceux de Louvain, qui ont charge de l'en entretenir et
de lui représenter la justice de leur demande, comme
ils le croient. Il semble, en effet, qu'il y ait quelque
justice, sauf correction, que les nominations accordées
par les papes à cette université ne reçoivent aucune
atteinte par les changements de souverains, comme il
serait juste que l'université de Douai jouit des nomina-
tions qu'elle aurait sur les églises de la domination
d'Espagne, si elle avait été en possession de quelques-
unes avant que d'être à la France. Il me semble, d'ailleurs,
qu'il serait de la grandeur et de la dignité du roi de se
rendre le bienfaiteur d'une université étrangère, qui
tiendrait à un grand honneur d'avoir une obligation
signalée à un si grand roi, et qui pourrait en laisser un
monument perpétuel de reconnaissance à ses descen-
dants. Ce serait aussi de nouveaux sujets que Sa Majesté
acquerrait par les nominations de l'université de
Louvain, sans en perdre aucun des siens, et on peut
s'assurer que ce serait des sujets de mérite, très
capables de servir l'Eglise par leur science et de l'édi-
fier par leur piété; car il faut avouer que cette uni-
versité en a toujours été remplie. Ce mélange serait
avantageux à la nation et pourrait avoir encore, dans
la suite, des utilités considérables, selon les occur-
rences.
Mais vous verrez mieux par vous-même, Monseigneur,
la justice et les avantages qui peuvent se trouver dans la
demande de ces messieurs, et ce n'est qu'en cas que
vous les trouviez en effet que je vous supplie d'avoir la
bonté d'apporter les facilités qui pourront dépendre
de Votre Excellence dans cette affaire, et de vouloir
regarder de bon œil les députés pour qui j'ai l'honneur
de vous faire cette prière.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
3 janvier 1698.
On m'a mandé de Paris à peu près la mémo chose
que vous, touchant ce qu'on impute à M. de Meaux;
que les fénelonistes disaient que M. de Meaux lui avait
recommandé de favoriser les jansénistes de son diocèse
et qu'ayant été obligé d'en pousser quelques-uns il en
avait été irrité. C'est le contraire; car il a paru d'abord
avoir de l'estime et pour M. Huygens et pour les autres.
Ce pauvre prélat est à plaindre; il paraissait prendre
un train à souhait. Il prêche avec une facilité, une
onction et d'une manière qui gagne tout le monde. Il
prêchait les plus fortes vérités, était zélé pour la disci-
pline. J'ai peur que tout cela ne dépérisse. Il avait ren-
voyé la plupart des moines à l'examen. Dans la
dernière ordination, il les a tous reçus. Il avait engagé
les Pères de l'Oratoire de Mons à mettre un de leurs
Pères à Soignies, à la place d'un homme contre qui il y
avait beaucoup de plaintes et qui était passé de l'Ora-
toire de M. de Bérulle à l'Oratoire de Saint-Philippe,
qui est établi à Soignies. Il devait soutenir cette affaire,
ayant interdit ce premier curé. Depuis peu, il a écrit
aux Pères de Mons qu'après y avoir bien pensé il
croyait qu'ils feraient aussi bien* de retirer leur Père.
Peut-être que les Rouliers [jésuites] lui ont demandé
des preuves de son opposition aux jansénistes et de sa
confiance aux moines. La famille de ce prélat est, de
longue main, attachée à Saint-Sulpice. Je crois que
c'était son père qui en était un grand support, M. le
marquis de Fénelon.
Le fils du prince de Monaco, abbé de vingt-sept ans,
prêt à entrer en licence, est entré depuis peu à l'Ora-
toire. Les jésuites ont fait tout ce qu'ils ont pu pour
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QTJESNEL 7
l'en détourner et sont venus, les uns après les autres, le
voir pour décrier l'Oratoire. Ils ont fait de même auprès
du prince de Monaco. M. l'archevêque de Paris fut
celui qui lui en porta la nouvelle et qui fit ce qu'il put
pour le disposer.
M. de Tillemont est toujours fort incommodé. On
craint qu'il ne devienne asthmatique.
On imprime le discours en vers de M. Boileau-Des-
préaux sur l'Amour de Dieu, avec quelques autres.
Quesnel à du Vaucel
24 janvier 1698.
Les deux épîtres X et XII de M. Despréaux font bien
mal au cœur aux révérends Pères. Ils clabaudent, ils
se déchaînent; mais il n'en sera rien davantage.
Ce qui a fait faire si tut le mariage du duc de Bour-
gogne est que le roi avait promis de le faire célébrer,
aussitôt que la princesse aurait douze ans accomplis.
Elle les eut accomplis, le 6, et on la maria, le 7, avec
dispense. On les mit au lit comme deux poupées; on fit
entrer l'ambassadeur de Savoie, et le roi lui dit qu'il
pouvait mander qu'il avait vu les conjoints ensemble
au lit. M. le duc de Bourgogne se releva un peu après.
On a porté à Port-Royal les saintes dépouilles de feu
M. de Tillemont. On l'a revêtu d'habits sacerdotaux, et
M. le Brûleur [Le Noir de Saint-Claude] me mande
qu'il avait le visage vermeil, les joues point enfoncées
et les membres souples, quoiqu'il y eût trois jours qu'il
était mort. C'était assurément un grand serviteur de
Dieu. La Gazette de France en a fait une mention
honorable, aussi bien que d'un P. de Chevigny, de
l'Oratoire, qui était de mes bons amis et avait été autre-
fois capitaine aux gardes, avait commandé dans Ypres
et dans Belle-Isle, où il fut envoyé pour s'en rendre
8 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
maître, quand on arrêta M. Fouquet. C'était un homme
bien à Dieu.
Il y a une cinquième lettre du P. Alexandre. Elle
est sur la grâce. Je ne l'ai pas vue. Jansénius y est
encore maltraité, car il semble qu'on ne puisse établir
le bon jansénisme qu'en daubant le bon Jansénius.
Quesnel à M. Boilean^ chanoine de la Sainte-Chapelle,
à Paris
18 février 1698.
J'apprends, Monsieur, à ce moment, qu'une personne
qui vous est chère, et que j'honore au dernier point, a
dit avec douleur à un de mes amis que Msr l'arche-
vêque de Reims m'attribuait un certain livre, qui paraît
depuis quelque temps contre l'ordonnance de Mgr l'ar-
chevêque de Paris, du 20 août 1696 2.
Bien plus, ce grand prélat ajoute, dit-on, qu'il en est
sûr. Il le dit hautement et ajoute qu'il n'est pas homme
à dire des choses en l'air. Je savais déjà bien que le
bruit en courait, et je ne m'en alarmais pas, sachant
que, depuis trois ou quatre ans, on a pris un vain plai-
sir à m'attribuer tout ce qui paraissait d'odieux dans le
1. L'original de cette lettre appartient au P. Ingold, de l'Oratoire.
Une copie se trouve à la Bibliothèque nationale, ms. 13899.
2. Histoire abrégée du Jansénisme, avec des remarques sur l'ordon-
nance de M. l'archevêque de Paris. Cologne, Druckerus, 1698, in-12.
Cet ouvrage semble l'œuvre collective de MM. Louail, Fouillou,
et de M"e de Joncoux. 11 va amener une querelle de quelques mois
dans le parti, et jusque dans l'intimité du P. Quesnel. Fouillou, de
même que MUo de Joncoux, la savante fille, traductrice de Nicole,
étaient inconnus de notre exilé. Aussi, à la suite de cette lettre à
M. Boileau, ayant eu l'intuition d'une correspondance secrète entre
M. Ernest Ruth d'Ans, qui vivait avec lui, et les auteurs de VHistoire
abrégée, Quesnel se crut-il en droit de pénétrer dans la chambre du
chanoine absent et de s'approprier les lettres clandestines. Nous verrons,
en 1700, que de là datent ses relations personnelles avecMllede Joncoux,
qui commencèrent non sans une certaine aigreur.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 9
public en matière d'écrits, et qu'après plusieurs lettres
de désaveu que j'ai écrites à quelques-uns de mes amis,
on m'avait assuré que ce faux bruit était tout à fait
tombé, mort, enseveli. Mais, à ce que je vois, le voilà
ressuscité d'une manière bien glorieuse, puisque c'est
dans la bouche d'un prélat si éminent par sa dignité
et par tant d'autres endroits.
Ce qui me console, c'est que je le crois trop plein de
raison et d'équité pour vouloir ajouter foi à un bruit
qui m'est si injurieux, sans en avoir des preuves
claires comme le jour, et que je suis assuré que ceux
qui l'ont voulu surprendre sur ce sujet ne lui en sau-
raient donner aucune qui ait la moindre couleur de
vraisemblance, loin d'être fondée dans la vérité.
Je suis si las de donner des désaveux et des éclair-
cissements sur de semblables attributions qu'il mé-
prend quelquefois envie de laisser parler le monde et
de me renfermer dans un profond silence, content du
témoignage de ma conscience et de mon innocence, dont
Dieu est témoin; mais j'avoue qu'en cette occasion je
ne me puis résoudre à faire le philosophe. Le profond
respect, la tendresse, si je l'ose dire, la vénération dont
j'ai le cœur pénétré pour mon digne archevêque, que je
vénère comme un don des plus signalés que Dieu ait
fait depuis longtemps à l'Eglise de Paris et à toute
l'Eglise de France ; ces sentiments, dis-je, ne me per-
mettent pas de laisser ni dans son esprit, ni dans celui
de Mgr de Reims, ni d'aucun autre, une idée si fausse
et qui me déshonorerait si fort.
Je vous supplie donc, mon cher Monsieur, de prendre
la peine de désabuser Mër de Reims de ce faux bruit, faux
de toute la fausseté imaginable, faux dans le fond et
dans les circonstances, faux en toutes manières.
Je n'ai jamais eu la moindre pensée de faire aucun
écrit contre l'ordonnance en question. Je n'ai point fait
celui qui a pour titre : Abrégé de ï histoire du Jansénisme
10 CORRESPONDANCE DE PASQUTER QUESNEL
avec des remarques sur T ordonnance de Me? V archevêque
de Paris, du 20 août 1696.
Je n'en ai eu aucune connaissance avant l'impression ;
je n'y ai eu aucune part, de quelque manière que ce
soit; je n'en connais point l'auteur et ne soupçonne
pas même qui peut l'être. Je suis assuré que ce n'est
aucune personne avec qui j'aie quelque commerce ou
quelque liaison. Je n'en ai eu connaissance que fort tard
depuis qu'il est imprimé ; je ne l'ai jamais eu que par
emprunt. Il a passé par mes mains, comme un éclair.
Je l'ai parcouru fort vite, en m'arrêtant principalement
à ce qui est de doctrine et passant une partie du reste.
Je ne l'ai pu recouvrer depuis, et il ne m'en est resté
qu'une idée fort légère et fort confuse.
Je ne sais si l'opinion de ma bonne foi est assez bien
établie dans l'esprit de Mgr de Reims pour me faire
espérer que Sa Grandeur sera persuadée de la sincérité
de cette déclaration ; mais vous pouvez, Monsieur,
l'assurer que je suis prôtd'en faire serment. Non seule-
ment je n'y ai aucune part, mais je suis très fâché que
l'auteur, quel qu'il soit, se soit avisé d'une telle entre-
prise et l'ait exécutée d'une manière si contraire au
respect dû à l'autorité épiscopale et à la vénération
que tous ceux qui aiment l'Eglise doivent particu-
lièrement avoir pour un archevêque d'un mérite si
extraordinaire, qui fait tant d'honneur et tant de bien
à l'Eglise, et qui, par la bonne odeur de ses vertus épis-
copales et de ses travaux apostoliques, embaume, pour
ainsi dire, toute la France1. Je serais, d'ailleurs, ingrat
et injuste, si je n'avais ces sentiments; et il y a même
1. Fouillou, ayant eu connaissance de ce passage, fulmine contre le
P. Quesneldans une lettre à M. Ernest Ruth d'Ans, du 16 mai 1098, une
de celles justement que confisqua Quesnel, peu de temps après: « En se
déclarant contre les Remarques , il est allé contre le sentiment universel
de tous ses amis. S'ils n'ont osé approuver le livre, du moins ne l'ont-
ils point condamné. Il semble même que ces Remarques ont fait quelque
impression sur M. de Paris. » (Amersfoort, boîte K.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL il
des conjonctures particulières qui me regardent dans le
le temps où cet écrit a paru, qui seules auraient dû
me détourner de le faire, quand mille autres considéra-
tions ne m'en auraient pas empêché, et qui m'auraient
fait passer pour un étourdi et un insensé, si j'avais
seulement pensé à le faire. Ce n'est pas, par la grâce
de Dieu, aucune vue humaine qui me fait faire une
telle déclaration. Jen'ai aucunes prétentions. Je n'attends
rien, je ne demande rien, je crains plus les grâces des
hommes que je ne les désire. C'est la seule considéra-
tion de la vérité qui me fait parler et la crainte de perdre
la part que je puis avoir, tout indigne que j'en suis,
aux honnes grâces de mon pasteur et de mon père, et
de contrister le Saint-Esprit dans un cœur qu'il a consa-
cré à Dieu d'une manière qui réjouit la cité de Dieu.
On ne me soupçonnera pas non plus d'user ici d'équi-
voques ou de restrictions mentales. Il serait difficile
qu'il y en eût de cachées sous des paroles si claires, et
vous savez, d'ailleurs, Monsieur, que je n'ai jamais tâté
de ces drogues-là. Vous pouvez donc assurer en toute
confiance Msv de Reims que ceux qui lui ont voulu
faire accroire que je suis auteur du livre en question,
ou l'ont trompé ou ont été trompés eux-mêmes ; qu'on
ne peut lui en avoir produit aucune preuve qui ne
soit fausse; que je défie qui que ce soit d'en produire
de véritables, et que rien ne me ferait plus de plaisir
que de voir approfondir ce mystère, qui pourrait bien
descendre en droite ligne de ce mystère d'iniquité
tramé contre les théologiens de Douai par le faux
Arnauld. Gomme la fausseté ne peut pas se soutenir
longtemps, j'espère que celle-ci tombera bientôt d'elle-
même dans l'esprit d'un prélat qui n'est pas d'humeur
à dire des choses en l'air. Je vous aurai beaucoup d'obli-
gation, Monsieur, de ce que vous voudrez bien y con-
tribuer, et ce me sera une nouvelle raison d'être plus que
jamais votre très humble et très obéissant serviteur.
12 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
14 mars 1698.
Il est vrai que M. Gerbe rt [l'archevêque de Reims]
a baissé. Il n'est pas aimé et ne paraît pas, aussi, fort
aimable. Il n'est pas de la race de ceux par qui le
salut doit être donné à Israël. On vient de m'envoyer
vingt-quatre vers intitulés : Secret infaillible pour faire
cesser les remontrances, adressé à M. l'archevêque de
Reims1. C'est une censure véhémente et bien mordante
de sa conduite et de sa personne. Il serait à souhaiter
qu'il ne donnât pas lieu à la censure.
SECKET INFAILLIBLE POUR FAIRE CESSER LES REMONTRANCES
ADRESSÉ A M1*'1 L'ARCHEVÊQUE DE REIMS
Paris depuis un mois contre vous se déchaîne,
Et je vois que la cour en rit depuis longtemps.
Voulez-vous au public ne plus donner de scène?
Maurice, écoutez bien ces avis importants :
Condamnez-vous enfin à faire résidence,
Et n'embarrassez plus la cour
De votre importune présence.
Vous y paraissez trop, et la nuit et le jour.
Contentez-vous d'un bénéfice,
Ce point n'est pas indifférent.
En avoir dix, c'est avarice ;
Saint Augustin n'en veut pas tant.
Mais surtout, plus de jeu, plus de galanterie,
Plus d'aventures dont on crie !
Tel commerce ne convient pas
Au plus saint de tous les états.
Songez encore à vous défaire
De ce qui vous rend odieux.
Votre ton de Sarmate et vos airs de corsaire
Vous donnent dans le monde un travers furieux.
Soyez humble, doux, gracieux;
Ne cherchez plus à mordre sur personne,
Et mettez à profit les avis qu'on vous donne.
Il vous en coûtera; mais vous en serez mieux.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 13
On a imprimé trois lettres de M. de Cambrai à
M. de Paris. Il lui écrit sur son instruction pastorale.
Tout roule sur des questions de fait. J'en ai eu un
exemplaire qu'on avait donné à un de mes amis d'ici,
et je l'ai envoyé à un de mes amis de delà, nommé
Dom Antoine de Saint-Bernard [Noailles], comme je
lui avais envoyé les autres que j'ai pu avoir.
Que sue l à du Vaucel
21 mars 1698.
On m'écrit de Versailles ceci : « Les semi-quiétistes
se vantent que M. du Til [Henné bel] a gagné M. Orose
[cardinal de Noris] pour M. du Repos [Fénelon]. Si cela
est vrai, je ne sais comment on peut donner dans le
piège d'un prélat qui imprime que, quoi qu'on décide
delà les monts, il s'en tiendra là et qu'il ne prépare
point d'échappée par la distinction du fait et du droit. »
J'ai répondu qu'il n'y avait rien de vrai en cela et
que M. du Til [Hennebel] n'a point assez de crédit sur
l'esprit d'Orose [cardinal de Noris] pour le faire tourner
de ce côté-là, quand il le voudrait; mais que je le
croyais dans une disposition contraire, ou plutôt qu'il
ne se mêlait point de cette affaire.
M. Talon, ci-devant avocat général, est mort prési-
dent au mortier1. Le fils de feu M. le premier prési-
dent a sa charge, et celle d'avocat général qu'il avait
est donnée à M. Portail, neveu de feu M. de Tillemont,
pour 400.000 livres. C'est un jeune homme de vingt-
trois ans, fils du conseiller de la grand'chambrc.
1. « Il alla dans l'autre monde, nous dit Saint-Simon, voir s'il est
permis de souffler le froid et le chaud. »
14 CORRESPONDANCE DE PASOUIER QUESNËL
Quésnel à du Vaucel
28 mars 1698.
Je plains le P. Soanen, évoque de Seriez, qui est
entré par la porte de la cour et par ses complaisances
pour le P. Regnauld [P. de La Chaise] dans l'épiscopat.
Il a prêché à Aix devant le parlement. On me mande
de là qu'il y a édifié par sa modestie autant que par
ses prédications. Mais, en vérité, un évoque, qui entre
dans un diocèse de la nature de celui-là, doit y trouver
assez de besogne pour n'en devoir pas aller chercher
chez ses voisins. S'il était sage, il ferait de deux choses
l'une, ou de sortir du poste où il est mal entré, ou de
renoncer au moins à tout dessein de translation et de se
sacrifier par les travaux de son ministère. Mais bientôt,
si Dieu ne lui fait une grande grâce, l'air se trouvera
trop brûlant, et il en faudra changer.
Quesnel à du Vaucel
4 avril 1698.
On a su que le cardinal de Bouillon avait demandé
au pape que l'affaire de M. de Cambrai fût ôtée aux
consulteurs et renvoyée au Saint-Office à droiture, afin
que, comme doyen, il la pût faire traîner si longtemps
qu'on l'oubliât. Je ne conçois pas trop comment il
l'aurait pu faire, ni s'il tient rang de doyen à la con-
grégation. On ajoute qu'on pourrait bien substituer un
ambassadeur à cette Eminence si partiale1. Je doute
1. Le roi, en etï'et, s'apercevait, depuis l'année précédente, que le car-
dinal de Bouillon exécutait mollement les instructions reçues de Paris.
Aussi lui écrit-il une lettre assez sèche, le 27 novembre 1697 : « Mon cou-
sin, les ordres que je vous ai donnés de solliciter fortement et de presser
CORRESPONDANCE DE PASQUÎER QUESNEL 15
qu'on le fît pour cette raison; mais, s'il devenait effecti-
vement doyen, il ne pourrait plus, comme je pense, être
chargé des affaires d'un royaume particulier.
On disait, dans ce pays-là, qu'on doutait de la cano-
nisation de Don Juan, parce qu'on avait vu la lettre
d'un homme qui dit en avoir parlé au pape, qui lui
répondit de manière à faire croire que Sa Sainteté n'y
pensait plus.
Quesnel à du Vaucel
11 avril 1698.
11 n'y arien de nouveau. Le neveu de M. l'archevêque
de Paris [ a épousé la nièce de Mmc de Maintenon. Le
roi, en donnant la chemise au nouveau marié (ce qu'il
ne fait qu'aux princes du sang), comme Mme la duchesse
de Bourgogne la donna à la nouvelle épouse, le roi leur
donna à chacun 8.000 livres de pension. Mme de Mainte-
non en a reçu les compliments de toute la cour dans
son lit, et il n'y avait pas un siège dans la chambre,
de sorte que Mmc la duchesse de Bourgogne, voulant
s'asseoir, se mit sur le bord du lit. Vous rirez de tout
le pape de prononcer sur le livre de l'archevêque de Cambrai, sont si
positifs que j'ai peine à croire les avis que je reçois que vous laissez
présentement languir cette affaire. » (Aff. étr. Rome 385.) Et, un an plus
tard, envoyant un nouvel ambassadeur, le prince de Monaco, pour ter-
miner l'affaire de M. de Cambrai, le roi écrit au cardinal dé Bouillon:
« Pour vous dire tout, on prétend que, dans le temps que vous êtes
obligé de vous acquitter de mes ordres, vous en traversez vous-même
le succès par des intrigues secrètes, par le;> voies sourdes que vous
employez, par un accueil favorable à ceux qui favorisent la doctrine de
l'archevêque de Cambrai. » (Aff. étr. Rome 389.)
1. Le comte d'Ayen (Adrien-Maurice de Noailles) épousa, le Ie1' avril,
Mlle d'Aubigné. Ce mariage, désiré par Mm0 de Maintenon, « qui se vou-
lait entièrement attacher M. de Paris et se frayer un chemin d'avoir part
aux affaires de l'Eglise », fut considéré, d'après le succès des Noailles,
comme un symptôme de défaite certaine pour l'archevêque de Cambrai
et ses amis.
16 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
cela1. Voilà qui augmentera bien le crédit du prélat.
Je lui vois déjà un chapeau rouge sur la tête.
Quesnel à du Vaucel
lfi mai 1698.
Il faut commencer par vous dire la nouvelle que
nous n'attendions pas si tôt et qui arriva, il y a aujour-
d'hui huit jours, au soir. C'est que les ordres sont venus
d'Espagne pour le rétablissement de M. Ernest [Ruth
crAns\l en toutes ses charges, bénéfices et honneurs.
L'ami de la poste nous vint annoncer cette bonne nou-
velle et nous fit lire les lettres du comte de Monterey
et de M. le nonce, qui étaient fort obligeantes et qui
marquaient que le roi, ayant été informé de son inno-
cence, envoyait à Son Altesse la permission de le rétablir
en ses charges et honneurs. On n'a point voulu répandre
cette nouvelle avant que Son Altesse eût donné les ordres
pour le rappel. Cependant, comme plusieurs personnes
en ont eu l'avis, il s'est répandu par toute la ville.
Son Altesse même a fait mander à M. Chaumont, par
un de ses ministres, qu'on apprît cette nouvelle à
M. Ernest [Rat h d'Ans] pour le consoler. On dit que
l'ordre a été dressé ici et envoyé à Marimont, où est le
prince. 11 revient demain, et nous ne savons pas s'il
veut faire ici ce qu'il faut à son retour. Enfin nous
1. L'habitude de recevoir les visites de compliment sur le lit était
motivée surtout par des raisons de préséance. Les visiteurs pouvaient,
sans inconvenance, s'asseoir sur le lit comme sur un siège. (His-
toriettes, t. Il, p. 204.)
2. Après sa nomination de chanoine en 1695, Ernest Ruth d'Ans,
protégé par l'électeur de Bavière et persécuté par le conseil d'Espagne,
fut exilé en Italie, en qualité de ministre à Florence. Le confesseur
jésuite du roi d'Espagne étant mort, on accorda son rappel à l'électeur.
Il revint donc à Bruxelles, en 1698, pour être bientôt exilé de nouveau
en Italie.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 17
n'avons encore aucune nouvelle sur cela de la cour.
Le secrétaire espagnol y est allé, et nous nous défions
toujours de quelque coup d'Arcade \T archevêque de
Matines], h qui cette poire aura été bien amère, et
qu'il n'omettra rien pour accrocher l'exécution. Je vous
écris en grande hâte, parce que j'ai été occupé l'après-
dînée, qu'il est tard et que j'attends un de mes frères1
qui vient d'arriver.
On me mande de Paris que le roi est fort fâché
contre M. le cardinal de Bouillon, parce qu'il a envoyé
un courrier à M. de Cambrai à droiture, et on ajoute
qu'on rappelle ce cardinal. Peut-être qu'ayant fait à
Rome ce qu'il voulait pour la coadjutorerie de Cluny
il ne sera pas fâché de retourner en France. On vous
enverra aujourd'hui de quoi achever votre sixième
exemplaire de Y Apologie, qui est fort bien reçue en
France.
Quesnel à du Vaucel
23 mai 1698.
On a envoyé à M. Ernest [Ruth dAns] la permission
de revenir à sa chanoinie, et il devait partir aujour-
d'hui dans la calèche qu'il a amenée et qui l'a ramené
lui-môme de Rome, pour être demain au soir ici. Plu-
sieurs personnes ont été d'avis qu'il ne perdît pas un
moment de temps, de peur de quelque changement
tramé parle sieur Arcade \T archevêque de Malines].
Votre première lettre pour M. Albert (car Yi n'est
plus de saison) [M.Tourreil\ lui fut envoyée d'abord. La
seconde partit hier.
M. l'abbé d'Orval est ici comme député des Etats
du Luxembourg. Le P. de Fresnes [Quesnel] le doit voir
1. Guillaume Quesnel, alors supérieur de l'Oratoire d'Orléans, et
qu'il n'avait pas vu depuis quatorze ou quinze ans.
il. 2
18 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
demain quelque part et, s'il y a lieu d'aller voir son
abbaye avec lui, il le fera; car il y a longtemps qu'on l'y
invite et qu'il le désire, pour un peu respirer un aussi
bon air que celui-là. S'il y va, ce sera fort incognito.
Il est bon que M. Albin [cardinal Casanate] ait vu
Y Histoire abrégée K Elle lui aura fait voir l'état des
choses et combien il est nécessaire que Rome s'explique
clairement sur le fait, si elle veut sérieusement que la
paix s'établisse solidement. Pourquoi ferait-elle diffi-
culté de reconnaître, en général, que l'Eglise n'exige
point par son autorité la créance intérieure des faits non
révélés et que ce n'a jamais été l'intention des papes,
quand les faits n'ont point été évidents ou avoués de
part et d'autre? Ce ne serait pas assez, pour affermir
la paix, d'appuyer et de confirmer le premier bref; mais
il faudrait qu'il y eût quelque chose qui fût plus clair,
comme de marquer par quelques paroles qu'on exclut le
sens des Additions et du premier décret des évoques. 11
faudrait tâcher de leur persuader que les signatures ne
sont bonnes qu'à troubler l'Eglise et qu'à persécuter des
gens de bien, et qu'il ne faudrait plus les souffrir qu'à
l'égard de ceux qui ont donné de justes sujets de croire
qu'ils soutiennent les erreurs des cinq propositions.
L'alliance où est entrée la famille de Dom Antoine
[F archevêque de Noailles] est une chose d'elle-même
indifférente, mais elle peut être utile, parce que la
personne qui est si liée avec M. Desmarets [Louis XIV]
sera engagée de soutenir ce bon abbé2. Les intentions
de l'un et de l'autre sont bonnes ; il n'y a que la mali-
gnité du temps ou plutôt de M. Regnauld [P. de La Chaise]
et la p.évention de ce M. Desmarets [Louis XIV] qui
les arrêtent. Si l'alYaire des orphelines [religieuses de
1. Histoire abrégée du Jansénisme, avec des remarques sur l'ordon-
nance de M. l'archevêque de Paris. (Cf. lettre du 18 février 1698.)
2. M"10 de Maintenon, dont la nièce avait épousé un Noailles. (Voir
la lettre du 11 avril 10!)8.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 19
Port-Royal) était approfondie, cela ferait un grand
coup, en mettant M. Desmarets [le roi) en défiance du
sieur Regnauld(P. de La Chaise).
M. l'évêque de Montpellier paraît avoir de la fermeté1.
Les jésuites ont fait tout ce qu'ils ont pu pour l'enga-
ger à approuver tous ceux de leur société ; il a tenu
ferme à n'en approuver que deux, comme il a fait dans
chacun des autres ordres. Un jésuite a prêché le carême
dans sa cathédrale. Il sut, la semaine sainte, qu'il
devait faire un sermon sur la fréquente communion et
décrier le livre qui porte ce titre et sa doctrine. Il fit
avertir le prédicateur de lui apporter ce sermon pour
le lire avec lui. Cela fut fait; on y changea et corrigea
plusieurs choses. Le prédicateur se soumit à tout, au
moins en apparence ; mais il l'oublia ou ne voulut pas
s'en souvenir en chaire, et il prononça son discours
comme il l'avait écrit. Il avait encore à prêcher le ven-
dredi saint et le jour de Pâques. Le mercredi saint, le
prélat lui défendit de prêcher et mit à sa place un
autre prédicateur. Aussitôt le recteur accourt pour
faire sa paix. Il trouva le prélat inébranlable. Il en
écrit au R. P. de La Chaise, qui s'en plaignit au roi.
Le roi en fut choqué (et apparemment le narré n'avait
pas été adouci). Il envoya quérir le marquis de Torcy,
son frère, et lui fit des plaintes du prélat. Le marquis
en fut quitte pour dire qu'il ne lui en avait point écrit
et qu'il jugeait bien que ces matières-là ne lui conve-
1. Nous rencontrons, pour la première fois, le nom d'un des plus
grands parmi les quatre évêques jansénistes, appellants au futur con-
cile de la bulle Unigenitas promulguée contre le livre du P. Quesnel.
Colbert de Croissy, frère du ministre d'Etat M. de Torcy, fut nommé
à Montpellier en 1698. Rien ne put entamer sa fermeté. 11 lutta durant
tout son épiscopat contre les jésuites, contre Rome, contre la cour ;
mais sa grande situation de fortune et de famille, son caractère
aimable et plein de naturel, lui évitèrent le dur traitement que subit
le pieux Soanen, déposé parle « conciliabule» d'Embrun et relégué à la
Chaise-Dieu pendant de longues années.
20 CORRESPONDANCE DE PASQUTER QUESNEL
naient pas. A peine ent-il achevé de parler que le roi,
voyant arriver M. l'archevêque de Paris, se mit à lui
faire part de l'histoire en question. Sa Majesté lui avait
dit d'abord, en général seulement, que le petit évêque
de Montpellier faisait bien du fracas contre les jésuites
dans son diocèse. Sur quoi M. l'archevêque releva
agréablement ces termes généraux, en disant au roi :
« Quoi donc, Sire, est-ce que M. de Montpellier a in-
terdit toute la société dans son diocèse? » Et, après
que Sa Majesté lui eut dit l'affaire en détail, M. l'arche-
vêque lui dit : « La chose étant, Sire, comme il a plu
à Votre Majesté de me l'apprendre, je la puis assurer
que je n'en aurais pas moins fait que M. de Montpel-
lier, si j'avais été en sa place. » Ce qui a fait que le
roi a laissé tomber cette affaire.
Quesnel à du Vaucel
13 juin 1698.
Le roi a envoyé quérir M. Vittement, recteur de
l'Université de Paris, pour le faire lecteur du duc de
Bourgogne, ayant nouvellement ôté cette charge à
l'abbé de Langeron, soupçonné de quiétisme, comme Sa
Majesté a ordonné au duc de Beauvilliers de congédier
pour la même raison l'abbé de Beaumont, un des sous-
précepteurs de ce prince, avec MM. de l'Echelle et
Dupuis, et un de ses gentilshommes de la manche, et
de chercher trois autres sujets pour remplir ces trois
dernières places. Mais on dit dans le monde que M. de
Beauvilliers, passant lui-même pour un des plus atta-
chés aux sentiments de M. de Cambrai, ne paraît pas
par cet endroit fort propre à faire un choix au gré du
roi.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 21
Le P. de La Combe1 est à Vincennes. Il est interrogé
par M. d'Argenson (lieutenant de police à la place de
M. de La Reynie) sur les faits. Il y a, m'écrit-on, bien
de l'ordure dans son procédé. Il a déclaré que, pour
mieux renoncer à la propriété, il avait embrassé le
vice le plus opposé à la vertu pour laquelle il avait le
plus d'inclination et d'attrait. Il l'a dit ainsi, d'une
manière vague, sans spécifier; mais le sens va là. Je
vous le donne pour le prix qu'on me l'adonné.
Voici des vers pour feu M. Arnauld. J'en sais l'au-
teur, mais je ne le puis dire2 :
Sublime en ses écrits, doux et simple de cœur,
Puisant la vérité jusqu'en son origine,
De tous ses longs combats Arnauld sortit vainqueur
Et soutint de la foi l'antiquité divine.
De la grâce il perça les mystères obscurs,
Aux humbles pénitents traça des chemins sûrs,
Rappela le pécheur au joug de l'Evangile.
Dieu fut l'unique objet de ses désirs constants.
L'Eglise n'eut jamais, même en ses premiers temps,
De plus zélé vengeur, ni d'enfant plus docile.
(4 avril 1698).
Quesnel à du Vaucel
20 juin 1698.
Mme Guyon est à la Bastille. M. l'archevêque l'avait
été interroger à Vaugirard, auprès de Paris, où elle
était dans une communauté. Apparemment il ne la
trouva pas disposée à son gré, puisqu'on l'a fait con-
duire à la Bastille, où ce prélat l'a encore interrogée.
Vous ai-je mandé que M. de Cambrai a été rayé de
dessus l'état de la maison du duc de Bourgogne, pour
1. Barnabite savoyard, confesseur de la célèbre Mrae Guyon, homme
ardent et extravagant, qui communiqua à sa pénitente toutes les rêve-
ries mystiques et bizarres de son imagination.
2. Jean Racine.
22 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
les 12.000 livres d'appointements de pension comme
précepteur. Le recteur de l'Université, M. Vittement,
a été fait lecteur de ce prince, à la place de l'abbé de
Langeron. On a fait trois ou quatre autres changements
pareils. Un abbé de Beaumont, neveu de M. de Cambrai,
était sous-précepteur. M. Le Fèvre, supérieur de l'hôpi-
tal de la Pitié, et qui a été au cardinal fie Bouillon, a
été mis en sa place.
Mon frère n'a eu d'autre dessein que de me voir,
et il sait bien que les choses ne sont point disposées
à cela de ce côté-là, et elles ne le sont pas mieux de ce
côté-ci. Je n'y pense point du tout. On m'embarras-
serait, si on me le proposait sans condition ; mais, tant
qu'on y mettrait la moindre condition, je n'en serais
pas embarrassé, parce que je le refuserais.
Nous avons eu aujourd'hui à dîner, dans notre petit
réfectoire, le bon abbé d'Orval1, qui est un vraiment
bonhomme, d'une sage simplicité et d'un cœur bien
droit. Il est ici depuis quelques semaines, fort à
contre-cœur, comme député des Etats du Luxembourg,
pour faire décharger la province des taxes qu'on leur
demande. Ils ont bien réussi.
Voilà une petite réponse au P. Mabillon. Elle est
maligne et assez adroite.
Quesnel à du Vaucel
4 juillet 1698.
Vous aurez vu à Borne la Relation de M. de Meaux,
qui est une pièce terrible pour le pauvre archevêque
de Cambrai. La lettre pastorale de M. de Chartres est
encore un autre coup. Je crois que le pauvre prélat n'est
pas à se repentir de s'être engagé dans une si malheu-
reuse affaire.
1. Le II. P. Charles François, abbé d'Orval.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 23
Il y a peu de nouvelles présentement. On ne songe
qu'à se divertir. Tant il est vrai qu'on ne se sert du
bienfait de la paix que pour s'abandonner au plaisir!
Que vous dirai-je de mon frère? Il me semble que je
l'avais laissé jeune, quand je quittai le pays, et je l'ai
trouvé portant lunettes, se portant fort bien néanmoins,
et de fort bonne humeur, comme il a toujours été. Il
nous a confirmé la prévention où la cour est toujours
sur le jansénisme. Il a été ici près de trois semaines,
et il s'en est retourné en se promenant par les villes de
la route où on lui a donné des connaissances.
Quesnel à du Vaucei
23 août 1698.
Vous ne nous dites point ce que j'ai appris par des
lettres de Paris du 16, comme écrit de Rome, dès le
4 ou 5 sans doute, par un courrier extraordinaire, que,
dans une congrégation M. le cardinal de Bouillon ayant
interrompu le pape, pour faire parler un partisan de
M. de Cambrai qui avait droit à son rang, ce cardinal
avait été mortifié, Sa Sainteté lui ayant dit : « Ce ne
sert ni vous ni lui qui parlerez, mais ce sera moi », et
que ce cardinal avait pris le parti de faire agréer à Sa
Sainteté et à Sa Majesté qu'il se tînt retiré à Frascati
jusqu'à la sentence, n'ayant pas le courage, a-t-il dit,
devoir condamner ses amis1. Cette nouvelle venait de
chez Dom Antoine de Saint-Bernard \V archevêque de
Noailles] .
Selon la gazette d'hier de Bruxelles, à l'article de
1. Louis XIV, malgré cette attitude, est encore en correspondance
ivec le cardinal de Bouillon. Il lui écrit, à propos de la nomination du
prince de Monaco : « Je suis persuadé que vous et lui entretiendrez,
chacun de votre côté, toute la bonne intelligence qu'il est nécessaire
que vous conserviez ensemble. » (Aff. étr. Rome, 389.)
É4 CORRESPOiNDAXCE DE PASQUIER QUÈSNËt
Paris, le prince de Monaco l est nommé pour l'ambas-
sade de Rome.
On me mande de Paris que le P. de La Chaise a livré
une lettre que le P. de La Combe a écrite, je ne sais pas
quand, a Mme Guyon. C'est-à-dire qu'il tire son épingle
du jeu, par politique.
Je ne savais pas la nouvelle dignité de promoteur de
la discipline. Il ne tiendra pas à lui qu'on n'établisse
de bons règlements.
Vous verrez, par la lettre que je vous communique,
qu'il se forme de bons évoques, et que le beau-frère de
la nièce de M. Arnauld a de la vigueur, tout jeune
qu'il est2.
Quesnel à du Vaucel
9 octobre 1698.
Je suis affligé de ce que vous me mandez de pom
Antoine de Saint-Bernard [Nouilles, archevêque de
Paris]. Les fautes en attirent d'autres. Le malheur des
personnes qui sont élevées est qu'on n'ose leur Jaire
envisager les suites que peuvent avoir les premières.
Ce qui fait qu'on n'en guérit pas. On a peine mène à
lesreconnaître, de peur de se sentir pressé de les répaier,
et tout cela éloigne la grâce de Dieu, dont on a dou-
tant plus besoin qu'on est plus exposé aux occasions
de chutes et aux grandes affaires. C'est un grand dom-
mage. 11 faut prier beaucoup pour ce bon abbé, qui a
d'ailleurs tant de bons sentiments, afin qu'il puisse au
1. Louis Grimaldi, prince de Monaco, duc de Valentinois, ne réussit
guère à Rome. Saint-Simon attribue cetinsuccèsà une exigence sur le titr^
de Monseigneur, qu'il réclamait et que Louis XIV n'accorda pas. « M. de
Monaco partit outré et brouillé avec Torcy, et l'effet de cette brouiUerie
se répandit sur toute son ambassade, au détriment des affaires qui en
souffrirent beaucoup. » (Saint-Simon, 1, 430.)
2. Colbert de Groissy, évoque de Montpellier.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER OUESNEL £5
moins profiter, dans la suite, de ses fautes et que Dieu
pour cela lui ouvre les yeux et ouvre la bouche à ceux
qui ont obligation de lui parler.
Quesnel à du Vaacel
11 octobre 1698.
J'attends sans empressement l'issue de l'affaire de
M. du Repos [Féneion]. Ce qu'ils y feront n'est pas
digne d'impatience; mais au moins qu'ils finissent!
Les Routiers [les Jésuites] font les politiques. Ils sont
pour M. de Cambrai, sans se trop soucier de sa doctrine.
S'il en avait avancé une contraire, ils seraient autant
à lui. Cependant, pour ne pas tout à fait déplaire aux puis-
sants, ils ont fait prêcher le jour de Saint-Bernard, aux
Feuillants delà rue Saint-Honoré, contre M. de Cambrai
par le P. de La Rue, qui avait aussi prêché une fois, le
carême dernier, devant le roi contre cette nouvelle
secte. Depuis ils font courir le bruit que les supérieurs
ne l'approuvent pas. On m'avait dit que son sermon
avait été imprimé. Cela ne s'est pas trouvé vrai, mais
on le vend manuscrit.
Ce n'est qu'en effigie que le curé de Seurre, près
Dijon, a été brûlé pour la morale pratique du plus
vilain quiétisme. On a dit à. Paris que le pape avait
fait emprisonner à Rome deux augustins déchaussés
sur la même accusation, c'est-à-dire du même crime;
que l'un des deux se nomme le P. Bénigne et que les
chapelles où ils confessaient ont été scellées par ordre
de Sa Sainteté, à cause de l'horrible profanation qu'ils
en ont faite.
Nous attendrons le nouveau nonce1. Pourvu qu'il
1. Jean-Baptiste Bussi, internonce à Bruxelles, puis nonce à Cologne,
enfin cardinal et évêcme cTAncône, en 1712. Féneion lui reprochera plus
tard trop de mollesse à l'égard des jansénistes.
26 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
soit équitable et ferme, on n'aura pas de peine à s'ac-
commoder de lui. Son prédécesseur est fort aise de lui
quitter la place. LeMulart [P. Désirant] se vanted'avoir
fait la paix entre ce ministre et M. l'archevêque. On
ne croit pas que la paix soit fort cordiale. C'est à peu
près comme entre ce prélat et le P. de Hondt et le
P. Paulin [Ru (h d'Ans}. Le P. de Hondt le fut voir, ces
jours passés. Il le reçut, l'entretint, mais fort froide-
ment. Le Père témoigna désirer lui baiser son anneau
pastoral. Le prélat se garda bien de le lui permettre et
retira sa main, de peur qu'elle ne fût profanée par
un baiser janséniste. On dit que c'est Dom Quiros qui
a obligé l'archevêque à faire au moins semblant de
n'être plus mal avec le ministre de Sa Sainteté.
M. le chancelier du conseil de Brabant est mort, et le
chancelier de France était, à ce qu'on dit, fort malade.
Ques?iel à du Vaiicel
25 octobre 1698.
Je sais en secret que M. de Cambrai a envoyé
M. Le Comte à Louvain pour proposer l'approbation de
quelques propositions à ces MM. les docteurs. Je crois
que nos amis se garderont bien de se mettre entre le
marteau et l'enclume. Ce n'est point leur affaire de se
rendre juges d'une doctrine qui est devant le Saint-
Siège. On leur a donné avis de ne se point laisser sur-
prendre; je crois qu'ils s'en garderont bien.
Il faut donc attendre que MM. les cardinaux finissent
leurs vacances pour voir leur décision. Je doute fort
que le Saint-Esprit se trouve dans leurs vignes pour les
inspirer.
On a élu un nouveau recteur de l'Université de Paris.
Les jésuites avaient une forte brigue pour en avoir
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 27
un favorable, à cause de quelques affaires qu'ils ont
ensemble à régler; mais on a si bien fait qu'on a
rompu leurs mesures et qu'on en a un fort bon.
M. Simon [Guelphe] est encore à Amsterdam. Je ne
sais ce qu'il y fait, à moins qu'il n'y vive aux dépens
de ses amis. Il dépense plus dix fois que les affaires
qu'il y a ne valent. Il a laissé la servante à Liège. Je
sais qu'on l'avait chargé de quelques papiers contre
le quatrième volume. Il ne m'en a dit mot. Me voilà
au bout, car le temps est stérile de nouvelles. M. le
pasteur de Sainte-Catherine a été voir M. l'archevêque
pour quelque affaire de sa paroisse. Il l'a fort bien
reçu ; mais je crois que, s'il lui eût demandé à lui baiser
la main, comme le P. de Hondt, il l'aurait retirée bien
vite.
Quesnel à du Vaucel
8 novembre 1698.
M. Thomas du Fossé, après avoir longtemps langui et
beaucoup souffert avec une merveilleuse patience, mou-
rut le 4, sur le midi1. Vous savez que c'était lui qui
continuait l'ouvrage de feu M. de Sacy sur la Bible.
Les quatres Evangiles sont publiés; il reste les Actes
et les Epîtres. Je ne sais qui sera digne d'achever ce
1 . Racine écrit à sa tante, l'abbesse de Port- Royal, le 9 novembre 1698,
en parlant de la mort de M. du Fossé : «C'était, pour ainsi dire, le plus
ancien ami que j'eusse au monde. » M. du Fossé avait alors soixante
ans; il avait été l'un des solitaires de Port-Royal.
Dans une lettre de ce saintlaïque àErnest Ruth d'Ans, du 2 juillet 1692,
nous trouvons un passage relatif aux Réflexions morales du P. Ques-
nel : « Je lis tous les jours le Nouveau Testament avec les Réflexions
morales; c'est un livre admirable. Si j'étais bien riche, je serais ravi
d'en donner à des personnes capables d'en profiter. Ne l'imprimera-
t-on point en vos quartiers et ne le donnera-t-on point moins cher
qu'ici, où on le vend seize francs? »
£8 CORRESPONDANCE DE PASOTJIER QUESNEL
grand ouvrage. Il est enterré à Saint-Etienne du Mont,
auprès de M. Pascal et de M. Perrault, le docteur.
M. Méliaud1, évoque d'Aleth, quitte sonévôché; on
croit qu'il s'y ennuyait. On met en sa place un M. Taf-
foureau, doyen de Sens, et on croit que M. Méliaud
pourra être trésorier de la Sainte-Chapelle. Un abbé
Fleury2, aumônier du roi (ce n'est pas l'historien sous-
précepteur des princes) est fait évêque de Fréjus, et
l'abbé d'Àcquin, rappelé de Fréjus, est fait évoque
de Séez. On unit àl'évêché de Toul l'abbaye des Trois-
Fontaines.
Je ne sais comment va l'abbaye de la Trappe. L'an-
cien s'est démis, comme vous savez. Celui qui lui avait
succédé mourut aussitôt; celui qui l'était en dernier
lieu, qui est, je crois, un carme reçu depuis peu, s'est
démis de l'abbaye. 11 a été à la cour, a vu le confesseur.
Ce Père confesseur, peu auparavant, avait reçu une lettre
où on lui mandait que tels et tels étaient jansénistes et
qu'il ne fallait pas les faire abbés. Le pauvre abbé an-
cien doit être humilié. Toutes ses démarches politiques
ne lui réussissent pas, et je crains que Dieu ne lui fasse
sentir ce qu'il a fait contre la vérité en attaquant ses
amis.
On me mande que M. Tafïbureau, doyen de Sens,
nommé à l'évêché d'Aleth, refuse l'éveché. Le roi est
surpris de voir qu'un homme pleure pour n'être point
évoque. On lui dit que, quand il donnera des évechés
1 . Victor-Augustin Méliaud, évêque d'Aleth, de juin 1684 à octobre 1698,
fut remplacé par Charles-Nicolas Tafïbureau de Fontaine.
2. André-Hercule de Fleury, futur cardinal et premier ministre de
Louis XV, fut nommé à la prière de Noailles. Le roi, raconte Saint-
Simon, dit à ce dernier : « Souvenez-vous bien, et je vous le prédis,
que vous vous en repentirez. » Fleury disait que, dès qu'il avait, vu
sa femme (son évêcké), il avait été dégoûté de son mariage, et il
signa une lettre de plaisanteries au cardinal Quirini : « Fleury, évêque
de Fréjus par lindignation divine. » II donna sa démission en 1715,
sous prétexte que l'âge lui ôtait la force d'administrer son diocèse,
et accepta cependant d être premier ministre à soixante-treize ans.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 29
à ceux qui les demandent, il ne les verra pas pleurer,
mais que, quand il les donnera à ceux qui ne les
demandent point, il en trouvera qui les refuseront.
M. l'archevêque de Paris à été saigné deux fois pour
une fièvre tierce.
11 faut que je m'informe de l'histoire de cette exclu-
sion faite par Dom Antoine de Saint-Bernard [Noailles,
archevêque de Paris] pour la signature. Je ne la sais que
d'une personne. 11 se peut faire que des gens, exclus
pour d'autres raisons, se couvrent de celle-là. IL est vrai
que ces engagements sont déplorables. On n'en revient
point. Les Romains étudient la situation de France et,
tant qu'ils verront les évoques disposés à exiger la
signature pure et simple, ils n'en démordront point.
Quesnel à du Vaucel
22 novembre 1698.
Vous demandez s'il n'y a personne dans le diocèse
de Cambrai qui s'aperçoive de la fausseté des principes
du prélat. Non, que je sache. Tout le monde est pour
lui ; il y est adoré et on y croit sa doctrine très catho-
lique.
Gomment ne vous accordez- vous point, vous et M. du
Til [Henneôel], dans le choix des noms? Celui que vous
appelez M. Frizon [ï internonce Bassi] a un autre nom,
selon M. du Til, et il faut charger sa mémoire de deux
mots différents1.
Voilà qu'on sonne la grosse cloche de Sainte-Gudule
pour la réception du premier de l'Université, qui est de
Bruxelles et de la paroisse de Sainte-Catherine.
1. Cette question des faux noms est une difficulté continuelle pour
la lecture de la correspondance janséniste, d'autant que nous n'avons
trouvé nulle part la liste complète des pseudonymes. Pour rinternonce
Bussi,nous relevons trois noms indifféremment employés.
30 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
M. l'archevêque de Paris se porte mieux, après
quatre accès de fièvre tierce ; on a prévenu le cinquième
par le quinquina.
La bonne somr Anne-Marie de Jésus a été fort mal,
ces jours-ci. Elle souffre étrangement de son rhuma-
tisme.
Le pain est extraordinairement cher en ce pays-ci,
et le blé partout à un prix fort haut, parce qu'il est
rare.
Quesnel à du Vancel
29 novembre 1698.
Je ferai tout ce que je pourrai pour engager les gens
au recueil que vous proposez contre le quiétisme, et je
saurai si M. Gerbert [Le Tel/ier, archevêque de Reims]
voudra faire traduire ses sentiments.
Il y a, dans les Remarques à^M.. de Meaux,des réponses
qui montrent la corde, comme celle par laquelle il
répond à ce qu'on lui avait objecté, qu'on n'avait point
distribué les livres de Mme Guyon et qu'on le défiait de
nommer une seule personne.
Les Anglais ont dessein d'établir un collège pour les
Grecs, afin de former à leurs dogmes et à leurs rites
ceux de cette nation et d'introduire dans le Levant leur
secte. Un particulier fort riche a laissé pour cela une
somme considérable par testament. On me mande de
Paris que l'on travaille à rompre le coup; mais, si les
Anglais l'entreprennent, ils en viendront à bout, et les
Hollandais les aideront et les imiteront. On leur a
reproché qu'ils n'avaient point de zèle pour répandre le
christianisme; ils profitent de ces avis au préjudice du
christianisme.
Gomme c'est un protestant qui rimprime en Hollande
le Saint Augustin ou qui au moins se dispose à le faire,
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 31
on mande qu'il y aura des notes du sieur Le Clerc, calvi-
niste, franc socinien et pélagien. Si les notes ne sont
qu'historiques, passe. Encore, s'il y met son nom,
sera-ce une tache pour l'ouvrage; mais, si elles sont
doctrinales, je doute qu'elles ne soient mauvaises. On
dit que M. de Witte les doit revoir.
Voilà une lettre de change sur laquelle vous pren-
drez, s'il vous plaît, les 200 livres dont je vous ai parlé
la dernière fois, ce qui me restait à vous donner des
200 livres précédentes sur lesquelles vous avez reçu
seize pistoles d'Espagne, et le contenu de votre mémoire
dû par le R. P. [Quesnel], qui vous salue et vous remer-
cie très humblement. Vous donnerez le reste à M. Hen-
nebel.
Quesnel à du Vancel
13 décembre 1698.
Nous n'avons point encore vu ici les Remarques de
M. de Cambrai sur la Réponse de M. de Meaux. Je
n'avais appris les premières nouvelles de la censure des
docteurs de Paris sur le l'énelonisme que par la Gazette
de Bruxelles, où était inséré ce que les feuilles manus-
crites de nouvelles disent deux fois la semaine, et qui
sont envoyées régulièrement de Paris. Elles disaient
que M. de Reims en avait parlé au roi, comme s'en
plaignant et craignant que Rome ne le trouvât pas bon,
et que le roi en avait comme grondé M. de Paris et
lui avait dit qu'il s'en tirât comme il pourrait avec Rome,
qu'il ne s'en voulait point mêler.
M. de Meaux a tant d'affaires sur les bras que je
cloute qu'il songe fort à satisfaire l'archevêque de Séville.
Il faut une occasion pour cela, et on n'en trouve pas si
souvent de cette nature.
Vous admirerez sans doute l'insolence des auteurs du
32 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Problème ecclésiastique1. Ce sont assurémentles jésuites.
On le sait de science certaine. Je ne vois pas que le
P. Quesnel s'en doive mettre beaucoup en peine ; c'est
à M. l'archevêque de Paris de voir ce qu'il a à faire.
S'il a un peu de vigueur, il ne doit pas laisser tomber à
terre cette occasion.
La bonne Mme la marquise de Saint-Loup est morte
à Poitiers, âgée de soixante-dix-neuf ans. Je crois vous
avoir mandé la mort de M. du Fossé, qui continuait
l'ouvrage de M. de Sacy.
Quesnel à du Vaucel
20 décembre 1698.
Je ne crois pas que le Père confesseur [P. de La
Chaise] ait eu part à la nomination du nouvel évoque
d'Aleth 2. On m'a dit que c'était M. le duc de Beauvilliers
qui l'avait indiqué au roi, et que, le roi en ayant
demandé des nouvelles à M. l'archevêque de Sens, ce
prélat avait répondu à Sa Majesté que c'était un homme
qui avait beaucoup de capacité et de piété, et sur cela
le roi le nomma. On me mande qu'il accepte, avec la
résolution de s'aller consacrer uniquement au service
de son diocèse. 11 était des amis de feu M. de Sens, de
Gondrin, à qui il dédia ses thèses, où il fit mettre le
grand portrait qu'on a de ce prélat. Il était aussi ami
de M. Boileau, qui lui a résigné son doyenné. Il le pria
à dîner, dans un voyage que je fis à Sens, il y a environ
quatorze ans, et je mangeai avec lui.
1. Petite brochure de vingt-quatre pages, lancée par les molinistes
contre l'archevêque de Paris. Elle tendait à mettre le prélat en contra-
diction avec lui-même, pour avoir, à une année d'intervalle, approuvé
les liéflexions morales du P. Quesnel et censuré YExposUion delà foi de
Martin de Barcos.
2. Tail'oureau de Fontaine.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 33
Quesnei à du Vaucel
27 décembre 1698.
Il y a une déclaration du roi nouvelle, qui confirme
la révocation del'édit de Nantes, ordonne aux évoques
de continuer à résider et de s'appliquer à l'instruction
des nouveaux catholiques, et défend toute assemblée
des huguenots.
L'ange gardien [M. Vuillart] me mande queM. Racine,
gentilhomme ordinaire de chez le roi, lui avait con-
firmé (car le bruit en était déjà fort grand) que le roi
a reçu un courrier qui lui a apporté la nouvelle que
le roi d'Espagne a déclaré que le prince électoral de
Bavière lui succéderait à la couronne et que la reine
serait régente 1. Je ne sais qu'en croire. Le bruit en court
aussi en ce pays; mais il me semble qu'une si grande
nouvelle y devrait faire plus de mouvement, aussi bien
qu'en France, où l'on ne dit point comment cela est
reçu.
Qitesnel à du Vaucel
3 janvier 1699.
J'ai si grande confiance que la Causa2ne sera pas mal re-
çue à Rome que je me flatte quasi qu'on pourrait venir à
bout de faire retirer de l'index les cinq pièces qui y sont
1. Charles II fit un premier testament qui désignait le prince de
Bavière comme devant lui succéder au trône d'Espagne. Quelques his-
toriens en contestent la réalité; plusieurs n'en font pas mention ; en tous
cas, il signa un autre testament en octobre 1700.
2. Causa Arnaldina, seu Antonius Arnaldus a calumniis vindi-
catus, ardente apologie des œuvres et des idées d'Antoine Arnauld.
Le pauvre Quesnel se fait illusion sur l'effet de son livre à Rome. Il
y fut condamné par le pape Innocent XII, quelques mois plus tard.
Il4 3
34 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
de ce recueil1, si un homme du poids de M. Albin
[cardinal Casanaté] voulait bien seconder ce dessein, et
qu'un aussi habile négociateur que M. de La Rue [du
Vaucel] s'y employât de son mieux, comme je suis
assuré qu'il ferait. Dans un mémorial qu'il dresserait,
il ferait considérer les services que l'auteur a rendus
à l'Eglise contre les hérétiques; combien hautement il
se déclare pour le Saint-Siège et pour la primauté du
pape de droit divin; combien il serait avantageux à
1 Eglise que des écrits qui portent le nom d'un de ses
plus illustres défenseurs ne fussent point flétris ; que
les écrits ne contiennent rien que de très catholique;
qu'il ne les a faits que pour se défendre contre des
ennemis déclarés, ligués contre lui; qu'ils ont été
approuvés par près de quatre-vingts docteurs, qui défen-
daient enSorbonne de vive voix ce qu'il y envoyait par
écrit; que ces écrits n'ont été mis à l'index que par le cré-
dit du cardinal Mazarin, qui faisait de cette affaire une
affaire politique, et par haine contre le cardinal de Retz,
qu'il croyait que M. Arnauld favorisait. Il me semble
que ces écrits sont si purs qu'ils ne contiennent que la
doctrine commune de l'école de saint Thomas. Que si
on pouvait obtenir une revision, il me semble qu'on
ne pourrait s'empêcher de dire qu'il n'y a rien de
contraire à la foi ni aux bonnes mœurs. Je ne doute
pas qu'on ne m'oppose de grandes raisons contre un
tel dessein. Je ne dis pas que cela soit sans difficulté;
mais, si on ne demande rien, on n'obtient rien, et
en demandant d'une certaine manière on peut se pro-
mettre quelque chose. Je vois bien que l'affaire serait
plus favorable dans un autre temps, lorsque M. Des-
marcts [Louis XIV] ne serait plus; car alors l'abbé
David [de Pomponne] pourrait s'y intéresser. Si pour-
tant le père de cet abbé voulait un peu s'aider, il
1. C'est-à-dire cinq des œuvres de M. Arnauld, qui étaient à l'index
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 35
obtiendrait aisément que M. Desmarets ne s'en mêle-
rait pas et qu'il souffrirait même que les parents
agissent. Il lui ferait toucher au doigt, s'il voulait, qu'on
l'a engagé fort mal à propos dans cette affaire; qu'il
n'y a pas eu de liberté ; qu'il ne peut être qu'hono-
rable à sa famille de purger la mémoire de son oncle
et que, si on jugeait à Rome que la doctrine n'a rien
que de bon, ce serait un avantage de tous côtés, etc.
Vous voyez bien par laque mes prétentions vont bien
plus loin que les espérances qu'on vous donne que
l'affaire passera impunément. En toute autre occasion,
je ne voudrais pas les tenter du plaisir qu'ils auraient
à casser une censure de Sorbonne; mais, en celle-ci,
je n'en ferais pas de scrupule. Pensez-y un peu, car
l'affaire ne me paraît pas infaisable.
Quesnel à du Vaucel
10 janvier 1699.
Le courrier qui apportait les lettres de Rome a été
rolé entre Namur et Bruxelles, et les lettres dispersées.
Cependant, parmi le débris rapporté à Bruxelles, la
vôtre s'est heureusement trouvée, et je la reçus, aus-
sitôt après l'arrivée du courrier, jeudi à midi seulement.
Je soupçonne que c'est la cour de France qui aura
envoyé enlever les lettres pour M. de Cambrai, peut-
être pour voir aussi ce que M. de Massac [cardinal de
Bouillon] peut mander à M. du Repos [Fénelon]. C'est
ma vision.
Puisqu'on paie communément 19 et 20 pour 100 de
Paris à Rome, vous ne devez pas vous étonner qu'il
vous en ait coûté autant. Si vous aviez à Paris des
correspondants, comme M. Charmot, vous trouveriez
36 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
comme lui des avantages. Ce qu'on a mandé de Liège
de la misère est très vrai. Le blé est partout très cher
et très rare.
Je ne sais pourquoi vous disiez dernièrement que
franchement vous n'étiez pas trop disposé à croire les
miracles que fait M8'r l'évêque de Ghâlons défunt1.
Qu'avez-vous connu de lui qui vous empêche de le
croire saint? C'est un prélat de mœurs très pures, qui
a apporté l'innocence dans l'épiscopat, qui y a travaillé
sans relâche durant quarante ans, qui a eu un très grand
amour pour les pauvres, qui a fait ses visites fort soi-
gneusement, qui a consumé quatre cent mille francs de
patrimoine en établissements, cures, séminaires, mis-
sions, communautés de filles utiles au public, écoles, etc. ,
qui était éloigné de tout faste, nullement courtisan,
qui a abandonné sou palais pour demeurer dans son
séminaire et y occuper une seule chambre de bois pour
ainsi dire, qui avait vendu toute son argenterie pour
secourir les pauvres, et s'était réduit à manger dans de
la faïence de Hollande. Il avait un amour pour l'Eglise
et pour la vérité, très simple, mais très sincère, appli-
qué jour et nuit aux intérêts de la paix de l'Eglise,
comme il me l'a dit à moi-môme en confiance. Il n'avait
pas cet éclat de sainteté qui relevait devant le monde
un M. d'Aleth, parce qu'il avait une simplicité fort
grande avec sa sagesse et sa prudence, qui le faisait
estimer de tout le monde. C'est à lui que le feu cardi-
nal de Retz doit son salut, après Dieu. Enfin Dieu se
plaît quelquefois à relever la sainteté de certaines per-
sonnes après leur mort, par cette raison-là même
qu'elle n'a pas éclaté durant leur vie ; et cela sert à
faire voir que, pour être saint, il ne faut que faire bien
son devoir dans son état. On me mande que les miracles
continuent.
1. Félix Vialarl
CORRESPONDANCE DE PASQUlER QUESNEL 37
Quesnel à du Vaucel
M janvier 1699.
Le Problème ecclésiastique, que je vous ai envoyé,
fut, par arrêt du parlement du 10, lacéré et brûlé le 12,
par la main du bourreau. Ce sont les gens du roi qui
Font requis d'office, sans que le prélat s'en soit mêlé.
Je sais le nom de l'imprimeur, je sais le nom du jésuite
qui le lui a mis en main1 et qui est de la domination
de France. Si on peut savoir cela à Paris, il passerait
mal son temps.
M. Tiberge 2 a de la réputation pour la prédication et
la conduite. Je ne sais ce que c'est que son discours.
Mme de Maintenon ayant été désabusée des maximes du
quiétisme par M. de Paris et M. de Meaux, je ne doute
point que M. Tiberge n'y renonçât aussi, s'il avait
avancé quelque chose de douteux et d'équivoque sur
cette matière.
Pour ce qui est de l'abbé Brisacier3, neveu du fameux
M. Brisacier et héritier de son entêtement, c'est un faux
zélé qui n'a jamais appris de théologie que sous les
jésuites du collège de Paris, où je l'ai vu étudier, il y a
bien quarante ans, ayant accompagné une personne
qui y allait rendre visite. Il a trahi le séminaire et les
Missions par son approbation de la Défense des nou-
veaux chrétiens.
1. Le P. Souâtre fit imprimer le Problème à Bruxelles et l'expédia à
Paris, mais il n'en est pas l'auteur. Ce fut l'œuvre du P. Doucin, de la
cabale des Normands.
2. L'abbé Louis Tiberge, directeur du séminaire des Missions étran-
gères, à Paris, conseillait souvent M*"° de Maintenon et entretenait une
correspondance suivie avec Fénelon. On a de lui des livres de piété et
quelques mémoires théologiques, rédigés avec M. de Brisacier.
3. Jacques-Charles de Brisacier, supérieur du séminaire des Missions
étrangères, alternait tous les trois ans avec l'abbé Tiberge. 11 fut aussi cor-
respondant de Fénelon et s'occupa activement de l'affaire deMmeGuyon.
38 CORRESPONDANCE DE PASQCItiR QUÉSNEL
Je crois vous avoir mandé qu'il paraît, à Paris, un
écrit (sans doute des révérends Pères) contre le
dixième volume de Saint Augustin des Pères bénédic-
tins. On m'écrit que l'abbé de Lorraine a dit que le
dessein des jésuites est de se déclarer contre la doctrine
de saint Augustin, comme condamnée par les papes
Urbain, Innocent et Alexandre. Ils le font assez ; mais
ils se gardent bien de le dire.
Quesnel à du Vaucel
7 février 1699.
Je vous avoue que je n'aurais jamais soupçonné
qu'on me dût faire un procès sur l'ange du bonnet carré1.
Lespeinlres et les graveurs sont en possession de faire
ce qu'il leur plaît des anges et de les faire servir à tout.
On ne trouvera guère de portrait historié où l'on n'en
trouve. Je vois qu'au portrait du cardinal Bellarmin il
y en a trois sous sa figure : l'un tient ses armes ou son
écu; l'autre, son chapeau, sa mitre, sa crosse, etc.; un
troisième, je ne sais combien d'instruments d'art et de
science. J'ouvre la Théologie morale de M. de Merbcs,
dédiée à M. l'archevêque de Reims. Ses armes sont à
la tête del'épître dédicatoire; deux anges s'y trouvent,
qui se jouent de sa crosse et de ses autres ornements.
Il n'y a pas jusqu'à l'enseigne du libraire, qui est une
couronne d'or, que deux anges tiennent élevée en haut.
M. Paulin [Rutk d'Ans] a rapporté d'Italie les portraits
des papes : il y a un ange qui porte les armes du pape
Innocent XI. Je ne vois pas pourquoi les graveurs de
Paris n'auraient pas droit d'employer aussi des anges
pour tenir Je bonnet d'un docteur au-dessus de sa tète.
1. 11 s'agit d'un portrait de M. Arnauld, qui avait été gravé à Paris
par les soins de M. de Beaubrun.
Correspondance de pasquier quesnel 30
Car ces messieurs les peintres n'aiment point à faire
une tête couverte ; la vue du front dans toute son
étendue contribue beaucoup à la ressemblance, et ils
aiment mieux placer en l'air l'habillement de tête que
de le mettre dessus. Et comment le faire sans le
secours des anges, qui sont bons à tout et prêts à tout?
Voilà tout le mystère. Que si pourtant on y en veut
trouver, cet ange qui vient du ciel marque fort bien
que la science et le ministère des docteurs est un de
ces dons que Jésus-Christ a faits à son Eglise en mon-
tant au ciel, comme saint Paul l'explique au chapitre îv
de l'épître aux Ephésiens. Enfin, quand on aurait
voulu marquer par cet ange la pureté des dispositions
avec lesquelles le docteur est entré dans ce ministère,
qu'il a paru que Dieu l'y avait appelé pour le service
de son Eglise et pour la défense de la vérité contré les
hérétiques, on n'aurait rien dit que les évêques n'aient
dit de lui dans leurs approbations pour le livre de la
Perpétuité de la foi, et surtout M. d'Aleth, M. de Vence
et le Père théologal d'Orléans, qui est un saint à
miracles. Voyez la Question curieuse.
Pour ce qui est de la beauté de l'ange, je ne sais ce qui
y manque. 11 est des plus jolis qu'on puisse faire, et il
frappa d'abord les yeux de tous ceux qui virent la
planche, par son air joli et qui marque la joie qu'il a
de servir à ce ministère. Mettez donc vos lunettes, je
vous en prie, et assurément vous le trouverez beau, à
moins qu'elles ne soient troubles.
Vous aurez déjà su combien il est certain que le
prince électoral de Bavière ne sera ni roi d'Espagne ni
électeur, et que Dieu a mieux aimé en faire un élu et
un roi dans le ciel, en le retirant du monde, la nuit de
mercredi à jeudi dernier. Vous pouvez vous imaginer
l'affliction où est l'électeur; l'électrice,. dont le fils est
devenu par là prince électoral, s'en consolera plus
aisément. Voilà bien des mesures renversées. Cela met
40 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
la France un peu plus au large. Le roi Guillaume y sera
aussi un peu plus; car il était embarrassé, dans cette
affaire, entre l'empereur qui a ses prétentions et l'élec-
teur qui avait les siennes. Dieu se joue des hommes et
leur fait voir la vanité et l'incertitude de leurs projets.
Mais ils ne la veulent point voir.
Quesnel à du Vaucel
21 février 1699.
Le bon M. Feydeau était fort bon homme, mais il me
semble qu'il ne se ménageait pas assez dans les temps
fâcheux1 et ne ménageait pas assez non plus le pré-
lat qui l'employait. M. de Chârfms, qui avait à dos le
confesseur et l'archevêque défunt qui le décriaient
dans l'esprit du roi, aurait tenté en vain de ramer
contre le fil de l'eau, et il croyait devoir ménager le
reste de la confiance du prince pour le bien de l'Eglise.
L'abbé de Haute-Fontaine était aussi d'un zèle trop
ardent et pas assez mesuré.
On me mande de Paris ce qui suit, du 16 de ce mois :
« On a trouvé, dans la malle des jésuites missionnaires
de la Chine, un journal signé de huit de leurs Pères,
qui sert à justifier tout ce qui a été dit, et au delà, dans
la Morale pratique. L'original a été mis entre les mains
de M. l'archevêque de Paris, et un de mes amis l'a vu.
« Ils avaient dans leur maison de Bruxelles un sau-
vage, je crois, du Canada ou de quelqu'un de ces pays-
là, qu'ils font passer pour roi. On dit qu'on la vu ser-
vir la messe, que c'était un mangeur d'hommes ; ils le
vantaient fort. On dit aujourd'hui qu'il est mort et
qu'ils le regrettent fort. Je crains que ce ne soit une
1. Sainte-Beuve dit que « M. Feydeau se préoccupait beaucoup plus
de la grâce que de la liberté ». Aussi mourut-il en exil, à Annonay.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 41
fourberie, ou que c'est quelque Iroquois, capitaine
d'une habitation, qu'ils honorent du nom de roi. »
Quesnel à du Vaucel
28 février 1699.
Je vous suis obligé de la lecture des trois lettres de
Siam qui sont à garder. C'est pourquoi j'en veux faire
copie.
Les gazettes étrangères parlent fort de la magnifi-
cence des équipages du nouvel ambassadeur1. Je m'ima-
gine qu'il se servira de l'occasion pour tâcher de con-
duire au chapeau monsieur son fils l'abbé, qui est de
l'Oratoire et qui est déjà assez âgé pour la promotion.
Je crois qu'il est petit-neveu du feu cardinal Grimaldi.
Tout ce que j'entends dire de M. l'internonce me
plaît fort. C'est un homme d'esprit équitable, de facile
accès, plein d'honnêteté, franc et ouvert, qui a de la
résolution et ne s'embarrasse de rien, qui aime à
être instruit des affaires qui concernent sa charge, qui
sait connaître ceux qui vont droit et ceux qui cherchent
à le tromper. Enfin il y a lieu d'espérer que les
affaires de l'Eglise iront mieux sous sa main, et il
paraît très bien intentionné pour procurer la paix de ces
provinces et pour faire justice, en ce qui dépendra de
lui. Son prédécesseur avait promis au R. P. de Hondt de
1. Le prince de Monaco, nouvel ambassadeur de Louis XIV à Rome.
Nous voyons, en effet, aux archives des Affaires étrangères (fonds Rome
390; un mémoire fantastique « des meubles, hardes, vaisselle d'argent et
équipages, que le prince de Monaco fait sortir du royaume», entre autres:
«670 livres de galons, étoffes, rubans, dentelles et boutons or et argent
pour chamarrer les habits dudit prince; 3 livres déplumes d'autruche,
800 livres de linge de table, 30 chapeaux tant de castor que loutre,
60 épées de cuivre doré, 4 paires déboucles de diamant, 500 livres tant
chemises, coiffes de nuit, mouchoirs, cravates, peignoirs et autre
menu linge garni de dentelle et point de France; 12 paires d'habits de
drap, galonnés et brodés or et argent, etc.
42 CORRESPONDANCE DE PASQDIER QUESNEL
lui donner sa confirmation par écrit. Sa timidité ne lui
a pas permis de la lui laisser en parlant ; mais il l'avait
laissée à son successeur, à condition qu'il ne la donne-
rait pas au Père. Gela était assez bizarre; mais M. l'in-
ternonce la lui a donnée sans façon et de bonne grâce.
Vous avez raison de dire que la brûlure1 n'empêche
pas qu'on ne voie la contradiction entre les deux livres,
l'un censuré, l'autre approuvé. On dit que le prélat ne
s'est point mêlé de la brûlure, que les gens du roi l'ont
requise d'office; on dit même que le roi l'a voulue. Le
roi demanda au prélat s'il ne soupçonnait pas l'auteur
du libelle. Il répondit que tout le monde le donnait au
P. Daniel, mais qu'il le niait, et qu'il fallait bien l'en
croire. On m'a mandé qu'il y avait un second écrit
contre ce prélat. Il peut faire quelque chose de bon de
cette affaire, pourvu qu'il prenne bon conseil; mais
j'appréhende qu'il ne consulte des personnes trop timides
et qu'il ne gâte tout par ce moyen.
Quesnel à du Vaucel
14 mars 1699.
Pour ce qui est de Dom Antoine de Saint-Bernard
{Nouilles, archevêque de Paris\, je ne sais ce qu'il fera
du Problème. On avait bien dit que quelqu'un répon-
drait pour la justification du Nouveau Testament, mais
on dit maintenant qu'on ne répondra pas et qu'on s'en
tiendra à la brûlure. C'est assez mon avis que Dom
Antoine de Saint-Bernard ne payât que de mépris l'écrit
fait contre lui ; mais, autant qu'il y aurait de courage
à se mettre au-dessus de ces faiseurs de libelles de
cette manière, autant serait-il peu digne de lui de se
1. Quesnel fait allusion à l'arrêt du parlement condamnant au feu le
Problème ecclésiastique.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QtlESNËL 43
retirer du combat par timidité. J'appréhende qu'il ne
prenne des conseils timides par la suggestion de gens
qui l'approchent et qui ne. servent qu'à l'intimider. S'il
s'avisait de faire des changements, il se ferait grand tort,
et il donnerait bien du courage à ses ennemis, qui lui
feront tous les jours de nouvelles incartades pour le
mater et le forcera leur donner son amitié et à fléchir
sur eux.
Quesnel à du Vaucel.
21 mars 1699.
Gomment n'aurais-je pas pris soin de justifier le petit
ange, après ce que vous me mandiez que le sieur Albin
[cardinal Casanate] en était alarmé, qu'il craignait
qu'on n'en abusât, qu'il opinait à ôter la figure? Vous
avez oublié tout cela. Dans une petite planche, on ne
pouvait pas mettre un grand archange. On ne mesure
pas les anges à l'aune.
Je vous félicite, Monsieur, d'avoir été si bien reçu
par le bon P. Patrice [le pape]. C'est le meilleur homme
du monde. C'est dommage qu'il soit ce qu'il est.
Je suis fort en peine du jugement qu'on fait, en
l'autre monde, de ces bonnes gens qui ne paraissent
faire mal à personne, qui font du bien à beaucoup de
monde, qui sont disposés à faire tout celui qu'ils con-
naîtraient et qu'ils pourraient, et qui cependant sont
entrés, peut-être fort volontiers, dans une supériorité
dont ils ne sont pas capables, et qui sont cent mille
piques au-dessous de leurs charges.
Nous attendrons patiemment la fin de l'affaire de
Cambrai, puisqu'on nous la fait espérer si proche. Dieu
veuille quelle donne la paix!
Il est vrai que la voie des grains d'ici à Rome est fort
commode ; mais, avant cela, il faut que l'argent vienne
44 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
de Paris, et on ne le peut qu'en y perdant beaucoup,
l'argent étant demeuré fort haut en France et au même
pied que durant la guerre, et les gens de ce pays-ci
ayant été assez sots que de rabaisser, aussitôt après la
paix, leur monnaie. Les Hollandais ont fait cela sans
doute moyennant quelque présent. Cependant la France
profite seule. Tout l'or et tout l'argent qui peut avoir
cours en France y est envoyé, et cet avantage considé-
rable est cause que nous n'avons plus celui de faire
venir de Paris notre argent, comme auparavant.
Que s ne I à du Vaucel
28 mars 1699.
Par lettres du 23 et une autre du 25, j'ai appris que,
le 22, à midi, M. le nonce avait reçu à Paris la bulle
contre M. de Cambrai, datée du 12 et partie le 13
de Rome ; qu'il y a vingt-trois propositions condam-
nées comme erronées, scandaleuses, malsonnantes. La
deuxième lettre ajoute que c'est in sensu obvio (c'est le mot
à la mode) et qu'il y a motu proprio et exsertascientia.
Il me semble qu'on ne reçoit pas volontiers en France
ces clauses, au moins en certains cas1; mais, comme la
1. En effet, le 14 août, en enregistrant le bref et les lettres patentes,
d'Aguesseau protesta contre les clauses contraires à nos libertés. On
s'en émut à Rome, et, le prince de Monaco ayant écrit le 6 novembre
que << la cabale ne cesse de fatiguer l'esprit du pape et de l'inquiéter là-
dessus », le roi répond aussitôt :« 11 parait que le cardinal Ottoboni a
tenté inutilement d'animer le pape au sujet du discours prononcé par
M. d'Aguesseau. Sa Sainteté est trop bien informée de l'usage des parle-
ments de mon royaume pour avoir été surprise des observations faites
sur le défaut de formalités de ce bref et sur les termes qui peuvent
blesser les droits de ma couronne et les maximes inviolables de la
monarchie. Ainsi je suis persuadé qu'il ne sera plus parlé de cette
affaire. » (Aff. étr.,Rome, 393-394.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 45
bulle a été demandée, on passera par dessus. Le roi
avait reçu un prompt avis de l'incertitude du pape et
lui avait récrit par un courrier qui rencontra, vers Lyon,
celui qui apportait la bulle. Ainsi le pape sera bien aise
d'avoir prévenu la sollicitation du roi. Je plains le
pauvre archevêque et souhaite qu'il prenne en cette
occasion un bon parti, et qui le remette en repos et en
état de servir l'Eglise. Il doit connaître maintenant que
les Rouliers [jésuites] ne sont pas infaillibles dans leurs
promesses.
Vous ne m'aviez pas demandé les Problèmes. En voilà
toujours deux, que je trouve dans ma chambre; s'il y
en a quelque autre dans la maison, je les ajouterai. Le
libraire n'a point été arrêté où il est, encore moins où
il n'est pas, comme à Lille. Celui qui Ta fait imprimer
est un jésuite de Lille, nommé de Souâtre, fils d'un
baron du pays d'Artois. Il est venu à Bruxelles, et
il l'a mis entre les mains de celui qui l'a fait impri-
mer. Je sais tout cela de bonne part, mais je ne puis
pas dire tout. J'ai fait savoir tout ce que j'en pouvais
dire.
Notre ami M. Racine est fort malade. Il a un abcès
dans le corps; on lui a ouvert le côté, dont il est sorti
du pus, mais on craint qu'il n'y en ait un plus avant.
Il est en grand danger, et ce serait une grande perte
pour la bonne cause; car il est fort bien dans le monde
et à la cour, où il a la confiance de beaucoup de per-
sonnes et surtout de la Dame \Mme de Maintenon].
Une fî lie du comte d'Auvergne et nièce du cardi-
nal de Bouillon est entrée aux Carmélites du grand
couvent [Port-Royal]. On dit que c'est de quoi faire une
grande religieuse. On dit qu'elle ne regrette la perte
de sa liberté qu'en ce qu'elle n'en a pas usé pour aller
rendre visite à nos bonnes sœurs.
M. le marquis de Pomponne est parti aujourd'hui,
fort content de l'accueil qu'on lui a fait ici, comme on
46 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
est aussi fort content de lui. Car je crois vous avoir
mandé qu'il était venu faire les condoléances sur la
mort du prince électoral.
Quesnel à du Vaucel
4 avril 1699.
Voilà donc la grande affaire terminée à Rome. Dieu
veuille qu'elle le soit à Paris, à Versailles, à Cambrai
et partout ! On dit que le pauvre archevêque a reçu cela
fort tranquillement. Je n'en doute pas, mais je ne sais
si on le laissera en repos. On parle d'une déclaration
du roi pour la faire enregistrer au parlement. C'est
une nouvelle scène. Après cela, j'ai peur qu'on ne
demande au prélat quelque témoignage par écrit de sa
soumission. J'en ai appris la nouvelle de fort bonne
heure. Le nonce de Paris en reçut la nouvelle, le 22.
Le bref était imprimé ici par nos soins, en latin et en
français, avant que nous eussions reçu l'édition de Rome.
On l'a traduite à Paris en deux manières. J'en ai une
imprimée par Anisson, par les soins de M. de Meaux,
qui n'est pas trop excellente.
Je vous ai déjà mandé qu'on ne ferait point paraître de
réponse au Problème, du côté de Paris. Je supprime
aussi une réponse que j'avais faite pour justifier le
dogme, et j'en substituerai une autre qui consistera à
tirer du Problème les avantages qu'on en peut tirer,
pour montrer que le jansénisme est un fantôme et que
ks Rouliei's [jésuites] en veulent à saint Augustin. Il
n'en faut point parler qu'on ne la voie. J'ai sujet de
croire que Dom de Saint-Bernard [Noailles, archevêque
dr Paris] ne changera rien aux endroits accusés. La
Gazelle de Bruxelles disait hier, dans l'article de Paris,
qun M. l'archevêque de Paris avait eu quelques accès
de fièvre tierce cl qu'il prenait du quinquina. 11 fut
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 47
pourtant va en bonne santé, le 24, par l'ange gardien
[M. Viiillart], et à qui il donna charge de dire au
P. deFresnes qu'il ne s'alarmât pas, etc. Il est pourtant
sollicité par bien des gens à qui il ne tiendrait pas
qu'il ne s'affaiblît. Il a de la piété et est fort attaché à
saint Augustin. Le P. Amelote lui aura servi à cela ;
car il n'y avait personne qui parlât plus fortement pour
saint Augustin et pour la grâce efficace, quoiqu'en
môme temps il criât contre Jansénius.
M. Racine se portait beaucoup mieux ces jours passés,
quoiqu'on lui ait ouvert le côté. On a fait pour lui une
neu vaine au tombeau de Mgr l'évéque de Ghâlons.
C'est un bon ami que M. Racine et fort utile au bien :
il faut prier Dieu qu'il nous le rende. Sa tante n'est
plus abbesse de Port-Royal-des-Champs. Elle est prieure,
et celle qui était prieure est abbesse. C'est une très
bonne fille, qui a été sous la conduite du feu Père
abbé dès ses commencements, et qui est fort humble.
Quesnel ci Mme de Fontpertuis
9 avril 1699.
J'ai reçu, mon très cher ami, les lettres du 19 février
et du 18 mars que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire, et j'ai reçu les avis que vous avez eu la bonté
de m'y donner avec un grand désir d'y déférer1. Je vous
ai déjà fait dire que je consentais de très bon cœur que
1. A la suite de la lettre du P. Quesnel à M. Boileau sur Y Histoire
abrégée avec des Remarques, MM. Duguet, Fouillou et M"c de Joncoux
répondirent par un écrit qui courut de main en main, et auquel notre
Quesnel voulut à son tour répliquer. M1"0 de Fontpertuis fut chargée
d'intervenir, quoique ses relations avec l'exilé de Bruxelles fussent plus
que froides depuis la mort d'Arnauld, dont elle n'avait pas strictement
respecté les dernières volontés. « Je ne puis m'empêcher de vous con-
jurer, lui écrit-elle, d'en demeurer aux coups que vous vous êtes portés,
l'auteur de la Héponse et vous, de peur que, n'ayant lâché que de la
fumée jusqu'ici, vous ne vous blessiez tout à fait. Il faut, s'il vous plaît,
vous souvenir que vous êtes l'agresseur et que c'est vous qui avez donné
lieu à la défense. ^> (18 mars 1699.)
48 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
l'écrit ne fût point imprimé; grâces à Dieu, je n'ai point
de démangeaisons sur cela. Mais je n'ai pas cru qu'il
pût arriver aucun inconvénient, si j'en faisais donner
une copie à l'auteur de la lettre; car il en sera le maître,
et je crains qu'il n'y puisse faire une bonne réponse,
surtout sur les deux points capitaux. Le premier, que,
selon l'esprit de nos maîtres et des prélats même les
plus attachés à la vérité, le silence était le seul parti
qu'il fallait prendre en cette occasion. Le second, qu'outre
qu'on a beaucoup manqué en prenant le parti contraire,
on a encore beaucoup péché contre le respect dû à un
bon prélat. J'ai prié môme qu'on prît garde s'il n'y a
point trop de louanges et qu'on en retranchât ce qu'on
jugerait à propos. Avec cela il me semble, encore un
coup, qu'on ne gâte rien. Une ouverture de cœur, à se
dire l'un à l'autre ce qu'on pense sur des lettres, ne peut
qu'être utile. Je ne lui parle point ni avec aigreur ni
par ressentiment. J'aime cet auteur, tout inconnu qu'il
m'est; je voudrais avoir part à son amitié, quoiqu'il en
ait usé avec moi d'une manière qui n'est guère mesurée.
Je ne crois pas lui avoir fait aucun tort et, en examinant
la chose devant Dieu selon votre conseil, je ne trouve
point du tout avoir rien fait qui soit sujet de répréhen-
sion. J'ai dit foin aux donneurs d'avis, parce que je
n'aime point à donner ces sortes d'éclaircissements
qu'on m'a forcé de donner par des instances très vives
et réitérées, et je ne l'ai fait, à la fin, que parce que
je compris, par ce qu'on me disait, que cela pourrait
apaiser la colère où l'on était, disait-on, contre les gens
et qui retomberait sur la Viémur [Port-Royal]. Voyant
donc le bruit que la lettre faisait1 et ne sachant pins
précisément ce qu'il y avait, n'en ayant point gardé de
copie, je craignis qu'il n'y eût quelque chose de fort
mal. Mais, ayant été obligé de l'examiner de nouveau
1. Sa lettre à M. Boileau, du 18 février 1698.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 49
après en avoir demandé copie de Paris, je trouvai que
l'on avait tort, que la lettre de Fauteur inconnu1 était
toute fausse, depuis le commencement jusqu'à la fin;
qu'il n'y a pas une accusation raisonnable, et qu'il n'a
pas même compris un endroit de la lettre sur lequel il
emploie une bonne partie de la sienne à déclamer en
l'air. Tout ce qui pourrait donc détourner de donner
au public la réponse, c'est la crainte de lui donner
encore une scène, de renouveler une affaire assoupie
et de donner trop de confusion à l'auteur ; car assuré-
ment il est tombé en des excès qui en doivent donner.
Les hommes qui ont jugé favorablement de sa lettre
se sont laissé éblouir par le clinquant ; mais enfin il
n'est pas question de publier la réponse. Je n'y songe
plus, ni même à la faire courir manuscrite.
Quesnel à du Vaucel
11 avril 1699.
Il paraît que M. de Cambrai est parfaitement soumis.
Je voulais vous envoyer copie d'une lettre qu'il a écrite
à M. d'Arras, à qui il témoigne qu'il ne conçoit pas
qu'il y ait d'autre parti à prendre ; que l'humilité coûte,
mais qu'il lui coûterait cent fois plus de résister le
moins du monde au Saint-Siège ; que son mandement
est tout prêt; qu'il n'attend que les ordres du roi qu'il
a demandés à M. de Barbezieux, à cause des formalités
dont on use en France.
On dit qu'après avoir reçu ces nouvelles, il avait
assemblé tous ses domestiques et leur avait fort bien
parlé sur ce sujet, et dans le sens que je viens de dire.
J'espère que ce sera une affaire finie, pourvu qu'on ne
le chicane point du côté de la cour. M. de Beauvilliers
1. Fouillou et Mlle de Joncoux.
il. 4
50 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
et plusieurs seigneurs ont d'abord envoyé à M. l'arche-
vêque leur livre des Maximes.
On me mande de Paris qu'on commence à y voir,
mais à lèche-doigts, un assez gros livre du P. Dez1,
jésuite, qui entreprend de démontrer qu'Innocent X et
Alexandre Vil ont condamné la doctrine de saint
Augustin sur la grâce efficace. Si cela est, c'est lever
le masque ; mais c'est une hardiesse extrême et qui va
à les perdre. J'ai peine à croire cette nouvelle, mais ce
serait un grand avantage si elle était vraie. Car il fau-
drait bien alors examiner Jansénius, puisqu'ils ne
peuvent soutenir cette thèse sans montrer que Jansé-
nius n'a rien enseigné que la grâce efficace et que c'est
son sensus intentus. Ce sera, apparemment, un livre
anonyme qu'ils jettent dans le monde pour voir ce
qu'on en dira, et qu'ils se réservent d'avouer ou de
désavouer, selon qu'on le prendra.
Le confrère de Monaco2 a bien vingt-huit ans. Il a
fait fort sagement de ne pas accompagner monsieur
son père, chez qui il aurait été exposé à une grande
dissipation, perte de temps, etc.
Il me semble que ceux qui ont voulu la condamnation
de M. de Cambrai doivent être contents. Elle est assez
sèche, et on n'y trouve pas le moindre adoucissement.
Autrefois on gardait ce ménagement, dans la condam-
nation des livres des religieux, de ne pas mettre le
nom de l'ordre dont ils étaient. On aurait bien pu
avoir quelque égard à l'ordre épiscopal et au mérite
particulier du prélat et ne pas mettre son nom dans le
titre du livre.
Les Pères de l'Oratoire devraient toujours avoir à Rome
un bon prédicateur. Il y en a un qui commence à l'Ora-
1. Jean Dez, recteur du collège de Sedan, puis de l'Université de
Strasbourg, s'occupa surtout d'ouvrages de controverse contre les cal-
vinistes. Il fut député deux fois à Home et cinq fois provincial.
2. Fils de l'ambassadeur à Rome, le prince de Monaco.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUES NEL 51
toire de Paris, qu'on dit qui est une merveille : c'est un
P. Massillon, auteur d'une certaine lettre sur l'ordon-
nance de l'archevêque de Paris. Un de mes amis, très
bon juge et maître en l'art, l'avait entendu une fois et
m'en avait écrit merveille. Il le fut entendre à l'Oratoire,
près du Louvre, le jour de l'Annonciation. « Jamais,
dit-il, je n'ai rien vu de si grand, de si plein de sens,
de si enlevant. » On en parle comme d'un prodige. Il y a
ordinairement une centaine de carrosses ; on en voit
quelquefois, outre la cour qui est toute pleine, depuis
la Croix du Tirouer jusqu'à Saint-Honoré. Je remercie
bien Dieu de ne m'avoir pas donné un tel talent ; car
c'est de quoi faire un homme bien orgueilleux, à moins
qu'on n'ait une humilité héroïque.
Je ne sais si un chevalier de Dampierre serait encore
à Rome et si vous l'y pourriez déterrer. Il est fils d'une
dame de mes très bonnes amies. Il est allé de Malte à
Rome, avec des recommandations de son grand-maître,
pour tâcher d'obtenir quelques besoins vacants par
la mort d'un de sa famille mort à Malte. Vous pou-
vez lui dire que c'est moi qui l'ai fait chercher; car,
quoique je ne l'aie vu que très jeune, il se souvient bien
pourtant de moi. II a un frère guidon des gendarmes,
un autre dans le service, et un jeune, abbé à Saint-
Magloire. Je crains fort que ce jeune chevalier n'ait pas
les instructions nécessaires sur la matière des béné-
fices, et ce serait charité de l'en instruire. Leur mère
est fort chrétienne et ne voudrait pas voir ses enfants
riches aux dépens de leur conscience et de leur salut;
mais les vues d'une mère ne font guère d'impression
sur des jeunes gens qui ont bon appétit.
52 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
Samedi saint, 18 avril 1699.
Doù vient que les Romains n'ont point mis de titre
au bref contre M. de Cambrai? Quelle différence entre
constitution, bulle, bref, décret? Quelle solennité
manque à ce bref pour n'être pas traité de constitu-
tion? Veulent-ils accoutumer la France à recevoir de
simples brefs?
Le roi entend volontiers le P. Séraphin1, capucin,
qui prêche au Louvre une bonne morale. Il s'éleva
fort, dernièrement, contre ceux qui demandent des béné-
fices, et le roi dit, après le sermon, qu'on ne lui avait
jamais parlé comme cela et qu'à l'avenir il n'en donne-
rait plus à ceux qui en demanderaient.
Le général de l'Oratoire, avant que de partir pour
ses visites, a pris congé du roi, présenté à l'ordinaire
par M. l'archevêque de Paris, avec qui il entra seul
dans le cabinet du roi. On m'a dit, d'un côté, que le
roi lui avait fort recommandé et conjuré, par l'amour
qu'il avait pour lui, de bien veiller sur la doctrine. Ce
fut peut-être à cette occasion qu'il fit connaître au roi
que M. de Noyon2, qui a été fort malade, avait donné
par son testament 4.000 livres à l'Oratoire. Sur quoi le
roi, pour répondre à la libéralité du prélat, ordonna
qu'on donnerait aux maisons de l'Oratoire de Saint-
1. « Ses sermons, dont il répétait souvent deux fois de suite les
mêmes phrases, et qui étaient fort à la capucine, plurent fort au roi,
et il devint à la mode de s'y empresser et de l'admirer. » (Saint-Simon,
1, 199.) La Bruyère fit du P. Séraphin un grand éloge : «Les courtisans,
dit-il, ont, chose incroyable, abandonné la chapelle du roi pour venir
entendre avec le peuple la parole de Dieu, annoncée par cet homme
apostolique. »
2. François de Glermont-Tonnerre.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 53
Honoré et de l'Institution deux exemplaires de tous les
livres qui s'impriment à son imprimerie du Louvre.
Quesnel à du Vaucel
25 avril 1699.
M. l'ange gardien [M. Vuillart] quia vu Dom Antoine
de Saint- Bernard [Noailles, archevêque de Paris] pour
le P. de Fresne [Quesnel] et mandé par cet abbé-là, a
appris de lui que son correspondant lui avait écrit en
secret que le dixième tome de Saint Augustin et le
livre du P. Quesnel avaient été déférés à Rome. Non,
c'est à M. Alberti [Tourreil] que cet abbé l'a dit confïdem-
ment, ajoutant : « Je suis sûr qu'en cela on m'en veut
plus qu'au P. Quesnel », et paraissait animé d'indi-
gnation contre les indignes délateurs. 11 a recommandé
le secret. Il faut que l'on sache cela, s'il est vrai, par
voie indirecte. Je crois qu'il n'y a rien à craindre.
M. Gerbais1, docteur, est mort et enterré, le 15 de
ce mois, aux charniers de Saint- Etienne-du-Mont. Un
M. Benoise, âgé de quatre-vingt-trois ans, qui a deux
filles à Port-Royal, est mort aussi et a donné à cette
maison son cœur et 1.000 livres. Une autre perte d'un
de nos bons amis est celle de M. Racine, qui mourut à
trois ou quatre heures du matin, mercredi dernier, dans
de fort grands sentiments de piété qu'il a fait paraître
dans toute sa maladie et dans les dernières années
de sa vie. Il a demandé à être enterré aux pieds de
M. Hamon, à Port-Royal, dont l'abbesse dernière, main-
tenant prieure, est sa tante.
1. Jean Gerbais, reçu docteur de Sorbonne, en 1661, avait publié
plusieurs volumes très gallicans, qui déplurent à Rome. Innocent XI
condamna la doctrine d'un de ses ouvrages, en 1679. Il avait une chaire
d'éloquence au collège royal.
54 CORRESPONDANCE DE PASQLIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
2 mai 1699.
Je commence par vous dire ce que l'on me mande de
Paris, du 29 avril, qu'il y a une lettre du roi à tous les
archevêques de son royaume, pour les faire assembler
avec leurs sulfragants pour savoir leur avis touchant le
bref. Je n'en sais pas davantage. Voilà un grand éclat
qui déplaira fort à Rome et qui, apparemment, tend à
prendre une résolution peu favorable. Je ne sais pour-
tant qu'en dire. Je ne suis pas bien aise de tout cela.
Je voudrais qu'on laissât en repos ce pauvre arche-
vêque, qui est assez humilié, sans le faire tympaniser
davantage par tout le royaume dans les assemblées
provinciales.
Je n'ai point lu Y Apologie de l'amour de Dieu, car je
n'en ai pas eu le temps, et je ne l'ai point encore. Je
suis accablé et si las d'être ici exposé à mille corvées
que je voudrais pouvoir trouver un trou où me jeter
pour être en repos.
On m'écrit que les jésuites destinent le P. Dez pour
successeur au R. P. de La Chaise. Ils voudraient même
le voir incessamment dans ce poste, où ils se plaignent
que ce Père fait moins pour sa compagnie depuis qu'il
est pressé de faire plus que jamais pour sa parente. Il
est ainsi battu des deux côtés, comme l'est l'isthme de
Corinthe. Un vieillard dans sa caducité est moins propre
à soutenir une telle agitation.
Ce que vous me mandez du P. Patrice [le pape], de
la promesse par écrit donnée par lui avant son élection
au provincialat, est terrible et fait grand'pitié ; car c'est
une abomination que le bonhomme ne sent seulement
pas. Cependant entrer par cette voie simoniaque dans
une telle charge, dont d'ailleurs il n'est pas capable,
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 55
quelle misère, et que peut-on espérer pour le salut!
Que de bonnes œuvres, bonnes ex officio, bonnes peut-
être ex fine, qui néanmoins ne peuvent guère servir à
un homme entré dans une telle charge par une telle
voie!
Quesnel à du Vaucel
23 mai 1699.
Il faut se consoler de la condamnation de la Causa
Arnaldina. Cela n'empêchera pas de vendre la pre-
mière édition, puisqu'elle est déjà toute enlevée ou
peu s'en faut, ni d'en faire une seconde. Elle serait
déjà commencée, si on n'avait d'autres choses à faire.
J'aurais cru que les dominicains auraient employé leur
crédit pour empêcher ce coup, qui retombe assuré-
ment sur la doctrine de leur école. Ces gens-là sont des
misérables, qui n'aiment la vérité que quand elle se
trouve dans leur froc.
Mile de Joncoux à Quesnel1
8 juin 1699.
J'ai appris, mon révérend Père, avec une terrible
douleur, que vous vous êtes trouvé offensé de la lettre
que je me donnai l'honneur de vous écrire l'année der-
nière au sujet de la vôtre à M. Boileau, chanoine de la
Sainte-Chapelle de Paris. C'en est assez pour me porter
d'abord à vous faire toute la satisfaction que vous pou-
vez justement attendre de moi. Je puis vous assurer,
avec toute la sincérité possible, que je n'ai eu aucun
1. Archives cTAmersfoort, boîte K. — C'est, semble-t-il, la première
lettre de M"e de Joncoux au P. Quesnel. Encore lui écrit-elle comme
«l'auteur des Remarques», et ignore-t-il que son correspondant est une
femme.
56 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
dessein de vous faire de la peine et que j'ai un véri-
table regret de vous en avoir causé sans le vouloir. Ne
m'accusez point non plus, mon révérend Père, d'avoir
rendu ma lettre publique. Quelques protestations con-
traires que puisse faire M. Boileau, il est certain que
c'est de ses mains, et non des miennes, qu'elle est passée
dans celles du public1. Je ne J'avais écrite que pour vous
seul. J'aurais seulement souhaité que vous eussiez
marqué en termes généraux, dans quelqu'une de vos
lettres que vos amis auraient répandue, comme ils
avaient fait la première, que vous L'aviez reçue et que
vous aviez fait attention à ce que je vous y représen-
tais. Je me reposais assez sur votre prudence du
choix des moyens, qui auraient été les plus propres
pour empêcher que la condamnation que vous aviez
faite des Remarques1 ne nuisit à la vérité. Et l'événe-
ment a fait voir qu'en cela je ne me trompais pas.
Mais, quel que vous supposiez, mon révérend Père,
qu'ait été mon procédé, je vous conjure, au nom de celui
qui, étant devenu notre réconciliation et notre paix, a
détruit par sa croix toute inimitié, de vouloir oublier ce
que vous pouvez avoir contre moi là-dessus, afin qu'étant
animés de la charité qu'il nous a méritée par le prix
de son sang, nous continuions à vivre dans l'unité d'un
même esprit et que, sans nous connaître, nous n'ayons
qu'un cœur et qu'une âme.
Je vous ai déjà protesté, mais permettez-moi de le
répéter ici, que je n'ai eu en vue, dans tout ce que
j'ai fait, que les intérêts de la vérité et le bien de
l'Eglise. J'honore et je respecte, comme vous, le digne
archevêque dont vous avez entrepris la défense.
J'ai été affligé, avec tous les gens de bien, de la néces-
1. Note manuscrite d'Adrien Le Paige : « Par les copies qui en furent
données, mais sans l'imprimer, au moins je le crois ainsi. »
2. Note manuscrite d'Adrien Le Paige : « Sur l'instruction du car-
dinal de Noailles de 1696 ».
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 57
site où il mettait ceux qui l'honoraient davantage de ne
pouvoir se taire, par le respect si justement dû à son
mérite et à sa dignité, sans manquer à ce que l'on doit
à la justice, à la charité et à la vérité, et de ne pouvoir
aussi rompre le silence sans s'exposer à plusieurs
inconvénients.
Il est vrai que je n'ai pas cru pouvoir prendre en
conscience le premier de ces deux partis. Mais j'ai fait
tout ce qui était en moi pour ne point blesser le res-
pect que j'ai toujours eu, que j'ai encore et que j'aurai
toute ma vie pour cet illustre prélat. Si j'ai péché
contre ce devoir, c'a été tout à fait contre mon inten-
tion. Et je déclare ici que, s'il y a quelque chose dans
mes Remarques qui soit injurieux et contraire à ce que
l'on doit selon les règles de l'Evangile aux pasteurs de
l'Eglise, je suis tout prêt de l'effacer de mes larmes et
de me condamner moi-même à en faire toute la répara-
tion que l'on jugera nécessaire.
Nous ne nous sommes pas rencontrés, vous et moi,
mon révérend Père, dans le même sentiment sur ce
sujet. J'ai cru que toutes sortes de raisons m'obligeaient
d'écrire. Et vous avez cru que j'aurais dû demeurer
dans le silence. Mais chacun a ses lumières et chacun
a ses vues. Vous avez dit vous-même, dans un endroit
de vos ouvrages [Défense de F Eglise romaine, Préface)
qu'on doit révérer les différentes dispositions que Dieu
met dans les âmes. Or, selon ce principe, il semble,
mon révérend Père, que vous auriez pu laissera Dieu le
jugement de l'écrit d'un auteur dont les motifs vous
étaient inconnus. Mais vous jugeâtes à propos de mar-
quer à vos amis ce que vous en pensiez. Et, l'ayant fait
d'une manière qui me parut préjudiciable à la cause
que je défendais, je me vis dans la nécessité de m'en
plaindre à vous et en même temps de vous donner
quelque éclaircissement sur ma conduite. Si je l'ai fait
d'une manière trop forte, si je n'ai pas bien pris le
58 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
sens d'un endroit de votre lettre, j'espère que vous
aurez assez de générosité pour me pardonner une
faute que je voudrais de tout mon cœur pouvoir répa-
rer. Vous avez appris depuis longtemps, et par vos
propres souffrances et par 'exemple du grand docteur
auquel la Providence vous a lié par tant d'endroits, à
pardonner, à oublier les injures, à aimer même vos
ennemis. Pardonnez donc, encore une fois, à un ami
qui n'a point eu dessein de vous offenser, mais de vous
prier de lui faire justice. Je dis un ami, mon révé-
rend Père, et j'espère que vous ne serez point, fâché que
je prenne cette qualité, puisque Dieu me fait la misé-
ricorde d'être ami de la vérité que vous aimez, et
dans laquelle vous aimez sans doute tous ceux qu'elle
a attachés à elle par les liens d'un amour sincère et
désintéressé.
Quesnel à du Vaucel
20 juin 1699.
Je vous envoie copie de la lettre du P. Daniel à M. de
Paris. Vous verrez comment il se disculpe avec ser-
ment. M. de Reims se trouva à l'ouverture du paquet,
et dit : « Je le croirais volontiers, s'il n'était pas le père
des équivoques. »
Le P. de La Ferté, jésuite, fils du feu maréchal, ayant
eu le choix de Nantes ou de Blois, a choisi le dernier
pour lieu de sa relégation. On dit que la cause est que,
le jour de la Quasimodo, à Saint-Roch où il avait
prêché le carême, il dit, sur l'évangile du jour, qu'il
ne fallait point espérer de paix solide pendant qu'on
laisserait subsister tel et tel désordre et qu'une femme
impérieuse, dont la naissance était obscure et qui
devrait rentrer dans la poussière dont elle avait été
tirée, aurait part au gouvernement. Vous voyez que les
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 59
jésuites commencent à voyager aussi bien que les
autres.
La punition du P. Souatre, qui a fait imprimer le
Problème, consiste en une translation de Lille à Mau-
beuge. La punition est terrible. Si c'eût été un jansé-
niste, il serait à la Bastille pour y pourrir.
Quesnel à du Vaucel
juillet 1699.
Pour revenir à votre retour, de quelque utilité que
soit aux affaires de l'Eglise votre séjour à Rome, il y
aurait de l'injustice de ne point approuver le désir de
revoir la patrie après une si longue absence, et y ayant
d'ailleurs quelque raison de vous rapprocher de votre
famille. Comme on n'a rien à vous demander, je crois
aussi qu'il n'y aura aucun obstacle. Je crois cependant
qu'il sera bon de prendre quelque mesure, afin que
si, après votre retour, les Roui i ers {jésuites] venaient
à vouloir donner de vous de mauvaises impressions au
roi, ils trouvent les ouvertures bouchées.
La pensée de disposer en faveur des pauvres de ce
qui sera à votre disposition est très louable et digne
d'un prêtre. J'y applaudis de tout mon cœur. Je prie
Dieu qu'il y donne sa bénédiction et qu'il vous prépare
une retraite qui vous soit propre, et où vous puissiez
passer tranquillement vos jours en attendant le Sei-
gneur. Je respire, aussi bien que vous, à une vie où je
puisse être plus à moi, et il semble que cette vie s'en-
fuit de moi, plus je la cherche. Vous avez soixante ans,
et moi soixante-six, du 14 de ce mois. Jugez si je n'ai
pas plus de droit de songera la retraite.
60 CORRESPONDANCE DE PASQUIEK QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
11 juillet 1699.
Je m'attendais bien que les Romains ne seraient con-
tents qu'à demi des procès-verbaux. Il y en a de plus
vigoureux que celui de Paris, et je comprends bien
qu'ils auront fort mal au cœur de voir le pape mis dix-
huit fois sur la sellette, pour y être examiné, jugé et
contrôlé. Je crois qu'une autre fois ils en feront marché
avant que de donner des bulles. Ces délibérations ne
s'accommodent guère avec la sainte infaillibilité. Il n'y
a que M. d'Arras qui sera un grand saint chez eux1;
mais je crois qu'il sera seul. Nous avons reçu, cette
semaine, les procès-verbaux de Sens et de Bordeaux, et
on les imprimera. Je crois qu'Alexandre VII aurait fait
mettre tout cela à l'index. Un protestant a fait une his-
toire de cette affaire, avec des réflexions bien empor-
tées contre les évêques et surtout contre M. de Meaux.
Il y a aussi un écrit de M. Simon contre le deuxième
volume du Saint Jérôme des bénédictins, où il avait
été un peu houspillé dans la préface et dans les notes.
Ce que vous nous mandez de M. Héron [Fabroni]
fait connaître que c'est un homme bien dangereux. Je
le voudrais archevêque quelque part, à condition qu'il
ne reviendrait plus à Rome.
1. Guy de Sève de Rochechouart sera cependant favorable à
rappel de la bulle Unic/eni/us, mais en se bornant à ne pas publier
la constitution dans son diocèse. L'évêque lHssy écrivait à Pénelon, le
24 juillet 1714: « J'ai envoyé votre mandement à M. d'Arras. 11 a besoin
dï-tre soutenu, quoiqu'il ait toujours passé pour croire le pape infail-
lible. »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 61
Quesnel à du Vaucel
18 juillet 1699.
La comtesse de Grammont ] , qui est fort amie de Port-
Royal, y va quelquefois et y alla à la Fête-Dieu dernière.
Elle a été omise pour cela sur le mémoire des dames qui
sont des promenades de Marly. La Gazette de Bruxelles
en parle et l'attribue à ce qu'elle cultivait trop Port-
Royal. On me l'avait déjà mandé, et que le roi avait
dit qu'elle avait d'autant plus tort quelle ne pou-
vait ignorer qu'il avait en horreur cette maison. Plus
on voit le prince opposé, plus les courtisans se res-
serrent et se tiennent clos et couverts. Gela me sert à
admirer la protection que Dieu donne à cette sainte
maison, si haïe du monde, et qui est aux portes de
Versailles. Le maître voudrait qu'elle fût détruite. Il
le peut, et il ne le fait pas, parce quelle est dans la main
de Dieu. Et l'Enfance, qui étaitsi loin, si peu connue et,
comme il semblait, à couvert de l'orage par la signa-
ture, a été détruite, et Port-Royal subsiste et subsis-
tera, comme je l'espère.
Quoique je ne doute pas qu'on n'ait envoyé à Rome
au R. P. de Montfaucon2 un lot de livres, peut-être
n'en aura-t-il pas assez pour vous en donner. Voilà ce
révérend Père noyé dans une mer délicieuse de ma-
nuscrits. Je conçois quelle joie c'est pour lui, car j'en
1. Elisabeth Hamilton, comtesse de Grammont, dame du palais
depuis 1667, était l'objet d'une grande amitié de la part du roi. Aussi
son court voyage à Port-Royal « ne mit la comtesse, dit Saint-Simon,
qu'en pénitence, non en disgrâce. »
2. Dom Bernard de Montfaucon, célèbre érudit, bénédictin, membre de
l'Académie des inscriptions, fit, en 1698, avec le P. Brioys, un voyage
d'érudition qui dura jusqu'en mars 1701. Dans les trois volumes de la
Correspondance inédite de Mabillon et de Montfaucon, on trouve vingt-
deux lettres du P. Quesnel au bibliographe florentin Magliabechi.
62 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ai un peu ressenti autrefois, et ce serait encore un de
mes plaisirs de pouvoir un peu bouquiner.
Avez-vous vu les Aventures de Télémaque1, fils
d'Ulysse, qui cherche son père par toutes les mers,
accompagné de Minerve, sous la figure d'un sage ami
qui prend toutes les occasions pour lui donner de sages
conseils et lui faire voir ses défauts? C'est un joli roman.
Ayant été imprimé à Paris, on l'a fait arrêter. M. de
Harlay m'en a fait donner un. Il est admirablement
bien écrit. On l'a réimprimé en ce pays. On dit que
M. de Cambrai le revoit et qu'il donnera la suite ; car ce
qu'on en a n'est qu'un morceau, et il n'y a que M. le
duc de Bourgogne et lui qui aient le reste.
Quesnel à du Vaucel
8 août 1699.
Il y a un homme qui a écrit, peut-être à M. de Paris,
qu'il est surpris comment le P. Daniel ose dire qu'il
n'est pas auteur du Problème ; qu'il est prêt de se cons-
tituer prisonnier, pourvu que le P. Daniel en fasse
autant, et de demeurer en prison jusqu'à ce qu'il ait
prouvé clairement et invinciblement que c'est lui,
P. Daniel, qui est l'auteur du Problème. M. Le Brûleur
[Le Noir] me manda cette nouvelle, il y a un mois,
comme l'ayant appris de l'archevêché, et on me l'a
écrite d'un autre côté, il y a huit jours.
1. Les opinions différaient dans le monde janséniste sur la valeur morale
du livre. L'évêque de Ghàlons, Gaston de Noailles, écrivait à son frère
l'archevêque de Paris, le 9 octobre 1699: « Télémaque m'a tenu assez
mauvaise compagnie en chemin. J'y trouve de beaux principes de gou-
vernement ; mais le style cause de l'indignation. Il est poétique outré ;
je n'y vois rien d'admirable, et le livre me paraît très dangereux et peu
propre à inspirer à un jeune prince une éducation chrétienne. » Le 14
octobre, l'archevêque répond en marge : « Télémaque n'est pas digne
d'un prêtre et ne convient point à l'éducation d'un prince qu'on
voulait élever chrétiennement. »
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 63
Mme la comtesse de Grammont, qui est anglaise
et qui avait été rayée de la feuille des divertissements
de Marly pour avoir été à Port-Royal, a eu l'honneur
de saluer le roi ' à qui elle a dit qu'elle n'avait pas
été là pour déplaire à Sa Majesté, mais par une recon-
naissance des bienfaits qu'elle a reçus de cette maison
qui la reçut, madame sa mère et elle, au sortir d'An-
gleterre, et qui les a nourries et entretenues par pure
charité, n'ayant rien. Elle ajouta que le peu qu'elle
savait de la religion, elle en avait l'obligation à cette
maison. Le roi ne voulut point de justification et lui
dit qu'il ne ferait jamais de grâces à cette maison et
qu'il ne pouvait s'en expliquer. N'est-ce point que les
jésuites lui en ont fait faire vœu ou serment?
Si les gens du Dôme sont étonnés que le livre ne
paraisse pas encore, le P. Quesnel en est cause. Il nous
a fait perdre un mois de temps, en attendant l'index
dont il s'est chargé. Il s'amuse à je ne sais quelles
bagatelles, et on court risque de trouver quelque ani-
croche. Nous avons des approbations en nombre com-
pétent : un docteur augustin, un docteur dominicain,
l'un et l'autre de Douai, un provincial. Peut-être en
aurons-nous encore quelqu'un, et j'espère que nous
aurons des quatre mendiants.
Quesnel à du Vaucel
15 août 1699.
Je n'attends ni ne désire des remerciements du côté de
M. d'Amboise [M. de Pomponne], pour la Cause'1. J'en
ai envoyé un à l'abbé de Pomponne et un à son docteur.
1. Saint-Simon dit que Mraede Grammont vit le roi chez Mme de Main-
tenon. « 11 la gronda, ils se raccommodèrent, et, au grand déplaisir de
Mmo de Maintenon, il n'y parut plus. » {Mémoires, VI, 218.)
2. Causa Arnaldina.
64 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QEESNEL
Ils m'en ont fait dire un grand merci; mais ils se sont
bien gardés de rien écrire. De la manière dont M. Des-
marets [Louis XIV] a parlé de la Viémur \Port-Royal],
il faut qu'il soit bien assuré que M. d'Amboise ne tient
guère à cette famille, quoiqu'il y ait une sœur; car il a
beaucoup de considération pour ce gentilhomme, et il
ne voudrait pas le désobliger. On dit même qu'il aura
bonne part à la charge de chancelier, si elle vaque
avant sa mort, comme il y a apparence.
En quelque lieu que vous soyez, Monsieur, à Rome
ou en France, vous pouvez vous assurer que ce qu'on
recevra de Nordstrand1 de la succession de feu
M. Davy [Arnauld] sera pour vous. Je voudrais que
vous l'eussiez déjà; mais l'affaire n'est pas encore ter-
minée. Les princes sont d'étranges gens : ils paient
leurs dettes comme il leur plaît. Ils ne veulent pas
entendre parler des arrérages. C'est beaucoup, si on
retire le fonds en plusieurs paiements.
J'appréhende que quelque guerre entre la Suède et
le Danemark ne se rallume. Gomme le duc de Holstein
est allié de la Suède et est même général des armées
de Suède, cela renverrait encore le paiement bien loin.
Un nouveau mémoire, adressé aux évoques de
France, contre le dixième volume du Saint Augustin
des bénédictins, est, me dit-on, une insolence bien
curieuse. Il est de soixante ou soixante-dix pages in-12.
On l'attribue au P. Daniel; mais je crois que c'est
en devinant. M. Salmon et M. Blampignon, censeurs
de livres, ont tous deux refusé d'approuver un livre
de ce Père sur les péchés d'ignorance. On dit aussi
que, ce Père étant allé voir MST de Paris pour lui
dire de vive voix ce qu'il lui avait écrit, ce prélat lui
1. Ile sur les côtes du Holstein, et faisant partie du royaume de Dane-
mark, où les principaux jansénistes placèrent des sommes assez consi-
dérables dans une entreprise industrielle. Le duc de Holstein racheta la
part de ces messieurs, en 1678, mais les paiements furent longs à liquider.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 65
dit : « Je vous croirai, quand vous m'aurez nommé
l'auteur du Problème, qui ne peut vous être inconnu. »
Et il lui tourna le dos.
Qtiesnel à du Vaucel
12 septembre 1699.
Vous savez peut-être déjà la mort de M. le chance-
lier de France1. En me la mandant, on me marquait
qu'il y avait grande apparence que M. de Pontchartrain
aurait la charge. On ne m'en a rien mandé depuis, jus-
qu'aujourd'hui 12. Cependant la Gazette de Bruxelles,
à l'article de Paris, dit qu'on mande de la cour, qui
est à Fontainebleau, que c'est celui-là même que le roi
a nommé. On ne peut faire un meilleur choix.
Il y a, à Paris, un Père de l'Oratoire turc et autrefois
mahométan. Il est fort bien converti, est prêtre et
habile. Il a traduit Y Aie or an et l'a réfuté fort bien, par
un commentaire que M. l'archevêque de Paris a vu et
en est si content qu'il le presse de le faire imprimer,
pendant qu'il diffère de donner au P. Bouhours sa per-
mission pour publier le reste de sa traduction du Nou-
veau Testament, assez fâché de l'avoir donnée pour les
Evangiles. Sur quoi un homme de la cour, venant de
Paris et interrogé par Mçr le Dauphin des nouvelles
qu'on y disait :■« Il y en a, Monseigneur, etd'assez singu-
lières, c'est que M. l'archevêque aime mieux YAlcoran
des Pères de l'Oratoire que l'Evangile des jésuites. »
\JAlcoran bien réfuté (cela s'entend) que l'Evangile
mal traduit.
1. Louis Boucherat, chancelier et garde des sceaux de France, mourut
à Paris, le 2 septembre 1699. « Le plus parfait et le plus accompli de
tous les chanceliers, si on se contentait d'un chancelier en cire, du reste
bon homme et honnête homme. » (Saint-Simon, VI, 554.)
h. 5
66 CORRESPONDANCE DE PASQU1EK QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
26 septembre 1699.
Vous demandez à quoi aboutit la confidence de
Mme Tonnelier [Mme de Fontpertuis] avec M. d'Àm-
boise [Pomponne]. A rien. On n'a jamais fait fond sur
cet homme, le plus timide de tous les hommes. Il peut
plus nuire par son silence qu'il ne servirait en parlant;
car M. Desmarets [Louis XIV] fut prévenu de longue
main, et dès le berceau, contre une famille que
M. d'Àmboise connaît si particulièrement. Que peut-il
croire, le voyant n'ouvrir pas seulement la bouche
pour dire un mot en leur faveur, sinon qu'il n'a rien
de bon à dire pour leur justification? Il est vrai qu'on
a mis M. Desmarets sur un tel pied qu'il n'y a point
de retour à espérer de lui que par une espèce de
miracle. Il a l'esprit fort borné sur ces affaires-là. Il
craint d'être surpris, et il ne peut s'imaginer qu'il Tait
été. Ce qui fait qu'il ne veut point entendre parler
d'éclaircissement, et je ne doute point que ce ne soit
ce qu'on lui aura bien recommandé, de ne prêter
jamais l'oreille aux discours de ces gens-là, qu'ils sont
artificieux, subtils, hypocrites, séduisants. Mais, à pro-
pos de Mme Tonnelier [Mmede Fontpertuis], on me mande
qu'elle a une espèce de rechute qui fait beaucoup
craindre.
M. Paulin [Ruth d'Ans] y est, je m'assure, présente-
ment ; car, étant allé à Lille pour les affaires d'une
dame chez qui il s'est impatronisc, il a pris de là l'essor
vers Paris, et il n'aura pas manqué de tirer droit à
Fontpertuis, où il sait quela malade est gisante. Si elle
est en état d'agir, il ne reviendra pas les mains vides,
et il sera payé de sa peine et de son voyage ; car il y a
quelque temps qu'on m'a assuré qu'elle lui faisait
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 67
espérer quelque petit fonds, sans vouloir dire d'où il
viendrait. Et ce ne peut être que des arrérages qu'elle
reçoit desrevenus de feu son ami M. David [Arnauld],
11 faut prendre patience. Tout ce quime fait delà peine
est sa conscience sur cela.
M. l'abbé Laigneau, doyen et grand-vicaire de Chà-
lons et mon ami, était à Paris ces jours passés. Il dit
que, novissime, une femme paralytique, qu'on avait
apportée à Châlons sur le tombeau du saint évêque, y
a été si parfaitement guérie, le neuvième jour de sa
neuvaine, qu'elle s'en est retournée à pied avec son
mari. Un docteur et chanoine de Reims, que j'ai vu et
qui ne m'a pas paru des plus crédules sur ce chapitre,
avoue qu'une fille qui, je ne sais comment, s'était
trouvée enfermée dans l'église durant la nuit, eut une
telle peur qu'elle en perdit l'esprit. Et, ayant fait une
neuvaine au tombeau du bon évêque, le neuvième jour
elle a recouvré son bon sens très parfaitement.
Quesnel à du Vaucel
3 octobre 1699.
M. de Pomponne eut, le 23, une faiblesse qu'on ne
compta pour rien. Le lendemain, on le saigna, et on lui
donna le viatique. Son mal, qui était comme léthar-
gique, augmenta le soir, et le 26 il mourut. Il s'est pos-
sédé assez pour donner de grandes marques de foi, de
piété, d'humilité, de résignation. Les missionnaires,
qui sont curés de Fontainebleau où il est mort, en
sont extrêmement édifiés. Il avait quatre-vingt-deux
ou trois ans.
M. l'abbé de La Lutumière était mort le 15, dans son
séminaire de Valognes. Par son testament olographe,
il donne son séminaire de Valognes, ses meubles, sa
bibliothèque, aux Pères de l'Oratoire.
68 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
M. Ernest [Ruth d'Ans] a été à Paris et y a fait
entrer deux Histoires de la congrégation de Anxiliis,
apparemment pour M. Le Noir et pour M. des Touches.
Il partit, le 29, pour Fontpertuis, où Ton dit la dame un
peu mieux, quoique retombée. De là il doit aller à la
cour, pour, dit-il, quelque affaire de son chapitre.
J'ai vu ici (à Mons) le P. Regnauld d'Angers, prêtre
de l'Oratoire. J'ai été bien aise d'apprendre de lui une
nouvelle que vous savez sans doute depuis quelque
temps, qui est que Ton a découvert enfin que le
P. Daniel est l'auteur du Problème; que le roi l'a rayé
du nombre do ses historiographes et lui a retranché sa
pension.
Quesnel à du Vancel
17 octobre 1699.
Votre billet n'est pas mettable dans la Gazette de
Bruxelles. Celui qui l'imprime est beau-frère d'un jésuite,
leur voisin et comme leur imprimeur, et de plus la
Gazette est revue par un du conseil privé, qui n'y lais-
serait pas de telles choses... M. d'Amboise [M. dePom-
po?i?ie], dont vous savez sans doute la mort, a toujours
fait profession de ne se mêler de rien, et des libelles
de cette nature n'ont jamais été jusqu'à lui. Mais cela
est fait. Il n'est plus. Il a rendu compte de tout, et son
corps est en dépôt à Saint-Merri de Paris, dans la
chapelle de sa famille. La veuve a 12.000 livres de pen-
sion du roi. La charge de surintendant des postes et
relais est donnée au gendre de M. le marquis de Torcy.
Je ne sache point qu'on ait encore mis d'autre ministre
à sa place. M. le comte d'Avaux ou M. de Harlay, l'am-
bassadeur, y pourront avoir bonne part, ou le comte
de Crécy; car il faut un homme qui connaisse les cours
étrangères.
Le monde dit qu'il pourrait bien arriver une rupture
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 69
entre l'Espagne et les Anglais et Hollandais. On a
découvert que le roi Guillaume a ménagé une ligue
entre l'empereur et d'autres puissances, qu'ils ont par-
tagé entre eux les états du roi d'Espagne, et on dit que
l'électeur de Bavière en est. C'est la France qui a tout
découvert et a donné une copie du traité. J'ai lu ce
matin un mémoire du roi d'Espagne, envoyé à tous ses
ambassadeurs, et surtout à ceux d'Angleterre et de
Hollande, pour se plaindre d'un tel attentat. On verra
comment tout cela tournera.
L'assemblée de l'Oratoire est finie. J'apprends qu'on
a fait le P. Fouquet [ supérieur de Saint-Magloire. C'est
un homme fort sage, fils du fameux M. Fouquet, fon-
dateur de la bibliothèque du collège des jésuites de
Paris. On m'apprend aussi que M. Duchemin a été fait
sous-diacre, ces derniers Quatre-Temps. Vous savez
qu'il a là une des douze places qu'y donne M. l'arche-
vêque. Le nouveau supérieur l'aime.
Je ne crois pas qu'il y ait rien à faire auprès de Dom
Antoine [Nouilles] pour la mémoire déchirée du feu abbé.
Il y a des préventions amelotiques2 et des craintes.
Oui, voilà un nouveau chancelier3. Il est vrai qu'il
aime l'Oratoire. Il s'y confesse. Il a une chambre à
l'institution, où il allait jadis, les bonnes fêtes. Son
épouse, qui a été autrefois pénitente du Père prieur de
cette ville, a encore beaucoup de considération pour
lui, et elle aime les amis de la vérité, comme petite-
1. Charles-Armand Fouquet, de l'Oratoire, fils du surintendant des
finances. Grand ami des abbés Duguet, Boileau et Couet, il eut aussi
la confiance et l'affection du cardinal de Noailles. Il aurait succédé au
P. de La Tour, comme général de sa congrégation, sans son appel de la
bulle iinigenitus, qui le fit exclure.
2. Le P. Amelotte, de l'Oratoire, 1006-1678.
3. Louis Phélypeaux, comte de Pontchartrain, aima, en effet, l'Oratoire
jusqu'à s'y retirer après la perte de sa femme, en 1714. Il fut, pendant
son passage aux affaires, un grand ennemi des jésuites, partant
presque un soutien pour le jansénisme,
70 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
nièce de feu M. Pavillon, évoque d'Aleth, par sa mère,
nièce de ce prélat1. M. de Pontchartrain est assez franc,
et je crois qu'il connaît assez les jésuites. On me disait
dernièrement que le roi lui avait dit, un jour, qu'on
disait qu'il n'aimait pas trop ces messieurs, et qu'il
répondit : « Quel moyen de les aimer? Ces gens-là
veulent le corps et l'ame. » M. Kerkré [Gerberon] m'a
dit aussi, il y a longtemps, qu'on lui avait mandé de
Paris que les Pères jésuites ayant demandé au roi une
lettre de recommandation pour les pays de leurs mis-
sions, peut-être vers Siam, ils en apportèrent un pro-
jet à M. de Pontchartrain. On le lut au conseil, et il fut
trouvé si excessivement outré en louanges que les
apôtres n'étaient rien au prix d'eux. On dit, tout d'une
voix, que cela ne pouvait pas passer. Le roi en fit des
reproches à son confesseur. Celui-ci, ou sur-le-champ
ou après avoir consulté ses Pères, dit au roi qu'ils
n'avaient aucune part à ce projet, et Sa Majesté l'ayant
rapporté à M. de Ponchar train, celui-ci dit : « Gom-
ment, Sire, peuvent-ils dire une telle fausseté à Votre
Majesté, après m'avoir apporté et mis eux-mêmes ce
projet entre les mains? S'ils osent m'imposer de leur
imputer à faux une telle chose, à moi qu'ils savent qui
ai l'honneur d'approcher Votre Majesté, je vous laisse à
penser, Sire, comment ils mentent h l'égard de ceux
qui n'ont aucun accès auprès d'elle. »
On a imprimé en France, en trois petits volumes
in- 12, le Weiidrock entier en français2. C'est une bombe
1. Les contemporains sont unanimes à reconnaître les mérites et les
parfaites vertus de lachancelière. Avec cela, « jamais femme de ministre
ni autre, dit Saint-Simon, n'eut sa pareille pour savoir tenir une mai-
son, y joindre plus d'ordre à toute l'aisance et la magnificence. »
2. Wendrock est le pseudonyme de Nicole, et il s'agit de la traduction
des notes sur les Lettres Provinciales, qui fut faite par M"° de Joncoux,
en 1699. M"0 de Joncoux était encore, à cette date, inconnue du P. Ques-
nel, qui ne sera en correspondance suivie avec elle qu'après le court
voyage qu'il fit incognito à Paris, en 1700.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 71
qui tombe à plomb sur la société. Beaucoup de gens
non latinisants la liront, qui ne l'auraient pas lue.
M. Paulin [Ernest Ruth d'Ans] est encore en France.
Il a été à Fontpertuis, où la dame est mieux.
Quesnel à Mme de Fontpertuis
18 octobre 1699.
Il est bien arrivé des choses durant votre maladie,
Madame : d'un côté, un ami, qui était dans un grand
poste et élait en faveur1, est allé rendre compte de
soixante ans de mouvement et d'agitations dans les
affaires du monde; d'une autre part, un autre ami2,
élevé à la plus grande dignité qu'il pouvait désirer. Ce
dernier objet est tout riant, et on n'y voit rien qui ne
flatte beaucoup la nature. L'autre n'a rien que de ter-
rible. Il ne paraît pas, cependant, que le défunt ait été
ébloui de sa fortune. Sa modération a été édifiante , et,
pourvu qu'il ait donné beaucoup aux pauvres durant
sa vie et à sa mort, il y a sujet d'espérer que ses
grands biens ne lui seront pas imputés à péché. Mais,
sans cela, il y a toujours beaucoup à craindre pour les
riches.
Celui qui se trouve élevé de nouveau s'est conduit,
jusqu'à présent, de manière que sa modestie ne sur-
prendra personne, puisqu'il y a accoutumé le monde
dans tous ses emplois. J'espère que Dieu se servira de
lui pour faire beaucoup de bien par l'usage de son
autorité. Vous voyez tout cela en perspective de votre
lit, où je vous crois encore attachée, et vous en faites
sans doute le sujet de vos saintes réflexions. Dans l'une
et dans l'autre, nous y avons de grandes instructions.
1. Le marquis de Pomponne.
2. Noailles, nommé archevêque de Paris.
72 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Si l'un nous dit : « Tout est passé», l'autre nous crie :
« Tout cela passera dans un moment, et rien ne subsis-
tera devant Dieu que ce qui aura eu pour principe l'es-
prit de Dieu et pour fin sa gloire et son règne. »
Quesnel à du Vaucel
24 octobre 1699.
Je n'ai pas été peu surpris de l'invitation si injuste
faite à M. de Sébaste1. C'est une marque que la cabale
est bien puissante et qu'il n'y a guère d'équité dans ces
sortes de juges. Il fera bien de témoigner qu'il est bien
aise d'obéir, et cependant de gagner du temps. Si la
guerre s'allume en ces quartiers, il n'y a guère d'appa-
rence qu'il puisse faire le voyage, et on pourrait bien
même le lui défendre ; car je ne croirais pas qu'il dût
l'entreprendre sans en donner part aux supérieurs.
Ce que je dis de la guerre est le sujet de l'entretien
d'aujourd hui. Vous savez que l'on a découvert la ligue
formée par le roi Guillaume pour se rendre maître des
états d'Espagne après la mort du roi ; que ce roi en
a fait faire des plaintes en forme par un mémoire
envoyé à tous les ambassadeurs; que celui qu'il a en
Angleterre s'étant acquitté de ces ordres auprès de la
régence, le roi Guillaume lui a fait signifier qu'il eût à
sortir au plus tôt d'Augleterre. On dit que c'est la France
qui a découvert cette conspiration, et, comme on dit
que Son Altesse Eminentissime de Bavière est du traité,
il n'y a pas d'apparence qu'il demeure ici gouverneur.
Il est à Mariémont, et l'on dit assez publiquement qu'il
ne reviendra plus et qu'il ira de là en son pays. Je
1. Pierre Godde, archevêque d'Utrecht, sous le titre d'archevêque de
Sébaste, était invité à aller se défendre à Rome des accusations de
jansénisme. On prenait le prétexte du jubilé pour l'attirer hors de son
diocèse.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 73
viens de lire un traité particulier que ce prince a fait
avec les Hollandais, en date du 28 août 1698. Les
Hautes Puissances se chargent de la garantie et défense
du Pays-Bas espagnol pour le feu prince électoral, et,
pour cela, l'électeur leur doit livrer et céder le fort
Mar, sur l'Escaut, à perpétuité; qu'on ne transportera
aucune marchandise étrangère, ni par Ostende, ni par
Nieuport, Bruges, etc. ; que les Hollandais auront un
comptoir entre Gand et Dendermonde, pour visiter
toutes les marchandises avec une garde de mousque-
taires, etc. Ce n'est pas là le traité général. Voilà de
quoi entretenir les politiques. Quand le roi d'Espagne
fit arrêter le feu duc Charles de Lorraine, il n'en avait
pas tant fait, et il avait une armée de 15.000 hommes.
La guerre d'entre les bénédictins et les jésuites
s'échauffe de plus en plus. J'ai reçu deux nouveaux
écrits pour les bénédictins cette semaine. Les jésuites
sont bien battus ; mais ces ladres ne sentent rien qu'une
passion ardente de calomnier sans pudeur. Il n'est pas
que vous n'ayez entendu parler d'une tragédie des
jésuites d'Ancône. On avait offert de la mettre dans la
Gazette de Hollande ; mais, ne sachant pas si elle est
vraie, j'ai attendu. Voilà la relation qu'on m'a envoyée
de Paris ; je vous l'envoie pour informer, et vous me
la renverrez.
Quesnel à du Vaucel
21 novembre 1699,
11 y a aujourd'hui huit jours qu'un courrier apporta
au roi la nouvelle de la maladie du bon pape, que
sa goutte était remontée, qu'il avait reçu l'extrême-
onction1. Je l'appris, hier matin, par des lettres de
1. Le prince de Monaco écrit au roi, le 10 décembre, que « Sa Sain-
teté diminuait de forces, qu'elle extravaguait par ses discours, que
74 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
M. Le Noir, dont je vous en envoie une, et aujour-
d'hui on m'écrit, du 18, que le bruit de la mort du
pape courait à Paris. On ne sera pas longtemps sans en
savoir la vérité.
On me mande aussi que le roi a imposé silence aux
bénédictins et aux jésuites et leur a défendu d'écrire
les uns contre les autres, sous peine de son indignation.
C'est ce qui leur a été déclaré par M. l'archevêque de
Paris. Les bénédictins ont écrit les derniers, mais ils
avaient encore bien des choses à dire.
J'admire comment M. Albin [cardinal Casanate]
s'étonne que les évoques de France ne fassent rien pour
mettre à couvert la mémoire de feu M. Davy [Arnauld],
Quand ils auraient la meilleure volonté du monde et
que le maître y serait favorable, il est difficile de com-
prendre comment ils s'y pourraient prendre.
Quesnel à du Vaucel
28 novembre 1699.
Nous avions appris par la voie de Paris la maladie
du pape. Un courrier du Savait apporté la nouvelle de
son mieux, et avant-hier nous savions ici, par Paris
encore, sa promotion de cinq cardinaux et de quatre
retenus in petto. Dieu veuille que M. Gasoni soit au
moins des derniers! On le traite bien mal.
Voilà la querelle de l'édition de saint Augustin finie.
Je reçus, hier au soir, copie imprimée de la lettre cir-
c'était déjà le visage d'un mort ». Mais c'est une autre antienne avec
le cardinal de Bouillon, le 2't novembre: «11 pourrait bien vivre en cet
état plusieurs années, les médecins soutenant qu'il est net de fièvre.
Son visage et ses yeux n'ont nullement paru, à tous ceux qui Font
envisagé, le visage et les yeux d'un homme mourant. Ses chairs sont
encore belles et vives, mais ses parties basses sont tellement affaiblies
qu'il n'y a pas apparence qu'il soit jamais plus en état de sortir du
lit. » (AU*, étr., Home, 4U3.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 75
culaire du général des bénédictins à ses religieux, pour
leur notifier les ordres du roi. On n'aura pas manqué
de l'envoyer à Rome.
Voilà le P. Gabrielli cardinal1. Je crains qu'il n'y
ait dans le recueil du sfondratisme des choses capables
de le choquer beaucoup. Il faudra les examiner et
passer dessus la lime. Car il ne faut pas aigrir des gens
qui peuvent nuire.
Il paraît que le cardinal Moriggia est fort bien dans
l'esprit du pape. Si c'est un homme droit et qui ait de
la lumière, il faudrait trouver un moyen de l'aborder,
de l'instruire et de le rendre par là favorable à la
vérité.
Quesnel à du Vaucel
5 décembre 1699.
Je crois vous avoir mandé qu'on a imprimé une tra-
duction française du Wendrock. On la réimprime en ce
pays. La traduction est faite par une fille2. Les jésuites
n'en veulent rien croire. Gela est pourtant vrai.
J'ai écrit à Delft, afin qu'on m'envoie les feuilles de
la collection, et j'avertis de môme que, si on trouve
dans ce qui n'est pas encore imprimé quelque dureté
contre le protecteur du sfondratisme nouvellement
métamorphosé, on l'adoucisse, pour ne pas aigrir un
homme qui peut nuire dans le poste où il a été mis.
L'âge de notre Saint-Père, la saison, la nature de sa
maladie, nous font tout craindre. H y a des gageures,
1. Un mémoire, envoyé en 1709 par l'ambassadeur la Trémoille au
roi, nous peint le cardinal Gabrielli « très bon, très juste, essentielle-
ment ami des couronnes, sincère et religieux ». (Aff. étr. Rome, 494.)
Aussi la France va-t-elle lui l'aire une pension, qui, d'après Polignac,
« n'est pas mal employée, puisque, dans les occasions, il fait son devoir. »
(Aff. étr., Rome, 496.)
2. M"e de Joncoux.
76 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
faites à Londres qu'il n'arrivera pas jusqu'à l'année
sainte.
Je voudrais que la seconde réponse du R. P. de Mont-
faucon fût imprimée, car on n'aura pas manqué de lui
signifier les ordres du roi pour le silence.
En voilà assez pour un jour de médecine.
Quesnel à du Vaacel
Bruxelles, 2 janvier 1700.
Nous voici donc, non dans un nouveau siècle (comme
quelques-uns se l'imaginent), mais dans une nouvelle
année. Je vous l'ai déjà souhaitée sainte et heureuse;
mais il ne faut pas la commencer sans renouveler ces
souhaits, comme je le fais de tout mon cœur.
De la manière dont parlent les gazettes et vos nou-
velles, il y a apparence que le bon pape aura vu la
nouvelle année. Je lui conseille de se consoler de
n'avoir pas ouvert la porte de Saint-Pierre, pourvu que
saint Pierre lui ouvre la porte du ciel1. Ce n'est pas
une petite affaire de l'ouvrir à un pape, et je ne sais si
ce premier pape aura des yeux pour reconnaître beau-
coup de ses successeurs dans cette lie des siècles.
Les nouvelles de France disent que les cardinaux se
disposaient à passer à Rome, à la première nouvelle de
la mort du pape, et que M. de Grenoble ne se croit
point invité d'y aller. Je ne sais si cela est vrai; mais
il n'y aurait pas beaucoup à perdre pour lui ni pour la
cour, qui apparemment le regarde comme un scru-
puleux, peu propre à entrer dans une intrigue et à
seconder les mouvements d'une faction.
Quoique MKI Sacriste ait été cambrésien, on ne laisse
1. Du Vaucel écrivait à M. Codde, archevêque de Sébaste, le 19 dé-
cembre 1699 : « C'est le cardinal de Bouillon, comme sous-doyen,
qui ouvrira la porte de Saint-Pierre. »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 77
pas de souhaiter que le pape voulût penser à lui. il
serait beaucoup mieux que d'autres. Le pauvre sieur
Gasoni est en oubli; mais, pourvu que Dieu se sou-
vienne de lui, il sera assez heureux.
Toutes les places publiques sont remplies de casernes,
où sont logés les soldats qu'on a fait venir des places
frontières pour réduire les nations de cette ville et leur
faire donner de l'argent. Dieu veuille que cela ne soit
pas une semence de brouilleries !
Quesnel à du Vaucel
23 janvier 1700.
Il me fut impossible, il y a huit jours, de me donner
l'honneur de vous écrire un mot, ayant été obligé
d'écrire d'autres lettres qui ne souffraient point de
délai. Il n'y a pas grand'perte, car il n'y a guère de
choses à vous mander.
On me mande de Paris, du 19, que les cardinaux sont
partis. M. Fromentin, sous-doyen et vicaire général,
mon bon ami, n'a pu se défendre d'accompagner son
patron, le cardinal de Goislin, quoique âgé de soixante-
huit à soixante-neuf ans, chargé d'infirmités et fort
pesant. Il m'a écrit pour me dire adieu, et, en lui
faisant réponse, je lui ai marqué que vous êtes là depuis
dix-sept à dix-huit ans et que vous étiez dans le dessein
de revenir après Pâques. Vous pouvez le voir avec
toute confiance; il est tout à fait bon ami et, s'il y a
lieu de vous procurer de revenir avec Son Eminence, il
le fera, et l'Eminence est personne à parler pour vous à
la cour, s'il est nécessaire, surtout sachant la liaison
que vous avez eue avec son cher oncle. J'ai oublié de
marquer cette circonstance à M. Fromentin. On écrit
de Paris que le pape est tombé en enfance. C'est peut-
être ce qui fait que, nonobstant les nouvelles de la
/8 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
meilleure santé du pape, nos cardinaux se pressent de
partir.
Vous demandez de quoi s'avise M. Kerkré [Ger-
beron] de prendre la défense du « pur amour » de
M. de Cambrai. Ne le connaissez-vous pas? Il fait
imprimer en Hollande Y Exposition, condamnée par
M. de Paris, avec de nouvelles remarques contre
l'ordonnance de ce prélat. Cela n'est bon qu'à l'aigrir.
Il y aura deux volumes ; c'est-à-dire qu'il aura tout
ramassé. On dit qu'il soutient là que c'est un disciple
de saint Augustin qui a fait le Problème.
Je serais assez d'avis que le sieur Héron [Fabroni]
ferait moins de mal cardinal que dans le poste où il est ;
mais peut-être deviendrait-il chef de la congrégation
où il n'est que secrétaire.
J'ai vu un extrait d'une lettre de Grenoble, qui marque
qu'à la dernière ordination M. le cardinal Le Camus
s'est fort élevé contre la morale relâchée et que, les
jésuites lui ayant présenté des lettres patentes pour
pouvoir enseigner la théologie à Grenoble dans leur
collège, FEminence leur a dit que le roi laissait les
évoques maîtres de la doctrine dans son royaume ; qu'il
ne souffrirait jamais de son vivant qu'ils enseignassent
la théologie dans Grenoble, et qu'il était déjà trop
fatigué du philosophisme qu'ils ont enseigné à Cham-
béry, sans le voir encore enseigner dans sa ville cathé-
drale.
Quesnel à du Vaucel
30 janvier 1700.
Il y a un livre nouveau de M. Boilean, ex-doyen de
Sens, qui est de Historia flagellantium1. Tous les
1. Ce livre, traduit en français en 1701 (Histoire des Flagellants, con-
tient des détails assez piquants, et l'auteur lui-même a soin de nous
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 79
moines flagellants seront fort en colère, et je ne doute
pas qu'ils n'écrivent contre et qu'ils ne s'efforcent de le
faire condamner.
M. Joly1, chantre de Notre-Dame de Paris et officiai,
est mort enfin, âgé de quatre-vingt-treize ans. Il allait
tous les jours à matines à minuit et était fort assidu
à tout. Il était habile, et il faisait imprimer un ouvrage
(car je ne crois pas qu'il soit achevé d'imprimer) tou-
chant le rétablissement des sciences en France et
ailleurs. Toute la vie d'Erasme y doit être. La chantre-
rie a été donnée à M. l'abbé Perrochel, chanoine de
Notre-Dame, grand homme de bien et aumônier. 11
quittera, je crois, une abbaye qu'il a. Le choix n'est
fondé que sur son mérite. C'est M. l'archevêque qui
donne toutes les dignités, excepté le doyenné et lasous-
chantrerie et tous les canonicats.
L'évêque de Chartres2 fait du pis qu'il peut contre les
bons livres, et particulièrement contre le Nouveau
Testament du P. Quesnel, qu'il décrie comme un fort
méchant livre. Il a môme d'autres évoques qui entrent
dans son entêtement et qui (entre nous) ont fait tout ce
qu'ils ont pu pour porter celui qui l'a approuvé à retirer
son approbation et à faire quelque chose de contraire.
Il a tenu bon. Il faut prier Dieu qu'il continue et n'en
point parler.
Je voudrais pourtant que deux cardinaux, comme
M. Le Camus et M. de Coislin, fussent d'humeur à
donner la même approbation que M. de Chàlons : ce
serait une sauvegarde renforcée. Je vais trouver occasion
d'en parler ou faire parler par M. Fromentin. Vous
verrez s'il y a quelque chose à faire.
J'avais oublié d'écrire. Je griffonne à la hâte.
annoncer, dans la préface, « qu'un ouvrage de cette nature est toujours
agréable et que le sujet en est relevé par le vinaigre et les pointes ».
1. Claude Joly, écrivain et théologien, oncle de l'historien Guy Joly.
2. Godet des Marais.
80 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à du Vaucel
6 février 1700.
Je vois bien que le bon pape fera encore la nique aux
cardinaux et qu'il y en pourra bien avoir encore de son
édition.
A Tégard de M. de Cambrai, je crois qu'il ne faut pas
l'irriter sans nécessité. Il peut avoir du crédit et être
en état de nuire ou de servir. Hors le point de son enga-
gement, on pourra tirer de lui des services. Il est bon
même de faire connaître qu'on n'a point d'éloignemeut
de sa personne, et on peut le ramener. Le voilà payé de
ses peines; c'est une affaire finie.
On m'a aussi mandé de Hollande qu'on était prêt d'im-
primer un écrit contre le Problème, où l'on défend
l'auteur des Réflexions sur le Nouveau Testament ; c'est
un thomiste apparemment. On demandait à celui qui
m'en écrit son approbation, qu'il veut bien donner,
pourvu qu'on y corrige quelques endroits où il parle
contre le livre de YExposition sans beaucoup de néces-
sité. Ce sera pour le P. Daniel un nouveau sujet
d'écrire. Son commissionnaire, le P. Souâtre, est
retourné à Lille, après sa rigoureuse pénitence de
Maubeuge. On vous enverra dans huit jours une réponse
à la lettre du P. Daniel à M. l'archevêque de Paris. Je
vous dirai en secret que Dom Louis de Saint-Bernard
[Noailles] a eu un grand choc à soutenir contre d'autres
abbés de son ordre, qui le voulaient engager à aban-
donner certain livre du Père prieur [Quesnel] qu'il a
approuve (car il est docteur de Sorbonne). Il a tenu bon
jusqu'à présent, et on espère qu'il persévérera. Vous
seriez surpris d'apprendre quelles gens entraient dans
celte entreprise et pressaient plus vivement le bon
abbé [Noailles].
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 81
Quesnel à du Vaucel
13 février 1700.
Nos cardinaux seront peut-être plus tôt à Rome que
cette lettre. Ne manquez pas, je vous prie, devoir M.Fro-
mentin, mon bon ami, et qui Tétait aussi de feu notre
cher M. de Pontchâteau. C'est un fort bon homme, fort
bien tourné, dans de bons sentiments sur tout, et qui
peut vous servir auprès de son patron1, qui est aussi
la meilleure personne du monde et qui n'a point peur
des gens. S'il y a lieu de vous servir pour votre pleine
sûreté, il le fera. Et pour cela il est bon que vous lui
fassiez connaître que vous avez toujours été porté à
accommoder les affaires de la Viémur [Port-Royal] et
que vous aviez fait l'ouverture de certains moyens pour
terminer, au contentement de la cour et au profit de
l'Eglise, cette contestation. Si vous avez tout à fait
dessein de repasser la mer et qu'il y ait lieu de vous
servir de l'occasion présente du retour des Eminences,
je crois que vous ne sauriez mieux faire que de la ména-
ger. Je crois en avoir déjà touché quelque chose au gros
ami [Fromentin] dans ma lettre d'adieu, où je lui ai
parlé de vous. Votre personne et vos papiers, vos livres
même, viendront sûrement en cette compagnie.
La Gazette de Bruxelles a parlé de l'accident du car-
dinal Gasanate comme d'une attaque de paralysie; mais
en même temps on marque qu'il se porte bien.
Quesnel à dn Vaucel
20 février 1700.
A ce que je vois, on ne donne pas à Rome le jubilé
à aussi bon marché que deçà les monts. Quand il vien-
dra à nous, nous verrons à quel prix on le mettra.
1. Le cardinal de Coislin.
ii. 6
82 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
J'ai vu par occasion les vers sur l'Inquisition. Je ne
crois pas du tout qu'ils soient de dom Gerberon, mais
il pourrait bien les avoir envoyés. Est-ce d'aujourd'hui
que vous savez que c'est un esprit outré et qui ne
garde aucune mesure? Il y a longtemps que dom Ger-
beron a une dent de lait contre M. de Meaux, et je crois
que c'est par antipathie contre ce prélat qu'il a pris des
sentiments favorables et conformes à ceux de M. de
Cambrai.
Il faut que je vous dise en secret que l'évêque de
Chartres, que vous savez fort déclaré contre un certain
livre, approuvé par dom Antoine de Saint-Bernard
[cardinal de Noailles], fait ce qu'il peut pour faire entrer
dans son sentiment plusieurs docteurs; et il a gagné
M. du Perron et M. Gerbert. Le parti était fort, et ils
ont fait tous leurs efforts pour engager dom Antoine de
Saint-Bernard à reculer sur ce sujet. 11 a tenu ferme
et leur résiste en face. Il faut prier Dieu qu'il continue.
Il y a ici un abbé de Chevremont, Français comme
je crois, qui a fait imprimer un petit livre où il pré-
tend montrer qu'on n'y entend rien sur le quiétisme et
que ni M. de Cambrai ni M. de Meaux n'ont pas trouvé
la fève au gâteau1. On me le prêta hier, et je n'en ai
encore rien lu, le faisant brocher. Il me semble que j'ai
déjà vu des livres de cet auteur-là. Je ne sais pourquoi
il est ici.
Notre gros ami2 vous dira des nouvelles du livre des
Flagellants de M. Boileau, le docteur. Il m'en a fait pré-
sent; mais je n'en fais pas plus grand cas pour cela. Il
me mande que le sieur Tournély, faux Arnauld et pro-
fesseur de Sorbonne, s'élève fort contre.
1. Le Christianisme éclairai sur les différends du temps en matière
de quiétisme, par l'abbé J.-B. de Chevremont, Amsterdam, 1700, in-8°.
Cet auteur fut secrétaire de Charles V, duc de Lorraine. Le Nouveau
Dictionnaire historique cite ses ouvrages comme « remplis de projets
ridicules, d'idées fausses, avec un style des plus languissants ».
2. M. Fromentin.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 83
Le livre de l'abbé de Ghevremont est intitulé : Le
Christianisme éclairci sur les différends du temps en
matière de quiétisme, etc. 11 dédie son livre à la reine
douairière de Pologne. Cet homme, dit-on, est un grand
voyageur et a présentement une Histoire du Jansé-
nisme à imprimer.
Quesnel à du Vaucel
27 février 1700.
Le diocèse de Son Eminence patron1 me paraîtrait
fort propre à une retraite telle que vous la pouvez dési-
rer. On y est en toute sûreté. Le Père prieur2 ne déses-
père pas d'avoir le bien de vous embrasser, et, s'il peut
savoir quand le gros ami [Fromentin] sera aussi bien
que vous dans la grande ville, il pourra bien prendre
des mesures pour vous rencontrer tous deux quelque
part dans le voisinage. Mais de cela il désire que vous
n'en ouvriez pas la bouche à personne. Car cela lui est
d'une très grande conséquence, et, dès qu'on a lâché
la parole, il n'y a plus de secret. Cependant son des-
sein serait de feindre un voyage d'un autre côté, et, en
effet, il a dessein et môme quelque engagement à aller
à Orval voir et l'abbé et quelque ami. Ne me récrivez
donc rien sur cela. Il lui suffira de savoir quand, com-
ment et par où vous reviendrez en-deçà des monts.
Quesnel à du Vaucel, à Rome
{Pour vous seul.) 13 mars 1700.
Vous parlez comme un homme qui a quasi le pied
à l'étrier. C'est un grand adieu pour Rome, et un grand
1. Le cardinal de Goislin.
2. Quesnel préparait alors un petit voyage à Paris, qu'il fera effecti-
vement en août et septembre 1700.
84 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
bonjour pour votre patrie, et une assez grande affaire
pour vous qu'un nouvel établissement. Je voudrais
bien que l'affaire du Holstein1 fût terminée, pour vous
mettre un peu plus au large; mais je vois cela reculé
plus que jamais par la guerre entre les couronnes du
nord qui paraît allumée. Tout ce que je puis donc vous
dire avec toute la sincérité de coeur est que, si vous
voulez vous rendre Flamand, je suis prêt à prendre un
logis à part et à vous recevoir de mon mieux. Il y a
longtemps que je roule le dessein de me retirer d'ici.
La société avec le chanoine2 est médiocre et médiocre-
ment agréable, et mon inclination tout entière est de
me mettre ailleurs. J'ai en main une demoiselle fort
pieuse, silencieuse, affectionnée, cousine germaine de
M. Robert le chanoine, qui est toute disposée à venir
prendre soin du ménage, qui ne sera point à charge,
qui a môme une partie du linge, de la vaisselle et
d'autres choses propres au ménage toutes prêtes. S'il
faut mourir en ce pays, je suis bien aise d'être un peu
plus séparé. Si donc le cœur vous en dit, je vous offre
tout ce qui dépend de moi, et, si vous ne trouvez pas
mieux, vous pouvez toujours compter sur mon hospice
et ma table. Mais peut-être ne voudrez-vous pas, en
sortant d'une espèce d'exil, en prendre un autre? Vous
y penserez. Quand on cherche la retraite, un pays est
aussi bon qu'un autre.
Les nouvelles de France disent le pape retombé.
Quoi qu'il en soit, nos cardinaux ne se mettent guère en
peine de la bonne ou mauvaise figure. Ils sauront bien
faire bonne mine.
1. Le règlement des comptes de l'île de Nordstrand.
2. Ernest Rutli d'Ans.
CORRESPONDANCE 13Ë PASOÙlËR QUËSNEL 85
Quesnel à du Vaacel
27 mars 1700.
Voilà donc le bon cardinal Gasanate1 qui a quitté la
terre. Quoiqu'il n'ait pas fait de grandes choses pour la
vérité, il avait le cœur disposé à les faire, et il a pu
empêcher beaucoup de mal.
Je suis dans l'impatience d'apprendre l'heureuse
arrivée de M. Fromentin; car c'est, pour un homme
âgé et infirme comme il est, une secousse un peu forte
qu'un voyage de cette nature.
Il y a déjà longtemps qu'on dit que M. de Paris était
nommé au chapeau. S'il y a fondement, la Gazette de
Paris ne manquera pas de le dire.* On croit bien qu'il
sera le premier nommé. Ce ne sera pas sans que cela
fasse mal au cœur à M. do Reims; mais il faudra qu'il
prenne patience.
Après plus de neuf ans, voilà que le P. Bouhours
s'avise de faire paraître une apologie sur l'histoire ou
les bruits d'amourettes dont l'auteur des Avis impor-
tants fut obligé de parler. Il me semble qu'il est mal
conseillé de remuer ce bourbier. Il n'est pas difficile
de lui répondre, et peut-ôtre sera-t-on obligé de le
faire, à moins de passer pour un grand calomniateur,
comme son apologiste, qui est peut-être lui-même, l'en
accuse.
1. Jérôme Gasanate mourut à, Rome, dans la nuit du 2 au 3 mars 1700.
« Rome perdit en lui, dit Saint-Simon, un de ses plus illustres cardi-
naux par sa piété, par sa doctrine, par le nombre et le choix des
livres qu'il ramassa, et par le bien qu'il fit aux lettres. » Grand ennemi
des jésuites, il fut de ceux qui contribuèrent à la condamnation de
Fénelon.
86 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Qnemel à Mnc de Jonconx, rue Coq-Héron, Paris
30 mars 1700.
Si j'avais eu, il y a six mois, toutes les lumières que
j'ai maintenant1, je n'aurais pas manqué de répondre à
la lettre que vous me fîtes l'honneur de m'écrire, le
8 juin de l'année dernière2, et je vous assure, ma très
chère sœur, que je l'aurais fait d'une manière qui vous
aurait contentée. Il me semble que je vous vois frémir
à cette parole; mais ne craignez rien, je vous en prie;
votre secret est en aussi grande assurance dans mon
cœur que dans le vôtre. La Providence a voulu que je
n'ignorasse pas plus longtemps qui vous êtes, la part
que vous avez à certaines Remarques, à certaine lettre du
8 juin dernier, et j'espère qu'elle me rendra fidèle au
secret qu'elle m'a confié.
Plût à Dieu que vous m'eussiez donné moyen de
vous écrire directement, et que vous eussiez bien voulu
prendre d'abord la confiance de vous plaindre à moi
seul de la peine que vous aviez contre moi, au sujet de
ma lettre du 18 février 1698 ! Tout se serait passé douce-
ment, sans que le public y eût eu la moindre part. Vous
saviez mon adresse et ma demeure, et vous ne risquiez
rien en vous adressant à moi. Vous ne l'avez pas jugé
à propos, et je me suis trouvé obligé à prendre des
mesures que je n'aurais pas prises.
Puisque Dieu veut que j'aie l'occasion de vous entre-
tenir et la consolation de vous parler seul à seul, je
vous dirai bonnement que je crois, ma chère sœur,
que vous ne deviez pas prendre en mauvaise part,
1. Les «lumières» auxquelles f;iit allusion Quesnel doivent être les
lettres dont il prit copie en pénétrant dans la chambre d'Ernest Rutti
d'Ans.
2. Lettre publiée à cette date.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 87
comme vous avez fait, ce que j'avais dit à M. Boileau
touchant la manière dont vos Remarques étaient écrites.
J'étais très persuadé qu'il y avait de l'excès dans ce
style. Cependant je ne m'en serais jamais expliqué si
des personnes fort sages ne m'en avaient vivement pressé,
persuadées qu'elles étaient qu'il était utile qu'on sût
dans le monde que ni Port-Royal, ni ceux qui lui étaient
le plus liés, n'avaient aucune part aux Re??iarqnes, et
même qu'ils en improuvaient la manière et le style;
car, pour le fond, je m'en étais expliqué très avanta-
geusement. Mais supposons que ces personnes et moi
nous nous fussions trompés, et que j'aie eu tort de blâ-
mer cette manière d'écrire. Gela valait-il la peine d'être
relevé par une lettre? Qu'en souffriez-vous, demeurant
inconnue, aussi bien que l'auteur du livre que vous
défendiez? Au lieu que, quand vous m'avez repris
publiquement, comme une personne qui rougissait de
la vérité, c'était une personne en quelque façon publique
que vous repreniez, une personne connue qui parlait
en faveur de son archevêque et qui, par cette double
raison, devait être plus ménagée.
Je vous avouerai encore, ma chère sœur, que l'em-
pressement que vous avez eu de rendre votre lettre
publique m'a paru excessif. L'envoyer de Paris en
Lorraine, avec un billet dont j'ai l'original, pour la
faire revenir à Paris, la répandre dans les grandes
communautés, etc., permettez-moi de vous dire que c'a
été une affectation trop grande et une envie trop
empressée de vous justifier.
Je n'ai pu me refuser la satisfaction que je me devais
à moi-même de me justifier à mon tour.
Cependant c'était sans dessein de le communiquer,
et, ne l'ayant envoyé à Paris que pour en avoir le
sentiment de mes amis qui sont les vôtres, j'ai eu
beaucoup de peine lorsque j'ai appris qu'il en courait
quelques copies. J'en arrêterais le cours si cela m'était
88 CORRESPONDANCE DÉ PASQÙIER QÙESNÈL
possible; mais, puisque je n'en suis pas le maître, je ne
puis faire autre chose que d'abandonner le tout à Dieu.
Si j'ai désiré, avant que d'avoir le bien de vous con-
naître, de vous être uni, d'avoir part à votre charité,
à votre amitié, je le désire encore plus maintenant que
je ne fais pas des désirs aveugles et que je sais à qui
j'ai l'honneur de parler.
Je vous supplie encore de ne pas faire de finesse
avec moi, comme je n'en fais point avec vous. Je ne
me suis ouvert à qui que ce soit de ma découverte, et
je n'ai garde de m'en ouvrir à aucun ni de mes amis
ni des vôtres. Assurez-vous-en une bonne fois et de
l'entière sincérité avec laquelle je vous écris. Si cela
vous fait quelque peine de m'écrire, ne le faites pas; je
suis sans façon, et je trouve une grande commodité à
m'accommoder aux manières qui agréent plus aux per-
sonnes avec qui j'ai affaire.
Qaesnel à M. Vinllart
13 avril 1700.
Il ne faut pas faire de peine davantage h notre cher
petit frère le Coq1, qui est si bien ergoté que je ne crois
pas qu'il y en ait dans la ménagerie de Versailles qui
voulût ergoter contre lui. Puisqu'il était maître de la
lettre qui lui a été écrite, je ne trouve pas mauvais
qu'il en ait fait part. Je m'en tiens à ce que je lui ai
1. En note, de la main de Mlle de Joncoux : «C'est moi qu'il nomme
ainsi, à cause de la rue où je demeure.» La savante fille n'avait pas été
ravie de la lettre du P. Quesnel, du 30 mars. « Si nous n'étions pas dans
un temps, s'écrie-t-elle, où l'exemple de notre divin Maître nous
anime davantage à souffrir l'humiliation, mon orgueil ne me permet-
trait pas de demeurer dans l'indifférence sur le reproche de mon pré-
tendu empressement à me justifier. Si j'avais l'honneur d'être connue
de lui comme je le suis de vous, il verrait bien que mes manières d'agir
sont beaucoup plus sincères et plus simples, et enfin que mes relations
sont bien moins étendues qu'il ne le pense.»
CORRESPONDANCE DE PASQtlER QUESNEL 89
dit, et j'ai fondement pour ne pas changer de sentiment.
La lettre écrite au P. Matthieu de Petit-Didier [ n'était pas
de son écriture, je le sais hien.Mais on change de plume
et de main, quand on vent. Et on emprunte celle de
ses amis, dans le besoin. Que s'il a des amis assez offi-
cieux pour prêter les leurs sans qu'on les en prie, je
ne veux pas dire comment on appelle cela dans le
monde. On le sait à Douai. Voilà la copie de la lettre
écrite au P. Matthieu. J'en ai l'original, qui n'est pas du
caractère de notre frère le Coq, non plus que celle qui
m'a été écrite en son nom, d'un caractère contrefait. Si
ces deux lettres sont désavouées de ce cher frère, à la
bonne heure ! Mais, comme il peut se douter de la main
d'où ces deux coups sont venus, il est de la prudence
et du bien de la paix qu'il n'en vienne pas une troisième.
La menace qu'on a déjà faite au Père prieur [Quesnel]
d'une réplique, dont on lui a déjà même fait en quelque
façon le plan lui fait croire qu'on s'y prépare. J'ai ré-
pondu que, si elle venait, le Père prieur verrait ce qu'il
aurait à faire2.
Quesnel à du Vaucel
1er mai 1700.
Je ne crois pas que ce soient les jésuites qui se vantent
que ce soit le P. de Jouvency 3 qui a fait le Problème. Ils
1. Dom Matthieu de Petit-Didier, bénédictin de la congrégation de
Saint-Vanne, enseignait la philosophie et la théologie à l'abbaye de
Saint-Michel.
2. Cette lettre ayant été communiquée à MUc de Joncoux, elle répond,
le 22 avril, à M. Vuillart, et nie d'être l'auteur du billet au P. Petit-
Didier : « Je n'ai pu m'empêcher de rire toute seule, en lisant les pre-
mières lignes de la lettre du P. Quesnel. Je ne crois pas, en effet, qu'on
trouvât dans la ménagerie de Versailles un animal fait comme moi. Il
me semble que, sans trop m'élever sur mes ergots, j'aurais quelque
sujet de me plaindre du P. Quesnel; mais aussi je ne suis qu'un petit
coq auquel il n'est pas encore permis de chanter si haut. »
3. Le P. Joseph de Jouvency enseigna pendant vingt ans la rhétorique
90 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
n'ont garde de reconnaître que quelqu'un des leurs y
ait mis la main ; mais on l'a peut-être su par quelque
envieux du choix qu'on a fait de lui comme historio-
graphe. Il faudrait le faire un peu parler sur cela. J'en-
tends quelqu'un qui ne serait pas suspect.
On m'a envoyé de Paris une lettre de 112 pages,
écrite au duc du Maine par le P. Le Comte1, sur les
cérémonies de la Chine. Elle est sans nom d'imprimeur ;
mais elle est signée du nom de ce Père, qui est, ce me
semble, confesseur de Mme la duchesse de Bourgogne.
Ce ne sont que des paroles.
On a imprimé ici une traduction du Wendrock, de
latin en français. Elle avait déjà été imprimée à Lyon.
Elle est très belle. Les jésuites ne sauraient croire que
ce soit l'ouvrage d'une fille. Cela est pourtant vrai et
leur fera grand tort dans le monde ; car les dames liront
cet ouvrage, et beaucoup d'hommes même, qui ne
l'auraient pas lu en latin, le liront en français.
Quesnel à du Vancel.
8 mai 1700.
On m'a envoyé un écrit d'un jésuite qui n'est encore
qu'en manuscrit. Il n'en faut point encore parler, parce
qu'on l'a vu par une communication secrète. Le titre
est: Décision d'un cas de conscience touchant la lecture
à Paris et fut appelé, en 1699, à Rome, pour continuer YIHstoire de sa
société. 11 y mourut en 1719, avec la réputation d'un des premiers huma-
nistes de son temps. Le dernier volume de son Histoire des Jésuites,
qui finit en 1616, fit beaucoup de bruit en France et fut condamné
par deux arrêts du parlement, en 1713.
1. Le P. Louis Le Comte, jésuite, fut envoyé en Chine comme mission-
naire, en 1685. Il publia, à son retour, deux volumes de Mémoires in-12,
en forme de lettres, sur cet empire. La faculté proscrivit le livre, et le
parlement le condamna au feu.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 91
du Nouveau Testament du P. Quesnel, de l'Oratoire. Il
propose si on peut en conscience le lire, et la réponse
est que le conseil est d'avis qu'on ne le peut, parce
qu'il insinue, en une infinité d'endroits, les principaux
dogmes de l'hérésie jansénienne. Il faudra bien y
répondre dès qu'on aura le loisir.
Le bon pape traînera donc encore quelque temps la
tiare. C'est une disposition qui n'est guère admirable,
que de voir un pape occupé du soin d'un port et d'un
voyage, dans le temps où il devrait être plus troublé
de la pensée de la mort et du compte qu'il doit rendre
de tout autre chose que d'un ouvrage de terre et de
pierre. Mais, telle vie, telle mort. 11 a gouverné, à peu
près comme un bon lieutenant de police ou un bon
intendant des bâtiments ; il mourra, occupé de ces
petits soins et sans avoir jamais su ce que c'est que
d'être pape.
On m'a fait dire, de la part de M. notre révérend
Père [l'archevêque de Paris], qu'il lui était revenu que
j'écrivais pour répondre au Problème, et que, comme on
connaissait mieux là ce qu'il convenait de dire ou de
taire, il désirait que je ne fisse rien paraître qu'après
l'avoir communiqué. C'est ce qui m'embarrasse ; car, si
j'envoyais mon écrit à Paris, on y changerait, ajoute-
terait, retrancherait ce qu'on jugerait à propos, et on
le ferait imprimer sous mon nom ; cela ne m'accommo-
derait pas.
Quesnel à du Vauce .
22 mai 1700.
Le cardinal de Bouillon aura reçu sans doute la
permission qu'il attendait1. Vous savez peut-être déjà
1. Le 6 avril 1700, le cardinal de Bouillon réclame la coadjutorerie de
Strasbourg. Il se plaint « des sentiments de l'archevêque de Paris ; il
9É CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
que c'est un ordre du roi qui lui commande, sous peine
de désobéissance, de se retirer à Tournus ou à Cluny.
Le sujet est qu'il a écrit une lettre au roi sur l'évôché
de Strasbourg, pour lequel l'abbé de Soubise lui a été
préféré, et qu'il y a perdu le respect et écrit en termes
fort imprudents. Le roi a témoigné au duc, son frère,
qu'il savait qu'il n'a aucune part à la conduite du car-
dinal. L'abbé de Vaubrun1, lecteur du roi, soupçonné
de liaison et de cabale avec lettres, est exilé sur les
terres de son père2. On faisait assez d'estime de cet
abbé, à qui sa charge ne produira pas apparemment
les fruits qu'il en espérait.
Quesnel à du Vaucel
29 mai 1700.
J'ai vu le pauvre M. Codde3. Il m'avait mandé son
extrême opposition au voyage, et je l'y trouvai, en
n'y a rien qu'il ne fasse pour faire réussir cette coadjutorerie en faveur
de M. l'abbé de Soubise ». Il insiste aussi très vivement pour avoir
permission de se rendre à Paris : « Par ce moyen, Sire, je détruirai au
moins les idées ridicules dont on me chamarre, de papauté pour moi
ou pour quelque autre contre les intérêts et les intentions de Votre
Majesté. » La réponse du roi, du 26 avril 1700, est très dure pour le
cardinal : « Mon intention est qu'aussitôt que vous aurez reçu du prince
de Monaco cette lettre que je lui adresse vous partiez sans chercher
aucun prétexte de différer et que vous vous rendiez à votre abbaye de
Cluny ou à celle de Tournus. Vous pourrez aller de l'une à l'autre,
mais vous me désobéiriez si vous sortiez de cette étendue. » (Aff. étr.,
Rome, 404.)
1. Nicolas-Guillaume de Bautru, abbé de Vaubrun. ayant obtenu la
charge de lecteur du roi, « ce vilain et dangereux escargot se produi-
sit à la cour. Le cardinal de Bouillon le reconnut bientôt pour ce
qu'il était. Il lui fallait de tels pions pour jeter en avant, il se trouva
son espion, son agent, son correspondant dans toute sa conduite à
Rome, cl, d'un coup de pied, il fut chassé». (Saint-Simon, 1700.)
2. A Serrant, en Anjou.
3. M. de Sébaste, archevêque d'Utrecht, appelé à Rome sous le vain
prétexte du jubilé, en réalité pour y rendre compte de sa doctrine,
soupçonnée de jansénisme.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 93
effet, extrêmement opposé. Tous les amis de son pays
l'y avaient confirmé, et il me parut tout à fait déter-
miné à n'y point penser. Je voyais bien de bonnes raisons
pour cela; mais il me paraissait néanmoins que c'était
mettre ses affaires dans un état désespéré, si on ne le
faisait pas, au lieu qu'en s'y rendant on pouvait espé-
rer encore quelque chose. Le résultat fut de gagner du
temps et de voir comment son entrevue avec le ministre
se passerait. Elle se passa fort bien pour l'accueil et les
honnêtetés; mais, comme il se tenait toujours ferme
pour la négative, le ministre n'en était pas content. Il
lui envoya son carrosse, les invita tous à dîner ; enfin il
l'a tant pressé qu'il a comme promis défaire le voyage;
mais le ministre a bien vu que c'était en rechignant,
dont moult lui déplaisait. Il lui a donné jusqu'à la fin
de juin pour se disposerai! voyage. Le pauvre M. Godde
était bien abattu, et les médecins qui ont consulté son
état sont persuadés qu'un tel voyage l'exposerait à
un danger fort grand de maladie ou de mort.
Une des choses qu'il craint est qu'on ne lui propose,
de ce côté-là, la signature du formulaire, et il y est fort
opposé. Outre cela, je vois bien qu'il n'est pas accou-
tumé aux manières de Home. Il craint qu'étant là on ne
trouve moyen de l'y accrocher longues années par des
chicaneries sans fin.
Qaesnel à du Vaucel
o juin 1700.
Je fais état d'aller faire un tour à Mons la semaine
prochaine, et peut-être, mais entre vous et moi, irai-je
plus loin. Notre Père prieur [Quesnel] est un peu en peine
de ce qu'il deviendra. L'hospice où il a été jusqu'à pré-
sent est trop connu; il n'est plus tenable. Il y a long-
temps qu'un grand nombre de personnes le sait et gens
94 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
non affectionnés. Mais ce qui est singulier et secret est
que le sieur van Susteren, officiai et conseiller dômes -
tique de M. de Malines, qui a deux ou trois frères
jésuites, a demandé depuis peu au P. Prévost, de
l'Oratoire, et à un autre de la même maison, si ce
Père prieur n'était pas logé en tel lieu, en mettant le
doigt dessus. Gela n'est pas fort agréable pour un
homme qui ne veut voir personne, car les visites de
ces messieurs du grand monde l'incommodent. J'ai
conseillé au Père prieur de mettre en sûreté .ses papiers
et de s'aller promener pour quelque temps, pendant
lequel il prendra conseil de ses amis pour chercher un
autre hospice plus retiré.
Que sue l à du Vaucel
3 juillet 1700.
Je crois que je vous ai mandé que je dois aller en
campagne ; mais j'ai oublié de vous dire que je n'avais
bougé d'ici et que mon voyage était différé jusqu'à la
fin de ce mois.
J'appris jeudi, par une lettre de Paris du 29, qu'un
courrier avait apporté la nouvelle du cardinalat de
M. l'archevêque de Paris, à lui conféré par le pape motu
proprio]. Le lendemain, il en était allé porter la nouvelle
au roi. Le pape, pour prélude de cette grâce, avait fait
l'éloge du prélat, en parlant au député des missions.
Dieu veuille en tirer sa gloire!
Vous aurez appris des nouvelles de l'assemblée du
clergé. Vous aurez été surpris d'apprendre que M. de
1. La lettre du prince de Monaco au marquis de ïorcy est datée de
Rome, 21 juin, dix heures de malin : « Le pape, écrit-il en annonçant
la promotion du cardinal de Noailles, a tenu ce matin un consistoire
expressément pour cela. » (AU', étr., Rome, 406.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 95
Reims lui a dénoncé le recueil contre Sfondrate. C'est
M. de Meaux qui fait ce vacarme. Il a déclamé à
outrance contre les jansénistes. Il se plaignit de ce
grand nombre de libelles qu'ils répandaient, dont
presque aucun n'était exempt de propositions erronées
et téméraires, et indiqua même la Causa Arnaldina, en
disant qu'ils avaient la hardiesse de crier : « Retour-
nons au jugement. » Je ne comprends pas comment un
homme d'esprit s'amuse à faire un éclat sur si peu
de chose, quand il serait aussi vrai qu'il y aurait là
quelque chose de mal. Tout le mal que j'y trouve est
que l'expression du « fantôme » est trop forte et qu'elle
peut choquer les évoques qui ont eu part aux délibéra-
tions du clergé; mais cela vaut bien la peine d'être
relevé dans une assemblée d'évêques !
Quesnel à du Vaucel
10 juillet 1700.
Vous savez sans doute tous les mouvements, et de
l'assemblée de Sorbonne contre les livres des jésuites
idolâtres, et de l'assemblée du clergé contre le jansé-
nisme et le rnolinisme tout ensemble. M. de Meaux est
si échauffé et parle si pontificalement et si patriarcale-
ment, qu'il pourra bien entraîner les autres dans son
entêtement et faire faire quelque condamnation saugre-
nue de YAnti-Nodus. Il faut les attendre et se résoudre
à tout. C'est un jugement terrible sur ces évoques de
cour, qu'ils ne soient bons qu'à s'opposer à la vérité et
à ruiner la paix de l'Eglise. Il faut que ces messieurs
se fassent valoir par quelque endroit. Vous savez les
commissaires? MM. de Meaux, de Chalon-sur-Saône1,
1. Henry-Félix de Tassy, évêque de 1677 à 1711.
96 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
de Rennes1, de Séez2, de Cahors3 et de Troyes4, et les
abbés de Pomponne5, de Caumartin6, de Louvois7, de
Bossuet8. Après l'emportement avec lequel l'oncle de
ce dernier s'est déclaré, il serait récusable. On regarde
comme bien intentionnés ces trois premiers abbés et
les évoques de Chalon et de Rennes ; mais le grand
nombre opinera du bonnet. Une gazette dit que le car-
dinal de Noailles (qui avait été invité à l'assemblée
avant son cardinalat) se trouvera à la tête de ce bureau,
et cela me paraît indubitable; car il entendrait mal les
intérêts de son caractère s'il souffrait un examen de la
doctrine dans son diocèse sans qu'il en fût, car ces mes-
sieurs sont des juges arbitraires hors de chez eux.
Le P. Le Comte, confesseur de la duchesse de Bour-
gogne, a été congédié. C'est une mortification qu'il s'est
sottement attirée, en mettant son nom et en se signa-
lant pour l'idolâtrie chinoise.
1. Jean-Baptiste de Beaumanoir de Lavardin, évoque de 1678 à 1711.
2. Louis 11 d'Aquin, évêque de 1699 à 1710.
3. Henri de Briqueville de la Luzerne. (Voir la note du 26 juin 1693.)
4. Denis-François de Bouthillier de Chavigny, « homme de vertu, dit
Saint-Simon, de savoir, de mœurs et de mérite », évoque de Troyes
de 1697 à 1716.
5. L'abbé Henri-Charles de Pomponne, fils du marquis de Pomponne
fut ambassadeur à Venise en 1704.
6. Jean- François-Paul Lefèvre de Caumartin, directeur de l'Académie,
alors en disgrâce pour avoir ridiculisé, dans son discours de réception,
l'évêque de Noyon, M. de Clermont-Tonnerre. « 11 était plein d'es-
prit et de savoir », dit Saint-Simon. Mais, tout en restant de doctrine
et de cœur lié jusqu'à la fin aux jansénistes, lorsqu'il mourra évêque de
Blois, Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, pourra dire de lui :
« Je le regrette beaucoup, voilà une lampe encore éteinte, mais de ces
lampes que vous appelez, avec grande raison, des lampes obscures. »
(OEuvres de Colbert de Croissy, t. III.)
7. Le pauvre abbé de Louvois ne put jamais vaincre les soupçons
que les jésuites et M"18 de .Maintenon donnaient sans cesse au roi sur
son amitié avec les jansénistes. Neveu de l'archevêque de Reims, « il
eût été, dit Saint-Simon, un très digne évêque, que les jésuites empê-
chèrent d'être placé et qui aurait honoré et paré l'épiscopat ».
8. Jacques-Bénigne Bossuet, futur appelant de la bulle Unigeniius,
devint évêque de Troyes en 1716.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 97
Quesnel à du Vaucel
Bruxelles, 17 juillet 1700.
Je vous l'ai déjà dit, que vous n'en aviez pas les gants
pour la nouvelle de la promotion. J'en ai de la joie,
parce que je crois que le nouveau cardinal1 n'en sera
pas si enflé qu'un autre et qu'il se servira de ce nou-
vel éclat pour relever celui de la vérité dans les occa-
sions. Une gazette de Hollande parlait des cabales que
les jésuites faisaient pour empêcher la promotion ; mais
la gazette arriva à Paris, le même jour, dit-on, que la
barrette. Je n'ai rien appris de rassemblée. On m'a
appris qu'il y a des personnes, de celles qui sont écou-
tées, qui avaient parlé pour rabattre les coups et empê-
cher qu'on ne fasse rien de mal à propos contre YAnti-
Nodus; on l'espère. Cependant, ce qui dépend des gens
qui veulent faire claquer leur fouet est fort incertain.
Il faut les attendre et les bien battre, s'ils font les sots;
mais il n'y a guère d'apparence que ces messieurs-là
veuillent remuer le bout du doigt pour rien qui déplaise
au pape. L'un a la pourpre, l'autre l'attend, un troi-
sième la désire. C'est maintenant à M. de Reims et à
M. de Meaux à tirer au court bâton.
Je suis encore ici à mon gîte ordinaire. Je serai libre,
comme j'espère, la semaine où nous allons entrer.
Quesnel à du Vaucel
Bruxelles, 24 juillet 1700.
Le P. Le Comte, ex-confesseur de Mme la duchesse de
Bourgogne, est parti pour se rendre à Rome, par Lyon.
Les jésuites se tuent à dire que c'est une calomnie que
1. Le cardinal de Noailles.
il» 7
98 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ce qui se publie de sa disgrâce ; qu'au contraire il a
fallu faire de grandes instances auprès du roi pour
obtenir la liberté de le retirer et de l'envoyer à Rome
et, de là, à la Chine, pour les affaires de la mission. Ils
donnèrent hier un mémoire au gazetier d'ici, pour faire
mettre à la gazette de mardi prochain ce petit conte
justificatif. On dit qu'il y a un autre jésuite nommé
pour confesseur de la princesse1, qui désirait celui de
Mme de Maintenon, qui est M. Tiberge.
Il faut prier Dieu pour M. de Meaux, qui n'est ni pur
augustinien, ni pur thomiste, mais qui des deux a pris
ce qui convient à ses idées. Il est aussi puissant dans sa
situation présente qu'il y est dangereux. Rien que Dieu
ne lui peut résister. Il continue à déclamer, à jeter feu
et flamme contre le jansénisme.
Je n'ai point vu encore la nouvelle édition du Saint
Léon. Je crois qu'il n'y a qu'un volume qu'on peut relier
en deux. On en présentera un de ma part à dom Antoine
[cardinal de Noailles], accompagné d'une lettre de com-
pliment sur sa nouvelle abbaye. Ce n'est pas la première
fois que je lui ai écrit; mais, comme il ne s'en vantera
pas, il se faut bien garder aussi de le dire à personne.
Quesnel à du Vaucel
Paris, 12 août 1700.
J'ai reçu, Monsieur, votre lettre un peu tard, parce que
je suis en voyage. Je vous écris de chez M. Le Rruleur
[Le Noi?'], qui vint mardi dernier au-devant de moi et
me conduisit au lieu qu'on m'avait préparé. Je n'ai
1, « On fit essayer plusieurs jésuites à M",e la duchesse de Bourgogne,
qui aurait bien voulu se confesser à pas un», dit Saint-Simon. Et M",e de
Coulanges écrit, le 30 juillet 1700 : « Une des grandes nouvelles du monde,
c'est que Mmo de Bourgogne changera de confesseur aussi souvent qu'elle
voudra, pourvu qu'il soit jésuite. »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 99
point voulu loger chez aucun de nos amis pour ne
point donner de jalousie et pour d'autres raisons.
J'apprends que MM. du clergé ont résolu de ne point
toucher aux propositions de la préface, hors celle du
fantôme et quelques autres semblables qui ne sont pas
dogmatiques.
Comme je suis ici sans grand commerce, je ne vous
dirai rien davantage. Les prélats sont embarrassés. S'ils
sont obligés de reculer, cela ne leur fera guerre d'hon-
neur, et, s'ils ne reculent pas, ils feront des démarches
qu'on ne manquera pas de relever.
Qnemel à du Vancel
Paris, 1er septembre 1700.
J'ai reçu toutes vos lettres, Monsieur, et la dernière,
du 7, nous apprenait la maladie du bon pape et en même
temps qu'il était mieux1. Mais un courrier qui arriva
dimanche, à neuf heures du soir, apporta la nouvelle
qu'il était à l'extrémité. Dieu sait ce qu'il veut faire de
ce pape et tout ce que sa mort peut avoir de suites !
On ne parle que de l'affaire du cardinal de Bouillon2.
Il semble qu'on le veuille pousser à bout. On a, dit-on,
déjà fait consulter du côté de la cour, et M. le premier
président et les gens qui peuvent parler sur une telle
1. En effet, après des dépêches fort alarmantes, le prince de Monaco
écrit au roi, le 31 août 1700: « Cette dernière nuit a été bien meilleure.
Il a reposé, il n'a point eu de redoublement de fièvre. Les matières qu'il
a rendues se sont trouvées plus liées et plus digestes que les précé-
dentes. On commence à reprendre quelque espérance de la vie. » (Aff.
étr., Rome, 407).
2. Le cardinal avait quitté Rome, puis subitement y rentrait, en
apprenant la mort du cardinal Cibo, afin de faire valoir les droits qu'il
avait de lui succéder au décanat. Le prince de Monaco refuse de le voir
et lui écrit « que c'était là l'une des plus misérables journées de sa vie ».
(Aff. étr., Rome, 406.)
100 CORRESPONDANCE DE PASQUÏER QUESNEL
conjoncture, pour voir quelles mesures on pourra
prendre.
Je m'imagine que quelque puissance se mettra entre
deux et se rendra intercesseur auprès du roi pour l'apai-
ser, quoiqu'il paraisse que les choses sont fort aigries.
Le roi, qui a comblé ce cardinal de bienfaits, s'atten-
dait à en recevoir plus de reconnaissance et que sa sou-
mission à ses ordres en rendrait témoignage. Heureux
qui n'est point exposé à de grandes chutes par une grande
élévation !
Quesnel à du Vaucel
Paris, 7 septembre 1700.
Je suis encore dans la grande ville, d'où j'espère
partir la semaine prochaine, pour reprendre la route
de notre province. Vous savez peut-être déjà que
l'assemblée du clergé a fini l'affaire de la censure des
propositions, tant de celles qui concernent le jansénisme
que celles de la morale. On dit que tout ce que M. de
Meaux avait dit, en dernier lieu, contre les jansénistes
se réduisait à prouver qu'il y avait des gens inquiets,
qui n'avaient pas le respect qu'ils devaient pour les
constitutions, qui les croyaient injustes et qui s'élevaient
témérairement contre la décision du Saint-Siège, accep-
tée par les évêques, sans doute à l'égard du fait con-
testé.
On dit qu'il y a un arrêt du conseil qui supprime la
charge de grand-aumônier et ordonne la saisie du tem-
porel du cardinal de Bouillon, dont le tiers sera employé
en faveur des pauvres, le second tiers aux réparations,
et le troisième à payer les dettes du cardinal. On a pris
la voie de la suppression et le canal du conseil, parce
que M. le premier président et M. d'Aguesseau ont
représenté qu'on ne pouvait le faire au parlement et
CORRESPONDANCE DE PASQLIER QUESNEL 101
qu'il faudrait faire le procès dans les formes à cette
Eminence. Voilà pousser les choses bien loin, et cet
engagement pourra avoir des suites fâcheuses et embar-
rassantes, soit dans le conclave ou dans les consistoires.
Quelque puissance se mettra peut-être entre deux dans
la suite et s'emploiera pour calmer la juste indigna-
tion du roi contre un sujet accablé sous les poids de
ses bienfaits. On songe toujours à partir pour Home,
au premier avis de la mort du pape; on me dit hier
que M. l'abbé Henaudot1 serait un des conclavistes de
M. le cardinal de Noailles. A moins qu'il ne parte subi-
tement, je le verrai; j'entends ce prétendu conclaviste.
M. l'abbé de Louvois partira à la lin de ce mois. 11 a un
ecclésiastique pour secrétaire, qui a bien du mérite; il
se nomme M. Louait2. Il m'a demandé une lettre pour
vous; vous pouvez agir avec lui avec toute confiance3.
L'affaire de la Chine s'examine toujours en Sorbonne.
Les jésuites ont, jusqu'à présent, la pluralité; mais ils
ne l'auront pas longtemps, et on espère que le bon
parti triomphera.
Quesnel à MUe de Joncoux, à Paris'*
Paris, 14 septembre 1700.
Voilà, mon cher enfant, ce que vous avez désiré de
moi. Vous voyez avecquelle confiance j'agis avec vous.
1. Eusèbe Renaudot prit l'habit ecclésiastique et la simple tonsure
pour avoir plus de facilité à s'appliquer à l'étude de la théologie et des
langues. « 11 avait, dans ses relations avec M. Arnauld, dit le Nécrologe^
pris l'esprit, les maximes et la conduite de Port-Royal. »
2. Louail, prêtre, prieur d'Auzay, fut élevé avec labbé de Louvois et
ne le quitta qu'à sa mort, survenue en 1717. 11 vécut dès lors dans la
retraite, sur la paroisse de Saint-Etienne-du-Mont, et fut appelant et
réappelant de la bulle Unkjenilus.
3. 11 ajoute dans une autre lettre, du 14 octobre: « C'est un fort hon-
nête homme et d'une grande et exacte piété. C'est un homme à qui on
peut se fier. M. l'abbé le considère beaucoup. »
4. Quesnel fit, durant ce voyage à Paris, la connaissance de
102 CORRESPONDANCE DE PASQUlER QUESNEL
Vous m'avez promis de me les renvoyer. N'y manquez
pas, je vous prie; autrement je ne serais pas content. J'en
ferai ensuite ce que vous voudrez; car je vous assure
que je me suis uni à vous très intimement et que je
serai toujours très disposé à vous faire connaître que je
suis, avec toute la sincérité possible, entièrement à vous.
Croyez-le bien, je vous en conjure, et aimez-moi dans
la vérité qui nous unit, et que je supplie de tout mon
cœur qui nous fasse être à elle de plus en plus.
ilillc de Joncoux au P. Quesnel
15 septembre 1700.
Vous voyez. Monsieur, jusqu'où va ma bonne foi et
mon exactitude à tenir ma parole. Je ne veux point
balancer à croire que vous me tiendrez la vôtre. Sou-
venez-vous seulement de la manière positive avec
laquelle vous me l'avez donnée, en m'assurant que vous
brûlerez ce que je vous rends. Vous savez, Monsieur,
que cela ne vous appartient pas, ne l'ayant eu qu'en
violant les règles de la probité et de la bonne foi. Le
plus tôt sera ]e meilleur, si vous voulez que je sois
convaincue de la sincérité des sentiments que vous
m'avez témoignés par rapport à cela. Si j'avais l'hon-
neur de vous voir, je suis persuadée que vous n'hési-
teriez pas un moment à me donner cette preuve ; mais
j'espère que le premier billet dont vous m'honorerez
xMlle de Joncoux. « On me mande que vous êtes ravie d'avoir vu
M. de Fresne [Quesnel] », écrit M. Ernest Ruth d'Ans à la « chère
sœur », en la « congratulant » de ce qu'elle est dans la joie à l'espoir
de le voir dîner chez elle. (31 août 1700, Archives d'Amersfoort, boîte 11.)
En note de cette lettre origina le du P. Quesnel, il y a, de l'écriture de
Mlle de Joncoux : « Ce billet est de M. de Fresne et accompagnait les
lettres qu'il a volées et qu'il m'envoyait, parce que je l'avais prié
de me les faire voir. » 11 s'agit toujours de la perquisition faite par le
P. Quesnel dans les papiers de M. Ernest Iluth d'Ans, qu'il soupçonnait,
avec raison, d'une certaine fausseté à son égard.
CORRESPONDANCE DE PASQUIËR QUËSNEL 103
m'apprendra, d'une manière bien précise et sans res-
trictions mentales, que vous vous serez acquitté de
votre promesse. Je ne puis vous exprimer, Monsieur,
combien je vous honore et avec quelle reconnaissance
je ressens toutes les honnêtetés que vous m'avez
témoignées, et surtout la part que vous me donnez à
votre amitié, qui me sera toujours très chère1.
Quesnel à du Vaucel
Paris, 15 septembre 1700.
J'ai encore reçu votre dernière du 21 dans la grande
ville, mais je n'y en recevrai plus; car je pars demain,
s'il plaît à Dieu, pour m'en retourner, non par le che-
min le plus court.
Vous saurez, avant que cette lettre vous l'apprenne,
que M. le cardinal de Coislin est fait par le roi grand
aumônier2, non de France (car on a découvert que ce
n'est point une charge de la couronne), mais du roi, ce
qui donne à Sa Majesté le plein pouvoir d'en disposer
sans faire le procès à celui qu'il en dépouille. Ce sera
un grand procès entre ces deux Eminences; mais celle
qui aura le roi pour solliciteur sera bien forte, et celle
qui l'aura pour partie ne sera pas fort à craindre.
Le P. Valois3, confesseur des trois princes de France,
1. Nous verrons la suite de cette discussion dans une lettre de
M11" de Joncoux, du 20 janvier 1701, et dans une réponse très curieuse
du P. Quesnel, du 5 février de la même année.
2. « Le désespoir du cardinal de Bouillon fut extrême, en apprenant cet
arrêt et sa charge donnée au cardinal de Coislin, qui n'osa la refuser.
Son embarras fut l'Ordre. M. de Monaco le fit avertir que, s'il ne le
quittait, il avait ordre de le lui aller arracher du col. » (Saint-Simon,
éd. de Boislisle, VII, 199.) L'ordre du Saint-Esprit était attaché non à
la personne, mais à la charge de grand-aumônier.
3. « Le P. Valois, jésuite célèbre, mais meilleur homme que ceux-là
ne le sont d'ordinaire, mourut d'une longue maladie de poitrine. C'était
un homme doux d'esprit et de mérite, qui fut et qui mérita d'être
104 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
est mort. 11 leur en faudra un autre; mais je ne suis
pas chargé de le fournir.
Quesnel à du Vancel
Orval, 14 octobre 1700.
Il y a trois semaines que je suis ici1, et je m'y trouve
si bien que j'ai peine à en sortir. Si les papiers se
pouvaient transporter aisément et que dans une commu-
nauté on pût demeurer inconnu, je planterais ici mon
bourdon; car il y a un ermitage, dans l'enceinte de la
maison et à l'entrée du bois, qui est fort tentant. Avec
un compagnon qui aimerait la solitude, on pourrait
attendre là l'éternité avec beaucoup de douceur. Il y a
une chapelle, maison, et tout ce qui est nécessaire
pour un ménage d'ermite et pour la sainte messe.
Il y a un jubé et une petite orgue, des allées admi-
rables et l'entrée dans le bois, où il y a de petits ora-
toires et de belles allées. Gela ne vous tente-t-il point?
Mais il faut, avant que de répondre, aider M. Godefroi
(Codde, archevêque d'Utrecht) à terminer ses affaires et
plier bagage. Apparemment vous aurez un conclave
avant de partir, et vous nous donnerez un nouveau
pape.
La mémoire de feu M. de Pontchâteau est ici en
bénédiction. Il a beaucoup contribué à perfectionner la
réforme et à former des sujets. Son portrait en tableau
est dans la bibliothèque, et il y a une armoire où l'on a
conservé ses livres, qu'il a laissés à la maison. Tout y
regretté. » (Saint-Simon, VII, 190.) Louis Le Valois, « regardé comme un
homme de Dieu », dit le Nouveau Dictionnaire historique, était né à
Melun, en 1839. 11 laissa des OEuvres spirituelles et un volume contre
les sentiments de Descartes.
1. A l'abbaye d'Orval, de Tordre de Cîteaux, entre Sedan et Luxem-
bourg, à cinquante-cinq lieues de Paris.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 105
est édifiant, et, dans une maison composée de près de
deux cents personnes, le silence est observé si religieu-
sement partout que la basse-cour est presque aussi
silencieuse que le cloître. Il y a environ soixante-dix
religieux, outre une douzaine qui sont dans une soli-
tude à trois lieues d'ici, qui est une dépendance de
l'abbaye1. Il y a cinquante futurs convers, qui travaillent
tous dans un silence admirable. Enfin c'est ici la terre
des saints et un lieu bien propre à attendre le Seigneur.
Je l'avais proposé autrefois à une certaine personne, et
qu'il y trouverait repos et consolation. Mais une amitié
humaine le tient captif, et la mort le trouvera dans ces
liens. Pour moi, j'aimerais bien mieux mourir dans
une cellule d'Orval que dans une cellule du conclave.
Vous aurez ouï parler du dernier volume de Saint
Augustin. Il y a des pauvretés dans la préface, et c'est
M. de Meaux qui les y a fourrées ou qui, au moins, en a
donné le conseil.
Je n'ai point d'autres nouvelles dans ce désert à vous
mander. J'en partirai dimanche pour Liège, et de là je
crois que je prendrai la route de Bruxelles.
Quesnel à du Vancel
Liège, 23 octobre 1700.
Me voici de retour de la sainte solitude, d'où j'arrivai
ici mercredi au soir. J'ai cru devoir mettre ici en dépôt
le Père prieur [Quesnel], pour voir s'il est à propos
qu'il retourne à son petit hospice, qui n'est plus pour
lui un hospice inconnu.
Vous voilà encore spectateur d'une grande affaire2.
1. Le désert de Conques, où fut autrefois une ancienne abbaye, Casa
Conchodunum, fondée par le roi Sigebert. Il n'en reste aujourd'hui
qu'une grotte taillée dans le roc et appelée grotte de Saint-Rernalde.
2. Innocent XII était mort le 28 septembre. Le conclave s'était ouvert
le 10 octobre.
106 CORRESPONDANCE DE PASQUÎER QtJESNEL
Dieu veuille qu'elle se termine heureusement par le
choix d'un bon pape! C'est tout ce que nous avons à
faire que de le demander à Dieu; car, si j'avais à donner
mon suffrage, je serais bien empêché. Je donnerais, je
crois, ma voix moins au cardinal Noris que vous nommez
qu'à un autre. Il n'a point de piété; il est d'un naturel
railleur, est entêté des prétentions papales, et serait
homme à porter son autorité aussi loin qu'il pourrait.
Ce considéré, laissons faire Dieu, et abandonnons-nous à
sa miséricorde.
On croit le roi d'Espagne mort, quoiqu'on affecte, à
Bruxelles, de dire qu'il se portait mieux le 6 du mois.
Je vous en prie, ne songez point au Père prieur pour
quoi que ce soit. Vous voyez que, depuis la mort de son
général1, il n'a pu encore trouver le temps de mettre en
ordre ses papiers ni de dresser l'histoire de son gouver-
nement. Il est temps qu'il commence, et il n'a pas lieu
de croire que la vieillesse s'arrêtera pour lui donner le
temps de travailler. Ainsi il faut qu'il se ferme à toute
autre chose.
Quesnel à du Vaucel
Liège, 27 octobre 1700.
Je suis de retour ici d'Orval, dès mercredi au soir. Je
me souviens à ce moment que je vous l'ai mandé.
M. Brigode me presse de m'en retourner chez lui ; mes
amis d'ici, au moins notre chanoine, me pressent de
demeurer ici. Il y a plus de sûreté ici; mais mes outils
sont ailleurs. Je n'ai nul attrait pour la maison où j'ai
demeuré si longtemps. Les discours de vive voix et
imprimés, joints aux dégoûts, ne m'y attirent pas beau-
coup. Je me trouve dans un assez grand embarras. On
1. Arnauld.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QtESNEL 107
me presse de demeurer ici, au moins cet hiver; mais je
serai aussi avancé après l'hiver que présentement, et,
s'il y faut retourner, j'aime mieux le faire dès mainte-
nant. Je n'ai pas de répugnance pour la ville, mais pour
la maison. Outre que la sûreté n'y est pas trop grande,
je ne m'accommode pas de la situation, du lieu ni de
tous ceux qui y demeurent1. J'aurais cru qu'on aurait
trouvé aisément, dans une grande ville, un honnête
homme qui aurait pu me prendre en pension; mais, ou
les amis n'en veulent pas trouver, ou la rareté en est
grande. Je verrai, après la fôte, à quel parti je me déter-
minerai. Je n'ai point de nouvelles à vous apprendre.
Le roi d'Espagne se porte mieux et est dans une pleine
convalescence. Au moins on sera en repos dans le pays.
Nous attendons un hon pape de la main de Dieu, et
j'aime mieux le laisser faire que de faire des souhaits
pour celui-ci et celui-là. Je voudrais que ceux qui ap-
prochent nos cardinaux français les portassent à prendre
des mesures pour procurer une paix solide à l'Eglise.
Voilà donc le cardinal doyen en possession de sa
dignité et, de l'autre, dépossédé de ses dignités fran-
çaises.
Quesnel à du Vaucel
10 novembre 1700.
A l'avenir, le commerce sera plus réglé, car enfin
la saison ne permet plus de tenir la campagne; il faut
1. M. Ernest Ruth d'Ans écrit, de son côté, le 4 novembre, à M"° de
Joncoux : « Le pèlerin [Quesnel] est encore à Liège. Il a demandé ses
habits d'hiver, ce qui marquerait un dessein d'y faire quelque séjour.
Je sais môme qu'il délibère encore s'il reviendra. La raison est qu'un
méchant libelle de Louvain le nomme et la maison où il demeure ici, à
Bruxelles. Je verrai le pèlerin ; je lui ferai des honnêtetés et lui offrirai
de le ramener, en lui faisant pourtant entendre doucement que ce
sera à condition de vivre avec plus d'union et de confiance. » (Arch.
d'Amersfoort, boîte 11.)
108 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
entrer en quartiers d'hiver. J'ai demeuré plus de quinze
jours à Liège, dans l'incertitude du parti que j'avais
à prendre. On m'a fait presque violence pour m'y
retenir, et j'avais à choisir de plusieurs retraites. J'en
partis samedi dernier, et je pris la barque qui me con-
duisit à Huy. J'allai coucher le lendemain à Namur,
croyant y prendre le carrosse pour la ville où j'ai
mon habitation. Il était parti ce jour-là, ayant avancé
d'un jour celui de son départ ordinaire. Nous sommes
venus passer le temps, jusqu'au jeudi (que partira le
carrosse), dans une abbaye de Saint-Bernard, appelée
Moulons, à trois lieues de Namur, oùnous avons quelque
connaissance, l'ami qui m'accompagne et moi. Nous
en partons à midi pour aller prendre demain le carrosse.
Cette abbaye est dans une belle solitude, au bord de la
Meuse ; mais, hélas ! l'esprit de saint Bernard y est
bien mort. Il n'y a que neuf religieux et un abbé, qui
ne sait ce que c'est que d'être et religieux et abbé. Les
lieux réguliers y sont beaux ; mais ils ne servent qu'à
faire gémir d'y voir la régularité éteinte. Quelle diffé-
rence entre ce lieu et Orval ou la Trappe!
A propos de la Trappe, vous avez su la mort de son
ancien abbé, Bernard-Jean Bouthillier de Bancé^Dieu
veuille oublier les fautes qu'il a faites contre l'honneur
de la vérité et contre le témoignage qu'il lui devait!
L'abbé d'Orval ne lui peut pardonner ce qu'il a écrit
contre la mémoire de notre défunt Père abbé [Ârnauld],
Je ne réponds rien à tout ce que vous me mandez du
conclave. Il faut laisser MM. ies cardinaux faire leur
manège et attendre ce que le Saint-Esprit en ordon-
nera.
Voilà le roi d'Espagne mort tout de bon. Vo^là de
quoi exercer les politiques du conclave et les autres.
1. Le Nouveau Dictionnaire historique dit que « ce pieux réformateur
mourut tranquillement, le 2G octobre 1700, et qu'il expira couché sur la
cendre et sur la paille, en présence de Tévèquc de Séez. »
CORRESPONDANCE DE PASQWER QUESNEL 109
Je ne sais ce que deviendra ce pays. S'il en faut déloger,
j'ai quelque part une retraite sûre.
Quesnel à M. Vuillart, à Paris1
Bruxelles, 13 novembre 1700.
Me voilà de retour au gîte. Après bien des délibéra-
tions prises à part moi, j'ai cru devoir venir au moins
faire ici un tour. Si l'ouvrier avait eu ses outils au lieu où
il était, il y serait demeuré. Je souhaite, mon très cher
ami, qu'il plaise au Seigneur de vous donner une santé
aussi bonne que la mienne; je prie tous mes amis de
louer Dieu de la bonté qu'il a eue de veiller sur moi.
Quand je songe au jour où j'étais à huit heures du soir
au milieu d'un champ, la pluie sur le dos dans les
ténèbres, tenant deux chevaux par la bride sans savoir
le chemin (car nous étions égarés), pendant que les
deux cavaliers aidaient le cocher à relever les chevaux
tombés dans une espèce de fosse, et que Dieu nous
envoya un guide sur-le-champ, contre toute apparence
de l'espérer, et qu'il adonné à nos deux amis le moyen
de relever les chevaux du carrosse; quand je pense à
tout cela, je me sens trop peu de chose pour en louer
Dieu dignement, et j'invite mes chers amis à m'aider
à le bénir. Il est vrai que, si c'est le diable qui nous a
livré ce combat, je combattis contre lui, ayant la cui-
rasse du grand Arnauld autour de moi et le casque
du saint évêque d'Aleth en tête; car j'avais, en effet,
la calotte de ce saint prélat sur la tête et la chemisette
de chamois de M. Arnauld sur le corps. Je me souvins
de l'un et de l'autre, je les invoquai, et dans le moment
1. Depuis le voyage du P. Quesnel à Paris, nous trouvons une corres-
pondance régulière et suivie avec M. Vuillart. Il avait renoué, en ces
quelques jours, les relations anciennes et repris langue dans sa patrie.
Par contre, les lettres à Rome sont plus rares.
110 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
j'entendis la voix de celui que Dieu nous envoyait pour
nous montrer le chemin. Je ne l'ai dit encore à per-
sonne, et néanmoins il me semble que je n'en dois
point laisser perdre la mémoire1.
Quesnel à du Vmicel
20 novembre 1700.
Votre lettre du 30 octobre m'a été rendue à l'hospice
ordinaire où je retournai, il y eut hier huit jours, avec
une joie fort médiocre. On y est moins tranquillement
que je n'étais à Orval, au milieu de cent cinquante
personnes.
Vous savez que le roi a déclaré qu'il s'en tenait au
testament du roi d'Espagne2. Un courrier, qui venait
d'Espagne en ce pays, ayant été quelque temps à Paris
en attendant ses dépêches, M. de Torcy lui dit qu'il
pouvait dire à M. le duc de Bavière que le roi accep-
tait le testament. Son fils y gagne ; mais la France y
perd, en abandonnant le traité du partage, par lequel
il lui revenait des pays considérables. Vous êtes admi-
rable, quand vous dites qu'à moins que le roi n'eût
renoncé au partage il se serait allumé une funeste
guerre. Et qui l'aurait soutenue, cette guerre contre
la France, l'Angleterre, la Hollande et peut-être l'Es-
pagne? L'empereur est bien en état de cela! Le Turc
n'aurait pas manqué de profiter de la conjoncture pour
reprendre tout ce qu'il a perdu. Au reste, les Vénitiens,
toujours attachés à la France et qui ont besoin d'elle,
n'auraient ou garde de prendre parti contre elle. Et
1. Voir une lettre de M. Vuillart citée par Sainte-Beuve (Port-
Royal, VI, 274).
2. Le roi d'Espagne, Charles II, mourut le 1er novembre, et Louis XIV
accepta le testament, le 11 du même mois. Il ouvrit ainsi la longue
guerre de la succession d'Espagne, qui commença en 1701 par la grande
alliance entre l'Autriche, la Hollande et l'Angleterre.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 111
qu'est-ce que le reste? Mais, enfin, le testament accepte
conserve la paix dans l'Europe, et le roi fait voir qu'il
est désintéressé1. Il y a ordre de chanter ici le Te Deum
aujourd'hui, pour l'exaltation du nouveau roi, qui s'ap-
pellera Philippe V, nom qui ne déplaira pas aux Espa-
gnols. Nous attendons les nouvelles du conclave; mais
la France nous en apprendra l'issue plus tôt que vous.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 23 novembre 1700.
La flagellation infligée au petit antiflagellant2 est
sanglante. Il en a usque ad vitulos. C'est à lui à se faire
déflageller comme il l'entendra. Bien des gens le plain-
dront3.
Notre très cher et aimable ami m'a fait grand plaisir
de me mander un peu de détail du nouveau monarque.
On est en ce pays plein de joie, d'espérance et d'estime
pour ce prince; mais, si la reine douairière y vient
gouverner, hélas ! on n'en sera pas mieux. Tout y sera
à l'encan. N'est-ce pas toujours M. Fleury4 qui était
son précepteur? Le pauvre précepteur en chef [Fénelon]
1. Charles II déclarait héritier de toute la monarchie d'Espagne
Philippe de France, duc d'Anjou, second fils du dauphin, sous Ja réserve
de renoncer à tous ses droits sur la couronne de France, condition que
n'accepta pas Louis XIV et qui fut une des causes de la guerre.
2. Le Dr Boileau.
3. Nous trouvons encore, dans une lettre à M. de Beaubrun, du
26 novembre, ce passage assez piquant sur le même sujet : « J'ai lu
une pièce faite contre V Histoire des Flagellants. Comme l'auteur de
cette Histoire ne prend pas lui-môme cette discipline, mais qu'une main
étrangère lui fait cette charité, il est servi comme il le désire, et il ne
se doit pas scandaliser de cet exercice. »
4. L'abbé Claude Fleury fut sous-précepteur des ducs de Bourgogne,
d'Anjou et de Berry. 11 vécut solitaire à la cour, occupé surtout de son
Histoire ecclésiastique . Le régent disait qu'il n'était « ni moliniste, ni
janséniste, ni ultramontain ».
112 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
n'aura-t-il donc point la consolation d'aller rendre ses
devoirs à ce monarque? On a imprimé une critique
de son Télémaque, in-12 de 350 pages, faite par l'abbé
Faydit1.
Ne m'enverrez-vous pas un portrait bien fait du roi
catholique ? Adieu, mon cher ami, je suis tout à vous,
sans façon aussi bien que sans réserve.
Quesnel à du Vaucel
Bruxelles, 27 novembre 1700.
Tout est plein de joie en France, en Espagne, aux
Pays-Bas. Le roi catholique part le 1er du mois prochain.
M. le maréchal de Noailles et M. le duc de Beauvilliers
iront jusqu'aux frontières. Le comte d'Ayen, fils du
maréchal de Noailles, ira jusqu'à Madrid. On me mande
qu'on disait à Paris que c'était le cardinal Portocarrero
qui avait persuadé au roi défunt ce qu'il a fait en faveur
du duc d'Anjou, et qu'un Père de l'Oratoire, qui a
crédit sur son esprit, y a beaucoup servi.
Un de mes amis me mandait, le 26, ce qui suit:
« J'eus, hier, la joie de voir le nouveau roi d'Espagne
pendant tout son dîner. Nous devons porter envie à ce
royaume, qui va posséder un tel prince, rempli de
piété, de crainte de Dieu, d'amour de la pureté et de
la vérité2. »
On dit que l'ambassadeur de l'empereur a fait une
protestation contre le testament, que les envoyés et les
1. L'abbé Pierre Faydit, ancien oratorien, avait déjà tâté de Saint-
Lazare pour ses livres singuliers et ses médisances. La Télémacomanie,
« satire sans talent, pleine d'envie et de fiel », et ses attaques contre
Bossuet nous le montrent comme une sorte de fou, non sans esprit
cependant, et doué de quelque érudition. En 1699, son Télémaque spiri-
tuel avait été condamné par le pape Innocent XII.
2. « 11 a bon cœur, il est généreux, de plus, véridique, car pour rien
au monde il ne dirait des mensonges. » (Lettre de la duchesse d'Orléans,
princesse Palatine, du 13 novembre 1700.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL M3
courriers vont de côtés et d'autres, de la part des Anglais
et des Hollandais, et qu'ils cherchent à brouiller. Mais
qu'ont-ils à dire? Le roi abandonne les états que le par-
tage lui attribuait pour conserver la paix de l'Europe.
Ils ne feront tous que de l'eau claire, et l'empereur
serait bien mal conseille s'il se laissait entraîner aux
persuasions des Hollandais.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 1er décembre 1700.
Je ne sais si les Espagnols seront contents qu'on
donne à leur roi un jésuite pour confesseur. Ils sont
assez jaloux de leurs coutumes, et les autres religieux
de leurs avantages, qui sont passés en lois. Les domi-
nicains sont en possession de confesser le roi; l'ordre
de Saint-François, les infantes et les reines; les augus-
tins ont les infants. Je ne sais ce qu'ont les carmes, ni
s'ils ont quelque chose. Je ne doute point que tous ces
religieux ne se remuent et que le général des domini-
cains n'agisse pour conserver ce poste à son ordre.
Le cardinal de Noailles arriva à Rome, le jeudi 11 no-
vembre, avant midi. Il alla descendre chez le cardi-
nal d'Estrées1, l'ambassadeur s'étant retiré de Rome, à
cause de l'affaire qui lui est arrivée au palais Vaini2.
1. Le cardinal d'Estrées écrit à Torcy, du conclave, le 16 novembre
1700 : «Le cardinal de Noailles est entré ici dimanche. Il s'était reposé
chez moi deux jours entiers. 11 vint à Saint-Pierre avec un cortège
très nombreux et beaucoup de peuple qui le suivait en foule. Tous les
cardinaux, prévenus d'une grande estime pour lui, n'ont épargné au-
cune des attentions et des honnêtetés qu'ils savent si bien pratiquer, et
son procédé plein de sagesse, de politesse et de douceur, lui a concilié
l'estime et l'affection de tous ses confrères. » (Aff. étr., Rome, 412.)
2. On avait tiré contre la livrée et le carrosse du prince de Monaco,
mais l'affaire était de peu d'importance; car lu roi écrit à ses cardi-
naux à Rome, le 17 novembre 1700 : «Il paraît que ce désordre n'a été
II. 8
114 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Il ne devait entrer au conclave que le 14. MM. Charost,
Maille et Tourreil l'avaient salué. On dit que les cardi-
naux d'Estrées et de Janson avaient fait complot pour
le débaucher dans l'affaire de la Chine.
Quesnel à du Vancel
4 décembre 1700.
Nous sommes en peine de M. Henncbel; on n'a
aucunes nouvelles de lui. L'Université l'a député pour
rendre ses hommages au nouveau roi; mais apparem-
ment il perdra cet avantage, puisque c'est aujourd'hui
que ce prince part. Son voyagea été différé à cause des
équipages et, entre autres, quatre lits magnifiques, dont
le roi, son grand-père, lui fait présent. Il marchera à
petites journées, cinq lieues par jour environ. Il va
d'abord à Chartres, pour arriver, le 4 janvier, à Orléans.
Le roi lui donne un confesseur jésuite, qui est un P. de
La Baune, poète latin1. Est-ce que les dominicains ne
se remueront point pour se maintenir dans la possession
où ils sont de confesser les rois d'Espagne? On me
mande que les Espagnols sont las des dominicains,
parce qu'ils prennent pour eux, dit-on, les meilleurs
bénéfices. Je m'imagine que c'est pour se défaire d'eux
que l'on fait tenir ce discours aux Espagnols.
Le prince avait une entière confiance dans son sous-
précepteur, et on lui donne un jésuite pour lui servir
à deux mains, pour la conscience et pour l'étude. Si
causé que par l'insolence de quelques sbires employés dans la maison
du prince Vaini, et je ne vois pas que qui que ce soit d'autorisé dans
Rome ait eu la pensée de manquer au respect qui m'est dû.» (Aff. étr.,
Rome, 412.)
1. Jacques de La Baune professa les humanités chez les jésuites et
laissa des Poésies et des Harangues en latin. Ce n'est pas lui, mais le
P, Daubenton, qui fut nommé confesseur de Philippe V.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL H5
toute la confiance se tourne de ce côté-là, comme cela
peut arriver à un jeune prince, les affaires n'en iront
pas mieux.
Le nouveau supérieur que M. l'archevêque a donné
à Port-Royal est un M. Gilbert1, docteur de Paris,
vicaire général, qu'on dit être fort homme de bien,
éclairé et fort retiré. Il se confesse, à ce qu'on m'a dit,
au P. Aveillon, de l'Oratoire. II y a fait visite, et on
paraît content.
M. le curé de Saint-Jacques du Haut-Pas, qui n'a pas
fait faire de service pour feuM. Arnauld, son paroissien,
en fit faire un, lundi, pour le feu ancien abbé de la
Trappe. Voilà ce que c'est que d'être bien à la cour, on
y gagne encore des prières après la mort.
Il y a une lettre contre Y Histoire des Flagellants.
L'auteur y est flagellé sans miséricorde, et peu de gens
le plaindront. Quoiqu'il m'ait donné deux fois à diner,
dans mon voyage, je ne puis être engoué de son
ouvrage. Son vin était meilleur.
Vous êtes trop timide. Pourquoi vous imaginer
qu'on vous aurait observé plus qu'un autre Français
enrendant visite au cardinal de Noailles? Au contraire,
vous aurez été peut-être le seul Français ecclésiastique
qui n'y aura pas été, et c'est ce qui sera observé.
Quesnel à M. Vuillart
7 décembre 1700.
Enfin, voilà notre prince parti, voilà aussi un nou-
veau règne spirituel2. Le pape est pour durer long-
1. M. Gilbert succéda à M. Roynette, comme supérieur de Por.t-
iRoyal-des-Champs.
2. Le cardinal Albani est élu parle conclave, le 23 novembre, sous le
nom de Clément XI. Son pontificat sera marqué par les grandes persécu-
tions contre les jansénistes, la destruction de Port-Royal, les bulles
110 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
temps. Nos cardinaux sont las de courir à Rome, et ils
ont voulu en faire un qui les laisse en repos le reste
de leurs jours. Nous verrons, avec le temps, s'il y a
quelque chose à attendre de lui pour l'Eglise. S'il pou-
vait me donner un ami cordial, c'est tout ce que je lui
demanderais; mais cela passe la puissance pontificale.
Cependant, sine homine amico nihil amicum. Gela est
triste, et j'ai besoin de la grâce de Dieu pour ne pas
tomber dans une tristesse immodérée1. La douceur
que j'ai trouvée dans ceux de delà me fait plus sentir
ce qui me manque de deçà. Je salue tout le monde, ce
monde si cordial. Notre cher petit Coq2 saura aussi, s'il
vous plaît, que je ne l'ai pas oublié.
Quesnel à du Vaitcel
11 décembre 1700,
Nous apprîmes l'élection du nouveau pape, dès
lundi au soir. Le courrier était arrivé, le jeudi 2 du
mois, au roi, à Versailles. Nous ne savons qu'en
attendre. J'ai peur qu'il ne soit de ces bons papes qui
ne font ni bien ni mal. Je n'ai pas assez de connais-
sance de ce qui le regarde pour faire son horoscope.
Vineam et Unigenitus. « D'un caractère faible, timide, faux, fertile en
petites finesses, dit d'Aguesseau, sa ressource ordinaire est de ne pas
tenir ce qu'il promet. » (Journal inédit, appartenant à M. Gazier.)
1. Quesnel est alors dans une phase de découragement et de tris-
tesse. Ernest Ruth d'Ans écrit le même jour à Mn° de Joncoux : « 11 ne
parle ni à table, ni dans la conversation. M. Brigode lui demanda, hier,
ce qu'il avait. 11 avoua qu'il était dans une noire mélancolie. Je vois ou
crois voir qu'il n'en a pas à moi tout seul ou en particulier, mais nous
ne pouvons deviner ce que c'est. » II est clair qu'au retour de ce court
voyage dans la patrie le contraste est dur, pour le P. Quesnel, entre
les amis sûrs et éprouvés, laissés à Paris, et son entourage de Bruxelles
médiocrement sympathique.
2. M"" de Joncoux.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 117
Je vous en laisse le soin, et vous l'avez déjà fait en
peu de mots.
Les Français ont un hôpital à Madrid, dont la direc-
tion est entre les mains de deux Pères de l'Oratoire de
France. Celait un P. Martin de ma connaissance qui y
était, il n'y a pas encore longtemps. On pourrait peut-
être lier commerce avec lui. Enfin il faut qu'on se remue
un peu, pour tacher d'avoir quelqu'un à la cour d'Es-
pagne qui puisse aider les majeurs1; car les jésuites
s'y remuent de leur côté beaucoup, y ayant un confes-
seur de leur société.
On m'avait mandé que c'était le P. de la Banne. Les
nouvelles publiques nomment un P. Daubenton2.
Que me l à M. Vuillart3
16 décembre 1700.
De Borne on mande qu'après la nouvelle reçue de la
mort du roi d'Espagne le cardinal Médicis4 et les Impé-
1. Les docteurs de Louvain.
2. Guillaume Daubenton, jésuite, «personnage avec qui il fallait comp-
ter, et en France, à la fin, comme en Espagne, dit Saint-Simon, avec
un esprit le plus dangereux en intrigues, une fausseté la plus innée,
et une ambition démesurée d'attirer tout à soi et de tout gouverner».
Que si ce jugement d'un ennemi de la société parait sévère, le marquis de
Louville écrit à M. de Beauvilliers, le 29 juillet 1703 : « Ce Père se môle
de tout, de politique, de guerre, de finance, des emplois.» Et il ajoute
force détails sur « sa passion de dominer, sa perfidie et sa fausseté
niaise». (Mémoires de Louville, II, 91.) L'abbé d'Estrées, ambassadeur
en Espagne, écrit à son tour, en mars 1704 : «Quant au P. Daubenton,
il est toujours de la race des Guillaume, parlant d'une façon, écrivant de
l'autre, et cherchant à caresser tout le monde. » (Mémoires de Louville,
11,141.)
3. Bibl. nat., ms. 19730.
4. François-Marie de Médicis, réputé pour son grand train et son luxe
magnifique, « n'ayant jamais dépensé à Rome moins de 25 louis d'or
par jour en eaux rafraîchissantes et en glaces ». (Correspondance
inédite de Mabillon, lettre de Claude Estiennot, II, 78.) Dans cette
fameuse nuit, dont parle Quesnel, le cardinal d'Estrées écrit au roi que
Médicis « le vint réveiller deux ou' trois fois».
118 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
riaux et Espagnols, pour hâter l'affaire papale, propo-
sèrent aux Français quatre sujets, qui furent Marescotti1,
Acciaoli'2, Panciatuci3 et Albane. D'Estrées et Janson
s'arrêtèrent au dernier, et, après quelques négociations
jusqu'à deux ou trois heures après minuit, l'élection
fut arrêtée. On dit que les cardinaux Camus, Coislin et
Noailles n'eurent point d'autre part à ce choix, sinon
que, s'étant assemblés avec les deux autres, Janson, qui
avait le secret de la cour, fut d'avis qu'on ne différât
pas un moment de conclure l'élection pour Albane. Un
courrier fut dépêché à l'ambassadeur, qui y donna les
mains. On convient que le pape fut pendant trois jours
dans de grandes angoisses, pleurant, gémissant, refu-
sant la tiare % qu'il ne consentit d'accepter qu'après
avoir consulté les cardinaux Colloredo5, Ferrari, Le
Camus. Les amis tâcheront d'arrêter les cardinaux de
Noailles et Le Camus qui veulent partir, afin qu'ils
puissent porter et concourir à quelques bonnes choses
le nouveau pontife.
1. Dans un mémoire sur les cardinaux, l'abbé de Polignac indique
Marescotti comme étant « sans contredit le premier et le plus excellent
sujet du Sacré Collège ». (AIT. étr., Rome, 506.)
2. « S'il était pape, dit le même mémoire, il voudrait remplir la terre
de son nom. 11 serait superbe et inflexible. »
3. «11 estime la France, écrit le cardinal de Janson; il est désintéressé;
mais il a l'esprit dur et difficile, fort entêté des droits de Rome. »
(Aff. étr., Rome, 383.)
4. Nous retrouverons souvent des allusions à ces « larmes » de
Clément XI. « 11 en avait une source et une facilité abondante, dit
Saint-Simon, et elles étaient sa ressource dans tous ses embarras. »
Une lettre de Rome, du 14 décembre 1702, le montre « pleurant beau-
coup pendant la cérémonie de son couronnement et pleurant encore
tous les jours. » (Archives d'Amersfoort, boite 11.)
5. Le cardinal Léandre Colloredo, correspondant de Fénelon, fut
chargé par lui de soumettre au pape les Maximes des Saints.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 119
Quesnel à du Vaucel
18 décembre 1700.
Il y a, à Paris, une espèce de béate qui fait du bruit1.
Tout le monde parle de ses prophéties et de ses
miracles. Deux de nos amis ont grand commerce avec
elle, et je crains qu'ils n'en soient la dupe.
On craint fort à Paris que le nouveau pape ne nuise
à la vérité. Il a eu soin de la publication du Nodus. On
y exagère fort sa liaison avec le sieur Héron [Fabronï],
On dit que ce nouveau pape, avant son exaltation,
avait dressé un bref en faveur du cardinal de Bouillon,
son ami, et qu'on en a vu le projet à Paris.
C'est un P. Daubenton, qui était recteur à Strasbourg,
qui suit le roi d'Espagne en qualité de confesseur, et
un autre en qualité de prédicateur. Les dominicains
sont fort alarmés. Le général devrait aller faire la
visite en Espagne. Le P. Montfaucon, que je salue
très humblement, y devrait faire aussi un voyage.
On n'a point encore bien fouillé les bibliothèques de
ce pays-là. On y pourrait trouver bien des choses.
Quesnel à M. Vuillart 2
29 décembre 1700.
J'ai brûlé le billet de la Mère sous-prieure, comme
une lettre empoisonnée. Gomment pouvez-vous m'aimer
1. La sœur Rose, ou sœur de Sainte-Croix, arriva à Paris, vers 1693,
et commença dès lors sa vie de béate et de visionnaire. L'abbé Boileau,
M. du Gharmel et surtout l'abbé Duguet la crurent inspirée, et ce n'est
que de nombreuses années plus tard que Duguet s'écriera, témoin
incrédule des convulsions : « J'ai été une fois trompé, je ne veux pas
l'être deux; j'ai été dupe de la sœur Rose, je ne veux point l'être des
convulsionnaires. »
2. Bibl. nat., ras. 19730.
120 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
et m'envoycr de telles lettres [ ? Elle me traite de saint.
Et, si ce poisoa m'allait monter à la tête, où en serais-
je? Je ne suis pas encore assez aveugle pour me croire
saint. Mais toutes ces louanges sont toujours si dange-
reuses, et le poison en est si subtil, qu'il en demeure
toujours quelque chose. Plût à Dieu que j'eusse fait le
premier pas! Mais que je suis loin d'être ce que
je devrais être! Il ne faudrait qu'une lettre comme
celle-là pour faire d'un saint un réprouvé, et elle me
fait craindre les jugements de Dieu ; car il faut que
je sois bien hypocrite si mes livres ont quelque chose
qui fasse avoir de moi cette pensée.
Il est vrai que j'ai eu un accès de tristesse sur le
froid et l'indifférence où je voyais mon compagnon, et
me voyant réduit à demeurer dans un lieu exposé ou
d'en sortir seul ; mais ce compagnon m'a un peu con-
solé en me témoignant qu'il était disposé à me suivre.
Il aurait bien voulu m'obliger à ne pas changer, et il
avait concerté avec un ami de paraître ne vouloir point
m'accompagner ; il est vrai qu'en me déclarant sa dis-
position favorable il m'a ôté comme une meule de
moulin de dessus le cœur. Il cherche une maison, et
je crois que c'est de bonne foi. Je m'accommode
bien de lui, et nous sommes accoutumés l'un avec
l'autre; nous verrons ce que la Providence nous garde.
Je vous assure que je ne suis pas peu embarrassé dans
une pareille translation. Je crains de faire quelque
chose qui ne soit pas selon les desseins de la volonté
de Dieu, et c'est cependant une chose bien difficile à
connaître quand on est seul et qu'on n'a point de
voyant pour consulter la volonté de Dieu2.
Je remercie de bon cœur et avec respect celui qui
1. A cette époque, Qucsnel est le grand directeur de Port-Royal,
VOracle, dit Sainte-Beuve. Et, consulté de loin sur toutes les questions,
il approuvait la résistance à outrance.
2. Allusion malicieuse à l'abbé Duguetet à la sœur Rose.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 121
m'a fait présent de ses nouveaux noëls. Il y a une
chose que notre défunt abbé désapprouvait tout à fait,
c'est de mettre des airs et des cantiques saints sur
les chants des airs profanes. Gela renouvelle la mémoire
des chansons lascives qui sont sur ces airs, les paroles
revenant naturellement à la mémoire avec le chant. On
profane en quelque manière la sainteté des mystères
par des chants qui ont servi au péché et à la corruption.
Enfin il n'est pas édifiant, pour les gens du monde, de
voir que des ecclésiastiques de piété soient fort versés
clans les opéras, les chansons àboire etles airs d'amour1.
Gela ne blesse-t-il pas le bon sens et ne salit-il pas
l'imagination de voir ces paroles à la tête des noëls?
Le petit dieu d'amour
Vint voir Bacchus, un jour.
Sommes-nous pas trop heureux,
Belle Iris, que vous en semble?
Enfin qu'a à faire là, c'est-à-dire avec le mystère
adorable de l'Incarnation, de la naissance du Sauveur,
l'opéra d'Armide, le Théâtre-Italien, le Quel spectacle
charmant, impie et sacrilège, s'il y en eut jamais, l'opéra
de Martesi et les autres saletés du théâtre? Voilà
ma pensée. Quel accord entre Jésus-Christ et Bélial,
quelle société entre le fidèle et l'infidèle?
Quesnel à M,le de Joncoux
Décembre 1700.
Je ne veux point laisser finir l'année sans vous
donner, ma chère petite sœur, de mes nouvelles par
1. Les livres de cantiques ont porté encore bien longtemps les indi-
cations profanes dont se plaint le P. Quesnel. J'ai un volume de Saint-
Sulpice (1863) donnant des airs connus pour les adapter aux chants
122 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
moi-même. Je sais que vous en savez assez par d'autres ;
mais vous ne seriez pas contente de moi, et je ne le
serais pas de moi-même, si je ne vous assurais que
toutes mes courses et mes aventures ne m'ont point
fait perdre le souvenir de votre chère personne ni rien
fait perdre des sentiments d'estime et de respect que
j'ai remportés avec moi pour tout le bien qu'il a plu à
Dieu de mettre en vous. Il m'a paru aussi que vous
vouliez bien me faire l'honneur de me mettre au
nombre de vos amis, et j'estime trop cette nouvelle
acquisition pour la négliger et mériter par là de la
perdre.
Si vous écrivez à notre ancienne amie du territoire
d'Orléans1, je vous prie de l'assurer que je ne manque
ni d'estime, ni de respect, ni d'amitié pour elle, quoique
je ne me donne pas l'honneur de lui écrire. Je ne le
pourrais faire sans lui parler de certaines choses qui
lui rendraient mes lettres fort désagréables. Ce n'est
pas que je ne me crusse obligé de le faire pour le repos
de sa conscience, si je la croyais disposée à m'écouter ;
mais je l'ai assez fait, et je n'en ai retiré aucun fruit
que de la voir avec douleur fermée à des vérités qui
me paraissent évidentes. Je vous assure que j'en suis
très en peine. Elle se trompe assurément et s'attribue
sans aucun droit la faculté de disposer de choses à sa
volonté, quoique le testament lui ait marqué clairement
la disposition qu'il voulait qu'elle en fît. Illui a dit qu'elle
ferait commeelle pourrait, mais non pas comme elle vou-
drait. Il lui a marqué que tout ce qui resterait d'argent et
de choses dont on fait de l'argent, après ses dettes et ses
legs payés, me devait être mis entre les mains pour en
sacrés. Ainsi : Un inconnu pour nos charmes soupire ; — Tout est char-
mant c fiez Aspasie; — air de Femme sensible ; — Linval aimait Arsène, etc.
Les cantiques dont on se sert aujourd'hui, dans les paroisses de Paris
du moins, ne contiennent plus rien de ce genre.
1. Mmo de Fontpertuis.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 123
disposer selon ses intentions, etje sais qu'elle les donne
à un chanoine1 qui n'en a aucun besoin et qui n'y a,
non plus qu'elle, aucun droit. C'est une infidélité criante
envers un ami défunt qui s'est fié à elle, et une injustice
envers ceux à qui il les avait destinés. Sa conscience
et sa mémoire en demeureront chargées. J'en suis très
affligé pour elle. Le chanoine à qui elle fait ces libéra-
lités injustes se plaint, de son côté, qu'il ne sait ce
qu'elle a fait d'environ trois mille francs qu'elle avait à
lui. Si c'est pour l'indemniser qu'elle en use ainsi, elle
sait bien qu'on ne peut pas payer ses dettes avecle bien
d'autrui. Qu'elle se flatte tant qu'elle voudra, elle paraîtra
peut-être bientôt à un tribunal dont la lumière, aussi
bien que la droiture, est terrible. J'en parle sans intérêt,
n'ayant d'autre vue que l'exécution des volontés d'un
ami à qui on doit une fidélité inviolable et dont les
intentions sont quelque chose de sacré après sa mort.
Elle a adjugé à ce chanoine des livres dont on devait
faire de l'argent pour une personne qui en a très grand
besoin2, et il en a déjà livré à des libraires pour plus
de 500 florins, outre les petits fonds d'argent que je
sais qu'elle lui a fait espérer et dont apparemment elle
l'aura fait jouir.
Vous ferez tel usage de tout ceci que vous jugerez à
propos. J'en charge votre conscience et en décharge la
mienne. J'ajouterai seulement que, si elle doutait, ou
plutôt que comme elle devait au moins avoir du doute
sur tout cela, elle devait consulter quelqu'un de désin-
téressé et d'éclairé, et je suis assuré qu'en exposant le
fait, tel qu'il est, elle aurait été condamnée à en user
tout autrement qu'elle n'a fait.
Je ne puis m'empêcher d'ajouter encore que ce qui
rend l'injustice plus criante, dont le cri monte assuré-
1. Ernest Ruth d'Ans.
2. Du Vaucel.
124 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ment jusqu'aux oreilles de notre cher défunt abbé,
c'est que je l'ai vu fort en peine à chercher un moyen
de laisser quelque secours à un ami, qui a passé dix-huit
ans dans un pays éloigné où il s'est consacré au ser-
vice de l'Eglise et de la vérité1, sachant bien qu'il
n'avait que peu de chose pour subsister et que, reve-
nant de là avec sa vieillesse et ses infirmités, il aurait
grand besoin de trouver quelque chose pour les sou-
tenir. Cependant notre amie, après avoir essayé de le
frustrer, d'un autre côté, d'un certain secours qui n'est,
qu'en espérance, le frustre d'un autre qui était plus
présent. Pour moi, je serais bien fâché d'avoir cela sur
ma conscience, et j'ai le cœur percé de douleur, voyant
une telle amie porter cela en l'autre monde pour con-
tenter son inclination et celle d'un ecclésiastique trop
peu scrupuleux, pour ne rien dire davantage, sur une
telle affaire.
MUe de Joncoux au P. Quesnel
20 janvier 1701.
J'estime tellement l'honneur que vous me faites, mon
révérend Père, de me mettre au nombre des personnes
pour qui vous avez de la bonté, que je ne puis, ce me
semble, vous témoigner assez combien je suis sensible
aux marques que vous me donnez de votre souvenir. 11
est vrai que je sais souvent de vos nouvelles par
M. Vuillart, mais celles dont vous m'honorez vous-même
auront toujours un nouveau goût pour moi. Je serais
tout à fait affligée si la personne dont vous me parlez
s'acquittait si mal de ce que l'on a confié à ses soins.
Et, si je ne puis justifier entièrement sa conduite, parce
que je n'en ai aucune connaissance, permettez-moi au
moins d'excuser ses intentions, que je ne puis soupçon-
1. Du Vaucel.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 125
ner de n'être pas droites, étant bien convaincue qu'elle
est tout à fait éloignée de faire les moindres injustices,
si elle pouvait les apercevoir. Elle doit savoir mieux que
personne les dernières volontés de son père1. Il ne faut
pas toujours ajouter foi à tout ce qu'on nous dit, et je
doute fort que ses largesses envers son ami soient telles
qu'on vous les a représentées. Je suis bien aise de vous
dire encore, mon révérend Père, que, quelque liaison
que nous ayons ensemble, elle ne me parle jamais de
ses affaires. Cette réserve m'ôte toute liberté de lui en
parler. Mais, quand je le ferais, si elle n'a pas déféré à
vos avis, quel cas pourrait-elle faire de ce que je m'in-
gérerais de lui dire sans autorité et sans aucun fonde-
ment? Je ne puis m'empecher, mon révérend Père, de
me plaindre un peu, en finissant cette lettre, de ne pas
trouver, dans celle que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire, l'assurance que vous avez satisfait à la parole2
que vous m'avez donnée sur un certain article. Je veux
croire que votre silence vient d'un simple oubli, et non
de faute d'exactitude à exécuter votre promesse. Si
cependant vous ne l'avez pas encore fait, souffrez que
je prenne la liberté de vous déclarer que c'est une dette
dont je ne vous quitterai point que vous n'y ayez
satisfait jusqu'à la dernière obole.
Quesnel à M. V util art
Bruxelles, 5 janvier 1701.
J'ai reçu la relation de la mort de l'ancien abbé3.
J'aime bien mieux m'en tenir à cette relation qu'à
1. Arnauld.
2. 11 s'agit de la destruction, promise par Quesnel, des lettres prises
dans les papiers du chanoine Ernest Ruth d'Ans. Nous avons donné
toute la correspondance sur ce sujet, pour arriver à une lettre très
curieuse de Quesnel, du 5 février 1701, expliquant sa conduite dans
cette affaire délicate.
3. L'abbé de la Trappe.
126 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
toute autre. Elle est édifiante, la mort conforme à la
vie, à la conduite de Dieu et aux désirs de mon cœur.
Car je ne suis point du tout chargé des intérêts du
diable, pour favoriser ses desseins sur les âmes des
élus, ou pour empêcher le fruit de leur bon exemple
par de sinistres préjugés qu'il voudrait faire paraître
dans leur mort.
Il ne laisse pas d'être vrai que le cancer a com-
mencé de se saisir de sa main droite, aussitôt après
qu'il eut écrit d'une manière désavantageuse à la mé-
moire de notre défunt abbé. Car, dans la réponse qu'il
me fit, il marquait qu'il ne signait point, parce qu'il
avait à la main droite un mal qui lui était survenu,
et depuis ce temps-là il ne l'a point quitté. C'est la
pénitence, comme je l'espère, qui aura expié et cette
faute et la petite honte politique qu'il a eue de s'expli-
quer.
Je suis bien obligé à la bonne inconnue du soin
qu'elle a eu de me faire communiquer la lettre de
Rome, dont le détail est fort curieux et donne sujet de
croire que dom Antoine de Saint-Bernard [cardinal de
Noailles], informé de tout cela, en lit le fondement du
refus qu'il a fait de donner sa voix d'abord au pape
d'aujourd'hui.
Je n'ai pas de peine à croire que le roi ait reçu les
pouvoirs nécessaires pour agir en faveur de son petit-
fils dans la conjoncture présente. Cela était nécessaire;
mais, pour pouvoir despotique, je ne le crois pas1.
1. Les Espagnols se plaignaient de voir les ordres relatifs aux affaires
d'Espagne venir directement de Versailles. Louville écrivait à Torcy,
en nul, qu'un des principaux ministres de Philippe V, don Manuel
Arias, disait « que le roi se laissait mener par son aïeul comme un
enfant de quatre ans. » (l'hilippe V et la Cour de France, par M. Bau-
drillart.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 127
Quesnel à M. Vuillart
22 janvier 1701.
Que vous êtes fin, mon ami! Vous m'envoyez de plus
grand papier que je n'en emploie, afin que mes lettres
soient plus longues. Mais je vous attraperai bien, car
je le plierai en deux, et mes lettres en seront plus courtes,
ayant cette mauvaise coutume que la mesure de mon
papier règle souvent celle de mes lettres. Cependant il
faut racheter le temps.
J'ai reçu l'estampe de la destruction de Jérusalem.
Elle m'a été tout à fait nouvelle. Je n'en avais point
entendu parler et ne l'avais point vue. Et, pour vous
dire ce que j'en pense, je n'aime point cela. Gela n'est
bon à rien, irrite les gens et le maître môme. On pren-
dra cela pour un décri des ordres du maître. Je n'y
prendrai point de part. Tout presque y est faux. On n'a
point vu là de ces Pères; on n'y a point fait de ces
violences soldatesques de mainmise, d'insolence contre
la pureté; au contraire, les gens d'épée furent plus
touchés du spectacle que les gens d'Eglise. Il n'y a
point eu de livres brûlés, d'édifices abattus, d'église
détruite. L'image conviendrait quasi mieux aux Filles
de l'Enfance.
M. le cardinal de Noailles devait partir le 3 ; les
gazettes mettent le 4. Apparemment la mort de l'am-
bassadeur l'aura retardé. Nous saurons mercredi matin
ce qui en est1.
Je ne vous envie point, mon cher ami, votre trou-
vaille d'un si bon garçon de boutique; au contraire, j'en
1. Le prince de Monaco, ambassadeur à Rome, était mort le 2 janvier,
et le cardinal de Janson écrit au roi : « M. le cardinal de Noailles l'a
assisté jusqu'au dernier soupir avec une charité digne de lui. » (Afl'. étr.,
Rome, 418.)
128 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
suis très aise. Mais j'en voudrais avoir un de même.
Voyez donc si vous en pourriez trouver un. Quand il
serait plus jeune, on ne laisserait pas de s'en accom-
moder, pourvu qu'il sût un peu écrire, qu'il eût de la
piété, sagesse, discrétion, secret, etc. Car nous en
aurons besoin, en cas de déménagement. Vous voyez
mieux vous-même ce qu'il nous faudrait et, de plus,
qu'il ne fût point cour eux.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 29 janvier 1701.
Il y a toujours beaucoup plus de sujets d'espérer que
de craindre du nouveau pontificat. On ne voit rien jus-
qu'ici qui fasse croire que les révérends Pères aient eu
raison de tant faire de triomphe de son élection. On n'a
pas manqué d'en informer Sa Sainteté, qui a répondu
qu'on verrait, par les effets, s'ils doivent tout attendre
de lui. M. du Vaucel eut audience de lui lundi passé, et,
sur ce qu'il dit à Sa Sainteté qu'il devait féliciter non
Sa Sainteté, mais l'Eglise et le Saint-Siège, il rejeta cela
bien loin et ajouta qu'il se sentait accablé sous le poids
d'une si grande charge, que sa consolation était que, les
peines et les angoisses de l'esprit se communiquant au
corps, Dieu le délivrerait bientôt d'un état si pénible.
On tient pour certain que le cardinal de Bouillon par-
tira dans peu de temps pour se rendre à son abbaye de
Cluny, voulant par là se mettre en état d'obéissance aux
ordres du roi, pour apaiser Sa Majesté et recouvrer
au moins les revenus de ses bénéfices1. Le cardinal de
Goislin doit être en chemin.
1. Le cardinal de Bouillon avait espéré que le nouveau pape obtien-
drait du roi son pardon. Nous avons la preuve d'une tentative infruc-
tueuse faite en sa faveur par Clément XI, d'après une réponse du
cardinal d'Estrées, au commencement de 1701 : « Très Saint-Père, le
roi, toujours justement offensé de la désobéissance du cardinal de
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 129
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 2 février 1701.
M. le cardinal de Goislin songeait à partir, vers le com-
mencement de ce mois de février, pour se trouver, la
semaine sainte, à la cour et y exercer sa grande-aumô-
nerie. Il introduisit, il y a quelque temps, M. Fromentin
à l'audience de Sa Sainteté, qui lui témoigna beaucoup
d'estime et de bonté. Il le loua de ce que, par respect
pour le sacerdoce, il était demeuré dans l'état de diacre,
et il ajouta qu'il aurait voulu aussi ne point entrer dans
le sacerdoce, par respect pour un si saint caractère, ne
s'étant résolu à être ordonné que quelques mois avant
le conclave. Puis, montrant le cardinal qui était présent,
il dit: « Et voici que ces messieurs, questi signori, ont
voulu que je fusse Souverain Prêtre, Sacerdote deiSacer-
doti. » Il y a longtemps qu'un pape n'a parlé comme
cela, et on ne doute point qu'il ne parle sincèrement.
Quesnel à Mno de Joncoux
Bruxelles, 3 février 1701.
J'ai reçu votre lettre du 20 janvier, ma très chère sœur.
Je n'ai plus rien à vous dire, touchant l'amie d'auprès
d'Orléans; ma conscience en est déchargée. Je ne vous
ai rien dit dont je ne sois assuré, touchant ses libéra-
lités injustes et touchant la plainte de son ami pré-
tendu, des trois mille livres fondues entre ses mains.
Toute la maison le sait, parce qu'il n'en a pas fait la
petite bouche.
.Bouillon et encore plus de ce qu'il veut engager Votre Sainteté dans
son affaire, est persuadé qu'il y va de son autorité et de sa gloire de
faire obéir son sujet. » (Aff. étr., Rome, 421.)
H. 9
130 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Pour ce qui concerne la promesse dont vous m'écri-
vez, j'ai trois choses à vous dire: La première, que je
n'ai point déterminé le temps de l'exécution ; ainsi, si
je ne l'ai pas encore fait, je puis prendre tel terme que
je jugerai à propos. Deuxièmement, j'ai consulté sur
ce cas de conscience des personnes fort intelligentes et
qui passent pour avoir la lumière de Dieu, et ils m'ont
fait connaître que non seulement j'ai pu faire ce que
j'ai fait, mais que je l'ai dû, que j'y étais obligé. En
effet, il n'y a personne qui, découvrant une intrigue et
une espèce de trahison qui se trame contre lui dans sa
maison entre un domestique et une personne inconnue
dont il a découvert les lettres ne se crût en droit de
prendre connaissance de ces lettres, de suivre l'intrigue
jusqu'au bout, de garder par devers soi tout ce qui peut
lui servir à découvrir la suite, à convaincre les cou-
pables, à s'assurer des preuves, etc.
Que s'il a droit de faire tout cela à l'égard d'un domes-
tique, il l'a beaucoup plus à l'égard d'un ami domes-
tique, parce qu'il ne communique pas ses affaires et
ses secrets à un domestique, et qu'on n a pas ordinaire-
ment de secret pour un ami domestique. Ainsi il lui est
sans comparaison plus important de découvrir ce qui se
trame entre un ami domestique et une personne étran-
gère dont il n'a aucune connaissance, et qu'il ne sait point
si ce n'est pas un émissaire de ses ennemis. Car supposez
que cette personne ait des ennemis qui le cherchent
et qui sont disposés à lui nuire, qu'il n'a de compa-
gnie que celle de cet ami domestique, qu'il ne se peut
cacher de lui. Vous voyez bien, ma bonne petite sœur,
que c'est une troisième circonstance fort aggravante et
qui fortifie merveilleusement le droit qu'il a de prendre
toutes les mesures pour pourvoir à sa sûreté et se défendre
de tout ce que les étrangers peuvent lui faire de sur-
prises. Vous voyez bien par là que cet étranger est
d'autant plus coupable de la trahison tramée que cet
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 131
ami domestique a plus la confiance de son ami et plus
de connaissance de ses affaires et de ses secrets. Mais ce
qui a surpris cet ami trahi, c'est que cet étranger, lui
écrivant un billet avant son voyage1 pour lui deman-
der l'exécution d'une promesse, traite l'ami trahi comme
un homme qui a violé les lois de la bonne foi, de la
probité, de l'honnêteté, et qu'il demande hautement
réparation, restitution, etc. Gela seul suffit pour rendre
nulle la promesse qu'on avait faite par amitié et par
générosité. Car on ne prétendait nullement le faire par
justice et par obligation. Mais, puisqu'on le demande
sur un titre faux et en supposant à un prêtre des crimes
qu'il n'a point commis, la face des choses est bien chan-
gée. C'est à l'étranger à rendre justice à qui il la doit, à
faire pénitence de son péché. Je vous dis franchement les
choses comme à son amie et ne lui dissimulerais rien
si je l'entretenais tête à tête. Car, d'ailleurs, je l'estime,
je l'honore, je l'aime sincèrement, parce qu'il me paraît
avoir un bon petit cœur pour Dieu, pour la vérité, pour
ses amis. Dites-lui donc qu'elle prenne garde à la
manière dont il traite les gens qui ont des caractères
respectables à son égard.
C'est lui-même qui est coupable, n'y ayant guère de
conduite plus odieuse ni plus contraire aux lois de la
probité, bonne foi, honnêteté, que de débaucher un
ami domestique pour l'engager à agir contre son ami
et à travailler à le faire tympaniser dans le monde par
des libelles où l'on affecte de le traduire devant le public.
Voilà de gros péchés! Vous pouvez cependant l'assurer
que je n'en ai point la moindre amertume dans le cœur à
son égard et que je veux être son ami à toute force. Vous
jugez bien que, dans cette disposition, je n'ai garde de
le vouloir envoyer en enfer. Mais, pour un petit purga-
toire, il n'y a pas moyen de l'en dispenser ; nous lui en
1. Lettre de MUo de Joncoux au P. Quesnel du 15 septembre 1700.
132 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
avons cherché un des plus doux. J'ai lu autrefois, je ne
sais si c'est dans sainte Catherine de Gènes, qu'il y a des
âmes dont le purgatoire consiste à être en l'autre monde
dans l'incertitude de leur état, ne sachant point assuré-
ment si elles sont en enfer ou en purgatoire. C'est une
étrange peine pour une âme qui aime Dieu. A l'instar
de cette sorte de purgatoire, notre étranger demeurera
dans l'incertitude entière, si la promesse dont il désire
si fort d'apprendre l'exécution a effectivement été exé-
cutée. Elle peut l'avoir été; elle peut aussi ne l'avoir
pas été. Dieu sait ce qui en est; mais, pour lui, il ne le
saura pas, jusqu'à ce que le feu de ce purgatoire (feu
follet comme vous voyez) ait expié sa faute. Il pourra
venir quelque jubilé qui l'en tirera. Voilà ma sentence.
N'en parlons plus.
Quesnel à M. Vuillart 1
Bruxelles, 12 février 1701.
Je me défie qu'une lettre à vous écrite, et par vous
laissée entre les mains du petit Coq [Aitte de Joncoux],
a été envoyée au P. Paulin [Ruth d'Ans]. Car, en mon
absence, il a dit qu'il avait une de mes lettres, à vous
écrite, entre les mains. Le Coq l'aurait peut-être envoyée
à MmedeMérilles [de F on tper tu is], et celle-ci au P. Paulin.
Il prétendait qu'il y avait quelque chose de désobligeant
pour lui. Si ce n'est pas cela, je me douterais que le
paquet où j'envoyais une certaine signature aurait été
ouvert et que la lettre qui raccompagnait, aussi bien
que la signature, aurait été enlevée. Mais ce ne sont
que conjectures. C'était vers le 20 avril 1700, ou peu
auparavant, que cette lettre confiée avait été écrite. Ce
petit Coq est un peu hermaphrodite; il estcoqetpoulelle,
mais fine poulette. Il faut aller bride en main. Ce pou r-
1. Bibl. nat., ms. 19730.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 133
rait bien être la première lettre que je lui ai écrite sur
certain chapitre.
On ne compte ici que 10.000 Hollandais dans les places.
On dit qu'il va 6.000 Français à Anvers.
Quesnel à M. Vuillart {
Bruxelles, 16 février 1701.
L'ordre est venu de France de laisser partir les Hollan-
dais qui étaient dans les villes2. On leur a môme rendu
des déserteurs, qui, à cette occasion, étaient passés de
Mons à Valenciennes.
Pour la transmigration, je ne suis pas encore déter-
miné. Il faut penser à tâcher de ne rien faire contre
l'ordre, ni contre la volonté de Dieu3.
Un cousin de notre cher petit Coq arriva, hier au soir,
en bonne santé en cette ville. 11 est venu de Lille où
il avait affaire, par Courtrai à Gand et de Gand ici, et
il s'en retourne demain, par Mons, encore à Tournay, et
de là à Lille. J'ai reçu par lui une lettre du petit Coq, et
1. Bibl. nat, ms. 19730.
2. Au commencement de la longue guerre de la succession d'Espagne,
où Louis XIV lutta seul contre la grande alliance de l'Angleterre, de la
Hollande, de l'Autriche, de la Prusse et du Hanovre, il y avait vingt-
deux bataillons hollandais dans les villes des Pays-Bas espagnols. Le
roi ne voulut pas les retenir, pour qu'orme lui imputât point les premiers
actes d'hostilité.
3. Ernest Ruth d'Ans écrit à Mlle de Joncoux, le 25 février : « Un ami
qui est son confident (au P. Quesnel) m'a dit en secret qu'il avait pris
résolution de se retirer d'ici et qu'il délibérait seulement s'il irait demeu-
rer à Mons ou à Anvers. A vous dire ma pensée, je ne crois pas que
cette résolution prise s'exécute.» (Amersfoort, boîte 11.) 11 est assez'
curieux de suivre cette contre- correspondance entre le petit Coq et le
chanoine; la mauvaise humeur du P. Quesnel, à ce sujet, s'explique
suffisamment. Dans la même lettre, cependant, Ernest Ruth d'Ans pro-
met de surmonter sa jalousie et de « laisser passer tous les billets sans
en avoir de la peine » ; puis, quelques lignes plus loin, il donne un coup
de patte à son compagnon : « C'est assurément un étrange homme que
M. de Fresne {Quesnel) ».
134 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESISEL
j'ai eu l'honneur de le voir quelques moments, car un
homme qui n'a qu'un jour pour voir cette ville n'a pas
de temps à perdre. Je l'ai assez vu pour connaître que
c'est un fort honnête homme et qu'il aime bien le petit
Coq.
Je crois que notre chanoine vous pourra voir avant
Pâques.
Quesnel à Mlle de Joncoux
Bruxelles, 16 février 1701.
Nous avons vu monsieur votre cher cousin, mais
comme un éclair; sa course a été si rapide qu'à peine
avons-nous eu. quelques moments pour jouir de l'hon-
neur de son entretien. Je le plains d'être venu par un
si mauvais temps et d'avoir eu à traverser des chemins
horribles, sans avoir pu se dédommager par la visite
de nos belles villes, qui méritaient bien cet honneur
de sa part. Vous avez trop de réserve à son égard à
mon sujet; car ceux que vous jugerez dignes de votre
confiance ne me seront jamais suspects.
Pour ce qui concerne vos lettres de la Mère Angélique1,
je ne sais ce que vous me voulez dire. Je ne les ai point
et ne les ai jamais vues. Ainsi c'est à quelque autre à
vous en dire des nouvelles. On doit avoir beaucoup de
retenue à publier des lettres de cette sorte, au temps
où nous sommes. Le moins qu'on puisse parler de ces
bonnes filles, c'est le mieux. Si le diable dort un peu,
il ne faut pas le réveiller. Je sais déjà tout ce que me
répondrait la personne? à qui vous voudriez que j'écri-
visse. Je n'ai rien de nouveau à lui dire.
Elle me dira : « Oh! il s'est bien dit des choses de vive
1. Ces lettres n'ont été publiées que beaucoup plus tard, sous le titre:
Lettres de la Mère Angélique Arnauld, Utrecht, 1742, ') vol. in-12.
2. M"": de Fontpertuis.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 135
voix, depuis qu'il a fait son testament. » Ce sont chan-
sons dont je suis las ! Il faut s'en tenir à ce qui est écrit.
En user autrement, c'est ouvrir la porte à un abus
intolérable. Bien loin de trouver mauvais ce que vous
me dites sur ce sujet, je vous en suis trop obligé, et
je trouverai toujours fort agréable ce qui me viendra
de votre part.
J'ai eu l'honneur de vous écrire, ma pauvre petite
sœur, depuis que vous êtes en purgatoire. Recommandez-
vous bien aux prières du roi maure, car j'apprends qu'il
est fort dévot, et surtout à la sainte Vierge. Il pourra
obtenir votre délivrance.
Il faut livrer ma lettre. Ainsi je vous quitte, en vous
souhaitant bien l'esprit de pénitence, afin que vous
expiiez les péchés que vous avez faits en traitant
d'homme de mauvaise foi, de violateur des lois de la
probité, de voleur, un homme qui vous honore et
vous chérit plus que vous ne pensez.
Quesnel à M. Vuillart1
Bruxelles, 9 mars 1701
Je suis bien aise que le P. Le Doux [M. Dodart le
père] ait pris l'alarme et qu'il ait eu peur des rats et
des souris à dix doigts. Ce qu'ils ont trouvé en un lieu
où ils ne devaient pas le trouver, du temps de ce
bon prêtre qui s'appelait quasi comme Didyme, doit
rendre sage. Mais il faut que le sieur Le Doux se garde
aussi des rats qui peuvent venir chez lui après sa mort,
car je ne pense pas qu'il se croie immortel.
L'article du synode du pape m'était nouveau. Il
est fort édifiant. Le bon pape voit bien que sa démis-
sion serait une tentative inutile ; mais il est vrai que
M. Gharmot eut, le lundi 14, audience très favorable
1. Bibi. nat., ms. 19730.
136 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
de Sa Sainteté, qui parut bien disposée sur les cultes
chinois, qu'elle a ordonné qu'on portât à la prochaine
congrégation, mercredi après le 19 février1. Elle lui
parla encore, comme se sentant accablée du poids de
sa charge, à quoi M. Gharmot répondait en l'encou-
rageant et lui disant rondement que ces troubles et ces
inquiétudes où il était n'étaient que pure tentation.
Je n'ai jamais reçu aucun déplaisir de M. l'abbé de
Soubise2. Ainsi je ne me réjouis point de ce qu'on le
condamne à être un jour évêque de Strasbourg. Il s'en
consolera sans doute.
Je fais comme vous, je joins, même dans le canon,
nos deux rois.
Le cardinal de Goislin partait le 19 février, et M. Fro-
mentin, qui va par Lorette, le retrouvera à Milan.
Le pape a signé un chirographo de 550.000 écus
pour lever des troupes, pour mettre dans Florence
et ailleurs.
On tint, le 15, une congrégation extraordinaire sur
l'affaire de M. de Saint-Pons. Elle n 'est pas encore termi-
née3.
L'abbé Renaudot a fait un discours à FAcademia délia
Propaganda, en latin. Il y avait bel auditoire, et il fut
bien écouté. Son discours était, dit-on, fort beau.
Le cardinal de Janson avait mené à Rome un neveu
du P. de La Chaise, prêtre et chargé de bénéfices que
1. M. Gharmot publia un livre, en italien, sur l'Affaire de la Chine.
2. Quelques années plus tard, le P. Quesnel n'en eût pas dit autant ;
car l'abbé de Soubise, devenu évêque de Strasbourg- et cardinal de
Rohan, sera un des plus puissants parmi ses ennemis. A cette époque,
point encore ambitieux, il s'occupait peu de théologie, mais beaucoup
de « ses bonnes fortunes et de ses progrès dans l'empire amoureux ».
(Lettre de Mme de Coulanges, 18 janvier 1708.)
3. M. de Montgaillard, évêque de Saint-Pons, dont les mandements et les
écrits furent si souvent condamnés en cour de Rome qu'on alla jusqu'à
soulever la question de soumettre le prélat à un jugement canonique.
Son grand âge seul lui épargna celte disgrâce. Il mourut en 1713, à
quatre-vingt-dix ans.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 137
des évoques de cour lui ont donnés pour faire leur cour
à son oncle (car cet oncle ne Ta point voulu avancer
et n'a point approuvé son voyage). Il a trouvé moyen
de ne point loger chez le cardinal de Janson pour être
plus libre. Il a vécu comme il a voulu et s'en est allé
à la sourdine, sans dire adieu à personne, et a laissé
sept ou huit mille livres de dettes.
Quesnel à M. Vuillart1
Bruxelles, 25 mars 1701.
Il faut que quelqu'un ait eu la curiosité d'ouvrir mes
lettres (car je les cachette toujours), et pour cela il aura
fait une autre enveloppe. Je me suis souvenu que celle
pour Toulouse n'était pas cachetée en dedans; mais
l'enveloppe, àvous adressante, l'était. Il fautquele des-
sus de la première enveloppe ait donc été écrite d'une
autre main que la mienne. Certain, qui n'est pas le frère
Joseph [Brigode]2, s'est mis sur le pied, depuis quelque
temps, de prendre sur lui de faire les paquets de deux
l'un, et je m'étais déjà édifié que, demandant les lettres
longtemps avant que déformer, il en faisait une petite
revue. Il se pourrait faire aussi que ceux qui ont droit
de visiter de temps en temps les paquets de la poste
l'auraient fait ces deux fois-là. Dieu sait ce qui en est.
Dorénavant, l'enveloppe de dessus le tout sera cachetée
avec du pain à chanter et, par dessus, cire d'Espagne,
avec mon petit cachet qui est à mon chiffre, ou avec cet
autre que voici.
Dom Bernard de Montfaucon doit partir le mercredi,
après le 5 du courant, pour France. On avait repris, le
jeudi d'auparavant, les cultes chinois. Il fallait environ
quatre congrégations.
1. Bibl. nat., ms. 19730.
2. Mais le chanoine Ernest Ruth d'Ans.
138 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Le pape a fait les visites du jubilé en l'ouvrant.
En disant les oraisons où il y a qui me indigmim, etc..
les soupirs lui coupaient la parole.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 13 avril 1701.
La vie du P. Jean-Baptiste Moralez1 est très édi-
fiante et très bien écrite. Les dominicains ont fourni
la matière, et quelque autre la façon.
Je salue tous les amis et notre frère Nicolas. La diète
lui serait bonne, s'il mange toujours comme je l'ai vu
manger. Je ne m'étonne pas qu'il ait des fluxions.
Une vie d'étude demande qu'on mange fort modéré-
ment et qu'on trempe bien son vin. La cuisine de la
Trappe guérirait le mal que lui fait peut-être celle de
Saint-Magloire ; ses dents se vengent par elles-mêmes
de l'exercice qu'il leur donne ; mais, quelque mal
qu'elles lui fassent, il ne saurait se résoudre à leur
donner leur congé, ni à rompre avec elles, et cela est
fort chrétien.
Le voyage de notre chanoine, en Espagne, est tout à
fait résolu, mais il le faut tenir secret.
Dieu veuille que ce voyage fasse du bien aux autres
et ne lui fasse point de mal à lui-même!
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, lur mai 1701.
Courte lettre et longue maladie n'accommoderaient
pas le Père prieur [Quesnel]. Faites donc état, mon cher
1. Jean-Baptiste Moralez, dominicain espagnol, né vers 1597, fit par-
tie d'une mission en Chine et obtint du pape Innocent X un décret
contre les cérémonies chinoises, autorisées par les jésuites. 11 lutta
contre ces Pérès durant de longues années etmourutàFonincheu, en 1664.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 139
ami, de vous bien porter. Vous me faites trembler en me
parlant des deux saignées. Il me semble que c'est bien
mal ménager les forces d'un malade. Pourquoi pas plutôt
le quinquina? Ici nos malades se remettent en peu de
temps sur pied, parce qu'on les nourrit davantage et
qu'on leur laisse le sang où Dieu l'a mis. Cependant
je me console, parce que rien ne se fait que par la
volonté souveraine d'un Dieu infiniment sage, infini-
ment bon. Malgré les ménagements des médecins de
deçà, on meurt quand l'heure qu'il a marquée est venue.
Et, malgré la prodigalité que ceux de delà font du sang
de leurs malades, ils vivront tant que Dieu voudra!
Je vous embrasse, mon cher malade, et je prie Dieu
qu'il veuille bien que je vous puisse encore embrasser
avant la grande séparation. Adieu, mon cordial ami, je
suis encore à vous.
Quesnel à M. VuUlart
Bruxelles, 11 mai 1701.
Je suis fort aise d'avoir vu de votre écriture dans la
lettre de trois mains, et que vous y ayez mis la vôtre,
debout et sur vos pieds. C'a été pour moi un vrai régal,
mon très cher ami; mais j'espère que le régal se per-
fectionnera par votre parfait rétablissement. Jusque-
là, ne faites, je vous prie, nulle œuvre, ni de tête, ni
de main, encore moins de pied, pour votre petit servi-
teur. Recueillez, dans le silence du cœur et la sainte
oisiveté d'une convalescence chrétienne, les fruits de la
visite du Seigneur. Ce n'est pas peu faire que de savoir
ne rien faire, pour laisser faire à Dieu ce qu'il veut
dans notre cœur pour la mortification et l'abatte-
ment des forces de notre corps.
Mais brisons là, pour ne pas agir moi-môme contre
mes ordonnances de santé. Portez-vous bien, mon cher
140 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ami, ménagez-vous ; n'ayez qu'une affaire pour le
présent, qui est de fermer toutes les avenues à la
fièvre avec autant d'habileté que le roi a fermé celles
d'Italie aux Impériaux. Je vous embrasse, mon cher
convalescent, en celui qui est la santé et la vie.
Dites au cher voisin, à la première visite, que je
vous mets sous sa tutelle et à sa garde pour le soin de
votre santé. Il m'en répondra cœur pour cœur.
Quesnel ci M, Vuillart l
Bruxelles, 14 mai 1701.
L'affaire de Msr de Sébaste, vicaire de Hollande,
n'est retardée et embarrassée que par la méchante pro-
cédure d'un monsignore Fabroni, dont l'entêtement sur
le prétendu jansénisme n'est pas imaginable, et qu'on
soupçonne avec fondement d'être Roulier (jésuite) du
tiers ordre. Le Saint Père avait promis d'y remédier.
Nous espérons qu'il le fera, sur les nouvelles instances
que nous ferons à Sa Sainteté. M. l'abbé Renaudot nous
aide bien pour cela.
Quesnel à M. Brnnet, avocat-
Bruxelles, 15 juin 1701 s.
Je vous remercie de la lettre sur l'affaire de M. de Saint-
Pons [Porcin de Mont gaillard]. Comment vous étonnez-
vous du succès qu'elle a eu ? Ses parties ont été ses
juges ; car, outre que le commissaire du Saint-Office,
le secrétaire, le maître du sacré palais, sont religieux,
les consulteurs le sont aussi, et, dans les congrégations
1. lïibl. nat, ms. 10730.
2. M. Brunet, avocat de Paris, le même qui viendra, deux ans plus tard,
défendre Quesnel arrêté à Bruxelles. Son pseudonyme est Bellissime.
3. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5782.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUE^NEL 141
où la doctrine s'examine, tout roule sur les cardinaux
théologiens, et ils sont tous moines dans le Saint-Office,
savoir Noris, Ferrari et {jabrielli. Quelle apparence
donc qu'ils eussent condamné leurs frères et autorisé
les évêques à les humilier et à leur faire fermer leurs
églises ?
Les affaires de la Chine n'avancent point à Rome.
Dans les deux dernières semaines d'avant le dernier
courrier, il n'y avait point eu de congrégation.
M. Louail partit, le 28 mai, de Rome.
J'ai reçu les lettres de l'abbé de la Trappe, qui sont
belles et bien écrites.
Je prierai notre ami de vous rendre le prix des lettres;
car il n'est pas juste que vous fassiez toujours de la
dépense pour un homme qui vous est si inutile, mais
cependant tout à vous de la meilleure manière qu'il lui
estpossible. On amis au château Saint-Ange, prisonnier,
un P. Dias, maître cordelier espagnol, pour avoir
écrit, à ce qu'on croit, en faveur de l'empereur sur
l'investiture au royaume de Naples. Le pape a appré-
hendé que les Espagnols ou les Français ne le fissent
enlever.
On m'avait dit que le général de l'Oratoire devait
venir jusqu'à Mons. Je ne sais si cela est vrai, ni quand.
J'appréhende qu'on ne charge le petit évoque de
Sencz l d'une oraison funèbre et que ce ne soit un
sujet de tentation pour lui de demander un nouvel
évêché.
Quesnel à M. Vuillart
19 juin 1701.
M. Baillet, dans la Vie de saint Ignace, et dans ce
qu'il a dit autrefois de ses études tardives, dit, après le
1. Jean Soanen.
142 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
P. Bouhours, que le bon Ignace, contraint par la pau-
vreté, alla chercher gîte à Saint-Jacques de l'Hôpital,
et il me paraît évident qu'il fallait dire à l'Hôpital de
Saint-Jacques. Le premier est dans la rue Saint-Denis,
et le second était alors où est aujourd'hui Saint-Magloire,
au faubourg Saint-Jacques ; car l'église était apparem-
ment la salle de l'hôpital, qui a été hôpital jusqu'en
1572. Maphéo1 dit clairement que l'hôpital où se retira
Ignace était dans un faubourg et un faubourg voisin
de l'Université, et qui était l'hôpital de Saint-Jacques.
Les Pères de l'Oratoire aiment trop les jésuites pour
souffrir qu'on leur ravisse l'honneur d'habiter un lieu
qui a donné retraite à leur patriarche. Cependant ils
seraient fâchés que les jésuites s'avisassent de se faire
un titre de cette retraite sur la maison de Saint-Magloire,
en vertu de cette parole de l'Ecriture : Ornais locus
qaem calcaverit pes vester, rester erit.
Quesnel à M. Bru net2
Bruxelles, 26 juin 1701.
Je vous prie, Monsieur, de me mander, en m'en voyant
la lettre de M. Dambez [Couet], que je n'ai pas encore
reçue, si j'aurai la liberté d'en faire quelque usage.
Car elle serait propre à mettre avec le Phantôrne qu'on
doit réimprimer. Je suis bien aise de ne rien faire
contre l'intention des personnes qui y peuvent avoir
intérêt, et je suivrai exactement ce qu'on me dira.
On m'assura, à l'archevêché même, l'année dernière,
qu'il n'avait tenu qu'à M. de Saint-Pons [M ont gaillard]
d'avoir le prélat pour arbitre.
Le pauvre petit prélat3 me fait grande compassion.
1. Malîéc, jésuite, auteur d'une Vie d'Ignace de Loyola, 1685.
2. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5782.
3. Jean Soanen, évèque de Senez, donnera un éclatant démenti aux
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 143
Il faut plus d'un miracle, dans Tordre tout miraculeux
de la grâce, pour réparer le vice de l'entrée dans une
dignité si sainte. C'est une racine corrompue dont les
fruits ne peuvent être que mauvais.
J'ai quelquefois la pensée d'écrire au petit prélat;
mais j'ai bien peur que le cœur ne soit fermé à la vérité.
Que sue l à M. Brunet, avocat j
Bruxelles, 20 juillet 1701.
Vos nouvelles font voir qu'on ne songe à Rome qu'à
étendre la puissance romaine. Que cela est scandaleux
de voir régner l'ambition où l'humilité, selon le com-
mandement de l'esprit de Jésus-Christ, devrait éclater
plus que toute autre chose! Heureux ceux qui n'ont
aucune charge, soit ecclésiastique ou séculière ! Car
l'enflure du cœur et l'orgueil est un ver qui s'y attache
si imperceptiblement qu'on en est consumé avant que
de s'en apercevoir. Nous attendons ce que deviendront
ces démarches hardies, et s'il y aura encore de la
vigueur dans l'épiscopat.
Je ne sais si je ne vous avais pas déjà mandé qu'on
réimprime à Amsterdam les Mémoires de Trévoux et
qu'on y ajoute ce qu'on juge à propos d'y ajouter.
J'ai vu les deux premiers volumes, ou quatre mois.
Ainsi, quand de vos quartiers on voudra y faireinsérer
quelque chose qui le mérite, on n'aura qu'à me l'en-
voyer. Je vous remercie très humblement, Monsieur
mon très cher ami, de vos offres obligeantes au sujet
des amis voyageurs. Je m'en servirai dans l'occasion.
injustes préventions du P. Quesnel, en soutirant de longues persécu-
tions pour celui qu'il appellera « un des plus fidèles interprètes de
saint Paul » et « un innocent que les jésuites veulent lapider ». (Cor-
respondance de Soanen, I, 94, et III, 468.)
1. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5782.
144 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
On dit que M. le duc de Bouillon pense à établir les
jésuites à Evreux, et on craint qu'ils n'aient aussi en
vue le séminaire. Ce duc, dans cette vue, a déjà obtenu
de l'évêque le carême et Lavent pour un jésuite et s'est
rendu arbitre du différend entre l'évêque et le chapitre.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 2 septembre 1701.
Je vous envoie la copie de la lettre de M. l'abbé Bussi,
internonce de Bruxelles, à l'étroite faculté, et l'ordre
ou interdit du commandant général au conseil de Bra-
bant. Faites en sorte, s'il vous plaît, mon très cher ami,
que le P. Le Doux [Doclart] en ait une copie au plus tôt
pour tel usage que de raison.
Pendant qu'on écrase les docteurs de Louvain, parce
qu'ils ne se déclarent pas pour l'infaillibilité du pape
et qu'ils se contentent du silence, on souffre que les
jésuites de Borne, à la barbe du pape, ne donnent
l'infaillibilité qu'à l'Eglise sous son chef, comme on le
voit par l'extrait d'une thèse.
11 n'y a plus que Dieu qui puisse sauver cette pauvre
Université, puisqu'elle est abandonnée des hommes.
J'ai reçu la thèse de Thyrsis. Je ne voudrais pas faire
un grand crime de représenter en figure la mort du
Sauveur, depuis qu'il l'a soufferte, puisqu'elle a été
représentée en figure avant qu'il l'eût endurée. Le
Cantique des Cantiques est une pastorale qui représente
l'amour de l'Eglise pour Dieu et pour Jésus-Christ, et
celui de Dieu et de Jésus-Christ pour son Eglise.
Il faut donc se résoudre à être privé de votre appari-
tion, notre cher ressuscité, au moins pour cette année.
Dieu l'ordonne ainsi; nous verrons ce qu'il ordonnera
pour l'année prochaine. 11 ne se faut rien promettre de
si loin.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 145
Quesnel à MUe de Joncoux
Bruxelles, 24 septembre 1701.
Vous êtes d'un grand silence. Jamais je n'ai vu de
petit Coq si silencieux et si paisible. J'en ai ici qui
m'étourdissent dès le matin, et souvent la nuit, et je
n'entends de vous, ni soir ni matin, pas le moindre
petit coquerico. Après ce petit badinage pour vous
mettre en bonne humeur, je vous dirai fort sérieuse-
ment, ma très chère sœur, que je suis en peine de notre
chère amie de delà Orléans [Mme de Fontpertuis], On
m a écrit qu'elle était retombée, et je n'ai personne ici qui
m'en puisse dire des nouvelles, notre commensal étant
allé en course. Je vous prie donc de m'en dire et, si
vous pouvez, de m'en dire de bonnes. Car, quoi qu'elle
en puisse penser, je l'honore, je l'estime, je la chéris,
et je demande à Dieu de tout mon cœur qu'il nous la
conserve1. Conservez-vous aussi, ma très chère sœur,
et conservez-moi en même temps l'amitié qu'il me
semble que vous m'avez promise et qui m'est due par
la règle, que qui aime bien a droit d'être bien aimé. Pour
preuve, c'est que j'ai brûlé, il y a longtemps, tout ce
que vous avez désiré que je brûlasse, et qu'il n'en est
rien resté. C'était pourtant un petit morceau d'histoire
fort joli, et il n'y avait rien de plus divertissant. Adieu,
ma chère petite sœur, priez Dieu pour moi, mais de
votre mieux, je vous en prie, et soyez persuadée que
je suis tout à vous en Jésus-Christ.
1. MUe de Joncoux lui répond, le 2 octobre : « Je vous avoue que son
état, toujours languissant et dénué presque de toute consolation, me
fait une extrême peine, et il me paraît qu'elle mériterait bien qu'on
y ait quelque égard et qu'on passe par-dessus les petits sujets de
mécontentement, supposé même qu'ils soient bien fondés. » (Archives
d'Amersfoort, boîte 11.)
il. 10
146 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Voici la suscription de cette lettre :
Pour le petit Coq, à la ménagerie
Je ne le féliciterai de ce qu'on lui donne pour le faire
chanter que quand je l'aurai vu. Il est franc comme la
natiou dont il est le symbole. Je suis, etc.
Quesnel à M. Despréaux1
Bruxelles, 28 septembre 1701.
Je suis trop sensible à l'honneur et au plaisir que
vous me faites, Monsieur, pour manquer à vous en
témoigner ma reconnaissance. Je ne vous en ferai pas
un long compliment2. Je vous dirai en un mot, mais
avec toute la sincérité possible, que j'estime infiniment
le présent dont vous m'honorez, et que, le regardant
comme une marque de votre bonté pour moi (je n'ose
dire amitié), c'est un monument qui me sera toujours
très précieux. Il ne le sera pas néanmoins par ce seul
endroit. Car, le regardant comme un monument public
que vous avez élevé à la mémoire du grand homme
qui vous en a lui-même élevé un de votre vivant, il
m'est cher au-delà de tout ce que je vous en puis dire,
et je ne vous suis pas moins obligé, Monsieur, de la justice
que vous lui rendez que de la grâce que vous me faites.
Je suis sûr de trouver le public dans les mêmes senti-
ments de joie et de reconnaissance que j'en ressens.
11 vous regardera, Monsieur, comme le libérateur de la
mémoire de M. Arnauld. Elle était comme captive de
1. Bibl. nat., ms. 19730.
2. Boileau-Despréaux avait envoyé à Quesnel la plus récente édition
de ses œuvres, qui fut aussi la dernière qu'il ait revue lui-même, et
celle qu'il préférait. Elle parut en 1701, en un volume in-4°, ou en
2 volumes in-12.
CORRESPONDANCE DE PASQUTER QUESNEL 147
la timidité des hommes et de l'injustice du siècle. Vous
la mettez en liberté. La générosité avec laquelle vous
parlez d'un tel ami déliera la langue des amis les plus
craintifs, et ils ont sans doute, maintenant, de la joie
qu'il se soit trouvé un homme de votre mérite qui ait
eu le courage de publier sans respect humain ce que
tout le monde avait dans le cœur. Je voudrais que la
Providence me fît naître quelque occasion de vous mar-
quer par des effets mon respect et ma reconnaissance,
pour moi et, pour notre illustre ami. Gomme c'est par
rapport à lui que vous m'avez bien voulu faire part de
vos ouvrages, ce m'est un nouvel engagement à révérer
sa mémoire, et une obligation particulière qu'il vous a
de ce que vous voulez bien même le regarder dans ceux
pour qui il a eu de la bonté durant sa vie. Je ne doute
pas qu'il ne vous regarde, Monsieur, du lieu où il est,
et qu'il ne vous obtienne de Dieu la grâce de lui con-
sacrer d'une manière toute particulière le reste de vos
jours et de l'aimer de cet amour que vous avez rendu
si aimable aux vrais chrétiens dans vos vers, et que
vous avez défendu avec tant de force contre ses ennemis.
Je joindrai mes faibles prières aux siennes, n'ayant point
d'autre moyen, et n'y en ayant point en effet de meil-
leur, pour vous faire connaître que je suis, avec une
singulière estime et un profond respect, etc.
Quesnel à MUc de Joncoux{
Bruxelles, 26 octobre 1701.
Je ne crois pas qu'il faille attaquer l'assemblée : il n'y
a rien à gagner, beaucoup à perdre. Il me semble, au
contraire, qu'il faut tâcher de la tourner toute de notre
côté. Elle est presque toute contre nos bons Pères. Leur
morale, les fondements du molinisme, y sont sapés. Il y
1. Bibl/nat., ms. 19736.
148 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
a quelques propositions qui déplaisent, ou plutôt dont la
censure déplaît. 11 n'y a que celle du Phantôme à laquelle
on puisse prendre quelque intérêt ; les autres sont outrées
et méritaient d'être censurées. Pour cette autre, il faut
soutenir que cela put être l'intention du clergé de la
censurer et condamner en elle-même, attendu qu'elle
a été avancée par tels ou tels et qu'on ne l'a point prise
du livre qui en porte le nom, ce qui était bien plus
naturel, mais d'un livre latin inconnu. Elle l'a donc
censurée à cause de la dureté de l'expression, comme
quelques propositions de Baius ont étécensuréesjwopter
censurœ acerbitatem.
Par ce moyen on sauve l'honneur de l'assemblée, et
je crois qu'ils n'en seront pas fâchés; on lui conserve
son autorité pour la condamnation des casuistes et du
molinisme; on ne les aigrit point; on n'irrite point les
puissances, et on ne donne pas sujet de dire qu'on s'élève
contre les oints du Seigneur, dont on peut avoir besoin
en d'autres occasions. Voilà ma pensée.
Je n'ai nulle répugnance à écrire à la pauvre malade1 ;
mais je suis si accablé de petites affaires que je ne sais
quand je le pourrai faire.
Cette petite réduplication, amie, mais bonne amie, me
plaît bien dans votre lettre. J'en prends acte devant vous-
même, et je vous assure que je suis très sincèrement votre
ami, mais bon ami. Que ce soit tout pour la gloire de notre
commun Maître et bien dans son esprit! Car, en vérité,
ma pauvre petite sœur, il faut tout faire pour lui et que
son esprit soit le principe de tout ce que nous faisons,
et lui la lin de nos désirs et de tout ce que notre cœur a
de mouvement et de vie.
l.'tM"'c de Fontpertuis.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 149
Quesnel à Mll\ de Joncoux
Bruxelles, 27 octobre 1701.
On a quelque pensée de faire imprimer dans un volume
ce qu'il y a d'écrits français pour la défense des deux
propositions condamnées en Sorbonne, afin que les dames
qui ne sont pas latines puissent avoir leur part dans
l'instruction de ce procès. En ce cas-là, il serait fort à
propos que l'on mît à la tête l'histoire française du doc-
torat, qui est en latin à la tête de la Causa Arnaldina.
— Gela vous regarde, me direz-vous. — Oui, mais je
n'en ai pas le temps. S'il se trouvait donc quelque part
une bonne âme qui eût la dévotion de faire la traduc-
tion de cette pièce, cela servirait beaucoup à entreprendre
le travail de l'édition. Je connais bien une bonne petite
amie, qui ne manque pas de bonne volonté ni détalent
pour cela ; mais que sais-je si elle a le temps, la santé,
enfin la disposition de s'y appliquer?
Vous m'en diriez bien des nouvelles, ma très chère et
honorée sœur, et j'en attends au plus tôt, afin que nous
puissions prendre nos mesures.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 27 novembre 1701.
Nous attendrons à juger du nouveau Catéchisme de
Montpellier^, qu'il paraisse en public, ou plutôt après le
1. LeCatéchistne de Montpellier parut à Paris, en 1702. Il est du P. Fran-
çois-Aimé Poujet, de l'Oratoire. Il fut adopté par l'évêque de Montpellier,
Colbert de Croisy, et approuvé par le cardinal de Noailles, puis con-
damné plus tard par un décret de Clément XT, le 1er février 1712, comme
renouvelant certaines hérésies de Quesnel sur la grâce. Une des propo-
sitions frappées (t. Il, 2e partie, sect. 2, eh. n) dit que la lecture de
150 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
jugement que vous me mandez qu'en font des juges de
la grand'chambre. J'y souscris dès maintenant. C'est une
chose bien consolante de voir un jeune évoque s'appli-
quer si solidement à son devoir.
M. de Rouen1 fait fort bien de faire donner à ses ecclé-
siastiques de meilleures instructions que celles qu'ils
peuvent recevoir des eudistes qui ont son séminaire et
des jésuites qui le voudraient bien avoir.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 7 décembre 1701.
Je ne doute point que M. l'archevêque de Rouen
n'emporte son affaire. Le droit des évoques est trop clair.
Ce serait une plaisante chose que les jésuites se pussent
faire faire, par lettres patentes, théologaux, c'est-à-dire
vicaires des évoques pour la doctrine, la principale de
leurs fonctions. Naturellement il ne devrait point y
avoir de professeurs en théologie, dans un diocèse, qui
n'eussent été examinés et approuvés par l'éveque; car,
pourquoi plutôt pour confesser et pour prêcher que
pour enseigner la doctrine de la foi2?
Y Ancien et du Nouveau Testament « doit être l'occupation ordinaire des
fidèles ». Voilà qui est « faux et injurieux à l'Eglise »! Tout est à l'ave-
nant dans cet absurde décret, dont se plaindront amèrement les sept
évêques appelants, dans une lettre au pape Innocent XII 1, du 9 juin 1721.
1. Jacques-Nicolas Golbert, archevêque de Rouen, de 1691 à 1707.
2. Dans sa requête au roi pour répondre aux plaintes des jésuites,
Jacques-Nicolas Golbert dit que, « s'étant trouvé maître, il y a six mois,
de la prébende théologale de son église, il pourvut de ce bénéfice un
docteur de la maison et société de Sorbonne, très capable d'enseigner la
théologie aux ecclésiastiques de son diocèse ». Il se plaint plus loin
que, « pendant que les chanoines délibéraient, on leur écrivit une lettre
anonyme, que l'on a de fortes raisons d'attribuer aux jésuites, et qui
ne tendait qu'à soulever le chapitre contre son archevêque ».
« Quelques ménagements, ajoute-t-il, qu'un évêque ait pour eux, ils
lui seront toujours opposés, s'il ne leur abandonne pas sans réserve la
doctrine. C'est à vous, Sire, à juger s'il convient au bien du royaume
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 151
On fait venir à Rome M. Casoni, nonce à Naples,
pour être secrétaire de la congrégation des évêques et
des réguliers, et sans doute pour être cardinal à la pre-
mière promotion. C'est le neveu de feu M. Favoriti et
très bon sujet.
Le pape vient de faire vicaire apostolique de Bolduc,
pour remplir la place du sieur Steyaert1, un homme
perdu de réputation pour ses impudicités. C'est M. l'ar-
chevêque et l'internonce qui ont fait cela, avec le secours
du sieur Fabroni. Cela est horrible. C'est un M. Gouvaerts,
qui est vicaire général de cet archevêque. Le pape
était fort instruit de sa méchante conduite, et, dès le
mois de juillet, il avait donné parole à M. du Vaucel,
qu'on ne penserait point à ce sujet si misérable. Que
peut-on attendre d'un tel pape après une telle démarche?
Que M. l'abbé Renaudot le prône après cela!
Toutes les informations de ses désordres sont en
Espagne, entre les mains du conseil de Flandre. Si Sa
Majesté s'en veut faire informer, elle connaîtra quel
personnage on met pour gouverner une Eglise qui est
au milieu de l'hérésie2.
de conférer l'instruction des ecclésiastiques à un corps absolument dé-
pendant d'une puissance étrangère, plein de principes ultramontains
si souvent condamnés. » (Archives d'Amersfoort, pièces sur le jansé-
nisme, boîte R.)
1. Martin Steyaert, docteur de Louvain et professeur en théologie,
avait fait, en 1675,1e voyage de Rome, député par la faculté. Les jansé-
nistes lui reprochèrent amèrement d'avoir abandonné leur parti pour
le molinisme et de les avoir ensuite persécutés, dans les Pays-Bas et
ailleurs. 11 mourut, en 1701, à cinquante-quatre ans.
2. La ville de Bois-le-Duc ou Bolduc avait été prise sur les Espagnols
par le prince d'Orange, en 1629. L'évêque et le clergé se retirèrent en
Espagne ; mais on permettait aux catholiques de faire l'office divin dans
des maisons particulières.
152 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUÈSNEL
Quesnel à M. Vuillart
11 décembre 1701.
Je vous remercie du Lundi du savetier d'Apollon.
Ses vers ne sont guère bons qu'à lui donner beaucoup
de vanité et à lui faire perdre son temps. Un quart
d'heure de prière en prose vaudrait mieux que tout cela.
Cela me fait souvenir du bon P. Saint- Pé, qui faisait
des vers de piété qui n'étaient pas excellents; mais il le
savait bien. M. Esprit1, qu'on nommait de l'Oratoire et
qui y demeurait, sachant que ce bon Père était en
retraite, lui envoya un billet en vers qui finissait par
ceux-ci :
Mais, entre vos péchés divers
Qui chargent votre conscience
Et dont vous faites pénitence,
N'oubliez pas vos méchants vers.
J'aurais bien de la joie si Dieu manifestait la sain-
teté d'un roi2. En ce temps-ci, il n'y en a pas à foison
de ce caractère; mais je ne me presserai pas de le croire,
et il se faut bien garder de le publier qu'il ne soit bien
avéré.
Quesnel à Mnc de Joncoux*
Bruxelles, 18 décembre 1701.
Vraiment vous êtes bien de votre pays, mon cher petit
frère, de délibérer si on m'enverra la quatrième Lettre
1. Jacques Esprit n'appartint à l'Oratoire que de 1629 à J635 et rentra
dans le monde. Il mourut en 1678, membre de l'Académie française.
11 était grand ami, au point de vue intellectuel, de M. de La Roche-
foucauld.
2. Le roi Jacques II était mort à Saint-Germain, le 16 septembre 1701.
3. Bibl. nat., ms. 19735.
CORRESPONDANCE DE PASOU1ER QUESNEL 153
apologétique, et d'attendre que je dise oui pour l'envoyer.
J'ai écrit par occasion au frère Germain [M. Vuillart]
qu'on me l'envoie incessamment, et, s'il ne Ta pas fait,
je vous prie de vous en charger. On imprime déjà
la seconde, et il faut que la quatrième soit dans son
rang. Car tout ce qui est de la griffe du lion passera
devant, dans le premier volume, et le reste dans le
second, de sorte que, si je ne l'ai devant les fêtes, il
faudra commencer le deuxième pour attendre le mor-
ceau précieux. Pourvu que ce ne soit pas un quiproquo !
Je suis bien aise que ce recueil soit fait1, afin qu'on ait,
dans le monde non latin, de quoi répondre aux cla-
meurs de ceux qui allèguent à tout moment la perte
de ce procès. Je voudrais que tout le grand travail fût
fait dans ce volume. Il se lirait, au lieu que l'in-folio
se mettra dans une bibliothèque pour y servir d'orne-
ment. Je vois bien que c'est M. Paulin [Ernest Rnth d'Ans]
qui vous a fait le bec pour dire que c'est recaler le
grand recueil. 11 n'y a pas le moindre secours à attendre
de lui sur ce sujet-là. Il y a plus à travailler qu'on ne
pense, et il faut du temps pour cela. Je ne crois pas que le
docteur dont vous m'avez envoyé les cahiers s'avise de
mettre la censure entière. Ce n'est que celle des quatre
propositions des jansénistes. Il ferait bien de l'honneur
à ses bons amis daller exposer leur honte aux yeux
du public.
Oui, j'avoue que rien n'est plus incommode que
d'avoir à revoir la traduction d'autrui. J'aimerais
quasi mieux la faire de mon chef tout entière. Cepen-
dant je suis bien obligé à celui qui en prend la peine et
à la chère personne qui la revoit.
1. Quesnel s'occupe de la publication de la. Justification de M. Avnauld,
3 volumes in-12, dans lesquels il fit entrer une partie delà Causa Arnal-
dina, parue en Hollande en 1699.
154 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 21 décembre 1701.
On ne savait pas encore à découvert, à Rome, la
nomination du sieur Gouvaerts au vicariat apostolique.
Ils le couvrent du voile du secret qu'ils ont mis à
cette affaire, afin, sans doute, que si deçà on refusait de
l'admettre, on n'en fît point de bruit. Mais il a été servi
à point nommé et a eu la place sans délai, avant
môme que le vent en fût venu à personne. Le rési-
dent de Hollande s'en est plaint. L'internonce lui a
donné une défaite.
Il ne faut pas que M. Despréaux songe à répondre à
ma lettre. Son présent était une lettre magnifique qu'il
aurait fallu m'envoyer enveloppée d'un brocard d'or,
comme les lettres du sultan à des empereurs du Levant.
Je le salue très respectueusement et lui souhaite une
heureuse année. Je vous donne pour tous les amis une
ample procuration pour le même sujet.
Quesnel à M. Brnnet{
Bruxelles, 29 décembre 1701.
J'avais appréhendé que le livre de la Chine ne fût trop
gros pour envoyer par notre voie; mais le voilà toute-
fois que je mets en chemin, avec espérance qu'il arri-
vera jusqu'à vous. Je voudrais avoir quelque chose de
meilleur pour vous régaler, et vous me feriez le plus
grand plaisir du monde si vous me donniez occasion
de vous servir en quelque manière en ce pays-ci. Mais
je désespère que vous me fassiez cette grâce.
On a mandé de Paris à Rome que le roi, par arrêt
1. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5782.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QTJESNEL 155
deson conseil, avait cassé l'ordonnance deM. l'archevêque
d'Aix1 ; mais j'ai bien assuré par avance que cela n'est
pas. Quelque besoin qu'on -ait de Rome, je ne crois pas
qu'on leur voulût faire un sacrifice des droits de Fépis-
copat.
On attend à Rome la décision de l'affaire de la Chine.
Le pape envoie là un visiteur, qui est un abbé de Tour-
non, savoyard2. Sa Sainteté a néanmoins assuré positi-
vement que cela ne retardera point la décision; mais
on craint que ce ne soit quelque chose de faible et
même qu'on ne la publie pas en Europe, mais que le
visiteur, ou légat a latere, l'emportera dans des lettres
closes qu'il n'ouvrira qu'à la Chine. Je suis tout à vous,
Monsieur, avec beaucoup de reconnaissance de votre
précieuse amitié.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 29 décembre 1701.
J'ai reçu le paquet du petit coq et celui du grand coq,
tous les deux du 23, avec tout ce qu'ils contiennent,
excepté que les pièces adjointes, que vous m'aviez
annoncées comme devant être jointes à la quatrième
1. André-Hercule de Fleury.
2. Lorsqu'il apprit la résolution de Clément XI d'envoyer un nouveau
visiteur prendre des renseignements en Chine, Bossuet n'approuva pas
le pape : « Sa conduite est une illusion, dit-il; c'est ne pas vouloir finir
l'affaire et la renvoyer aux calendes grecques. Ajourner le jugement,
c'est donner gain de cause aux jésuites. Il leur sera aisé de gagner un
seul homme. Les évêques, créés par le Saint-Siège pour la Chine, sont
les seuls juges compétents dans cette affaire. » Et tous s'étaient pronon-
cés contre le sentiment des jésuites, lesquels avaient eu l'idée baroque
de faire intervenir l'empereur même de la Chine pour témoigner en
faveur de leur opinion, en matière de culte. Maillard de Tournon ne
partit de Rome, comme cardinal, qu'en 1703. Il devait mourir, en
véritable martyr, persécuté par les jésuites, après une dure captivité, à
Macao.
156 CORRESPONDANCE DE PASQÙIER QUESNËL
Lettre apologétique ou soi-disant telle, ne s'y sont pas
trouvées. Ce sont de petits grains friands que notre petit
coq aura gobés et mis en réserve dans son jabot; mais je
ne suis pas d'avis de lui couper la gorge pour lui
reprendre. 11 rendra tout de bonne amitié, sans en
venir là1.
Tant que nous attendrons encore le nouvel an, je ne
cesserai de vous le souhaiter aussi fécond en grâces et
en bénédictions que je le souhaite pour mon meilleur
ami, qui, entre nous, est moi-môme.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 4 janvier 1702.
11 y a bien des théologiens qui ne goûteront pas que
l'on fasse entrer le pape dans la définition de l'Eglise.
Bon pour les évoques ou pasteurs, car l'Eglise n'a jamais
été sans pasteurs. Mais elle a été plusieurs années sans
pape. M. de Launoy a fait quelques lettres, pour faire
voir que c'est une nouveauté que de faire dépendre
l'essence de l'Eglise du pape, ou môme son intégrité.
L'épiscopat subsiste en son entier dans la vacance
du siège de Rome. On a eu peur de blesser les Romains.
M. de Meaux n'a pas eu peur dans son catéchisme, ni
beaucoup d'autres.
1. Quesnel écrivait, à la même date, à M"° de Joncoux : «On m'avait
fait espérer quelque petit bijou qui était joint à la quatrième Lettre,
mais je vois bien que le petit coq a plumé la poule. »
2. 11 s'agit du savant docteur Jean de Launoy, connu sous le nom
de «dénicheur de saints». S'occupant surtout de détruire les légendes, il
supprimait pas mal de saints du calendrier, ce qui faisait dire plaisam-
ment au curé de Saint-Roch: « Je lui fais toujours de profondes révé-
rences, de peur qu'il ne m'ote mon saint Roch.» Il attaquadans plusieurs
ouvrages les prétentions ultramontaines et fut exclu deSorbonne, ayant
refusé de souscrire à la censure du Dr Arnauld.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 157
Quesnel à M. Brunet{
Bruxelles, 26 janvier 1702.
Il me faut toujours venir à de nouveaux remercie-
ments avec un ami aussi obligeant et aussi attentif aux
occasions de faire plaisir que vous l'êtes, mon très cher
monsieur.
J'ai reçu la requête des deux Arnauld, Antoine et
Isaac. Je crois que ce dernier était calviniste2 et que
c'est lui dont j'ai vu l'épitaphe dans le jardin de Gor-
beville, chez Mme de Sainte-Marthe. Il est enterré là
sud dio, au pied de la chapelle qui est en haut. Je ne
sais ce qui est de l'ancienneté de leur noblesse. Le fils
aîné d'Antoine, M. d'Andilly, en était bien persuadé.
J'ai copie d'un mémoire où il parle lui-même : « Mon
père était originaire d'Auvergne, par une branche de
ceux de notre race dont l'origine était de Provence,
ainsi qu'on le peut voir dans Y Histoire de Provence de
César Nostradamus, où, en l'année 1195, Bertrand
Arnauld, etc. Et quant à ceux de notre nom qui s'éta-
blirent en Auvergne, dont je suis venu de père en fils,
de Gracieux Arnauld que les registres de la Chambre
des Comptes portent s'être trouvé, en 1340, à la bataille
du roi. 11 se voit par les papiers que j'en ai, dit-il, que
quelques-uns ont commandé une compagnie d'hommes
d'armes, et que, lorsque le connétable Charles de Bour-
bon quitta la France, il passa chez mon bisaïeul, nommé
Henri, gouverneur d'Herment dans la haute Auvergne,
l'un des gentilshommes de sa maison, fils de Michel,
1. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5782.
2. M. de la Mothe Arnauld, grand-père d'Arnauld d'Andilly, s'était fait
huguenot. « 11 ne se convertit, dit Sainte-Beuve, qu'après la Saint-Barthé-
lémy, et plusieurs de ses fils restèrent de la religion ou n'abjurèrent
que plus tard. Ce coin d'histoire, voilé le plus possible par ses petits-
fils de Port-Royal, fut relevé malignement par les jésuites. »
158 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
qui avait vécu cent quatre ans. Et il n'aida pas seule-
ment à le sauver, mais il le suivit, ce qui causa presque
sa ruine entière, parce que sa maison fut prise et pillée
par ceux qui cherchaient le prince. »
Il n'y a pas d'apparence que tout cela soit inventé,
étant tiré de papiers de famille. Il est si ordinaire
que les anciennes noblesses dépérissent et passent de
l'épée à la plume ou à la robe qu'il est aisé de s'ima-
giner que la disgrâce arrivée à l'occasion du connétable
aura pu être cause d'une semblable translation de cette
famille. Je ne suis nullement touché du silence sur
ces ancêtres nobles et militaires. Il aurait fallu parler
du connétable, et cela seul eût été peu favorable et
aurait donné lieu à sa partie de s'égayer. La cause était
toute d'avocats contre avocats. Il a trouvé à propos de
se contenter de faire mention des emplois de la robe.
Le célèbre docteur était persuadé de la noblesse de son
père et de sa mère, puisque, tout modeste qu'il était,
il leur a donné la qualité de nobles [Causa Arnaldina,
p. 13), et cela dans un temps où il s'était donné à la
piété d'une manière toute nouvelle. Je ne crois pas
que ce soit de fortes preuves que celles de gens de
même nom qu'on trouve dans l'histoire, à moins qu'il
n'y ait quelque chose qui détermine une preuve si
vague; mais aussi il ne suffit pas de s'inscrire en faux
contre, si on n'en a aussi de bonnes preuves. Quoi qu'il
en soit, je vous remercie de la requête. Elle n'est pas
de saison pour être imprimée, d'autant plus qu'on ne
sait point l'effet qu'elle eut. Les Mercures historiques
de ces temps-là en pourraient dire quelque chose. La
pièce est assez bien écrite. J'ajoute que, pour y parler
de sa noblesse, il aurait fallu avoir des preuves publiques ;
et il n'en avait que de domestiques, qui demandaient
des éclaircissements qui n'étaient pas du sujet.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 159
Quesnel à M. Vuillart1
Bruxelles, 3 mars 1702.
M. du Risoir, alias M. Voler [Vooler], neveu de
Mllc Vooler, vierge fort chrétienne et de la direction
de feu M. de Castorie, part demain pour Paris. M. Paulin
[Rut h (F Ans] qu'il va trouver, avait en vue l'hospice où
a logé le Père prieur [Quesnel], rue des Carmes, pour
l'y mettre avec lui. Vous en a-t-il parlé? Dans la crainte
qu'il ne trouve pas M. Paulin à Paris, j'en ai écrit à
notre cher frère de Sainte-Pulchérie, afin que ce jeune
homme ne tombe pas dans quelque piège, étant comme
tombé des nues à Paris. Je vous ai épargné cette peine,
car il faut ménager votre âge et votre corpuscule déli-
cat et encore tout trempé du naufrage. Je salue tous
les amis et les amies cordialement, et je suis tout à
vous et tout à eux.
Quesnel à M. Vuillart 2
9 mars 1702.
J'ai reçu une lettre de M. Paulin [Rut h d'Ans]. Je
crois que le besoin qu'il a eu d'une lettre, pour faire
agréer à M. Pralard qu'on puisse retirer quelques
exemplaires des Réflexions, m'a valu cette lettre.
J'aurais voulu vous envoyer les lettres des deux rois
bienimpriméesici sur le voyage et, en plus, une fort belle
et fort exacte relation de la journée de Crémone1. Mais
je n'ai pas été assez bien servi pour l'avoir, et puis
il m'a fallu aider notre Père prieur, qui a été conseillé
1. Bibl. nat., ms. 19730.
2. Bibl. nat., ms. 19730.
3. Le 1er février 1702, le prince Eugène s'attaque à Crémone et en est
chassé sur-le-champ par les Français et les Irlandais. Le maréchal de
Villeroy fut fait prisonnier.
160 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
de tous côtés de déménager, à cause du mauvais air.
C'a été un petit embarras ; maison mériterait d'en avoir
davantage, si on était plus à Dieu. Il n'est pas allé
bien loin, et vous pourrez toujours adresser comme à
l'ordinaire.
Quesnel à M. Vuillart{
14 mars 1702.
Le Père prieur est en dépôt, je ne sais où. Son économe
cherche un bel emplacement pour y faire son hospice,
car il faut quelque chose de beau pour l'emplacement
d'un si grand monastère. Il faut voir comment nous
ferons venir de quoi; je crois qu'il n'y a point d'autre
voie que celle d'une lettre de change. On y perd beau-
coup ; mais il faut passer par là.
Si c'est de son patrimoine que le prélat défunt fait
des legs à messieurs ses neveux, et qu'ils en aient besoin,
à la bonne heure ; mais si c'est du bien de l'Eglise,
c'est-à-dire des pauvres, à la maie heure pour le dona-
teur et les donataires. Un évoque riche garder deux
abbayes ! Il avait autrefois Vezelay en Bourgogne. Vous
m'aviez mandé que M. Laigneau quitterait son doyenné.
Pourquoi faut-il donner de tels exemples de pluralité?
Mais je n'ai pas le loisir de faire procès au tiers et au
quart, car j'ai des affaires.
Le pauvre Livonien [M. Prunslerer] s'est avisé de
me faire un présent que M. le chanoine a fort mal fait
de recevoir : c'est une montre d'or que sa mère, dit-il,
lui avait donnée, et qu'il veutqueje garde en mémoire
de lui. Je n'ai pas de commodité pour la lui renvoyer;
cela même lui ferait de la peine. C'est aussi, d'un autre
côté, un meuble qui ne convient pas à un prêtre. J'en
avais une que la sœur de M. Michelin [de Pontchâteau]
m'avait obligé de recevoir quand je partis de Paris. Je
4. Bibl. nat., m s. 19730.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 161
m'en suis défait et en ai fait, grâce à Dieu, un bon usage.
Je verrai, avec le temps, comment je pourrai en faire
autant de celle-ci, si elle me demeure. Cependant il
ne faut pas recevoir le pain des pauvres gratis.
Il est certain que M. Arnauld a passé à la chanoinie.
Mais le doute est sur la chantrerie, qui n'est venue que
depuis. Mme de Feuquières, qui la procure, est-elle née
ou est-elle morte huguenote? Il me semble que Bayle,
dans son Dictionnaire, l'assure. Elle était fille d'Isaac
Arnauld, enterré dans le jardin de Gorbeville, et que je
crois qui est mort huguenot.
M. l'abbé de Feuquières1, qui est fait évêque d'Agde,
est apparemment celui qui était trésorier de l'église
d'Angers, et fils de celui qui est mort ambassadeur en
Espagne.
Le petit coq a beau chanter, il n'aura pas encore ce
qu'il désire sitôt. Je ne puis me résoudre de le donner
qu'il n'ait été revu par quelques amis, et, pour cela, il
faut l'envoyer. Vous en avez déjà un morceau dans les
cahiers que je vous prie de tenir toujours par un bon
bout, afin qu'il ne s'égare pas et qu'on ne le copie
pas pour l'employer ailleurs. Il ne faut pas s'amuser
à divertir le monde par l'apparence d'un impromptu.
11 faut traiter sérieusement les affaires de la vérité. On
est si détourné par d'autres choses qu'on ne trouve pas
de temps.
Quesnel à M. Vuillart2
Bruxelles, 21 mars 1702.
Vous criez si haut « merci », que je vous ai entendu
de mon trou, et vous ai aussitôt exaucé. Car comment
s'empêcher en carême de pardonner?
J'ai peur que l'ennui du jeune voyageur [M. Vooler]
\. Philibert-Charles de Pas de Feuquières, évêque de 1702 à 1726.
2. Bibl. nat., ms. 19730.
il. H
162 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ne vienne de ce qu'il ne trouve pas de compagnons
d'humeur gaillarde. Entre nous, on l'a voulu un peu
dépayser de certains compagnons avec qui il était trop
lié et, entre autres, celui qui a si mal profité de son
voyage à Paris.
Je ne doute point que le P. Paulin [Ruth d'Ans] n'ait
fait de son mieux et avec bon conseil. Il ne manque
pas d'adresse et d'industrie.
J'ai vu le Père prieur en son nouveau gîte, où il n'est
que par emprunt1. Il a pris ce qui s'est présenté, et il
n'a pas eu peu de peine à le trouver. Mais je le crois bien
résolu à ne pas retourner au premier hospice. Ce serait
toujours à recommencer. Le pas est fait, c'était le plus
difiicile. Il n'est plus question que de trouver un hos-
pice iixe ; on est après à le chercher, et il n'est pas
moins difficile de le trouver. J'espère que Dieu s'en
voudra bien mêler, et que ne trouve-t-on point quand
on cherche sous ses auspices? Joignez-vous au Père
prieur et priez avec lui le Seigneur qu'il le place lui-
même; car il y a plusieurs demeures dans la maison
de notre père, je dis dans la maison d'en bas aussi
bien que dans celle d'en haut.
Voilà bien des évêques morts. Dieu veuille remplir
tout ce vide par des personnes dignes d'un si grand
ministère ! Les abbés de Pomponne et de Gaumartin
n'en seront-ils point?
Quesnel à M. Vuillart2
Bruxelles, 28 mars 1702.
Voilà donc le roi Guillaume3 qui s'en est allé fort
tranquillement en l'autre monde, après avoir mis le
1. Le P. Quesnel s'était enfin décidé, pendant le voyage de M. Ernest
Ruth d'Ans à Paris, à se séparer de lui et à changer de domicile.
2. Bibl. nat., ms. 19730.
'A. Guillaume d'Orange, roi d'Angleterre, mourut le 19 mars 1702, à
cinquante-deux ans.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 163
feu par deux fois en celui-ci. Il est mort le jour de
Saint-Joseph, patron de la monarchie d'Espagne, dont
on fit la fête le dimanche même en ce pays par cette
raison. La nouvelle arriva, la nuit du 24 au 25. Dieu
sait quelles suites cet événement aura.
Je remercie X... de sa chère sollicitude. Un bon
canif de son choix m'accommoderait mieux que ceux
de ce pays, qui sont de vrais couteaux et presque des
sabres. Le chanoine [Rulh d'Ans], en revenant, s'en
pourrait charger.
Nous cherchons à nous placer, et il n'est pas facile de
trouver. Je mande à M. de Fresne1 de faire transporter
les caisses.
Quesnev à M. Brunet2
Bruxelles, 30 mai 1702.
M. Bayle, dans son Dictionnaire critique, fait un
procès à M. A. [Arnauld] sur l'affaire de Mlle des Lions.
« Elle plaidait contre son père, dit-il ; il la protégea
dans ce procès autant qu'il put. Cela n'est point d'un
casuiste rigide. » Gela est impertinent de prétendre
généralement qu'il ne soit pas de la morale exacte de
plaider contre un père ou contre une mère. M. le baron
de Renti plaida contre sa mère. Il ne serait pas mauvais,
pour s'en servir dans l'occasion, d'avoir en main des
exemples de gens de bien qui aient plaidé contre père
ou mère.
Il paraît que M. Bayle n'a pas vu ce qu'on a dit sur
cette affaire, dans les Avis importants au R. P. recteur
des jésuites (page 40). Le même auteur de ces Avis a
1. Son frère Guillaume Quesnel.
2. Bibl. de l'Arsenal., ms. 5782.
164 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
inséré ailleurs un billet de M. des Lions, où il témoigne
l'estime et l'amitié qu'il conservait toujours pour
M. Arnauld. Mais je ne me souviens point où cela est.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 30 mai 1702.
Nous avons prié Dieu pour le pauvre P. Bouhours1.
Il est jugé. Je souhaite que ce soit un jugement de mi-
séricorde.
C'est partout (hors la France et peut-être Venise) que
les jésuites héritent. Ils le font ici ; ils composent ordi-
nairement avec les parents. Un baron de Neve, qui est
mort il n'y a pas longtemps, était novice chez eux ou
jeune profès. On leur offrit 100.000 livres de sa succes-
sion; ils ne s'en voulurent point contenter. On ht si bien
que le jeune homme sortit. Ils n'eurent ni la vache, ni
le veau, et ce baron a été fort contraire depuis à la
société.
Le poulet malade du petit coq est-il un de ses
neveux ? Est-il déjà au collège ? Si Dieu le veut prendre,
il le faut laisser faire ; car, outre qu'il est le maître,
il sait bien, quand il retire un enfant de si grand esprit,
qu'un grand esprit est un grand mal et un méchant
instrument, à moins que, par une grâce singulière, le
Saint-Esprit ne s'en rende le maître pour en faire un
instrument pour le bien.
Quesnel à M. Vuillart
Bruxelles, 13 juin 1702.
La méprise d'un grand-vicaire pour un autre est assez
gaillarde. Cependant l'évêché demeurera à celui qui le
1. Le P. Bouhours était mort le 27 mai ,1702.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 165
tient. Il n'en fut pas ainsi d'un sac de 1.500 livres, qui
fut porté au P. Le Comte, jésuite, au lieu du P. Le Comte,
de l'Oratoire, à qui feu M. Colbert l'avait fait envoyer
de la part du roi. Il fallut le rendre, quoique l'économe
s'en fût déjà saisi et qu'il en eut, dit-on, déjà employé
une partie.
Quesnel à M. Vuillart l
Bruxelles, 16 juin 1702.
M. Le Blond et son compagnon2 sont dans le plus fort
de leur déménagement d'une part et emménagement
de l'autre 3. L'ami de Valenciennes leur a envoyé une
bonne sœur, fort sage et fort modeste, pour les aider dans
leur nouveau ménage. Si elle sait faire de bonne soupe
(ce que je crois fort problématique), on vous en donnera
avis, afin que vous en veniez manger. Il faudra qu'ils
en fassent l'essai, afin que vous ne soyez pas empoi-
sonné.
Quesnel à M. Vuillart'*
Bruxelles, 15 juillet 1702.
Vous serez- vous souvenu qu'il y eut hier soixante-
huit ans que je suis enfant d'Adam, et aujourd'hui au-
tant que je suis enfant de Dieu par sa miséricorde.
Louez Dieu et le remerciez d'une si grande grâce, et
lui demandez que j'y réponde comme je le dois.
1. Bibl. nat., ras. 19730.
2. Quesnel et M. Du Bois Brigode.
3. A son retour de Paris, M. Ernest Ruth d'Ans écrit à Mlle de Jon-
coux, de Bruxelles, le 13 mai 1702: « 11 faut vous dire que la séparation
d'avec M. de Fresne [Quesnel] est résolue et déclarée, et je vous avoue
que j'y trouve bien de l'avantage. » Le P. Quesnel en trouvait aussi.
Des deux côtés on était donc satisfait de ce changement de condition.
4. Bibl. nat., ras. 19730.
166 CORRESPONDANCE DE PASQUlER QUESNEL
Je reçus le présent de notre très cher M. Drappier
(Rollin), dont je suis très content. L'endroit du fait,
quoique un peu enveloppé dans un énoncé générique et
conditionnel, ne laisse pas d'être bon. Et, si d'autres
suivaient cet exemple, cela produirait un bon effet. La
planche est faite pour ceux qui voudront passer.
Quesnel à MUe de Joncoax [
Bruxelles, 19 juillet 1702.
Je n'ai qu'un moment, ma chère amie, pour vous
dire qu'il y a longtemps que je n'ai reçu de vos nou-
velles. D'où vient donc? Si c'est que vous soyez
abîmée dans la contemplation, ah! bon cela, gardez-
vous bien d'en sortir. Si vous croyez que le silence
vaut mieux que des lettres, je suis fort de votre senti-
ment; mais je ne veux pas me fatiguer à deviner. Je
vous dirai seulement que j'ai prié un ami de vous don-
ner un factum en trois parties?. Je crois que cela aura
été exécuté ; sinon, vous pouvez le demander.
M. le chanoine de ce pays [Rut h d'Ans] est aussi
chargé de vous en faire tenir un second, qui sera pour
votre ami que vous aviez engagé à la traduction d'une
préface. Car, quoiqu'on ne se soit pas servi de la tra-
duction, on lui en a la même obligation. Vous direz
votre sentiment, mais librement, sur le tout.
1. Bibl. nat., ms. 19736.
2. Justification de M. Arnauld, 3 volumes in-12, publiés par Quesnel
en 1702, et dans lesquels il fit entrer une partie de la Causa Arnaldina,
parue en Hollande en 1699.
CORRESPONDANCE DE PASQUÎER QUESNEL 161
Quesnel à M. Vuillart1
Bruxelles, lor août 1702.
Vous auriez pu, mou cher frère, mettre en deux
mots l'adresse pour l'inconnue. Je perdrai bien du temps
à la chercher, et peut-être sans la trouver. Tout se
brouille dans un déménagement non encore débrouillé.
Ah ! je ne saurais espérer d'avoir jamais dans la com-
munauté un dom Albéric \M. Louail]. Je n'ose même
le demander à Dieu. Je me trouve trop indigne [d'une
telle douceur ; car vraiment, quoique je n'aie fait, pour
ainsi dire, que l'entrevoir, j'ai bien compris néanmoins
qu'il est du bois dont on peut faire un ami du cœur,
à se tout dire l'un à l'autre. Je demande à Dieu qu'il
fasse sa volonté. J'aurais besoin d'un rustre qui me fît
faire pénitence, et non pas d'un aussi bon cœur qui
comble le mien de douceur. Cependant Dieu est le
maître.
Quesnel à M. Brunet, avocat en Parlement,
à r hôtel de Sourdiac,
rite Garancière, derrière Saint-Sulpice , à Paris-
1er août 1702.
Avez-vous vu le mandement de M. l'évêque de Ghalons
pour la publication des censures du clergé? Il y a inséré
un article touchant la distinction du fait et du droit,
qui ne doit pas déplaire à d'honnêtes gens. C'est quelque
chose que d'avoir osé faire la planche aux autres3. Peut-
1. Bibl. nat., ms. 19730.
2. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5782.
3. Gaston de Noailles, frère de l'archevêque de Paris, était d'un carac-
tère beaucoup plus ferme que le cardinal. Ce dernier s'en plaint douce-
ment dans une lettre du 4 mai 1703: « Vous avez toujours peur que je ne
168 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
être trouvera-t-il des imitateurs, et, si on commence une
fois à parler ce langage, certaines gens se trouveront
bien loin de leur compte. Il faut voir comment cela sera
reçu. Mal, sans doute, de ceux dont je viens de parler,
et, s'ils trouvent lieu à en faire usage pour mettre le
prélat sur le côté, ils n'y manqueront pas. C'est ce qui
doit faire avoir plus d'estime à la conduite du prélat
que cette considération n'a pu empêcher de suivre le
mouvement de sa conscience. S'il y a du bien à faire,
c'est aux évêques de France aie faire. Car, pour Rome,
il n'en faut rien attendre de bon de ce pontificat, un des
plus misérables qu'on ait eus depuis longtemps, s'il con-
tinue comme il commence. On vous aura dit le tour
qu'ils ont joué à Msr de Sébastc, dont ils renversent la
mission, en mettant des étourdis, des ambitieux, des
gens très méprisables sur le chandelier, et en mettant
sous le boisseau ceux qui étaient vraiment la lumière et
le sel de cette pauvre mission. Au départ du dernier
courrier, le prélat n'avait encore rien appris de son affaire
du côté de Rome, et il venait d'apprendre, parles lettres
de Hollande et de Flandre, qu'on ravage son troupeau,
pendant qu'on lui donne où il est des baisers de Judas.
Rien n'est plus indigne, et je voudrais que les cris d'in-
dignation que les gens de bien jettent sur cette affaire
pussent aller jusqu'au trône de saint Pierre. Cependant
voilà le patriarche d'Antioche parti, sans qu'on sache
rien de la décision de la Chine. On dit qu'il y en a une,
ou un projet qui serait de condamner absolument les
cultes solennels de Confucius et des morts comme mau-
vais, et de prohiber seulement les moins solennels sous
peine d'excommunication.
vous conseille pas assez en évoque, qu'il n'y ait de la mollesse dans mes
avis. Ce que je crois prudence vous paraît faiblesse ; votre zèle vous l'ait
croire que je n'en ai pas assez, et je crains bien que vous n'ayez raison. »
(Bibl. nat., ras. 23215.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 169
Qiiesnel à MUe de Joncoux [
Bruxelles, 11 août 1702.
Vous avez vu la première partie au moins de la
réplique du Père prieur au ministre du Masier. Voici
ce qu'il écrit : « Je suis si las d'écrire contre ces gens-là
que la plume me tombe des mains. Ce n'est que mau-
vaise foi, chicaneries, calomnies hardies. A quoi bon
fatiguer le public sans espérance d'aucun fruit? Je vous
le dis : j'aime mieux laisser triompher le ministre que
d'avoir à chamailler continuellement contre lui. Per-
sonne ne veut rien faire. Tout tombe sur un homme
qui doit se préparer à mourir. Le jeu ne vaut pas la
chandelle. »
De plus on ne peut réfuter ces gens-là en peu de
paroles, et cependant on ne trouve point de gens qui
veulent lire ces livres, ni qui veulent les imprimer. Qu'on
voie donc si on ne peut faire quelque chose des matériaux
envoyés; si on trouve au delà quelqu'un qui les veuille
imprimer ; si on peut les donner, les uns après les autres,
en plusieurs volumes séparés; si on les adressera à celui
qu'on réfute (je veux dire si on lui adressera la parole).
On pourrait donner d 'abord ce qui concerne les anciens au-
teurs catholiques; ensuite on fait un second plat, et après
un troisième. Le Père prieur pourrait envoyer encore
un supplément. Il faudrait que quelqu'un prît la peine
de regratter, limer, corriger, abréger ce qu'on a envoyé.
Enfin, dit le Père prieur, j'ai d'autres choses à faire,
et, si on se met à répondre à tout ce que ces ministres
obstinés voudront écrire, cela ne finira point, et la vie
finira bientôt.
Il faut savoir se laire, cela vaut mieux la plupart du
temps ({ne de parler. Si on est raillé, c'est un petit
1. Bibl. nat., ras. 19736.
170 CORRESPONDANCE DE PASQUlËR QUESNEL
sacrifice à offrir à Dieu. On serait tenté de rendre raille-
rie pour raillerie, et cela ne vaut pas grand'chose.
Quand on sert l'Eglise, il faut tâcher de s'en tenir là et
de ne pas prendre le change en se laissant entraîner à
des contestations personnelles, à des différends, à des
riens qui consument le temps aussi bien que lesmeilleures
choses et ne servent pas à mortifier les passions.
On a mandé à un de mes amis qu'on avait vu, entre
les mains du bibliothécaire de Saint-Jacques de Provins,
un livre contre le P. Quesnel sur le faux pas qu'il fit,
dit-on, il y a quelques années, à l'occasion de l'Exposi-
tion de la foi et du désaveu de l'écrit fait contre la
censure. On dit qu'il y est bien poussé. Je ne sais si c'est
quelque chose de nouveau, ou bien si c'est un livre dans
lequel on avait inséré une lettre d'un quidam contre ce
Père. Le temps nous en apprendra peut-être davantage.
Quesnel à M. Vuillart1
29 août 1702.
Les Etats généraux prennent M. de Sébaste sous
leur protection2. Le sieur Gock, prétendu pro vicaire,
a la ville pour prison. Défense à lui d'exercer aucune
fonction ni de sortir de la ville, jusqu'à ce que M. de
Sébaste soit revenu avec honneur et avec sa dignité en
son entier. On dit même que M. van Erckel est déjà
rétabli dans son archipresbytérat.
Un sieur Mollo, soi-disant résident de Pologne,
méchant instrument et qui a fait le plus de mal, est
regardé des Etats généraux comme un misérable.
1. Hibl. nat., ms. 19730.
2. M. Codde, archevêque d'Utrecht, avait été suspendu de ses fonc-
tions le 7 mai, et M. Gock avait été nommé, par lacoui' de Rome, pro-
vieaire apostolique. Le 17 août, parut un placard des Etats de Hollande
contre la nomination arbitraire de M. Cock.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUËSNEL 171
Qaesnel à M. Vuillart j
Bruxelles, 7 septembre 11702.
Je ne sais ce qu'on veut dire par les Nouvelles Pro-
vinciales. Il y a longtemps que le moule en est brisé. Je
ne sais pas s'ils auraient réimprimé en Hollande. les
Lettres imprimées pour la défense des uniques Provin-
ciales. Celui à qui on les attribue n'est pas capable de
rien faire qui approche de ce caractère.
En échange de votre quiétiste de Lyon, je vous
apprendrai que le nonce de Cologne a fait le procès à
un quiétiste infâme de Liège, disciple d'un P. Quen-
tiens, jésuite confesseur, qui quiétisait avec ses péni-
tentes, comme il est dit dans la sentence contre Pierre
Labalaestre, son disciple. Le jésuite est nommé dans
le procès et indiqué dans la sentence que j'ai. Le jésuite
s'est évadé. J'ai envie de vous envoyer la sentence
par le P. Brûleur [M. Le Noir], qui la verra et après
vous la donnera.
Quesnel à M. Vuillart-
Bruxelles, 15 septembre 1702.
A entendre dire les lettres de Rome, écrites d'un
style germanique, les Allemands ont battu l'armée des
deux couronnes, mise en pleine déroute, poursuivie au
long et au large, ont pris armes, munitions et bagages,
et ont combattu les restes les deux jours suivants. Le
roi s'était retiré la nuit à Crémone, et autres semblables
fadaises. Je m'en tiens à la lettre du roi pour le
Te Deum. Sa Majesté a bien mérité qu'on le préfère, en
1. Bibl. nat., ms. 19730.
2. Bibl. nat., ms. 19730.
112 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
§
matière de créance, à des aventuriers qu'on ne connaît
point.
Je me réjouis avec M. Le Doux [M. Dodart le père]
de ce qu'il s'est défait de sa fièvre avant l'automne.
Je me doutais qu'après que le Catéchisme à trois,
parties serait achevé on me dirait qu'on avait de quoi
le rendre meilleur.
Je ne saurais plus répéter qu'on ne devrait pas tenir
enfermées des choses qui ne sont que pour l'usage, et
dans un temps où l'on travaille à instruire les pauvres
enfants.
Tout à vous sans cérémonie, car j'ai tant écrit que
j'en suis las.
Quesnel à M. Brune t{
Bruxelles, 17 septembre 1702.
J'ai cru que vous seriez bien aise de voir cette ordon-
nance des Etats de Hollande et de West-Frise, qui sera
apparemment confirmée par les Etats généraux2. On
fait croire au pape que tout va bien en ce pays-là; que
son nouveau provicaire est en possession; qu'il n'y a
que quelques dyscoles qui ne le reconnaissent pas.
Cependant cette démarche des Etats peut avoir de
grandes suites et peut allumer un feu qu'il ne sera pas
aisé d'éteindre. Ils ont déjà fait venir vers eux deux
prêtres, pour s'informer de quelle manière le pape gou-
verne cette Eglise, et ils pourraient bien désormais obli-
ger les catholiques à élire dans le pays, entre eux, les
i. Bibl. nat, ras. 19730.
2. Ileinsius, grand-pensionnaire de Hollande depuis la mort de
Guillaume d'Orange, cite Coek, le 11 septembre 1702, et lui enjoint de
cesser d'usurper le pouvoir qui appartientaM.de Sébaste. Nous voyons
là l'éclosion de l'Eglise vieille -catholique (ou janséniste) de Hollande,
qui existe encore aujourd'hui, et dont nous tenons, par le séminaire
d'Amersfoort, cette correspondance du P. Quesnel.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 473
premiers pasteurs. Aussi bien le concordat n'est-il pas
pour ces pays-là1.
On crie en Hollande la prise de Landau2; elle est
dans leurs gazettes; les lettres de Francfort et de
Cologne l'annoncent. Cependant on ne croit pas cette
nouvelle, qui paraît débitée par artifice.
Ayez la bonté de faire part de l'ordonnance à notre
frère Germain [M. Vuillart}. Il en aura encore par
une voie un peu plus longue. Je suis tout à vous, mon
très cher monsieur, etc.
Quesnel à Mne de Joncoux^
25 novembre 1702.
Voilà un mémoire brouillon de ce que j'ai de pièces
touchant l'affaire de Cambrai. J'ai aussi les procès-
verbaux, en grand et en petit. Me manque-t-il beaucoup
de choses?
M. de Cambrai a donné son séminaire à messieurs de
Saint-Sulpice depuis peu, sur ce qu'un homme de son
diocèse lui a laissé 4.000 livres de rente pour le sémi-
naire.
Ce prélat n'est point dans de bons principes sur la
grâce. Il dit qu'il ne demande pas mieux que de connaître
la vérité; mais il a de méchants principes, c'est-à-dire
une méchante clef qui ne fait que brouiller la serrure.
1. M. du Vaucelécritde Rome, le 17 octobre: «On ne comprend point où
est la prudence de s'engager à faire un si grand vacarme pour opprimer
un évêque qui s'est si bien justifié, et qui est chéri, estimé, honoré de
tout le monde en Hollande, hors des jésuites et de leurs adhérents. Il
estfort paisible, et résolu, plus que jamais, de se défendre jusqu'aubout.»
(Archives d'Amersfoort, boîte P.)
2. La ville de Landau, défendue pendant quatre mois par M. de Mélac,
se rendit à l'empereur Joseph, le 11 septembre. Les Français la reprirent
en 1703.
3. Bibl. nat , ms. 19736.
174 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Son oncle et d'autres sulpiciens et molinistes l'envi-
ronnent. Il ne veut pas déplaire aux bons Pères.
Quesnelà Mme de Fontpertuis
Bruxelles, 23 novembre 1702.
Je vous assure, ma très chère et très honorée sœur,
que ce n'est que faute de temps que je ne me donne
point l'honneur et la consolation de vous écrire plus
souvent.
Il est vrai que j'ai changé d'air. J'y ai été obligé
après beaucoup d'instances de mes amis. J'ai eu peine
à trouver où me gîter d'abord, et je me jetai au hasard
dans un logis, où je ne connaissais ni le lieu ni les
habitants. Cependant je m'y suis arrèlé, quoique je
crusse n'y être que quelques semaines, en attendant
mieux, et il s'est trouvé que je ne pouvais mieux ren-
contrer, que j'y suis parfaitement bien, en bel air, à
l'écart, avec les meilleures gens du monde, à bon mar-
ché, au large, avec toutes sortes de commodités. Nous
faisons notre ménage, à part. Il n'est composé que de
trois : mon compagnon1, qui est fort à mon gré et d'une
humeur fort douce et très propre à nos affaires pour
le dehors; l'ami de Valenciennes nous a donné une
sœur qui fait notre ménage : c'est un vrai petit mouton,
beaucoup de piété, qui fait assez de cuisine pour nous
et qui est fort silencieuse. Mon compagnon l'est aussi;
je le suis assez de mon côté, de sorte qu'il n'y a point
de bruit dans la maison.
L'abbé du Nord m'écrivait2, il y a deux mois, que,
si le duc n'était point mort, il était presque assuré de
1. M. Du Bois Brigode.
2. A propos des affaires de Nordstrand, voir les lettres du 15 août 1699
et du 13 mars 1700.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 175
nous faire toucher une moitié du principal. Il ne se
rebute pas néanmoins. Il m'assure que nous n'avons
pas besoin d'autre solliciteur que lui et qu'il veillera à
nos intérêts de tout son cœur, tant qu'il sera là.
Puisque je suis sur cette affaire, je vous supplie
de me dire s'il n'y a point des papiers dont j'aie besoin
pour montrer ce qui m'est dû. Vous m'avez fourni de
quoi faire voir que je suis maître du droit du défunt
R. P. abbé ; mais il faut que j'aie de quoi montrer à quoi
il avait droit lui-même. Pensez-y, s'il vousplaît, un peu,
et j'espère que vous ferez pour cela tout ce que vous
jugerez nécessaire. Cependant je vous prie de croire que
je suis, avez plus de respect et plus de vraie amitié que
personne, votre très humble et très dévoué serviteur.
Je ne doute point qu'on ne vous ait mandé que l'Uni-
versité de Louvain est perdue, que M. Huygens est
mort le 27 octobre dernier, et que l'Eglise est aussi
désolée que le pays.
De décembre 1702 à juillet 1703, nous n'avons retrouvé aucune
lettre du P. Quesnel; mais nous donnons quelques extraits de
différentes correspondances relatant son arrestation à Bruxelles,
à la suite d'un ordre venu d'Espagne et arraché à Philippe V par les
jésuites. L'archevêque de Malines, Humbert de Précipiano, avait,
dès le mois d'août 1701, cité devant lui M. Du Rois Brigode, le
jeune compagnon du P. Quesnel, et l'avait réprimandé pour
avoir distribué des livres pernicieux. (Extrait de Causa Quesnel-
liana).
L'affaire du Cas de Conscience, signé à Paris par quarante doc-
teurs, en 1701 , et imprimé dans un journal de Louvain, enjuin 1702,
porta à son comble l'exaspération de l'archevêque contre les
PP. Gerberon et Quesnel, qui furent arrêtés le 30 mai 1703.
M. Ernest Ruth d'Ans écrivit à Mlle de Joncoux, le jour même :
C'est avec bien de la douleur, ma chère sœur, que je
vous donne avis que ce matin on a été saisir, de la part
du roi et de M. l'archevêque de Malines, le P. Quesnel
et M. de Brigode qui demeurait avec lui. On a en même
176 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
temps saisi tous leurs livres et tous leurs papiers. Il
faut faire agir tous les ressorts en leur faveur. Le pauvre
P. Gerberon avait été arrêté une heure ou deux aupa-
ravant. Il faut qu'on agisse chez vous ; je n'oserais
me remuer ici, comme mon cœur le désirerait.
Ernest Rut h d'Ans à A/lle de Joncoux
3 juin 1703.
Il y a tous les jours dix ou douze jésuites à l'arche-
vêché, occupés à visiter les papiers1. Le mal est infini.
Il faut remuer ciel et terre pour obtenir un ordre de le
retirer, lui et ses papiers, des mains de ses ennemis et
de ses parties, pour les mettre en séquestre ailleurs.
Ernest Rut h d'Ans à MUe de Joncoux
7 juin 1703.
Il faut remuer tous ses amis, petits et grands, pour
faire tirer le P. Quesnel de l'oppression, pour lui obtenir
la liberté de se défendre en justice, conformément aux
brefs du pape Innocent XII. Il faut que M. le cardinal
de Noailles le redemande comme son diocésain, avec
tout ce qu'on lui a pris2. C'est une chose criante de voir
1. Les jésuites les firent copier en triple exemplaire, pour la France,
pour le pape, et pour le roi d'Espagne. (Arch. nat., Jansénisme L 14.)
2. Le pauvre cardinal n'aurait eu garde de bouger. N'était-ce point
contre lui que le coup était d'abord dirigé? Aussi Fénelon, craignant
qu'on ne sût pas à Bruxelles tirer parti des papiers saisis, écrit-il, le
4 juin, à l'abbé de Langeron: « Il faudrait, pour bien faire, y poser un scellé
et faire transporter le tout à Paris. Si on peut trouver des gens, comme
M. Boileau,M. Duguetet le P. de La Tour dans les papiers saisis, il faut
les écarter et ôter toute ressource de conseil à M. le cardinal de
Noailles. » (Fénelon, Correspondance.)
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 177
tout cela entre les mains de ses ennemis. Les régents
des jésuites donnent les papiers à leurs écoliers
pour en faire faire des copies. J'ai vu moi-même
une lettre entre les mains d'un de ces écoliers dont le
père est de mes amis. Le Père est toujours enfermé
chez l'archevêque; on ne lui parle point encore, et il
n'a nulle liberté, que je sache. On lui envoie à manger
de la table de l'archevêque.
Il sera bon de consulter et de me mander ce qu'il
y aurait à lui suggérer, sur deux points où je prévois
qu'on lui fera de grandes difficultés. C'est : 1° qu'on
lui trouvera des livres défendus, et, comme il n'a pas
la permission de Rome de les lire, on voudra faire
valoir à son égard les peines canoniques, comme
l'excommunication; 2° on lui a trouvé une chapelle, un
calice et les ornements. Et cependant il n'a pas la per-
mission de dire la messe chez lui. J'ai su qu'ils font
sonner cela fort haut à l'archevêché. Mon sentiment
estque, lorsque les papiers seront examinés, ils en feront
un résultat à leur mode, en envenimant toutes choses,
et qu'ils l'enverront au pape et aux deux rois, à qui ils
feront donner des ordres conformes à leur volonté.
Ainsi rien ne se fera dans les formes de la justice, mais
seulement par autorité.
Lettre de Bruxelles
Samedi 23 juin 1703.
On a trouvé chez M. X... la servante qui servait le
P. Quesnel à Bruxelles, dont on a appris des circons-
tances qu'on ne savait pas. Les voici : Quand on voulut
arrêter M. Brigode, il se défendit, il fit du bruit et cria;
en un mot, il donna le temps au P. Quesnel de s'échap-
per et de se retirer; mais on ne sait comment ni pour-
il. 12
178 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
quoi, une heure ou une heure et demie après, il revint
chez Jui; il alla à sa cuisine, où le grand-vicaire et
quelques autres personnes étaient encore. Il se mit
dans un coin où, ayant été découvert, on vint lui de-
mander ce qu'il faisait; il répondit qu'il priait Dieu.
On se saisit des papiers que l'on trouva, mais on ne
prit, cette première fois, que les lettres qu'il avait
reçues depuis quatre mois. On ne mit le scellé nulle
part, et l'on demeura trois jours sans enlever autre
chose dans sa maison.
Ernest Rnth d'Ans à Aille de Joncoux
30 juin 1703.
Le P. Quesnel a été pris dans ses habits ordinaires,
qui étaient ecclésiastiques. Il n'avait mis aucun ordre
à ses papiers, et généralement on lui a tout pris. Il a
demandé de pouvoir entendre la messe, et on le lui a
refusé. On le traite d'excommunié par provision, quoi-
qu'il n'y ait encore eu ni interrogatoire, ni sentence.
Lettre de Bruxelles
Jeudi 5 juillet 1703.
M. Quesnel1 et M. Brunet2 arrivèrent, dimanche au
soir, fort las et fort fatigués. Ils couchèrent à l'hôtellerie.
Le lundi, ils virent quelques amis et, après le dîner,
ils firent transporter leurs hardes dans la maison du
1. Guillaume Quesnel, frère du P. Quesnel, etsupérieur de l'Oratoire
à Orléans.
2. M. Brunet, avocat de Paris, venu pour défendre la cause du
prisonnier, et dont nous donnerons plus loin une Relation de la déli-
vrance du P. Quesnel, à laquelle il prit grande part.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 179
P. Quesnel. Ils passèrent le reste de la journée à
examiner les débris de la bibliothèque, où ils trou-
vèrent environ quatre ou cinq cents volumes, tant gros
que petits.
Lettre de Quesnel, écrite de sa prison
15 juillet 1703.
Mille et mille remerciements à tous ceux qui me
témoignent tant de charité et tant d'amitié. Dieu sera
leur récompense : c'est tout dire. Jusqu'à présent, je
n'ai rien su des poursuites faites pour moi que ce que
j'en apprends par la lettre. On ne m'a point fait d'in-
terrogatoire dans les formes. Le vicaire1 vint, il y a
environ deux mois, dans ma prison avec quelques
papiers à la main. Il me demanda si je connaissais
l'écriture d'un billet, si je connaissais M. Kerkré
[P. Gerberon], qui est en Hollande. Je dis que j'étais
transporté comme dans un nouveau monde, que je ne
connaissais plus personne et ne savais plus rien. Il
demeura comme muet et interdit et parla d'autre chose.
Depuis ce temps-là il n'était plus venu personne;
mais, le vicaire étant revenu, il y a quelque temps,
dans ma chambre, je lui déclarai nettement et forte-
ment « que je ne reconnaîtrais jamais pour juge ni le
prélat, ni lui, ni l'official, ni aucun de sa part, comme
étant de mes parties ». Sur ce qu'il me dit « que j'avais
troublé le diocèse », je lui répondis « que c'était lui qui
l'avait troublé, que je croyais au contraire l'avoir, par
la grâce de Dieu, édifié et servi plus qu'il ne le ferait
de sa vie ». Il me demanda comment. Je dis « que
c'était par plusieurs ouvrages de piété que j'y avais
1. Van Susteren, grand-vicaire de l'archevêque de Malines.
180 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
faits et publiés, et que les Réflexions sur le Nouveau
Testament y avaient été mises en l'état où elles sont,
que la bénédiction qu'il avait plu à Dieu d'y donner
était une marque qu'il ne désapprouvait pas tout à fait
ma conduite ». Il m'engagea à donner une liste des
ouvrages de piété et des autres, imprimés en France et
ici publiquement. Je le fis, peut-être mal à propos ;
mais il me faisait entendre qu'il était bon que M. l'ar-
chevêque les connût et que cela le rendrait favorable. Je
n'en ai reconnu aucun autre et n'en reconnaîtrai aucun.
C'est à eux à prouver.
Je ne sais ce que c'est que la lettre où il est dit que
les ennemis étaient dans Rome. Un certain person-
nage peut avoir écrit quelque chose de cela, je n'ai eu
garde d'y applaudir. Il peut avoir parlé de M. de
Sébaste, par rapport aux affaires du clergé de Hollande
et de ses adversaires. Je ne crois pas qu'il n'y ait rien
de ma main, et certainement il n'y aura rien qui donne
prise sur moi. Je ne crois pas assurément qu'il y ait
dans la lettre : « Nos amis ». C'est un homme qui
écrivait malgré moi, et à qui j'avais déclaré que je ne
voulais point avoir de commerce avec lui, ne lui
répondant point depuis ce temps-là. On me traite en
excommunié : point de messe du tout, quoiqu'on la fasse
entendre aux scélérats qui sont quelquefois à la tour
de l'archevêché.
Je ne sais comment je pourrai faire tenir cette lettre,
à moins qu'on ne jette une corde sur le toit, en sorte
qu'on la puisse retirer.
Le vicaire m'a fort pressé de faire des excuses et de
demander pardon au prélat. Je l'ai refusé, et je crois le
devoir faire. Le jour me manque.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 181
Lettre de Quesnel, de sa prison
16 juillet 1703.
Je n'ai point eu de lumière jusqu'à présent, le soir.
A neuf heures et demie, tous les gens sont à souper;
à dix heures, il y en a qui sont revenus aux écuries ;
à onze heures, tout le monde, ordinairement, est retiré.
Le vicaire m'a fait entendre que, « pourvu que je fisse
des excuses au prélat et que je promisse de sortir de
son diocèse et de retourner en France dans une maison
de l'Oratoire, il se contenterait de cela ». Mais il ajouta,
en sortant, « qu'il ne répondait pas de ce que le roi
ferait. Peut-être que Son Excellence ou le conseil royal
ordonnerait, par un décret, que je sortirais du pays ;
peut-être me ferait-on conduire (comme on fait ordi-
nairement) jusqu'à la frontière, et que là il se trou-
verait quelqu'un pour s'assurer de ma personne, de la
part de la France ». Dieu en sera toujours le maître,
et sa volonté doit être la règle de la nôtre. On ne trou-
vera rien, ni contre l'Eglise, ni contre l'Etat, dans mes
papiers. J'ai toujours pris fort chaudement les intérêts
de l'un et de l'autre. M. van Susteren fait tout. Il est
bien étrange que, pendant que les Hollandais sont aux
portes, un Hollandais soit à la tête d'un grand diocèse
et y dispose de tout, lui qui a sa mère, ses frères, toute
sa famille en Hollande. Son père était un fort gros
marchand d'Amsterdam, et son frère fait encore le com-
merce, a des vaisseaux sur mer et est fort puissant.
Le greffier des Etats de Brabant est son parent, aussi
bien que M. Zespers, conseiller du conseil de Brabant.
On sait que la famille du prélat est touteautrichienne.
Il a dit lui-même à un ministre étranger qu'il était
bon Autrichien, et cela depuis la guerre. Il a fait
182 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
réformer une formule de prière qui se dit pour lout le
pays, où il y avait Rrgem nostriim Philippum, et on a fait
ôter nostrum. II dira peut-être qu'il n'était pas autre-
fois dans cette prière ; mais c'est assurément lorsqu'il
y avait un prince souverain du pays, comme sous les
archiducs Albert et Isabelle, on y priait toujours pour
le roi d'Espagne.
J'embrasse, de tout mon cœur, mon cher frère Guil-
laume et mon cher frère Brunet, etjeressens très vive-
ment toutes les marques de leur amitié si effective. Le
vicaire fait sonner bien haut des lettres du P. Le Brûleur
[Le Noir] et du frère Germain [ Vuillart] . Ce sont des nou-
velles écrites d'un style un peu libre, nouvelles ecclé-
siastiques et qui marquent qu'on n'approuve pas la
conduite de quelques ecclésiastiques qui ont grand crédit
auprès des puissances. C'est ce qui me fait plus de peine
h cause d'eux, et mon imprudence d'avoir gardé leurs
lettres me rend indigne de leur souvenir1.
Je me suis bien porté jusqu'à présent, grâce à Dieu.
Je ne crois pas qu'il y ait aucune apostille de ma main
clans la lettre de Hollande, et je ne vois pas quelle en
aurait pu être la matière; mais, assurément, il y
aurait bien de la malignité, si on voulait tourner cela
du côté des affaires d'Etat, au lieu qu'il n'y est question
que des adversaires de M. de Sébaste, que ce laïque
embrassait fort chaudement et qu'il espérait devoir
être soutenu de l'autorité des Etats du pays. Je ne
voulais pas qu'on m'écrivît d'affaires, ni de guerre,
ni d'Etat, jusqu'à parler sur cela d'un ton fort dur.
1. Le malheureux M. Vuillart, «un lettré des plus lettrés et un saint
homme », dit Saint-Beuve, correspondant assidu de Quesnel, fut affu-
blé par les jésuites du titre de «procureur général de Tordre des
jansénistes», et arrêté, à Paris, le 2 octobre 1703. Il demeura douze
années à la Bastille, sans interrogatoire, sans confrontation, et ne revit
la lumière qu'à la mort de Louis XIV, lorsque M110 de Joncoux obtint
du régent sa liberté. 11 était trop tard, car il s'éteignit six semaines
après, âgé de soixante-seize ans.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 183
Tous ceux qui me connaissent me savent fort chaud et
fort vif pour les intérêts de mon roi et de ma patrie,
et jamais je n'ai varié, ni plié sur cela1.
J'avais demandé à l'official, qui est chanoine d'Anvers,
de pouvoir entendre la messe le jour de la Très-Sainte-
Trinité. Il me l'avait promis et s'était offert même de
mêla dire; mais je connus, le jour de cette fête, que le
vicaire ne l'avait pas jugé à propos, et oncques depuis
je n'ai point eu la consolation d'assister à la sainte
messe, quoiqu'il y ait cinq messes ordinairement dans
la maison.
Le vicaire, lorsque je me plaignis qu'il me traitait
en excommunié, m'assura « que je l'étais et même irré-
gulier, pour avoir célébré pendant l'excommunication ».
Il prétendait « qu'il y avait des mandements sur cela »,
et tout se réduisait à des ordres envoyés aux sacristies.
Je lui soutins, ce qui est vrai, « qu'en nulle des sacristies
où j'avais été on ne trouvait point ces ordres affichés,
et qu'on ne m'avait jamais rien demandé, ni fait diffi-
culté aucune, et puis voilà une loi de cette importance
plaisamment publiée ».
Il se jeta sur la chapelle domestique, et je lui soutins
qu'il n'y a point là peine d'excommunication, outre que
je prétendais avoir eu permission et attachée à la per-
sonne.
1. Toute la correspondance du P. Quesnel fait foi de son loyalisme. Or
ses sentiments envers Louis XIV sont d'autant plus méritoires qu'il
était proscrit et persécuté. Mais les jésuites appuyaient fortement sur
ce jansénisme politique qui, réellement, n'exista que pour les besoins de
la cause. On trouve dans une lettre d'un ecclésiastique de Paris, du
14 février 1703, ce passage assez curieux : « Le roi a grande raison de
n'aimer pas ce parti ; car, à considérer seulement les choses par des vues
humaines, il est aussi dangereux contre l'Etat que contre l'Eglise. S'ils
étaient les plus forts, toute la France deviendrait jansénienne; elle
deviendrait aussi bientôt aristocratique ou république. Mais, Dieu
conservant et maintenant toujours la famille royale dessus le trône, il
la préservera de ce malheur. » (Archives d'Amersfoort, pièces sur le
jansénisme, boîte R.)
184 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Il m'avait aussi allégué les décrets des livres prohibés
par rinquisition. Je dis « que j'étais enfant de l'Eglise
de France et qu'elle ne reconnaît point ce tribunal;
de plus, que, pour faire loi, il fallait que ces décrets
fussent publiés par l'autorité épiscopale dans les formes,
et pour cela qu'ils fussent placetés par le roi ou ses
conseils ». Il me soutint « que cette dernière condition
n'était point nécessaire », et je le défiai de le mettre par
écrit. Je ne crois pas que jamais décret de l'Inquisition
ait été ici publié dans les formes, et les internonces ne
trouvent pas bon qu'on demande pour cela le placet du
roi.
Vous jugez bien qu'il ne faut pas que ces entretiens
particuliers reviennent ici. Quoique le nom de M. Ragot
soit odieux et que sa chute rende peut-être son témoi-
gnage reprochable, peut-être pourtant qu'il ne serait
pas mauvais de lui demander une attestation devant
notaire et légalisée, par laquelle il dépose que feu M. de
Berghes, archevêque de Malines, avait donné à M. Arnauld,
pour lui et pour sa compagnie, permission pour la
chapelle domestique et pour les sacrements, à la vie et
à la mort1. Il doit y avoir une lettre où il témoigne
que cet archevêque offrait à M. Arnauld l'usage de sa
bibliothèque (en effet, il lui prêtait ses livres quand il
en avait affaire) et de l'avertir de ce qu'il saurait que
ses ennemis brasseraient contre lui. Gefutfeu M. Vaës,
conseiller de Brabant, qui ménagea tout cela, et ce fut
par M. Ragot que M. Arnauld eut la connaissance de
1. Le P. Quesnel, dans sa défense, donne quelques détails sur sa cha-
pelle domestique : « J'avais choisi la plus belle chambre. J'y avais fait
faire une cloison de bois fort propre. Il n'y avait personne qui logeât
ni sur la chapelle, ni dessous, ni devant, ni derrière, ni dans le reste
de la chambre, et elle était éloignée de la rue et adossée sur un grand
jardin. Avant que de penser à y célébrer la sainte messe, pour préparer
ce lieu par la prière à être une maison de prière, nous y récitâmes,
mon compagnon et moi, tous les jours, durant deux ou trois mois,
l'office de l'Eglise, et cela, non assis, ni les jambes croisées l'une sur
l'autre, mais toujours debout et fêle nue. » (Moli/'de droit.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 185
M. Vaes, que M. Ragot avait connu aux conférences de
Gourtrai. M. Ernest [Rut h d'Ans] et le P. de Hondt
peuvent donner une semblable attestation et la tenir
prête à tout événement.
Je suis persuadé que toutes les procédures ou tenta-
tives que Ion fera auprès des conseillers ou des Etats
n'auront aucun effet. On a fermé toutes les avenues à
la justice ; de ce côté-ci, ils voient bien qu'ils ne peuvent
pas faire grand'chose dans les formes. Je crois qu'ils
voudraient bien (cela supposé) se défaire de moi avec
honneur, au moins à la faveur d'un pardon demandé
qu'ils feraient passer pour un aveu général de mes
prétendus excès, bien assurés d'ailleurs de se dédom-
mager du surplus par ce que le roi très chrétien fera
de son côté. Car, mes chers amis, il ne faut pas que je
me flatte de recouvrer ma liberté ; il n'y a nulle appa-
rence que mes parties secrètes, ou plutôt publiques, me
tenant une fois, me laissent échapper.
Les adversités et les disgrâces du monde ne sont pas
le plus long chemin pour aller au ciel. J'ai ouï dire,
au contraire, que c'est le plus court, et l'Ecriture nous
dit partout que c'est le chemin unique et nécessaire.
C'est un événement assez plaisant que, dans la con-
joncture présente, un Hollandais ait emprisonné trois
Français au milieu de Bruxelles, au lieu qu'un Fran-
çais aurait dû plutôt emprisonner trois Hollandais.
C'est une espèce d'Inquisition et pire que celle de Rome.
Dieu le permet ; il faut adorer ses ordres et ses desseins.
Je vois bien qu'ils ne feront ici que tâcher de nous
lasser par la longueur de la prison et nous obliger à
demander miséricorde; mais je crois que ce n'est pas
une mauvaise chose que de gagner du temps par la
prolongation de cette captivité, qui n'est pas des plus
rudes, quoique l'exactitude à ne donner aucune conso-
lation, aucune liberté de prendre conseil, soit fort
grande. Ma chambre est assez spacieuse et n'a que trop
186 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
de jour, quoique le soleil n'y ait pas encore fait son
entrée, sinon incognito et par réverbération des murs
voisins. J'y ai un jardin, en dépit du soleil; car le mur
de derrière est appuyé sur une vieille muraille ou ter-
rasse de l'ancienne enceinte de la ville, et les champi-
gnons, vingt ou trente à la fois, percent le mur et croissent
dans ma prison, en forme de chandeliers qui ont la
ligure de bras, et cela à la hauteur de ma main. Il ne
faut pas parler de cela. Vous jugez pas là que ma
chambre est humide. 11 n'y a point de cheminée, et
l'hiver y serait assez froid. Dieu sait s'il a résolu de
m'y laisser.
L'on m'a envoyé ici le matelas de mon grand lit. Je
voudrais qu'il fût au logis, afin que l'on pût profiter
de l'occasion qui se pourrait présenter de vendre le lit
que l'on m'a comme forcé d'acheter et dont je ne me
suis pas encore servi.
Il faudra tout vendre, mais je voudrais bien que mon
cher frère et mon cher avocat [Brune t] prissent de mes
livres tout ce qui les accommodera et leur agréera. Il
y aune grande casaque fourrée que le Liv onien (M . Pruns-
terer) m'a laissée. Je voudrais qu'il l'eût; elle lui serait
plus utile qu'à moi. Elle vaut bien la peine d'être trans-
portée. Je salue tous mes chers amis, dont le souvenir
est une de mes plus sensibles consolations. Je me suis
fait tous les reproches qu'ils m'auraient sans doute
épargnés, sur la perte des papiers. La vérité est que,
la veille, j'avais voulu transporter les coffres. Je trou-
vai la porte de mon voisin barricadée, ce qui me fit
remettre à un autre jour, et j'eus beaucoup de peine à
l'ouvrir le jour de mon arrêt, en sorte que je m'écor-
chai le bras des deux côtés pour le passer et couper la
corde qui fermait la porte. Cela me fit perdre beaucoup
de temps. Je sortis cependant; mais Dieu me ramena,
je ne sais comment.
Le prieur de Saint-Louis [du Vaucel] doit être averti
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 187
que toutes ses lettres de vingt années sont prises1. Je
ne sais pourquoi il demeure à ce prieuré. Il aurait dû
accompagner M. de Sébaste.
Le vicaire, faisant instance pour que je demande par-
don à son prélat, prétend par là qu'il se tient offensé
et, par conséquent, se déclare partie, et, nonobstant
cela, prétend être juge et qu'on réponde à son tribunal,
à faute de quoi il dit que je demeurerai donc toujours
où je suis. C'est une voie de fait tout à fait criante. De
plus, il s'est assez bien payé de ses mains par une pri-
son de près de trois mois, et il veut encore être payé,
par les miennes, par un pardon que je ne puis lui
demander, ne me sentant point coupable. Il ne tient
qu'à lui de faire juger la suspectation, et il l'empêche
en fermant la voie de la justice par son crédit. Outre
cela, on n'est assuré de rien, quand on l'aurait demandé.
Il demanderait alors autre chose.
Voilà un billet écrit sur de la toile que j'avais mise
dans le collet de pourpoint. On peut se servir ou de
toile ou de membrane fine qui ne fasse point de bruit,
et la mettre dans le collet de la chemise qu'on m'en-
voie tous les samedis, ou en d'autres jours, les deux
toiles bien cousues. Envoyez-moi une aiguille et du fil
blanc et de la soie noire pour recoudre. C'est en cas
qu'on ait besoin d'écrire que je propose cela.
Il n'y a proprement que ma chambre dans cette cour,
hors une petite dans l'écurie. Ce qui est au-dessus de
ma chambre est une espèce de garde-meuble, où l'on
1. Elles sont rentrées en possession des jansénistes, car toute la cor-
respondance de du Vaucel avec Arnauld et Quesnel se trouve dans les
archives de l'Église vieille-catholique d'Utrecht, où nous en avons pris
connaissance. Mais l'inquiétude fut grande au sujet de cette corres-
pondance, et M. Maille écrit de Rome à M. de Sébaste, le 27 octobre 1703:
« Je suppose que la fondrière [cour de Rome] sera fort en colère contre
M. Dupré [du Vaucel], à cause de ce qu'ils ont trouvé dans les papiers
qu'il avait envoyés à Flore [Quesnel] où il parlait peut-être un peu
trop librement. » (Archives d'Utrecht, lettres de Maille.)
188 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ne va pas souvent, et les greniers au dessus. Sur l'ar-
cade par où l'on va à la grande cour du palais, ce sont
deux petites galeries de passage. A neuf heures et
demie ou environ, les gens soupent, et il est rare qu'il
y ait alors quelqu'un dans la cour de l'écurie. Il faut
faire la guerre à l'œil et user néanmoins sobrement de
cette voie, de peur qu'elle ne se découvre ; car quelque-
fois on va et vient, les lieux communs étant au bout
des deux galeries ou corridors.
Ernest Rutli d'Ans à Mnp de Jonconx
Bruxelles, 18 juillet 1703.
L'opinion commune est que l'on a écrit d'ici au
P. de La Chaise et que celui-ci a ménagé ce qui était
nécessaire pour obtenir l'ordre du roi d'Espagne par le
moyen de son confesseur. Je voudrais leur donner
quelque rabat-joie sur les papiers qu'ils ont saisis et
les défier d'y rien trouver, ni contre la loi, ni contre le
temple, ni contre César, comme on l'a marqué dans
une gazette de Hollande1.
Lettre de Quesnel, de sa pinson
Juillet 1703.
J'avais fait, avec un crayon de plomb, un mémoire
des raisons de suspectation à l'égard de M. l'archevêque
1. En effet, le dépouillement des papiers, d'abord à Bruxelles, puis
à Paris où ils furent transportés, n'aboutit qu'à un misérable échec.
« Un coup de massue avait été annoncé. 11 ne s'agissait, en fin de
compte, que de quelques vivacités de style dans une correspondance
toute privée. » (Lu France et Home, par Albert Le Koy, p. 132.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 189
et de ses officiers. Je ne trouvai pas de voie pour
l'envoyer.
A l'égard du prétendu jansénisme, ce prélat en a
des idées si affreuses qu'on ne peut éviter d'être con-
damné, dès qu'il jugera quelqu'un sur cette matière.
A l'égard de M. Arnauld, c'est assez d'avoir demeuré
avec lui pour être criminel. C'est sur cela qu'il a fait
chasser du pays M. Ernest [Rut h d'Ans] et qu'il a
entrepris le P. de Hondt. On a les mémoriaux par lui
présentés contre eux à Rome, à Madrid et à la cour de
Bruxelles.
Sa passion et sa mauvaise volonté contre l'Oratoire
est publique. Il a entrepris de ruiner cette congréga-
tion et, depuis peu, il a fait présenter un mémorial à
Rome, où il proposait d'en changer l'institut et te gou-
vernement, et d'en former un autre sur celui de l'Ora-
toire de Saint-Philippe ou de quelque autre d'Italie.
Il est notoire qu'il est tout dévoué aux jésuites. Il ne
voit, n'entend et n'agit que par eux. Ils lui ont donné
des jeunes gens de leurs écoliers, pour faire tout par
eux, sous l'autorité de ce prélat. Ainsi le P. Quesnel,
comme accusé de jansénisme, comme ami et com-
mensal de feu M. Arnauld, comme prêtre de l'Oratoire
et comme ennemi déclaré des jésuites par les jésuites
mêmes, dans un grand nombre de leurs libelles où
ils lui ont déclaré la guerre, ne peut reconnaître ce
prélat pour juge.
Lettre de Quesnel à...
De sa prison, 29 août 17u3.
Un billet que j'avais écrit le 22, avec addition du
26, mais qui n'a pas été envoyé, vous aurait fait connaître
que j'étais en peine de ne pas recevoir d'avis qui
m'assurât que ce que j'avais envoyé par deux fois avait
190 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
été reçu. Je voyais que le paquet de M. Brunet avait
été ouvert, et qu'on avait replaqué de la cire d'Es-
pagne sur le cachet dont on voyait une partie du cercle.
11 y avait un billet de deux lignes d'une autre main,
qui demandait réponse pour dix heures du soir. Gela
m'inquiétait un peu, et il est bon de ne pas laisser des
sujets de soupçon à un prisonnier qui doit être en
défiance et qui ne peut s'éclaircir ; mais je fus hier tiré
d'inquiétude, et je reçus la consolation que Dieu m'en-
voyait, dont je le remercie très humblement et celui
dont il a employé le ministère. Les belles choses dont
les adversaires sont surpris, dit-on, sont sans doute
celles qui étaient dans la malle, et où était tout ce qui
regardait notre cher défunt et ses écrits; car je n'ose
me flatter qu'on ait rien sauvé, quoique je l'eusse dit
en sortant. H n'y a que cela à regretter.
Il ne faut pas s'étonner qu'on m'accuse d'avoir voulu
introduire une nouvelle religion. C'est une conclusion
particulière qu'ils tirent du principe général qu'ils ont
établi en beaucoup de libelles, comme dès le commen-
cement de celui qu'ils publièrent sur la fourberie de
Douai, et dans l'un des trois grands placards qui a
pour titre : Jansenismus destmens omnem religionem.
Les jansénistes, disent-ils donc, voulaient introduire
une nouvelle religion. Or le P. Quesnel est janséniste,
donc il est de ceux qui ont voulu introduire une
nouvelle religion. Gela ne mérite pas de réponse, et je
suis assuré qu'on ne trouvera rien qui approche d'un
si funeste dessein.
L'autre accusation est encore une conclusion aussi
bien tirée. M. Ragot avait été accusé de ce dogme
horrible qu'il était permis aux prêtres de se marier. Il
s'en est défendu, et la manière dont on a procédé
contre lui fait bien voir qu'on n'a pas ajouté foi à une
telle accusation. Mais il n'importe : dès que les jésuites
ont formé une accusation, elle doit passer pour bien
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 191
prouvée. Ils raisonnent donc ainsi : M. Ragot a dogma-
tisé qu'il était permis aux prêtres de se marier. Or
M. Ragot est janséniste. Donc les jansénistes tiennent
qu'il est permis aux prêtres de se marier. Or le P. Ques-
nel est janséniste, donc il enseigne ce dogme.
Je reçus, dimanche 26, visite assez longue de M. van
Sustercn. Je ne sais s'il me voulait tâter sur les billets
interceptés. Il ne me parla point de mon affaire, etjene
lui en parlai point non plus. Sur ce que je lui parlai de
mon frère, il me répondit qu'il n'était plus ici, qu'il
s'en était retourné, qu'on le lui avait dit. Peut-être y
aura-t-il quelque chose de cela dans un billet.
Quand on m'arrêta, je demandai à voir l'ordre. On
me répondit qu'on n'y était pas obligé, et, en etfet, on
ne le montra point. M. van Susteren ne m'a parlé que
de permission, et non d'ordre du roi pour m'arrêter,
et m'a dit qu'il ne l'avait reçue que le jour même que
je fus arrêté. Il me parla dimanche de M. de Sébaste, et
me dit que le sieur Gock, qu'on lui a substitué, avait
pensé être arrêté par ordre des Etats, mais qu'il s'était
sauvé. Il prétend que j'ai écrit en Hollande, avant ma
détention, et que j'ai conseillé à ces messieurs-là de
ne pas déférer à la lettre de M. l'internonce, qui établis-
sait ledit Cock en la place de M. de Sébaste.
Il y a, tout proche la maison, une pauvre femme qui
a plusieurs enfants et qui est fort pauvre. On lui don-
nait quelque chose toutes les semaines. Il faut faire
des aumônes extraordinaires en cette conjoncture, loin de
manquer à celles auxquelles on était engagé. Je donne
plein pouvoir pour cela.
Si le petit messager qui m'a rendu vos deux lettres
est bien fidèle, je crois qu'on n'a pas besoin d'en
chercher un autre, et on aurait peine à en trouver, car
il ne faut pas risquer.
Je ne sais si un petit billet, fourre dans le linge sale
et écrit avec du plomb, fut rendu. J'y marquais simple-
192 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
ment la situation de ma demeure ; mais, quelques jours
après, on vint, par ordre de M. le vicaire, condamner
une fenêtre qui donne sur la Monnaie. Mon garde me
dit que, la veille, il était venu un homme de la Monnaie
parler à ce vicaire, et que ce fut ensuite de cette visite
que l'ordre fut donné au serrurier, soit qu'il ait inter-
cepté le billet adressé au chanoine de Sainte-Gudule, ou
que cet homme soit venu dire qu'on l'avait voulu engager
à passer quelque chose par sa maison. Il est aisé de faire
passer dans la chambre des lettres, tant par-dessous la
porte que par le haut; mais il n'est pas aisé d'arriver à
la chambre, le portier prenant garde qu'on aille en ce
quartier-là.
Je ne saurais exprimer ma reconnaissance, ma ten-
dresse, ni tous les autres mouvements de mon cœur
pour mon cher et noble avocat [M. Brunet]. Je prie Dieu
de lui faire sentir par mille et mille bénédictions que
je lui souhaite de la part de celui qui est la source de
tout bien. Je salue tous mes chers amis et mes chères
amies, mes chers frères et particulièrement frère Anselme
et les amis de Bruxelles, les deux bonnes sœurs et
monsieur leur frère.
Je trouve très bien la requête et l'acte de suspectation.
Ce qui marque la passion du prélat contre feu M. Arnauld
est qu'il a fait chasser du pays M. Ernest [Rut h cPAns],
par cette seule raison qu'il avait demeuré avec ce doc-
teur, et il Fa marqué dans les suppliques présentées
contre lui à S. A. E, de Bavière et par d'autres mémo-
riaux envoyés en Espagne et à Rome. Je crois que
M. Ernest en a des copies. On a peut-être trouvé aussi
de ma mainplusieurs minutes de requêtes, de mémoires,
etc., dressées contre ce prélat pour MM. de Louvain et
les autres ecclésiastiques. Tout cela était chez le frère
Joseph; ce qui n'aura pu ne point irriter le prélat, qui
d'ailleurs a toujours cru que c'était moi qui les faisais.
Les idées alfreuses qu'il a du jansénisme paraissent
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 193
dans les trois fameux placards dont l'un a pour titre :
Jansenismus destruens omnem religionem. M.Steyaert dit
en pleine école, à Louvain, que le prélat les appuyait
de son autorité, et on sait qu'il donna dispense à l'impri-
meur pour y travailler les dimanches.
Vous avez raison de n'être pas en peine de notre
nourriture : on est fort bien. Nous fîmes assez mauvaise
chère le jour de saint Ignace, mais c'est que toute la
maison était en festin chez les jésuites. Le prélat alla,
hier, entendre la grand'messe aux Augustins ; mais il
n'y mangea pas, ni le comte de Soye, son frère.
Il me faudra quelques pièces de trois sols pour payer
le barbier qui vient me faire le poil tous les quinze jours.
Je n'en ai plus que trois, et j'en donne une à chaque fois.
On m'a promis de faire un mémoire de quelque chose
dont j'ai besoin. On pourra marquer aussi sur un petit
papier ce qu'on m'enverra, et rien plus.
Il ne me vient rien qui mérite d'être ajouté. Je sui-
vrai exactement les avis que mon cher avocat [M.Brunet)
a la bonté de me donner. Dieu les bénira, comme je
l'espère. Je l'embrasse en esprit, et je le porterai doré-
navant dans mon cœur d'une manière toute nouvelle.
Mais, hélas ! quand le pourrai-je remercier de vive voix?
Quand il plaira à Dieu, sa volonté réglera tout. Notre
soumission à cette volonté adorable est notre sancti-
fication.
M. le vicaire m'a parlé d'un assez gros écrit que j'avais
fait sur la censure de Rome contre mon Saint Léon. Il
supposait qu'elle avait été imprimée, ce qui n'est pas.
Je lui ai fait connaître que je ne l'avais fait que pour
rendre compte au cardinal François Barberin1, doyen du
1. A propos du cardinal Barberini, le P. Quesnel écrivait, en 1677, à
Magliabechi : « L'honneur que l'on m'a fait de me mettre dans l'Indice
de Rome m'a attiré la connaissance de cette Eminence qui me témoigne
beaucoup de bonté. » {Correspondance inédite de Mabillon et de Mont-
faucon, t. III, p. 244.)
il. 13
194 COKKESPONDAISCE DE PASOEIER QUESNEL
Sacré Collège et préfetde la congrégation du Saint Office,
de quatre mémoires de remarques qu'il avait eu la bonté
de nTenvoyer. Il avait entrepris de faire retirer de l'Index
le Saint Léon, pourvu que j'y fisse à peu près les cor-
rections qu'il désirait. J'eus fort longtemps commerce
de lettres avec cette Eminence, qui semblait prendre
l'affaire fort à cœur etm'affectionner.
Si les conseils qu'on m'avait donnés autrefois étaient
aussi clairs et aussi expliqués que les vôtres, je n'au-
rais pas fait dans ma chambre la déclaration; mais,
ne sachant quand il la fallait faire et craignant d'avoir
trop attendu (car il y avait deux mois), je ne voulais
pas manquer l'occasion qui se présentait de la visite.
J'admire l'empressement qu'a eu M. le vicaire de me
venir apprendre le départ de mon frère, sans doute pour
me décourager, au lieu que, de peur de me donner de
la confiance, il ne me dit point son arrivée en cette
ville. Je ne l'appris que plus d'un mois après, par le
salut que la bonne sœur me fit de sa part en un petit billet;
mais, s'il plaît à Dieu, rien ne me découragera. C'est
en lui que je mets ma confiance, et la charité qu'il inspire
pour moi à mon frère et à mon cher avocat m'est un
garant de sa protection. S'il est vrai que mon pauvre
frère soit retourné en France, je ne doute point que
ce ne soit pour de bonnes raisons et qui regardent mon
affaire. Il y avait peut-être quelque chose de cela dans les
billets interceptés. Je m'assure qu'on n'y aura rien mis
de conséquence dans un premier essai.
Quesnel à M. Brunet [
4 septembre 1703.
Je ne saurais entrer dans un dessein d'enlèvement,
de brisement de barreaux, de murs, etc., par d'autres.
1. Bibl. nat., ois. 19735.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 195
Il en naitrait de grandes affaires, des procès criminels
contre les gens. Dieu a d'autres moyens pour me tirer
des mains de mes adversaires, s'il le veut. Le procès
étant commencé, il ne peut plus durer longtemps. Ces
voies déshonoreraient la vérité. Il n'arrivera que ce qu'il
plaira à Dieu. Je me doutais bien que, pendant que je
serais devant le prélat, on visiterait ma chambre. On
n'y a rien trouvé, sinon la fenêtre que j'avais ouverte.
On la condamne de nouveau avec des clous ; mais je
n'aurai pas de peine à les ôter. Les premiers étaient
plus difficiles. Pourvu qu'on n'y fasse rien davantage!
Adieu, je vous embrasse.
Si on n'a point envoyé le pavillon, il faut attendre.
Ernest Rulk d'Ans à Mi[e de Joncoux
19 septembre 1703.
J'espère que vous aurez reçu la lettre que je vous
écrivis, le 13, pour vous marquer que le P. Quesnel
s'était évadé la nuit d'auparavant. On n'a su cette éva-
sion, à l'archevêché, que ce jour-là même, à deux
heures après midi, lorsqu'on pensait lui porter à
manger, ce qui ne marque pas que l'on eût un grand
soin de lui, puisqu'on le laissait jeûner si longtemps.
Personne n'osait annoncer au prélat cette évasion. Il
fallut le lui faire dire par le P. Maes, jésuite, son con-
fesseur. Le prélat fut tout transporté de colère. Il fut
saisi d'un tremblement et grinça des dents, d'une
manière que l'on appréhenda qu'il ne tombât en apo-
plexie. Quand il fut un peu revenu à lui, il s'écria :
« Que dira le roi de France? »
On dit que c'est une espèce d'officier espagnol, nommé
don Antonio ou don Livio de Salazar, qui a conduit
cette hardie entreprise. Il a commencé par louer une
196 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
chambre dans un cabaret voisin du quartier où était
la prison du P. Quesnel. Après avoir examiné toutes
choses, il a reconnu que l'on pouvait faire un trou dans
la muraille d'une écurie qui aboutissait à la prison. Le
seul espace où ce trou était à faire était si petit que le
prisonnier disait, pendant qu'on y travaillait : «Ne vous
exposez pas, mes amis, pour l'amour de moi, je vois
bien que Dieu ne veut pas que je sorte ! » Il fut obligé,
en effet, de passer ses culottes et le reste de ses habits,
et de passer lui-même ensuite en chemise et en caleçon,
et ceux qui ont eu la dévotion au sacré trou et qui l'ont
vu disent que c'est un miracle qu'il ait pu sortir par un
trou si petit. Le cabaret par où l'évasion s'est faite s'ap-
pelle la Terre de promission, parce que l'enseigne est
une grosse grappe de raisin portée par les espions de
Josué.
Gomme il pourrait se faire que, dans la suite du temps,
on aurait la liberté de mettre un marbre à l'embou-
chure du trou, l'on vous prie de faire faire par un habile
poète des vers sur cette heureuse évasion, que l'on y
puisse graver.
Voici deux petites pièces de vers, bien médiocres, qui se trouvent à
la suite d'une des copies de la Relation de la fuite du P. Quesnel, aux
archives d'Amersfoort:
DIZAIN SUR L'ÉVASION DU P. QUESNEL
Libre dans sa prison et content de son sort,
Quesnel, loin de pleurer sa liberté ravie,
Envisage avec joie et les fers et la mort,
Chante, bénit ses fers, tranquille, attend la mort,
Et sur la foi des loups, paisible agneau, s'endort.
Une voix inconnue à sortir le convie.
Le mur s'ouvre. A regret le saint prisonnier sort.
« Hâte-toi, fuis, Quesnel, laisse frémir l'envie ;
Rends aux dogmes sacrés leur plus ferme support.
Venge la vérité. Ne crains point pour ta vie ;
Au travers des écueils, Dieu te conduit au port! »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 197
Quesnel, sûr de son innocence,
Croyait pouvoir en sûreté
Faire la guerre à l'ignorance,
A Terreur, à l'impiété :
Telle était sa simplicité.
Mais, aux Pays-Bas comme en France,
On met aux fers la vérité.
On l'y mit, et sans apparence
Qu'il sortît de captivité.
Les fiers partisans de Pelage
Triomphaient de cet avantage,
Lorsqu'on vit, par le prompt secours
D'une grâce victorieuse,
Hors des fers le Paul de nos jours.
Chantons sa délivrance heureuse!
Ici se place naturellement la Relation de la délivrance du
P. Quesnel, par M. Bellissime [V avocat Brunet]. Nous en avons trouvé
plusieurs copies, de différentes écritures, dans les archives
d'Amersfoort, et nous en détachons quelques passages, des plus
intéressants, qui combleront la lacune de la correspondance :
L'évasion d'un prisonnier, par une ouverture faite à
un mur de la prison où il est enfermé, n'a rien de fort
extraordinaire et qui ne paraisse être l'effet d'une cause
très naturelle. Mais, si l'on fait réflexion aux circons-
tances particulières qui ont précédé, accompagné et
suivi la délivrance du P. Quesnel et aux personnes qui
en ont été les instruments, on sera convaincu que ce n'est
que par une protection singulière de Dieu que ce des-
sein a réussi et que c'est une espèce de miracle.
Il est nécessaire de donner une idée grossière de la
situation de la chambre qui lui servait de prison. Elle
fait partie d'un bâtiment de l'archevêché qui donne,
d'un côté, sur la cour des écuries, et touche, de l'autre
côté, à un cabaret voisin, mais de manière cependant
que la chambre où était le P. Quesnel ne touche que par
un petit coin au mur de l'écurie de ce cabaret, qui est
mitoyen avec cette écurie et le bâtiment de l'archevêché,
198 CORRESPONDANCE DE PASQUTER QUESNEL
La cour des écuries de l'archevêché, à cause d'une
espèce de boyau qui en fait partie, n'est séparée de
celle du cabaret que par un mur qui n'est pas fort haut,
et elle a une porte de derrière qui donne sur la rue des
Augustins. Le cabaret, qui fait le coin de cette rue, a
deux portes : l'une, qui est la petite, donne sur cette
môme rue, et l'autre, qui est celle par laquelle on entre
ordinairement, donne sur la place ou sur la rue de la
Monnaie. Enfin la chambre du prisonnier a trois
fenêtres. La première regarde sur l'hôtel de la Mon-
naie, et elle fut condamnée dans la crainte qu'on eut
qu'il ne reçût par là des lettres ; la deuxième regarde
sur la cour des écuries, et la troisième, qui est immé-
diatement au-dessus d'un bâtiment plus bas, regarde la
rue des Augustins.
On crut, d'abord, que le moyen le plus facile pour
délivrer le prisonnier était de le faire sortir par la fenêtre
qui donne sur la petite cour des écuries de l'archevêché,
dont les barreaux, n'étant point croisés, étaient plus
faciles à ôter, au lieu qu'il y en avait de croisés à celle
du toit à laquelle, sans cet obstacle, il eût été plus aisé
d'aborder. Mais il fallut tourner ses vues d'un autre
côté, et M. R***, fort zélé pour nos prisonniers, s'étant
fait instruire par le messager et par une autre personne
de la situation de la prison, se déguisa et alla dans le
cabaret comme pour boire de la bière. On voyait, de la
cour du cabaret, le haut de la fenêtre, qui est au-dessus
du toit, et par laquelle le P. Quesnel recevait nos lettres.
M. R*** la remarqua et, étant entré dans l'écurie du
cabaret, il jugea, ce qui était vrai en partie, que le
mur en était mitoyen avec la prison et qu'en y faisant
un trou on pourrait sauver le prisonnier. 11 me fit part
de sa découverte et m'engagea à aller avec lui dans ce
cabaret boire une bouteille de vin et voir la disposition
des choses. J'y allai donc avec lui sur les sept heures
et demie du soir, et, après avoir considéré ensemble.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNÉL 199
pendant près d'une heure, la situation de la prison et
des bâtiments voisins, nous conclûmes que si Ton pou-
vait engager le cabaretier à entrer dans notre dessein,
ou du moins à faire l'aveugle et à nous le laisser exécuter,
il ne serait pas difficile de délivrer notre prisonnier, soit
en perçant le mur mitoyen de l'écurie, soit en entrant
par le cabaret, avec une échelle, dans la cour des écuries
de l'archevêché et appliquant une antre échelle à une
des fenêtres de la prison, au cas que l'on en pût ôter ou
forcer un barreau.
Cependant le cabaretier s'était aperçu que nous con-
sidérions avec attention l'endroit où le P. Quesnel était
détenu, car il savait qu'il y avait là un prêtre en prison.
Il observa nos démarches et ne put même s'empêcher
de dire en flamand : « Ce prêtre, que vient-il faire ici? »
Ce qui fut entendu de ce bon ecclésiastique, qui sait
parfaitement le flamand. Nous nous retirâmes; mais
nous ne laissâmes pas de communiquer notre dessein
à des gens sages et affectionnés qui l'approuvèrent. Je
le communiquai au frère du P. Quesnel, qui souhaitait
avec ardeur et avec beaucoup d'impatience la délivrance
de son frère.
M. F*** promit d'engager une personne qui devait
avoir beaucoup de crédit sur le cabaretier à agir auprès
de lui. Cette personne fit venir chez elle la femme du
cabaretier, qui parut assez disposée à faire ce que nous
demandions. On nous en avertit, et je ne manquai pas
de me trouver à un rendez-vous qu'on me donna chez
cette personne. On y appela le cabaretier, à qui j'offris
quinze louis d'or, car on m'avait dit que cela suffisait.
Il demanda du temps pour y penser et promit de re-
venir à neuf heures du soir; mais il nous manqua de
parole, ce qui nous donna de l'inquiétude. Mais, cinq
ou six jours après, on m'assura qu'il nous garderait le
secret, quoiqu'il fût déterminé à ne pas écouter nos
propositions.
200 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Le frère du P. Quesnel envoya un comte de Salazar
arrêter une chambre et se placer dans le cabaret, où il
fournissait à sa dépense aussi bien qu'à celle d'un mar-
quis d'Aremberg. Il est nécessaire de dire ici quels étaient
ce marquis d'Aremberg et ce comte de Salazar. Le frère
du P. Quesnel avait secouru, il y a plusieurs années, le
marquis qu'il avait trouvé à Paris dans la dernière
misère. Il le trouva dans un galetas, n'ayant qu'une
paillasse, avec une femme bien faite et dans la dernière
désolation, et deux enfants, un garçon et une fille,
presque nus. Ce marquis ayant pris la résolution d'aller
à Bruxelles, il lui donna une lettre pour le P. Quesnel,
qui ne jugea pas à propos de le voir, mais ne laissa pas
de le faire assister. Ce marquis se parait extrêmement de
sa noblesse et se disait de l'illustre maison d'Aremberg.
Le P. Quesnel m'a lui-même avoué qu'il doutait fort
qu'il fût de cette famille. Ce marquis, vrai ou faux, vint
nous rendre visite deux ou trois jours après notre arrivée,
à neuf heures du soir, dans le temps que nous faisions
transporter les livres du P. Quesnel. Gomme il était
borgne et qu'il ne voyait pas trop clair du seul œil qui
lui restait, il se faisait accompagner par M. de Salazar,
son intime ami. Ce comte était un jeune homme de vingt-
deux ans, grand, bien fait, d'une taille fine, et qui avait
l'air de qualité. Il prétendait sortir, en effet, d'une
maison qui n'était pas moins illustre que celle du
marquis d'Aremberg. Quoi qu'il en soit, c'est à lui que
le P. Quesnel, après Dieu, est redevable de sa liberté.
Le marquis avait parlé à un maçon habile et l'avait
engagé à lui enseigner la manière dont on pourrait percer
un mur et y faire un trou capable de passer un homme.
Cet ouvrier lui avait dit, avec beaucoup de peine, qu'il
fallait faire un vilebrequin, d'une certaine forme et d'une
certaine grandeur, et qu'avec cet instrument il fallait faire
cinq trous en rond, et, avec un autre instrument qu'il lui
indiqua, rompre ce qui se trouvait entre les trous,
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 201
et que, par ce moyen, le trou se trouverait tout d'un
coup fait.
Le dimanche 9 septembre, le lendemain du départ
du frère du P. Quesnel, ils nous amenèrent un officier
irlandais dont ils avaient parlé, et qu'on nous a dit
être un artisan de Bruxelles qui est présentement arrêté.
C'était un homme fort et d'une bonne taille, et, par cet
endroit, très propre à servir de second à M. de Salazar.
Le marquis vint parlera M. de Brigode et lui demanda
si l'argent était prêt, et il l'assura qu'ils travailleraient
sans faute la nuit du lundi au mardi, le cabaretier étant
heureusement tombé malade, ce qui faciliterait extrê-
mement l'exécution du dessein.
M. de Brigode lui dit que pour l'argent il ne devait
point en être en peine et qu'il lui répondrait que, dès
que la chose serait faite, je lui compterais les 400 florins
ou les 500 qui leur avaient été promis. Cependant nous
appréhendions que ces gens-là ne lissent quelque impru-
dence qui nous jetterait dans l'embarras etferaitresserrer
plus étroitement notre prisonnier. On lui oflritdeux louis
d'or, s'il voulait nous rendre notre parole et abandonner
l'entreprise. Il répondit que l'affaire était trop avancée.
J'avoue que le refus qu'un homme si avide d'argent, et
qui en avait tant de besoin, fît de deux louis d'or, me fit
croire, aussi bien qu'à M. de Brigode, que le dessein
pourrait réussir.
En effet, la nuit du mardi au mercredi, M. de Salazar
et le prétendu officier irlandais, éclairés par une lan-
terne sourde, commencèrent, après minuit, à percer le
mur mitoyen avec le vilebrequin qu'ils avaient fait
faire. Le P. Quesnel s'était éveillé, peu de temps avant
qu'ils commençassent à travailler, et il commençait
alors des prières qu'il fait pendant la nuit. Il comprit
aussitôt d'où venait ie bruit qu'il entendait, parce qu'on
lui en avait écrit quelque chose. Et comme le bruit
causé par le vilebrequin était assez grand, surtout
202 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
pour le premier trou, parce que les travailleurs, ayant
pris un peu trop à droite, percèrent dans l'épaisseur
de l'autre muraille qui faisait le coin de la chambre,
il se leva et alla couvrir dune bonne couverture de
laine la porte de la chambre où il y avait plusieurs
ouvertures, et il appuya un matelas contre la muraille,
dans l'endroit même où Ton faisait le trou, afin d'amor-
tir le bruit aigre du vilebrequin, qui sans cela aurait
éveillé les valets de M. le comte de Soye et de M.
l'archevêque, qui couchaient dans une chambre qui
n'était séparée de la sienne que par un petit corridor,
et dont la porte était vis-à-vis de celle de sa prison.
Nos travailleurs eurent beaucoup de peine à faire le
premier trou, et ils n'en vinrent à bout qu'en biaisant
un peu; mais, aussitôt qu'il fut fait, le P. Quesnel leur
parla et leur dit de tourner un peu sur la gauche. Ils
continuèrent donc à faire les quatre autres trous; mais,
au milieu de la besogne, un des valets qui étaient dans
la chambre voisine se leva, et le P. Quesnel, qui était
fort attentif auprès de la porte, vint, au premier bruit
qu'il entendit, avertir nos ouvriers de cesser, de sorte
qu'ils restèrent environ trois quarts d'heure sans rien
faire, pour laisser au valet le temps de se rendormir.
Gela recula l'ouvrage, et il était plus de quatre heures
lorsque les cinq trous furent achevés, et il y avait encore
à travailler pour une grosse heure et demie ou environ,
en sorte qu'ils demandèrent au P. Quesnel s'il pourrait
cacher les trous et s'il n'était pas à propos de remettre
à la nuitsuivante ce qu'il y avait à faire. Le P. Quesnel
leur répondit que les cinq trous se trouvaient justement
derrière son lit et qu'ils étaient cachés naturelle-
ment par les rideaux qu'il s'était faits avec son man-
teau, que d'ailleurs on a'avait jamais visité sa chambre,
qu'ainsi il était assuré qu'on ne découvrirait rien.
Je n'avais presque pas dormi cette nuit-là, attendant
avec impatience le moment qu'on viendrait m 'appeler.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 203
Quand le jour fut venu, nous fûmes fort inquiets,
M. de Brigode et moi, de ne point recevoir de nouvelles
de nos gens. Le marquis vint sur les sept heures nous
voir, et, comme M. de Brigode lui témoignait qu'il était
surpris de ce que ses gens n'avaient pas exécuté leur
projet comme ils l'avaient promis, il témoigna lui-
même n'en être pas moins surpris que nous, et il ajouta
qu'il allait dans le moment chercher M. de Salazar, et
il demanda une pièce de trente sols, qu'on voulut bien
lui donner.
Il revint une heure après, avec M. de Salazar, qui
raconta à M. de Brigode ce qui s'était passé pendant la
nuit. 11 finit par lui demander trois pièces de trente
sols. M. de Brigode vint me raconter toute cette histoire,
qu'il regardait comme fabuleuse aussi bien que moi.
Il n'y avait que deux jours que le P. Quesnel avait
reçu une de mes lettres, et je ne doutais point qu'il ne
tînt la réponse toute prête, qu'il aurait sans doute
remise à M. de Salazar, disions-nous, s'il avait fait
cinq trous, comme il le prétendait. En effet la réponse
du P. Quesnel était toute prête, et il me l'a remise
après sa sortie; mais il n'eut pas la présence d'esprit
de la donnera M. de Salazar, ce qui nous aurait assu-
rés de la vérité de ce qu'il nous disait et nous aurait
fait prendre par avance des mesures et préparer des
voitures, pour sortir de Bruxelles, le lendemain matin,
aux portes ouvertes. Mais cet oubli du P. Quesnel fut
un effet de la Providence; car il n'aurait pu, selon
toutes les apparences, échapper aux diligences qu'on
fit pour le reprendre, en envoyant des gens de toutes
parts pour le chercher.
En un mot, M. de Brigode, las aussi bien que moi de
ces messieurs, au lieu des trois pièces de trente sols
qu'ils demandaient, alla leur en offrir une, en disant
que c'était la dernière qu'ils devaient attendre.
Nous étions si persuadés, M. de Brigode et moi, qu'on
204 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
venait de nous faire une histoire fabuleuse, et nous nous
flattions si peu du succès que, le soir, je me couchai à
mon ordinaire, au lieu que, les deux nuits précédentes,
je m'étais couché tout habillé.
C'était la nuit du mercredi au jeudi, du 12 au 13 sep-
tembre, que nos ouvriers allèrent achever leur ouvrage.
Ils commencèrent à travailler de fort bonne heure, car
il n'était pas encore onze heures qu'ils étaient déjà au
travail. Ils eurent achevé, à une heure après minuit.
Le P. Quesnel passait sa tête par le trou; mais il n'y
pouvait pas passer les épaules, de sorte qu'ils l'élar-
girent encore un peu avec leurs instruments, et ils
obligèrent le P. Quesnel à se mettre en chemise et en
caleçon. Il fit d'abord passer par le trou ses habits, son
bréviaire et quelques autres hardes, et enfin il y passa
lui-même la tête et les épaules, et il fut tiré par M. de
Salazar et son compagnon, qui l'habillèrent, et celui-
là le porta sur ses épaules jusqu'à la porte de l'écurie,
parce que la descente était très difficile. Et, ayant enlevé
avec des instruments la serrure de la petite porte du
cabaret, ils conduisirent le P. Quesnel au cabaret voi-
sin, où le marquis et un notaire qui était de la par-
tie étaient couchés. On les lit lever et on paya le caba-
retier, qui regardait fort attentivement le P. Quesnel,
qui était habillé comme un Hollandais, ayant été arrêté
avec un habit qu'il s'était fait faire en Hollande.
De ce cabaret ils le conduisirent chez M. le curé de
Sainte-Catherine, qui était à la campagne. On leur
ouvrit les portes, et aussitôt on envoya le valet de
M. le curé pour m'appeler. J'étais éveillé lorsqu'il arriva,
et je songeais au P. Quesnel. D'abord que j'entendis
sonner la clochette, je courus à la porte, et j'y
appris l'heureuse nouvelle qu'on venait m'annoncer.
Je m'habillai à la hâte, et je suivis le valet, sans
attendre M. de Brigode qui voulait venir mal à propos
avec moi; mais on ne sait pas trop bien ce que l'on
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 205
fait dans les premiers transports d'une si grande joie.
H était environ trois heures du matin lorsque j'ar-
rivai chez le pasteur. J'y trouvai cinq personnes qui
buvaient de la bière : le marquis, le comte, l'Irlandais,
le notaire et un autre qui, apparemment, avait fourni
l'instrument pour enlever la serrure de la porte. Je
comptai les quatre cents florins en or au marquis
d'Aremberg, qui me parut fort content, aussi bien que
le comte, et je leur fis bien des excuses de ce qui pou-
vait leur avoir fait de la peine dans le procédé que j'avais
tenu avec eux.
Quand ils furent sortis, nous nous retirâmes aussi,
un moment après, chez un bourgeois fort honnête
homme, qui nous reçut avec beaucoup de joie.
Pendant dix-neuf jours que nous restâmes encore à
Bruxelles, nous fûmes obligés de changer jusqu'à cinq
fois de maison. Notre première retraite fut chez le
bourgeois chez qui on nous conduisit, au sortir de la
maison du pasteur. Après nous avoir salués, il se retira
par honnêteté, pour laisser reposer le P. Qucsnel,
qui en avait un extrême besoin. Il me pria auparavant
de réciter avec lui le psaume 117. Après quoi il de-
meura couché deux heures dans le lit qui était dans la
chambre. Il ne put pas cependant dormir; mais il
m'avoua que cela lui avait fait beaucoup de bien,
parce que, depuis le moment qu'il avait entendu, pour
la première fois, travailler nos ouvriers jusqu'à sa sor-
tie, il avait ressenti un mouvement extraordinaire dans
son sang.
Le bon ecclésiastique, nous étant venu rendre visite,
jugea à propos que nous délogeassions, pour aller chez
une bonne veuve qui avait des filles dévotes qu'il avait
prévenues, et qui avaient témoigné que nous leur
ferions plaisir. Ce fut là notre seconde retraite. Nous
sortîmes de la première sur les dix heures du soir. On
fit prendre au P. Quesnel un habit de prêtre, et je res-
200 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
tai avec mes habits ordinaires. Notre marche était favo-
risée par un temps pluvieux et sombre, qui empêchait
de discerner les gens. Le bon ecclésiastique marchait
devant, le P. Quesnel le suivait, et je marchais le dernier.
Nous passâmes sur le quai, ou, comme l'on dit à
Bruxelles, sur le rivage de Sainte-Catherine, et il y a
apparence que l'on avait posté sur le coin un homme
qui tapait des pieds en terre, lorsqu'il entendait passer
quelqu'un, comme s'il eût voulu courir après, dans le
dessein apparemment de courir effectivement après
ceux qu'il aurait vu prendre la fuite. Mais, sans nous
effrayer, nous marchâmes toujours assez lentement, et
heureusement nous ne rencontrâmes personne sur notre
route. Enfin nous arrivâmes chez ces bonnes filles, qui
prirent beaucoup de soin de nous et qui nous témoi-
gnèrent, jusqu'à la fin, beaucoup d'affection et de bonté.
Nous y restâmes jusqu'au 20 de septembre, qu'il fallut
déloger pour la seconde fois.
Les circonstances de cette troisième retraite sont
assez singulières. On nous écrivit le 20, après dîner,
un billet dont le caractère ne nous était pas inconnu,
où l'on nous marquait de nous tenir prêts à faire ce
qu'on nous manderait par un autre billet que nous
recevrions et auquel nous pourrions ajouter foi. Nous
reçûmes ce second billet sur les huit heures du soir.
On nous y marquait de nous déguiser en femmes. Un
tel déguisement lit un peu de peine au P. Quesnel;
mais il fallut obéir. Ces bonnes filles nous aidèrent à
attacher une jupe sur nos habits et nous accommodèrent
la faille, qui est une espèce de voile qui est en usage
en ce pays-là et qui est fort commode pour se déguiser,
car il couvre toute la tête et descend jusqu'à la ceinture,
et on peut, avec la faille, se couvrir presque tout le
visage. Nous avions besoin d'un semblable habillement,
car il y avait quinze j jours qu'on n avait fait la barbe
au P. Quesnel, et il y en avait plus de huit qu'on ne
CORRESPONDANCE DE PASQUIËR QUESNEL 207
me l'avait faite. Nous sortîmes en cet équipage, le
P. Qucsnel portant sous son bras et sous sa faille un
petit paquet de linge, et nous allâmes au cimetière de
la paroisse de Sainte-Catherine. Nous nous y mîmes à
genoux devant une petite chapelle qui est à gauche en
entrant. Il vint, un moment après, une femme, habillée
de la même manière que nous, se mettre à genoux
auprès de nous, qui nous dit, suivant le mot du guet
qu'on nous avait donné : « Etcs-vous Catherine? » Nous
répondîmes que oui, et, sans plus parler, nous la sui-
vîmes.
Nous arrivâmes chez un bon bourgeois dont la femme
nous prenait, au commencement, pour des duellistes
qui se cachaient pour éviter de tomber entre les mains
de la justice.
Le 27 septembre au soir, M. l'archevêque lit investir
par des soldats la maison du pasteur de Sainte-Cathe-
rine, quoiqu'il n'eût aucune part à la délivrance du
P. Quesnel. Le curé était averti, et il s'était mis en lieu
de sûreté, aussi bien que son valet et sa servante, qui
avaient reçu le P. Quesnel. Il n'y avait que M. Vers-
churen dans la maison curiale, qui fut emmené prison-
nier à l'archevêché.
La prise de ce vicaire et la fuite du curé et de ses
domestiques ayant fait beaucoup de bruit dans la ville,
notre hôte eut peur et pria celui qui nous avait mis
chez lui de nous chercher un autre asile. Nous délo-
geâmes donc une troisième fois, pour aller chez une
fille dévote, pénitente de M. le pasteur. On mit encore
la jupe et la faille au P. Quesnel qui marchait à côté de
la servante, et on me prêta un long manteau qui me
déguisait extrêmement la personne. La personne chez
qui nous allions vit bien que j'étais un des deux qui se
cachaient; mais elle me demanda où était mon com-
pagnon, qui était présent avec sa faille et qui, ayant
cette fois-ci la barbe faite, était pris pour une vieille
208 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
servante, tant il était déguisé dans cet équipage. Cela
nous fit un peu rire. Cependant les recherches conti-
nuaient, et, comme tout le monde était intimidé, nous
fûmes obligés de déloger pour la quatrième fois et de
chercher un cinquième asile, dès le lundi suivant, pre-
mier jour d'octobre.
Nous sortîmes de chez cette fille à huit heures du
soir; nous avions chacun un long manteau dont nous
nous couvrions le visage. Nous arrivâmes à bon port,
dans la maison qu'on nous avait désignée, et nous
envoyâmes prendre, ce même soir, deux passeports
des Etats généraux, afin de partir le lendemain et de
n'être pas davantage à charge aux amis du P. Quesnel.
Toutes choses étant préparées pour notre départ, le
mardi 2 octobre, on nous prêta des habits pour nous
déguiser. On donna au P. Quesnel un habit gris de fer,
doublé de rouge avec des boutons de vermeil, et je lui
prêtai une de mes perruques nouées. En cet état, nous
sortîmes de Bruxelles, sur les cinq heures et demie du
matin.
Je pris le devant, à pied, avec le fils de M*** qui nous
prêtait sa calèche. Etant sortis par la porte de Louvain,
nous côtoyâmes les fossés pour aller prendre le chemin
de Namur. Le P. Quesnel nous suivit en calèche, avec
M. V***. Nous passâmes tous devant la guérite de bois
qui est au-delà de la porte, sans y trouver de sentinelles
et sans rencontrer personne dans le reste du chemin,
Nous étions en suspens si nous continuerions notre
route de ce côté-là ou si nous prendrions le chemin
de France. Enfin le Père se souvint qu'il avait un ami
à Namur et pourrait avoir par son moyen un passeport
de son Altesse électorale de Cologne. Nous nous déter-
minâmes à prendre ce parti, et le lendemain, 3 octobre,
nous partîmes de grand matin, et nous arrivâmes à
Namur sur les neuf heures. Quand nous fûmes à la
j:orte, on vint pour nous demander d'où nous venions
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 209
et pour écrire nos noms. Notre conducteur répondit que
nous venions de Vavres, où il avait une maison de
campagne, et que nous ne ferions que dîner dans la ville,
etnousl'avions effectivement résolu ainsi. Sur cela on
nous laissa passer, sans écrire nos noms et sans nous
mener à M. le gouverneur, comme cela s'observe dans
les villes frontières de cette importance. Quand nous
eûmes mis pied à terre, je laissai le P. Quesnel dans le
cabaret, où il se fit raser, et j'allai rendre ma lettre à
M***, qui fut fort surpris d'apprendre que le P. Quesnel,
qu'il croyait à Liège depuis plusieurs jours, fût encore à
Namur. Il me parla avec beaucoup de bonté et d'ou-
verture ; il me fit espérer un passeport de M. le gouver-
neur, qui était fort son ami et qu'il devait voir ce jour-là.
En effet, après de nombreuses allées et venues, les passeports
sont délivrés; les fugitifs gagnent Huy, où ils craignent un
moment d'être retenus, et de là :
Nous partîmes le samedi 13 octobre, à dix heures
du matin, sur un petit bateau, et nous arrivâmes heu-
reusement, à trois heures après midi, à Liège, où l'on
attendait le P. Quesnel avec impatience, et où les amis
nous reçurent avec beaucoup de bonté et d'affection.
Quesnel à M. le chancelier de Pontchartrain
Octobre 1703.
Monseigneur,
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Grandeur la lettre
que je prends la liberté d'écrire au roi, pour supplier
très humblement Sa Majesté de donner un moment
d'audience à un des moindres, mais des plus fidèles de
ses sujets, calomnié auprès d'Elle de la manière du
monde la plus cruelle et la plus injuste. Je suis assuré,
il. 14
210 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QL'ESNEL
Monseigneur, que ce grand prince, qui a tant d'amour
pour ia justice, la rendrait tout entière à mon inno-
cence, si je pouvais espérer de la faire connaître à Sa
Majesté. Mais, Monseigneur, comment l'espérer? Mes
ennemis sont si puissants et répandent tellement ia
terreur partout que personne n'ose ouvrir la bouche en
faveur de ceux qu'ils ont entrepris de perdre. Ils sont
seuls écoutés, et il leur est permis de tout dire sans
rien prouver. Quelle innocence peut échapper à la
calomnie, dans une condition si inégale? Il n'y a donc
qu'à souffrir et à gémir. Cependant, blessé dans la
partie de mon cœur la plus sensible, je n'ai pu lui refu-
ser la consolation de protester, aux: pieds de mon roi,
qu'il n'y a rien qui ne soit faux à tout ce que mes
ennemis publient que j'ai écrit de contraire au profond
respect dû à sa personne sacrée et à celle du roi catho-
lique, son petit-fils. Pour être pleinement justifié sur ce
sujet, je n'aurais qu'une chose à désirer, qui est que Sa
Majesté eût la bonté d'obliger mes accusateurs à expo-
ser leurs preuves à la lumière de celui qu'elle a fait le
premier ministre de sa justice et le chef de tous ses
conseils. Vous l'êtes, Monseigneur, par un choix qui
fait autant l'éloge du roi que le vôtre et qui est un
témoignage éclatant de votre zèle pour sa gloire,
éprouvé dans les temps les plus difficiles, comme il est
une preuve glorieuse de la confiance de Sa Majesté en
votre sagesse.
Quesnel ait roi
(L'original a été envoyé au ministre pour être présenté au
roi.)
Octobre 1103.
SlRE,
La respectueuse crainte dont les personnes du pre-
mier rang sont frappées à la vue du trône que Votre
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 211
Majesté a rendu si glorieux et si redoutable m'aurait
empêché, étant si peu de chose, de prendre la liberté
d'en approcher ; mais les accusations énormes que
mes ennemis ont eu la confiance d'y porter contre
moi m'ont persuadé qu'une autre sorte de respect
m'imposaitl'heureuse nécessité d'y venir rendre compte
de ma conduite à Votre Majesté. Car, puisque mes
accusateurs, non contents de me noircir partout ailleurs
comme un sujet injurieux à son prince, osent même
porter leurs calomnies jusqu'à ses oreilles et me faire
passer dans son esprit pour un Français dénaturé,
opposé à vos intérêts, Sire, et (ce que je ne puis écrire
sans horreur) ennemi de votre personne sacrée, c'est
un devoir indispensable de me jeter à vos pieds, avec
le plus profond respect et, en même temps, avec une
affliction de cœur que je ne puis exprimer, pour sup-
plier, Sire, votre extrême bonté de m'accorder quelques-
uns de ces moments dont l'emploi a toujours fait le
bonheur de vos peuples, la terreur de vos ennemis et
l'admiration de toute l'Europe.
Pour ne pas abuser d'un temps si précieux, je réduis
en trois mots la justification de mon innocence.
Premièrement, je proteste à Votre Majesté, avec
toute la sincérité que je dois à mon souverain, que je
n'ai jamais rien dit, rien écrit, ni rien fait de contraire
au respect que je dois avoir et que j'aurai toute ma
vie pour Votre Majesté.
Secondement, je suis si assuré de mon innocence
sur ce sujet que j'ai défié mes accusateurs, qui ont
entre leurs mains tous mes papiers, d'y rien trouver
de contraire à ces devoirs que j'ai toujours crus d'une
obligation indispensable, comme faisant partie de la
religion et de la piété chrétienne. Et, s'ils osent pro-
duire quelque chose qui y soit opposé, je n'hésite
point, Sire, d'assurer Votre Majesté ou qu'il n'est
point de moi, ou qu'ils l'ont falsifié par des interpré-
212 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
tations malignes et calomnieuses, et entièrement con-
traires à mon intention et à mes pensées. Enfin, si
Votre Majesté, Sire, daigne vouloir bien être informée
de mes sentiments et de mes véritables dispositions
pour votre personne sacrée, je la supplie très humble-
ment de se faire rendre compte de ce que j'ai écrit des
devoirs essentiels des sujets envers leurs souverains
dans les Réflexions chrétiennes sur le Nouveau Testa-
ment, publiées avec l'approbation de M. le cardinal de
NoailLes, mon archevêque. J'y ai exprimé, Sire, mes
plus sincères sentiments et les dispositions les plus
naturelles de mon cœur envers Votre Majesté, en
expliquantce qu'ont enseigné sur ces devoirs les princes
des apôtres dans leurs épîtres.
Et lorsque, dans cet ouvrage, je me suis efforcé d'ins-
pirer aux sujets de Votre Majesté les sentiments les
plus vifs d'une vénération et d'une fidélité inviolables,
et de les y faire entrer par les motifs de la religion,
qui sont les liens les plus forts de la fidélité des peuples
envers leurs souverains, je n'ai fait que peindre sur le
papier ce qui a toujours été écrit dans le fond de mon
âme, de manière à n'en pouvoir jamais être effacé.
Si j'en étais, Sire, demeuré là, peut-être que mes
ennemis me l'auraient pardonné ; mais, parce que j'ai
défendu contre eux et contre leurs émissaires la sou-
veraineté des rois ..et ses droits inaliénables, parce que
j'ai exposé à la lumière du soleil les maximes de leur
école, contraires à l'indépendance de votre couronne,
Sire, de toute autre puissance mortelle, à la fidélité
inviolable de vos sujets et à la sûreté même de votre
personne sacrée, ils ont voulu se venger par cette
froide récrimination, qu'ils ne sauraient appuyer de
la moindre preuve tirée de mes écrits, qui soient vrai-
ment de moi ou écrits de ma main.
J'ai la confiance d'assurer, Sire, Votre Majesté que
ceux de mes amis avec qui j'ai plus de commerce, et
Correspondance de pasquIer qUesnel 213
particulièrement le sieur Vuillart, arrêté par vos ordres,
sont aussi innocents que moi, quelques bruits vagues
que nos accusateurs affectent de répandre dans le
monde contre lui. Je connais, Sire, son cœur et la
vénération qu'il a toujours eue pour Votre Majesté, et
je suis certain qu'on en trouverait des marques écla-
tantes dans les lettres qu'il m'a écrites, si ceux qui
s'en sont rendus les maîtres à Bruxelles, aussi bien que
de mes papiers, sans aucune formalité de justice,
n'avaient eu grand soin de supprimer sans conscience
tout ce qu'ils y ont trouvé qui nous était avantageux
et propre à faire connaître la passion que nous avons
toujours eue, lui et moi, pour ce qui est, Sire, de votre
service et de votre gloire. Conduite de prêtres chrétiens
bien contraire à celle d'un illustre païen, le grand
Pompée, qui, étant maître des lettres de son ennemi,
les fit jeter au feu sans en lire aucune, ne pouvant se
résoudre à se donner une satisfaction qui aurait pu
exciter de nouvelles passions dans son âme et de nou-
veaux troubles dans la république.
11 ne me reste plus, Sire, que de me jeter encore une
fois aux pieds de Votre Majesté, pour la supplier très
humblement de me pardonner la liberté que j'ai prise
d'exposer mon innocence calomniée à la lumière de
votre sagesse et de votre justice. Je serais indigne de
vivre si j'avais le cœur assez mal fait pour souffrir
avec indifférence qu'on m'accuse d'avoir péché contre
les devoirs et les sentiments que ma naissance, mon
christianisme et mon sacerdoce me doivent inspirer
et m'inspirent effectivement pour mon roi. Ils ne fini-
ront, Sire, qu'avec ma vie. Profondément gravés dans
mon cœur, ils m'accompagneront partout; ils me font
en quelque façon retrouver ma patrie dans les pays
étrangers ; ils sont entrés avec moi dans ma prison de
Bruxelles, d'où il a plu h Dieu de me faire sortir par
une disposition toute particulière de sa providence.
214 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Mais surtout, Sire, ils montent toujours avec moi au
saint autel et m'y font offrir à Dieu, avec le sacrifice de
son Fils, celui de mes prières et de mes vœux les plus
ardents pour la conservation et la prospérité de votre
sacrée personne, de celle de Monseigneur et de toute
votre royale et glorieuse famille. Je supplie très humble-
ment Votre Majesté, Sire, de me permettre de l'assurer
que, quelque part que la violence de mes ennemis me
force de me retirer, j'y porterai avec moi ces sentiments ;
je ferai sans cesse les mêmes vœux partout, et je me
ferai gloire partout d'être, Sire, de Votre Majesté, le
très obéissant, très fidèle et très zélé sujet et serviteur.
Pasquier Qdesnel,
Prêtre de TOraloire de Jésus.
Quesnelà la marquise de Dampierre[
Décembre 1703.
Je ne sais, Madame, duquel des deux je dois vous
faire excuse, ou de ce que je me donne l'honneur de
vous écrire, ou de ce que j'ai été sans le faire depuis la
guérison de ma grande maladie L>; car celle-ci a été
de telle nature que, n'ayant plus aucun ressentiment
de ce mal contagieux, mes lettres en conservent encore
le mauvais air et peuvent en infecter ceux qui les
reçoivent.
Quel moyen, cependant, de ne vous pas faire voir
quelques lignes de mon écriture, pour vous assurer
que je vis encore, et que, quelque violent qu'ait été*
mon mal, je m'y suis toujours souvenu de vous, et
aussi que, quelque joie que je puisse avoir de me re-
1. Copie de la main de Mll,! de Joncoux (Bibl. nat., ms. 19739).
2. Son emprisonnement.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 215
trouver encore parmi les vivants, après avoir été comme
enseveli avec les morts, elle ne me fait pas oublier ce
que je dois à l'honneur que vous me faites, Madame,
d'avoir pour moi une bonté singulière? Je me suis bien
représenté quelle aura été votre affliction, quand vous
apprîtes le mal dont je fus attaqué, et je me figure aussi
le plaisir que vous a fait la nouvelle de ma guérison.
L'un et l'autre vous aura fait faire pour moi des prières
extraordinaires, et je ne puis attendre, n'en doutant
pas, que vous m'en assuriez vous-même pour vous en
remercier, comme je fais de tout mon cœur présente-
ment. Je ne doute point, Madame, que Mmc la baronne
de Mouchy n'ait aussi senti pour moi une grande solli-
citude, ayant toujours eu la bonté de prendre part à
tout ce qui me regarde. Je vous supplie de vouloir
bien vous charger de lui en témoigner ma reconnais-
sance, en l'assurant du nouveau respect que je me sens
pour elle, depuis que je me trouve, comme un nouvel
homme, transporté dans un nouveau monde. Je me
sens aussi une obligation très grande de mener une vie
toute nouvelle, pour me préparer à celle du siècle à
venir, qui sera tout autrement nouvelle que celle que
la grâce opère dans nos cœurs, durant les jours de
notre mortalité. Mon Dieu! à quoi les employons-nous,
ces jours qui passent avec tant de rapidité, si nous n'y
travaillons de toutes nos forces à nous rendre dignes
de ce jour éternel qui n'a jamais commencé et ne finira
jamais? Tout ce qu'il y a dans le monde de plus grand,
et qui flatte davantage l'ambition des hommes, est si
petit et si méprisable que, quand on y parviendrait
sans peine, il ne mériterait pas que l'on pensât à l'ac-
quérir et qu'on y employât un seul des moments qui
nous sont donnés pour gagner l'éternité. L'état d'où je
suis sorti par ma guérison était bien plus propre à m'y
préparer que celui d'une pleine santé, et je crains bien
que je ne regrette un jour l'avantage que j'y trouvais
216 CORRESPONDANCE DE PASyUIER QUESNEL
pour mon salut, et que les faux avantages de mon état
présent ne me paraissent une véritable perte.
La maladie, pareille à la mienne, dont plusieurs de
mes amis se trouvent atteints1, ne me permet pas de
goûter le plaisir de la santé, et je ne me croirai point
guéri que quand j'apprendrai qu'ils le sont eux-mêmes
aussi bien que moi. Je voudrais pouvoir écrire à tous
mes amis, qui ont pris tant de part à mes maux; mais
je ne puis leur témoigner ma reconnaissance qu'en
général.
Je vous souhaite, Madame, toutes sortes de bénédic-
tions et à votre chère famille, pour laquelle je tremble
au milieu de tant de tueries.
Quesnel à
•**o
12 janvier 1704.
Pour ce qui est de la censure du provençal3, voici ma
pensée : C'est, premièrement, de faire imprimer, par
forme de mémoire instructif ou de réflexions, les rai-
sons et preuves de nullité et de surprise. Deuxième-
ment, de mettre à la tête une lettre adressée à son
métropolitain, qui est l'archevêque d'Aix, pour lui
dénoncer cette ordonnance, lui demander justice de son
sulfragant pour les vérités de l'Evangile qu'il a décriées
comme erronées, et pour l'autorité de M. le cardinal
qu'il a foulée aux pieds; pour l'auteur, afin qu'il l'oblige
de déclarer ce qu'il a trouvé de mauvais dans les Ré-
flexions ou, s'il désavoue l'ordonnance comme tirée de lui
1. Le P. Gerberonet M. Vuillart, emprisonnés.
2. Bibl. nat, ms. 19736.
3. Foresta de Colongue, évoque d'Apt, avait publié, le 15 octo-
bre 1703, une ordonnance censurant le livre des Réflexions morales du
P. Quesnel. C'était, après le Problètne ecclésiastique, la seconde attaque
des jésuites contre cet ouvrage.
CORRESPONDANCE DE PASQÎJIER QtESNEL -lil
par surprise, de le déclarer publiquement1. Troisième-
ment, ma pensée serait d'en envoyer un exemplaire au
métropolitain, avec une lettre de ma main et avec mon
nom, pour qu'il ne dise pas qu'un évoque ne procède
point à la réquisition d'un anonyme. La lettre serait,
ou la même qui serait à la tête de la dénonciation ou
du mémoire, ou une autre lettre courte qui marque
seulement que celui qui dénonce est une personne
réelle et qui a titre pour demander justice.
Peut-être que le métropolitain ne fera rien ; mais le
public sera toujours saisi de la cause et en jugera en
sa manière. Et peut-être que, voyant le public informé
de l'affaire et que M. le cardinal y a le principal intérêt,
il écrira au moins à son suffragant pour lui conseiller,
pour prévenir tout, de désavouer et rétracter son ordon-
nance. Peut-être qu'en même temps on donnerait à l'au-
teur quelque coup d'estramaçon; mais il faut s'attendre
à tout.
Or il faudrait cependant s'informer, là où vous savez :
1° si on juge ce dessein à propos ; 2° s'il y a lieu d'at-
tendre quelque chose du juge ; 3° s'il est en la ville de
sa résidence ou à Paris ; 4° si on approuve que l'auteur
se nomme. Enfin s'informer de tout ce qui peut être
utile à cette démarche.
On ne croit pas que l'éminent approbateur2 le trouve
mauvais, et, puisqu'il a dessein de soutenir le livre, il
faut qu'il fasse quelque chose ou qu'il soit bien aise
qu'un autre commence à remuer cette affaire. Mais il
1. Dans un Mémoire touchant l'ordonnance de M. Vévêque d'Api,
Quesnel fait remarquer que la dénonciation ne mentionne pas le nom
des approbateurs du livre. « Peut-être lui a-t-on fait croire, ajoute-t-il,
qu'il s'agissait du Nouveau Testainent de Trévoux. » Et, dans la conclu-
sion : « Il ne me reste qu'à souhaiter que M. d'Apt considère sérieu-
sement, devant Dieu, quel parti il a à prendre à l'égard de M. l'arche-
vêque de Paris, contre qui il a osé former une entreprise si publique et
si scandaleuse. »
2. Le cardinal de Noailles.
218 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
semble que, s'il ne veut pas faire quelque éclat contre
l'ordonnance, il ne pourrait au moins se dispenser de
prendre occasion des deux libelles1 pour, en les censu-
rant et condamnant comme calomnieux, donner quelque
coup indirectement contre L'ordonnance, en disant
qu'il est étonnant qu'il se soit trouvé un évêque qui, etc.,
et même donner une nouvelle approbation du livre.
S'il se plaignait qu'on ne l'aide point, on pourrait lui
répondre qu'on ne l'a osé, de peur qu'il ne le trouvât
mauvais par rapport à la personne odieuse ; mais qu'il
peut s'assurer qu'avec le temps on justifiera le livre en
détail et que l'on répondra en particulier à toutes les
accusations.
Quesnel à MUe de Joncoux2
Amsterdam, 1er mars 1704.
Votre lettre du 9 février vient de m'être rendue à
midi. Aussitôt après le dîner, j'ai pris la plume pour
vous répondre et pour faire une lettre plus courte, que
voilà.
Je vous remercie des nouvelles de littérature. Elles
ne touchent guère au cœur pendant qu'il est rempli de
l'amertume que lui font sentir les maux de l'Eglise et
l'état affligeant de nos amis. Le Dieu de toute consola-
1. Le P. Ques7iel séditieux et le P. Quesnel hérétique, deux libelles
parus en 1704 à Bruxelles et attribués, par les catalogues et par le
P. Quesnel lui-même, au P. Lallemand, jésuite. Ils furent réimprimés
en un seul volume, en 1707. Les Réflexions morales y sont regardées
comme « l'ouvrage le plus séditieux qui fut jamais », et l'auteur,
comme « un hérétique, également opiniâtre et insolent, renouvelant les
erreurs de Luther ». Un des approbateurs du second de ces libelles,
Martin, docteur de Louvain, dit que l'auteur de ce petit ouvrage « ne
doit pas être compté parmi les chiens muets d'Isaïe; car il a senti le
loup, savoir l'hérésie jansénienne qui se cache dans le bois des Réflexions
morales du P. Quesnel ».
2. Bibl. nat., ms. 19735.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 219
tion nous donnera, s'il lui plaît, la consolation de son
esprit, et soutiendra par sa force ceux qui sont sous le
pressoir et qui ne sauraient dire comme leur chef ado-
rable : Torcular calcavi soins, puisque ce Sauveur y
est et travaille avec eux. C'est une chose édifiante de
voir le P. Daniel défendre saint Augustin. Après cela,
la médisance n'oserait plus l'accuser de lui en vouloir.
On me mandait, le 25 février, du diocèse de Cambrai,
que ce prélat faisait imprimer actuellement quelque
chose contre les augustins ou augustiniens. C'est
peut-être un mandement dont on ne me disait rien. On
ne m'a point encore fait tenir les journaux, etc., quoi-
qu'ils ne soient qu'à quatre ou cinq lieues d'ici. On vous
aura peut-être régalé de la citation du P. Quesnel, faite
par l'archevêque de Malines par un grand placard
imprimé1. Je n'ai pas le loisir de vous en faire le
détail. Je n'aurai nulle peine à envoyer une procura-
tion sous seing privé pour la vente des rentes. Mais,
comme je n'ai que la moitié, ne sera-ce point un trop
grand embarras ? Il y faut penser. Je n'en vois pas trop
la nécessité; car, quand mes affaires m'appelleraient en
pays ennemi, où je serai peut-être obligé d'aller me
faire payer de quelques dettes, il n'y a point de défenses
à ceux de mon pays de demeurer en pays avec lequel
est la rupture. J'ai observé cela dans la déclaration de
guerre d'autrefois.
1. Quesnel fut cité à comparaître personnellement, le 17 mars, par
un décret affiché sur les murs et signifié à son dernier domicile. Le
fugitif fit alors présenter un nouvel acte de récusation à l'archevêque
de Malines, le 23 mars, par le notaire van der EIst, ce qui n'empêcha
pas Humbert de Précipiano de le citer à nouveau, le 14 avril et le 9 juin.
220 CORKESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à J/lle de Joncoux1
Amsterdam, 15 mars 1704.
Je ne suis pas étonné que, dans votre lettre du 4 de
ce mois, vous n'ayez pas accusé la réception d'une
seconde lettre courte,demandéc par Votre Révérence. J'es-
père que depuis vous l'aurez reçue. Je ne suis jamais sans
inquiétude sur ces sortes de lettres. Car il faut que tout
cela passe par plusieurs mains, et il est difficile qu'en ce
temps où nous sommes il ne se trouve des gens curieux,
qui n'ont que faire de savoir les affaires des familles et
qui toutefois sont fort empressés de les savoir.
Rien ne me déplairait plus que, s'il arrivait qu'au lieu
d'aller où on les envoie, elles vinssent à courir les rues.
C'est ce qui ma empêché d'envoyer par une autre voie
un second exemplaire original de cette lettre deuxième,
de peur qu'il ne lui arrivât ce qui fit tant crier saint
Jérôme contre saint Augustin, que la lettre qu'il lui
avait écrite se voyait partout avant que lui-même l'eût
vue.
Nous avons su, en ces quartiers, la citation du
P. Quesnel par l'archevêque de Malines2. Vous en pou-
1. Bibl. nat, ras. 19735.
2. Le P. Quesnel était cité pour répondre sur les chefs suivants :
1° Sur sa sortie de l'Oratoire en 1678;
2° De ce qu'il a changé l'habit ecclésiastique en celui de laïque ;
3° Sur les troubles qu'il a excités parmi les prêtres de Hollande ;
4° Sur ce qu'il a renouvelé la doctrine de Baïus et de Jansénius;
5° Que les jansénistes avaient dessein de faire un nouvel ordre, qu'ils
avaient des chiffres ;
6° Que son Saint Léon a été condamné à Rome ;
7° Sur les lettres injurieuses que ses amis lui ont écrites sur les rois
de France et d'Espagne ;
8" Qu'il a loué et approuvé plusieurs ouvrages du P. Gerberon;
9" Qu'il a revu plusieurs ouvrages de M. Arnauld ;
10" Qu'il ;i furieusement invectivé contre ceux qui condamnaient les
docteurs <!u fameux Cas de Conscience, etc., etc.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 221
vez être mieux informés que moi, y ayant plus de
commerce entre Paris et Bruxelles que je n'en ai avec
l'un ni avec l'autre. Si je puis recouvrer une protesta-
tion qu'il a faite, à ce qu'on dit, je vous l'enverrai. On
m'a envoyé, il y a peu de jours, sa lettre à M. le vicaire
général de Malines. On dit qu'elle est un peu âpre ; mais
on dit aussi que ce personnage ne mérite guère d'être
ménagé. J'ai parcouru une certaine histoire où je trouve
sans comparaison plus d'aigreur que dans cette lettre1,
et néanmoins c'est entre des personnes d'un caractère
bien plus relevé. Je n'aime point, non plus que vous,
ces styles durs, quoique saint Paul ait dit : Quos increpa
dure.
J'aime une manière d'écrire noble, modérée et sans
rien outrer; mais tout le monde n'est pas capable de
donner cet air de noblesse et de dignité à ses écrits. Je
ne doute pas que celui qu'on a cité ne réponde et ne
soutienne par un écrit la protestation qu'il a faite contre
le juge qui veut se mêler de ses affaires2; mais, pour
vous dire le vrai, je n'attends rien de grand de ce petit
homme. Notre bon archevêque a été si applaudi de son
décret, où il a inséré en latin l'ordonnance française de
M. de Chartres, qu'on dit que son voisin l'évêque de Liège
en veut faire autant.
Quesnel à MUe de Joncouœ3
Amsterdam, 27 avril 1704.
Le pauvre P. Quesnel est tympanisé à double caril-
lon, dans des placards publiés et à Bruxelles et à Liège ;
1. Quesnel fait allusion à la querelle théologique entre Bossuct et
Fénelon.
2. Il fit, en effet, paraître le Motif de droit (in-12, de 292 pages, 1704).
3. Bibl. nat, ms. 19735.
222 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
mais on dit qu'il n'en est pas fort alarmé. Ces diffama-
tions, dit-il, me sont plus utiles et plus avantageuses
que les louanges.
On recevra volontiers le cahier du bréviaire, qui a été
oublié. Après cela, on le fera relier, comme vous le
désirez, à la mode de ce pays, puisque vous avez cette
fantaisie. On ne l'a pas pu jusqu'à présent; mais rien
présentement ne l'empêche. Il faut excuser. Mais, s'il y
a quelques offices nouveaux, il faut les envoyer avec le
cahier.
Je salue et embrasse mes chers amis et mes chères
amies. Je les ai tous très présents, et, si ma plume ne
met pas leurs noms sur le papier, il y a une plume invi-
sible qui les écrit sans cesse dans le cœur. Qu'ils prient
bien Dieu pour moi, et qu'en le priant pour l'avenir,
ils le remercient pour le passé et le présent! Car la
divine bonté m'a fait beaucoup de grâces et m'a procuré
partout des amis qui me confirment, de plus en plus,
dans la croyance que notre cause est la cause de Dieu.
Adieu, mon très cher Monsieur, j'ai ouï dire que le
P. Quesnel avait revu encore une fois ses Réflexions et
qu'on lui a enlevé les quatre volumes, reliés en carton
blanc, où il y avait des corrections et améliorations.
Le prélat les devrait revendiquer; car ils lui étaient
destinés.
Quesnel à *** l
Amsterdam, lundi de la Pentecôte, 12 mai 1704.
Le curé de Sainte-Catherine2 a appelé au Saint-Siège
d'un mandement de l'éveque de Liège, où il est pro-
1. Bibl. nat., ms. 1973.ri.
2. Guillaume de Vandenesse, curé de Sainte-Catherine, écrit au
pape, le 15 mars. Ses paroissiens en font autant, le 4 avril, pour récla-
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 223
clamé, avec le P. Quesnel et M. Ruth d'Ans, comme
suspect d'hérésie. 11 a joint à l'acte d'appel les deux
suppliques présentées au pape, l'une en son nom et
l'autre au nom de son clergé et de sa paroisse. On
n'espère pas beaucoup de tout cela. Sa partie est trop
puissante. On a traduit l'acte d'appel et les deux sup-
pliques en français; mais je ne sache point qu'elles
soient imprimées.
Le chevalier Del Pozzo [le P. Quesnel ] a une biblio-
thèque que ses amis lui conseillent de vendre. C'est un
meuble assez inutile à un cavalier qui est sur l'âge
et qui n'est plus si ardent à l'étude que dans sa jeunesse.
Il y a dans cette bibliothèque un beau recueil de livres
de mathématique1; car vous savez qu'il est ingénieur.
Il ne veut point que l'on vende ce recueil ni qu'on le
sépare. Mais, outre ce recueil complet, il a un grand
nombre de livres sur cette matière, qui peuvent être re-
cherchés par d'autres pour rendre complets leurs recueils.
C'est pourquoi il désire qu'on ait grand soin d'empêcher
qu'ils ne se dissipent. Ils pourront beaucoup servir à
un de mes amis qui est allé voyager, pour un dessein
qu'il serait trop long de vous expliquer ici. Il faudrait
en faire faire un catalogue bien circonstancié. On trou-
verait ailleurs, de côté et d'autre, de quoi en faire un
recueil complet. Quant au reste des livres, il souhaite-
rait qu'on en fît aussi un catalogue, afin de marquer
certains livres singuliers et qu'on ne recouvre pas aisé-
ment et de les garder pour de bons usages. Le temps
ne paraît pas fort propre à vendre des livres avec avan-
tage. Un temps de paix serait plus propre.
Je suis à ma campagne, fort éloigné, comme vous
mer du Saint-Siège leur pasteur, dont ils sont privés. Il ne rentra dans
sa paroisse qu'en 1706; mais, à peine de retour, il fut suspendu de
toutes les fonctions pastorales.
1. Il veut parler des ouvrages sur les questions religieuses du temps
qui concernent son parti.
224 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
savez, de tout commerce. Je n'apprends rien que par
votre moyen. Vous m'avez appris la mort de l'évoque de
Meaux. C'était l'oracle du clergé de France, une bouche
d'or. Et qui sera donc, dorénavant, l'écrivain épisco-
pal ? Car je n'en vois guère qui en fasse le métier parmi
Nosseigneurs, sinon en forme de mandements contre
le respectueux silence.
Mgr de Cambrai est bien capable de recueillir cette
succession. Il y trouvera moins de concurrents que pour
la charge de premier aumônier de Mme la duchesse de
Bourgogne. J'ai parcouru son ordonnance. Il me paraît
là tout autre que je ne l'avais cru. Il y parle fort clai-
rement, et on aurait grand tort de le croire janséniste;
il est aussi peu théologien et aussi peu philosophe que
possible. Il me semble que son écrit est un sophisme,
depuis le commencement jusqu'à la lin, et il est aussi
outré sur l'autorité de l'Eglise que sur l'amour de Dieu1.
Cependant cela ne laissera pas d'éblouir beaucoup de
gens, qui seront bien aises qu'on leur fasse accroire
qu'ils peuvent signer en bonne conscience.
Vous ne m'avez rien mandé de notre cher affligé2,
marque que vous n'en avez point de nouvelles. C'est
une chose bien douloureuse que de voir souffrir ses
amis; mais c'est une chose bien avantageuse et bien
consolante de souffrir pour la cause de la vérité. Je dis
de bon cœur pour lui ces paroles que l'Eglise nous met
présentement dans la bouche : Consolator optime, in
labore requies, in œstu temperies, in fie tu solatium.
1. L'opinion fut unanime dans le parti sur cette ordonnance de
Fénelon, soutenant l'infaillibilité. M. Ernest Ruth d'Ans écrit à Mlle de
Joncoux,le3 avril 1704 :« Bien m'en a pris qu'on ne me l'a point pnvoyée
en carême. Cette lecture, avec le jeûne, m'aurait trop échauffé le sang.
Malignité, ignorance, sophismes, médisances, jugements téméraires,
hardiesse, nulle connaissance de la matière qu'il traite, c'est tout ce que
j'ai rencontré dans cette instruction. » (Archives d'Amersfoort, Lettres
de M.Ernest Ruth d'Ans, boite 11.)
2. Probablement M. Vuillart, interné à la Bastille depuis le 3 oc-
tobre 1703, et qui devait y rester douze ans.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 225
Je vous souhaite le bon jour, le bon cœur, le bon
esprit, et je supplie l'auteur de toute bonté de vous en
remplir de plus en plus. Je salue mes amis et mes
amies, et je les supplie de prier Dieu pour moi.
Je suis étonné de ce que je n'apprends point que mes
frères soient dans une parfaite santé. Si vous les voyez
quelquefois, assurez-les de mon amitié et de la sollici-
tude où je suis à leur égard.
Quesnel à MUe de Joncoux1
9 juin 1704.
A-t-on vu à Paris le décret contre l'archevêque de
Sébaste? Ce pauvre prélat sera accablé. Il a affaire à
forte partie. On voit en ce pays un Motif de droit du
P. Quesnel. Je ne sais pourquoi il a pris ce titre, qui
est en usage en ce pays, mais qui ne sera pas peut-être
entendu ailleurs. Les curieux de Paris n'en ont-ils
point encore pu attraper? Il y a aussi une lettre au R. P.
de La Chaise, qui est bien âpre. Chacun en fera son juge-
ment, selon son goût et sa portée.
Jusqu'à présent j'ai eu, Dieu merci, assez de santé,
quoique j'aie éprouvé bien de différentes sortes d'air.
Les maladies de mes amis me font plus de peine que
les miennes ne m'en feraient. Je salue avec bien du
respect et de la tendresse ceux qui sont à portée de
recevoir les marques de mon souvenir. Quand on aura
de l'argent à m'envoyer, il sera le très bien venu. Je
crois que mes dettes sont toutes payées. Je déménage,
et je ne sais encore où je me placerai.
Je me recommande à vos prières et je suis tout à
vous, mon très cher ami, très cordialement; car com-
ment pourrait-on être autrement à un si bon petit cœur?
1. Bibl. nat., ms. 19735.
n. 15
226 CORRESPONDANCE DE PASQLIER QUESNEL
Qnesnel à Mi]e de Joncoi(xx
Amsterdam, 1er septembre 1704.
Eh ! ma pauvre nièce, que je vous ai d'obligation du
soin que vous prenez de ma famille et de mes affaires,
pendant mon absence ! Ne vous lassez pas, je vous en
prie ; car celles qui m'ont fait venir ici ne seront pas
encore sitôt terminées. Je ne vous écris point autant
que je le souhaiterais, parce que, nonobstant le réta-
blissement du commerce des lettres, je vois qu'il ne
laisse pas de s'en perdre.
Ce P. Qucsncl, dont vous dites que vous avez vu le
Motif, fait courir en ce pays plusieurs lettres qui ne
serviront pas à le raccommoder avec les Pères jésuites.
Il devrait ne pas tant écrire et prier Dieu davantage,
pour se préparer à partir pour l'autre monde. Aussi
bien il n'y a guère d'apparence qu'il fasse jamais for-
tune en celui-ci, et il fera bien de ne songer à se
dédommager que dans l'autre des pertes qu'il dit qu'il
a faites.
J'ai ouï dire qu'Auxerre est donné à un M. de Quélus
ou Kailus2, et un autre évêché à un autre. Je crois que
celui à qui on a adressé des lettres les a reçues, mais
1. Bibl. nat., ms. 19735.
2. M. de Gaylus (1669-1754) était disciple de Bossuet et grand-vicaire
du cardinal de Noailles, depuis 1700. 11 fut, par la suite, appelant et
réappelant de la bulle Unigenitus. Nous avons eu, entre les mains, un
assez grand nombre de lettres inédites de cet évêque, qui se trouvent à
Amersfoort (carton 13). M. de Caylus resta en correspondance assidue
avec tous les hommes influents du parti et montra une inaltérable
patience, durant ces longues luttes religieuses. « Ce qui augmente ma
confiance, écrit-il à Colbert, évêque de Montpellier, est l'abandon
presque universel où nous nous trouvons de la part des hommes. Dieu a
ses moments. Je les attends en paix. » Nous le retrouverons plus tard,
lorsque, dans un prochain ouvrage, nous aborderons les convulsions
dont il sera un des ardents défenseurs.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 227
qu'il fait la sourde oreille pour ne pas payer ses dettes;
car, dans ce temps-ci, on est dur à la desserre. Pour la
nouvelle assignation à donner à un autre codébiteur,
on y pensera ; mais il faut bien penser avant que de
donner un exploit qui doit être suivi d'un procès. Je
ne saurais dire des injures à M. Gueston1. Peut-il mieux
faire que d'écouter son évéque et ses supérieurs? Une
fermeté persévérante n'est pas de saison. Pour M. Du Pin ,
n'était-ce pas assez que M. de Paris défunt l'eût fait
rétracter et condamner'2?
Quesnel à MUo de Joncoux?j
Amsterdam, 3 octobre 1704.
C'est une chose bien fâcheuse d'avoir des procès.
Celui-là me coûte déjà beaucoup, et je ne sais quand
j'en verrai la fin. Ma partie dit bien du mal de moi. Je
prie Dieu qu'il lui pardonne et qu'ilme donne la patience.
Par sa grâce, je me trouve fort tranquille surtout cela.
11 faut faire pénitence d'une manière ou d'une autre.
Apparemment je ne trouverai jamais de bourreaux qui
m'écorchent ou me déchirent le corps. Je n'ai pas le
courage de uie le déchirer moi-même, comme fait notre
cousin le capucin. 11 faut au moins que ma réputation
soit déchirée. C'est ordinairement une idole à laquelle
1. Gueston, chanoine régulier de Saint- Victor, fut exilé à, Valence,
pour sa signature du Cas de Conscience, et se rétracta.
2. 11 se rétracta de môme, fut condamné encore et exilé à Chàtelle-
rault pour la signature du Cas de Conscience. L'abbé Legendre (Mémoires,
livre IV) le peint comme « l'homme le plus odieux au pape et à la cour
de Rome », quoique « ne faisant que piailler dans les assemblées ».
Dangeau le cite en exemple de l'ingratitude de la cour, qui, « dans des
temps de brouilleries avec Rome, se servit très avantageusement de sa
plume, puis le laissa manger aux poux. 11 fut réduit à imprimer pour
vivre, se blasa de travail et d'eau-de-vie, qu'il prenait pour se ranimer
et épargner d'autant sa nourriture ». (Dangeau, t. XVIII.)
3. Bibl.nat., ms. 19735.
228 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
nous sommes bien aises qu'on offre de l'encens à pleines
mains. Nous en sommes nous-mêmes idolâtres, et nous
ne songeons souvent qu'à embellir et à parer cette
idole.
Vous savez peut-être qu'on travaille en France à
une concordance des confessions de foi des diverses
églises protestantes réformées. Il sera difficile de les
accorder, et le concert n'en sera pas fort agréable; ce
sera plutôt un charivari. Ce titre serait trop scandaleux :
Le charivari des confessions de foi protestantes, et nos
frères en Christ diraient qu'on se moque de la religion.
Quesnel à MUe de Joncoux1
Amsterdam, 31 octobre 1704.
J'ai reçu, ma très chère cousine, vos lettres du 21 et
23, et tout ce qu'il y avait d'échantillons pour les petites
étoffes. On y travaille. M. Le Fort [Nicolas Petitpied]'2
fera bien d'exécuter avant l'hiver le voyage qu'il a
résolu de faire pour régler ses comptes avec son cor-
respondant. Celui-ci est vieux, et, s'il venait à mourir,
quel embarras ne lui laisserait-il point ! On trouvera
1. Bibl. nat., ms. 19735.
2. Nicolas Petitpied, ayant signé le fameux Cas de Conscience, fut le
seul des quarante qui, malgré les prières du cardinal de Noailles, ne
consentit pas à se rétracter. Exclu de Sorbonne, exilé à Beauneen 1703
et menacé de plus grands périls pour sa liberté, il résolut de rejoindre
le P. Quesnel en Hollande, non toutefois sans de pénibles luttes inté-
rieures. 11 écrit de Beaune, le 22 octobre : « Je suis dans un accable-
ment extrême. Le bruit s'est répandu ici des extrémités où Ton veut
me pousser. Toutes les personnes qui me veulent du bien se succèdent
pour me parler, pour me presser et pour m'aecabler de raisons très
concluantes, si je consulte les sentiments naturels, mais très faibles,
quand je les rappelle à ma conscience. Ma conscience même est pour
moi un sujet de peines par les combats intérieurs que je ressens. Je
suis alarmé de la crainte de me tromper; je me défie de moi-même, de
de mes vues, de mes lumières; je m'effraie de me trouver seul.»
(Archives d'Amersfoort, Lettres de M. Petitpied, boîte l\.)
CORRESPONDANCE vE PASQUIER QUESNEL 229
moyen de le loger commodément, et je voudrais qu'il
fût déjà ici. Pour le passage, on ne croit pas qu'il y ait
difficulté. Tous les jours les marchands vont et viennent
avec de bons passeports. Son plus court estpar Namur.
On l'adressera à un marchand, et, quand on le mènera
au gouverneur, il n'aura qu'a dire qu'il est des amis de
ce marchand et qu'il va loger chez lui. Il faut qu'il ait,
pour aller là, un passeport des Hollandais, dont les
partis peuvent se trouver sur sa route ; il ne le doit
prendre que pour jusque-là. Il prendra en cette ville-
là les mesures pour le reste. La voie de l'eau pour une
personne de son âge sera plus commode. Les marchands
sont ici habillés comme en France. Ainsi il ne lui
faut point d'autre costume que celui que les marchands
de France et lui-même ont coutume de porter.
Quesnel à Mïle de Joncou.c [
Amsterdam, 19 novembre 1704.
Je vous ai déjà mandé que M"e Le Fort [Petitpied]
sera la très bien venue. Je vous ai même marqué
quelle route elle pouvait prendre et envoyé un billet
pour MUe Raimond2, chez qui elle pourra se reposer et
prendre des mesures pour aller plus avant. Si on
savait son départ et sa route, on pourrait prier
quelqu'un d'aller au-devant d'elle pour l'accompagner;
car on comprend bien qu'une fille qui n'est pas accou-
tumée au voyage sera un peu embarrassée.
M"c Del Pozzo [Quesnel] a de quoi la loger commodé-
1. Bibl. nat., ms. 19735.
2. Mmo Vaës, clame de Liège, chez laquelle Petitpied passa quelques
jours avant de rejoindre le P. Quesnel. Elle était la veuve d'un con-
seiller du conseil souverain de Brabant et habitait, place Saint-Jean,
chez un chanoine nommé Houssart. Etant infirme, elle passait la plus
grande partie de l'année sans sortir.
230 COKRESPOiNDANCE DÉ PASQUIEft QUESNEL
ment d'abord, quoiqu'elle ne soit pas encore tout
à fait dans un lieu permanent. Cette nouvelle du
voyage de la cousine la fait résoudre à ne se pas
établir tout à fait avant son arrivée, afin de pouvoir
eboisir avec elle ce qui lui conviendra davantage. Cette
cousine, qu'elle n'a jamais vue, témoigne tant de joie,
dans l'espérance de la pouvoir bientôt embrasser, qu'elle
est dans l'impatience d'apprendre son départ et n'ose se
flatter que ce soit tout de bon qu'elle veuille se résoudre,
dans une saison si avancée, à se mettre en chemin. Ne
manquez donc pas de lui faire savoir ponctuellement
sa résolution et les mesures qu'elle prendra.
Quesnel à MUe de Joncoux
23 janvier 1705.
La personne, qui est dans une province éloignée de
Paris, écrit qu'il y a longtemps qu'elle a répondu,
qu'elle fera toujours avec un extrême plaisir tout ce qui
sera du service de Mlle Le Fort [Pelitpied]. Elle peut
s'assurer qu'elle sera reçue chez Mme Dupuis [Quesnel]
avec une joie incroyable, en quelque temps qu'elle
veuille lui faire l'honneur de passer par chez elle.
C'est une des plus grandes satisfactions, dit-elle, qu'elle
puisse recevoir en sa vie, et la demoiselle peut comp-
ter qu'elle sera chez elle avec une parfaite liberté.
Tout est prêt pour la recevoir, et on ira au-devant
d'elle le plus loin qu'on pourra. Je n'ai point encore
reçu les papiers envoyés, parce que rien ne me pressait
de les recevoir. Ils viendront bientôt et sont peut-être
en chemin. J'ai su, il y a longtemps, la trop grande
estime que cet homme, trois fois vicaire général, fai-
sait de ce méchant livre. Vous voyez comme tout le
monde n'a pas le môme goût pour une môme chose.
Correspondance de pasquier quesnel 231
J'enverrai une autre fois le billet que vous demandez ;
je salue bien cordialement celui qui en fera usage. Je
crois que, sans faire reproche à la personne si patiente1
à l'égard des injures reçues sous le nom d'autrui, il
suffira de lui adresser des exemplaires d'un écrit2 qu'on
va imprimer au premier jour et qui réfute pied à pied
ce libelle ineptissime3. On pourra, si on le juge à pro-
pos, y joindre un mot, pour demander la condamnation
des deux libelles4. En s'adressant au juge supérieur à
celui qui flétrit le livre, on l'engage, ce me semble,
inévitablement à rendre justice à celui qui est flétri
par son inférieur. Ou bien on attendra que la réfuta-
tion des deux libelles paraisse, pour demander la cen-
sure de ceux-ci.
Quesnel à Ernest Rut h a"Ansh
16 février 1705.
J'étais tout préparé, Dieu merci, à la sentence6; elle
ne me fera pas beaucoup de mal. Elle ne contient rien
1. Il fait allusion au cardinal de Noailles et au mandement de Févêque
d'Apt contre les Réflexions morales. Comme ce livre avait été approuvé
par M. de Noailles, les injures adressées à Quesnel allaient droit à l'ar-
chevêque de Paris.
2. Vidée générale du libelle (par Quesnel, 1705).
3. Causa Quesnelliana, libelle moliniste où Quesnel était traité de
« chien enragé et plus qu'enragé ».
4. Le P. Quesnel hérétique et le P. Quesnel séditieux.
5. Ce passage est extrait d'une lettre de Quesnel insérée dans la cor-
respondance de M. Ruth d'Ans avec MUe de Joncoux (Lettre du 20 fé-
vrier 1705. Arch. d'Amersfoort, boîte 11).
6. Sentence prononcée à Bruxelles le 10 novembre 1704, contre le
P. Quesnel, par Humbert de Précipiano, archevêque de Malines, qui
« l'excommuniait, le condamnait à se retirer dans un monastère, en
pays catholique, pour y demeurer séquestré en esprit de pénitence,
récitant tous les jours les sept psaumes de la pénitence, et jeûnant,
les vendredis, au pain et à l'eau, dans la tristesse et la douleur, jusqu'à
ce qu'il eût satisfait au Souverain Pontife sur la doctrine, et qu'il eût
été absous de l'excommunication ».
232 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
que je ne fisse avec joie, si elle était aussi juste qu'elle
est injuste. On donnera incessamment une Idée géné-
raJe de la satire fiscale. J'espère qu'avec le temps on
satisfera à tout. Je crois que, par avance, les gens
d'esprit mépriseront ce fatras, qui ne prouve que la
malignité des faiseurs.
Quesnel à MUe de Joncoux
27 février 1705.
Eh bien! ma pauvre sœur, il se faut consoler. Par
la grâce de Dieu, je n'ai pas grand'peine à cet égard.
Je ne suis pas digne de mourir de faim pour la cause de
Dieu, et j'ai assez de confiance en sa providence pour
ne le pas craindre, s'il le fallait craindre. Je reçus l'ar-
rêt1, le mardi gras au soir, et, dans la première messe
que j'ai dite depuis, j'y trouvai (ce fut hier) : Jacta
cogitation tuwn in Domino, et ipse te enutriet. Je suis
assuré qu'il ne m'a pas voulu tromper par cette pro-
messe, et je tâcherai de ne me pas tromper moi-même
en me défiant de sa parole ou en mettant ma confiance
dans les hommes, sinon comme dans ses instruments
pour m'assister, quand et en la manière qu'il lui plaira.
Nous n'en sommes pas encore là ; j'ai de quoi rouler
encore quelque temps, et je prie mes chers amis et
mes chères amies de ne se pas inquiéter à mon sujet.
Qu'ils demandent seulement à Dieu qu'il me daigne
1. Arrêt du Conseil, du 16 janvier 1705, remettant en vigueur un édit
de 1669, qui confisquait les biens des fugitifs. Le P. Quesnel n'avait
pas de patrimoine ; mais on lui avait donné mille livres de rente via-
gère sur l'hôpital général de Paris, et M. Arnauld lui avait laissé ses
livres. On les saisit, dans une chambre du collège de Laon, par ordre
de Louis XIV, et on lui confisqua son revenu, le mettant dans le même
cas que les protestants qui avaient quitté la France. Il rentra dans
la jouissance de son bien à la mort du roi et l'abandonna, pour la
plus grande partie, aux pauvres.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 233
rendre fidèle à marcher dans ses voies! Avec cela, tout
le reste ira bien, et d'autant mieux qu'il ira plus mal.
Car il y a longtemps que j'ai appris que notre pis est
notre mieux, selon la fortune de l'Evangile.
Si la raison et le bon droit étaient plus à la mode
qu'ils ne sont, je ne serais pas sujet à la loi; car un
homme qui, depuis vingt ans, s'est volontairement
établi dans un pays, sans violer aucune loi ni aucune
défense, ne doit point être traité en fugitif. On ne m'a
jamais ordonné de retourner, quand je le pouvais, et il
serait bien dur qu'on me le commandât, lorsqu'il m'est
impossible d'obéir. Il y aurait encore une chose à insi-
nuer aux directeurs et aux supérieurs de l'hôpital :
c'est que ces sortes de pensions viagères bont tellement
privilégiées qu'on les a toujours garanties exemptes de
toute saisie, même à l'égard des étrangers, et, si une
fois on en donne un exemple contraire, il n'y a plus
cette persuasion de bonne foi et de sûreté entière qui
porte les Français et les étrangers à donner leurs biens
à cet hôpital. C'est ce qu'il faudrait faire insinuer à
M. le cardinal de Noailles et à M. le premier président
par quelque directeur subalterne, en y joignant ce que
j'ai dit, que je ne puis être regardé comme compris
dans l'arrêt, qui paraît ne regarder que les fugitifs
modernes. Après tout cela, je me tiens en repos, et je
m'abandonne à celui qui me nourrit depuis soixante-
dix ans, et qui m'assure que l'homme ne vit pas seu-
lement de pain.
On peut encore faire considérer que les trois frères
ont relâché en faveur des pauvres, depuis huit ou dix
ans, six cents livres pour chaque année, à condition
d'en être payés ponctuellement et sans délai. Ainsi
c'est doublement l'intérêt de l'hôpital qu'on ne change
rien.
Je crois que je ne vous ai point encore répondu à
la lettre du 30 de janvier. Vous êtes une fort bonne
234 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
fille, et qui recevez bien humblement les petits avis de
vos frères. Dieu en soit loué! Si je ne l'avais su, je
n'aurais pas été si libre; mais je connais mon monde.
Encore un coup, vous êtes ma bonne sœur, et je ne
saurais vous dire combien vous êtes avant dans mon
cœur.
On n'a pu s'empêcher de faire un mémoire sur la
lettre inepte * que vous avez vue dans un livre latin. On
ne l'a encore adressé à personne. J'ai exposé une vue
au frère Ruth [d'Ans] ; mais je crois qu'on la rejettera
bien loin. Je crois que la peine que peut sentir la per-
sonne blessée2, quand on parle du sujet qui a donné
lieu à la blessure, doit faire qu'on la ménage quand on
le pourra. Mais enfin il ne faut pas perdre l'avantage
que Dieu a procuré, sans qu'on l'ait recherché.
Adieu, tout à vous et au reste de mes amis, si j'en ai
encore. Je crois que oui, mais en petit nombre.
Quesnel à Codde, archevêque de Sébaste
10 mars 1705.
Monsieur, j'ai un peu différé à répondre à votre
obligeante lettre et à vous remercier de votre présent.
J'estime beaucoup l'un et l'autre, comme étant un effet
de votre bonté et de votre bienveillance pour moi. Vos
lettres sont écrites avec tant d'élégance et de politesse
que je n'ose pas vous répondre en latin. Le mien est
trop grossier, et il le paraîtrait encore davantage, auprès
du vôtre. Ce qui m'a fait différer est que j'étais occupé
à une espèce de réponse générale à un volume de six
cents pages, qu'on appelle Causa Quesnelliana, du fiscal
1. Lettre pastorale de révoque <TApt, du i février 1703, insérée dans
la Causa Quesnelliana.
1. Le eardinal de Noailles.
CORRESPONDANCE; DE PASQUIER QtJESNEL 23H
de Malines, ou plutôt d'un jésuite, avec la sentence
prononcée contre moi par le prélat. Gomme je compo-
sais pendant l'impression, je n'ai pu me détourner.
Vous serez surpris, Monsieur, d'apprendre qu'il y est
parlé de vous et que M. van Susteren, dans le voyage
qu'il a fait à Rome, m'y a dénoncé comme coupable
de deux grands crimes : l'un, d'être auteur de plusieurs
livres qui sentent l'hérésie jansénienne ; l'autre, d'avoir
du commerce avec vous.
Il est fait mention de vous, Monsieur, en plusieurs
endroits du procès, à l'occasion de quelques lettres
qu'ils disent que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire
et de faire imprimer dans votre reueil. J'avais ignoré,
jusque-là, que vous y eussiez inséré ces lettres. Je ne
doute point qu'on ne remplisse ces provinces de ce
procès et que les adversaires n'en triomphent. Je ne
crois pas, néanmoins, que cette misérable pièce, où ils
font tout entrer, mérite l'approbation des gens bien
sensés. Vous en jugerez, quand il sera connu. Je n'ai
que mon exemplaire. Vous verrez si vous trouverez à
propos, Monsieur, de relever vous-même l'imperti-
nence de ces gens-là.
Les livrets que l'on vous a envoyés de notre part ne
méritaient pas, Monsieur, un accueil aussi favorable,
ni autant de reconnaissance que vous en témoignez.
Je vous en remercie encore un coup, et vous supplie
de me continuer l'honneur de votre amitié.
J'apprends de Liège que M. Naveus est à l'extrémité,
s'il n'est déjà allé recevoir la récompense de sa fidélité
à aimer la vérité et à la servir de tout son cœur,
comme il a fait.
23o CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à M. Naveus l, chanoine de Saint-Paul de Liège
10 mars 1705.
Mon cher Frère,
Si cette maison de terre, cette muraille de boue, qui
est entre Dieu et vous, n'est pas encore rompue, je
vous y rends encore une petite visite, pour me réjouir
avec vous de ce qu'enfin elle va être renversée, et que
vous allez vous réunir à celui qui doit faire votre
bonheur éternel en vous recevant dans son unité, en
vous montrant toute vérité, en vous remplissant de
toute charité, en vous communiquant son éternité, en
vous faisant goûter tous les biens ineffables de la sainte
Cité dont il vous a fait, par sa très grande miséricorde,
une pierre vivante, qu'il va placer dans ce céleste édi-
fice et dans le lieu auquel il l'a rendue propre en la
taillant par les traverses, les peines et les douleurs de
cette vie.
S'il vous reste encore quelque coup de ciseaux à
souffrir, souffrez-le avec joie, et abandonnez-vous à la
main et à l'opération de ce divin architecte, en tressail-
lant de cette joie que saint Pierre appelle ineffable, et
qui tient déjà beaucoup de celle de la gloire. Si Dieu
vous a déjà fait sa grande miséricorde, mon très cher
frère, ou quand il l'aura fait, mémento mei cum veneris
in regnum sinon, afin que je combatte de la bonne
manière dans la guerre que l'on fait à la foi de la grâce
du Sauveur et de la vérité évangélique. C'est mon
1. Joseph Naveus, docteur de la Faculté de Louvain. Arnauld disait
n'avoir point connu, aux Pays-Has, de plus habile théologien que M. Na-
veus et M. Opstra»';t. Naveus était fort malade au moment où il reçut
cette lettre de Quesnel, et, à son lit de mort, le 10 avril suivant, il
ordonna de la mettre dans son cercueil, avec un exemplaire du livre
des Réflexions morales.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 237
bonheur d'être traité ici-bas comme un anathème, et
j'espère que cela servira, par le secours de la même
grâce, à éviter de l'être au jugement de Dieu.
Adieu donc, mon frère, je vous embrasse en esprit,
et vous souhaite les célestes embrassements et le doux
baiser de notre commun Père. Osculetur te oscido oris
sai.
Quesnel à MUc de Joncoux
15 mai 1705.
Mon cher petit frère, vous m'alarmez avec votre
grosse fièvre, votre rhumatisme et vos autres maux. Je
suis pourtant bien aise que vous ne m'épargniez pas
l'alarme, afin que je prie plus ardemment. En priant
pour vous, je prie pour moi. Comme j'écris par avance,
je ne sais encore rien, aujourd'hui 13, et ne saurai des
nouvelles deM. G... [Petitpied] qu'immédiatement avant
d'envoyer cette lettre. J'ai discontinué à vous envoyer
des extraits, parce que le dernier paquet où il y en avait
a été retenu ou égaré, je ne sais comment, durant envi-
ron un mois, avant que d'être rendu. J'en ai été un peu
en peine.
J'avais indiqué à Mme Vaës le garde qu'elle a envoyé.
C'est un très bon homme ; mais je doute fort que sa mai-
son lui convienne. Elle est hors des murs de la ville
(s'il n'a changé), fort écartée, et ce serait une grande
solitude. Le chevalier Del Pozzo [Quesnel] était dans
la ville, et dans une maison comme sacrée. On n'a pas
cru néanmoins qu'il y fût hors d'atteinte; sans cela
il y serait demeuré. Cependant je puis être un peu
intéressé dans cette affaire, ou plutôt beaucoup. Mais
ce qui accommodera M. G... [Petitpied] ne pourra
m'incommoder. Je ferai pour lui tout ce qui sera en
mon pouvoir, sans considérer ma satisfaction.
Je n'avais pas achevé cette période que les lettres,
238 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
qui devaient être apportées ce matin, ne sont venues
qu'à quatre heures après midi, et m'ont appris l'heureuse
arrivée de ma chère nièce [Petitpied] chez ma cousine
Hélène [A/me Vaës], qui l'a reçue avec sa tendresse ordi-
naire pour sa famille et tous ceux qui la touchent de
près. Ma nièce m'écrit que ma cousine la presse fort
de s'arrêter chez elle. Elle ne pourrait être mieux;
cependant, avant de prendre un parti, elle a une visite à
rendre à sa tante Dupuis [Quesnel], qui lui a envoyé tout
ce qui lui était nécessaire pour faire le voyage commodé-
ment. Elle se reposera un peu avant que de se mettre en
chemin. Je la verrai avec joie, et nous concerterons ce
qui sera le meilleur, pour elle, des deux couvents qui se
présentent. J'ai déjà vu la maison de cette tante. Elle
est admirablement bien située; elle est sur le bord
d'un beau canal, et elle a en vue un joli bois qui est
sur l'autre bord du canal, de sorte que l'air est fort
bon et la vue agréable. Elle a chez elle une chapelle
domestique où repose le trésor des trésors. Et, quoique
dans l'enceinte dune ville, elle est pourtant comme
à la campagne.
On assure positivement que les deux propositions ne
seront point censurées. C'est quelque chose ; mais il
faudra voir la suite. On assure que Sa Sainteté a dit
qu'elle contenterait les deux partis. C'est un grand coup.
Les jésuites, pour le rompre, ont engagé la Faculté de
théologie de Louvain à les censurer, afin de faire
entendre au pape que les Universités, etc. Celle de
Douai en fera sans doute de même.
Vous me parlez de ma seconde mère [Fouiltou], et
de la disposition de la tante Dupuis [Quesnel] à son égard.
Je connais cette tante; ne doutez pas qu'elle ne soit
ravie d'avoir auprès d'elle ses deux nièces, et qu'elle
ne s'en sentira point du tout incommodée. Elle a
assez de logement; car elle est seule, dans sa maison,
avec sa famille, et sa maison est assez grande; ne
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 239
soyez pas en peine sur cela. Je suis sûr que ce sera
un redoublement de joie pour cette bonne vieille
tante ; car vous savez que les vieilles gens aiment la
jeunesse, comme si elles rajeunissaient en la voyant.
Celui pour qui on a donné 400 livres n'est point
encore pressé de la faim. J'ai peur qu'à force d'être
pauvre il ne devienne trop riche. Il est bon, si vous
ne l'avez pas encore envoyé, que vous le gardiez : il
sera bien entre vos mains.
Cette personne a encore quelques provisions devant
elle. Au moins gardez les 286 livres, si vous ne les
avez pas encore envoyées.
Il me semble qu'il n'y a guère de fondement de
faire valoir la déclaration de 1682, qui n'est que pour
les hérétiques déclarés et fugitifs dans le temps. Croi-
rait-on qu'il fût à propos qu'on écrive ou à M. le
chancelier ou à M. d'Argcnson1, pour lui représenter
qu'on n'est pas dans le cas, ou bien à l'Eminentissime?
On a frappé en Hollande une médaille de M. de Sé-
baste2. C'est un ouvrier protestant qui l'a fait de sa
tête; mais le portrait ne ressemble pas.
On dit que M. de Cambrai va faire sortir de sous
la presse quatre volumes in-12^. Il a tué un de mes
i. Marc-René de Voyer d'Argenson, lieutenant de police, de 1697 à 1709.
2. « On a frappé ici une médaille de M. l'archevêque de Sébaste, qui
ne sera pas agréable à Rome. Son portrait est d'un côté et, de l'autre,
on voit un agneau menacé de la foudre, et le lion de Hollande qui tient
sept flèches dans une de ses pattes, dont il écarte l'orage, avec ces
mots : Insontem frustra ferire parât. La médaille ne lui ressemble
point du tout. C'est un homme modeste, qui n'a point voulu souffrir
qu'on tirât son portrait. » (Lettres de Petitpied, Archives d'Amersfoort.)
3. Dans une lettre inédite de M. Ernest Ruth d'Ans à M"e de Joncoux,
il est question de « l'ouvrage que M. de Cambrai devait donner dès
Pâques, et qui, par avance, a eu un si pitoyable effet en donnant la mort
au pauvre M. Hodert, qu'il avait fait venir auprès de lui et qui s'est cassé
la tête en calfeutrant le nouveau système. » (Amersfoort, boîte 11.)
De Rome aussi, du Vaucel fulmine contre M. de Cambrai : « Ces
quatre volumes ne serviront qu'à découvrir de plus en plus son entête-
ment et ses illusions.» (Utrecht, Lettres de (h/ Vaucel, t. IX, 11 juin 1705.)
240 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
bons amis, en l'appliquant trop à ses nouvelles idées,
dans lesquelles il était entré sur le fait décidé. Il
l'avait fait venir chez lui, et il y est mort, le 6, après
quatorze jours de fièvre continue. Adieu, mes respects
et mes amitiés à tout ce qui me reste d'amis et
d'amies.
Quesnel à Ernest Ruth d'Ans
Mai, 1705.
Puisqu'on a à Paris le procès, comment ne se trouve-
t-il point quelque ami qui fasse quelque chose en sa
manière? N'est-ce pas une chose peu édifiante que
le P. Quesnel soit seul à parler pour lui ? Ils au-
raient dû répondre aux deux libelles [le séditieux et
X hérétique]. Mais ni l'amitié, ni la charité, ni le zèle
de la vérité ne sont plus de saison. Chacun ne songe
qu'à se mettre à couvert, comme si la cause de la
vérité n'était pas commune à tous. J'ai principalement
en vue un ancien ami ; mais il ne faut plus guère
compter sur l'amitié dans les temps de nuage et de
tonnerre. Je crois que Dieu a permis toute cette décou-
verte de petits commerces, en partie pour rendre inu-
tiles ces ménagements que l'on prend aux dépens de
la vérité et de la charité, et la conduite où la prudence
consiste à se taire et à ne rien faire.
Quesnel à M. Petitpied, à Liège
Amsterdam, 19 mai 1705.
Je n'avais pas encore reçu votre lettre du 12, en vous
envoyant le passeport que je venais de recevoir, après
beaucoup de façons, causées par certains ordres donnés
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 241
depuis peu pour obtenir les passeports. Il a fallu trouver
deux cautions dans la ville du demandeur et, sur leur
témoignage et obligation de répondre, obtenir une attes-
tation des bourgmestres, sur laquelle on présente requête
aux Etats, qui accordent que l'expédition soit faite.
Je ne doute point, Monsieur, que vous ne l'ayez reçue,
et vous pouvez vous assurer que cela vous suffit. Dès
que vous serez rendu à Bois-le-Duc, qui est un voyage
d'un jour et demi depuis Liège, vous pouvez aller par-
tout sans qu'on vous demande rien. Tout le pays est
plein de personnes de votre nation, qui ont la même
liberté que ceux du pays, et, à moins qu'un homme ne
se rendît suspect par quelque commerce qu'on aurait
découvert, on ne s'avise point de lui demander qui il est.
Votre lettre, Monsieur, m'a mis dans un grand repos.
Je commençais à être en peine, voyant le terme qu'on
m'avait marqué, expiré depuis quelques jours. Dieu
soit béni de votre heureuse arrivée! Il n'est plus ques-
tion que de savoir où vous planterez votre bourdon. Je
me suis toujours attendu que ce serait chez M. le
chevalier Del Pozzo [Quesnel], et je sais qu'il a compté
sur ce dessein, comme sur une des plus sensibles con-
solations qu'il pouvait recevoir sur la fin de ses jours,
et qu'il l'a regardé comme un puissant secours que Dieu
lui présentait pour se préparer à passer de cette vie à une
meilleure. Vous jugez bien par là qu'il n'y a rien qu'il
désire davantage que le bien de se trouver auprès de
vous, Monsieur, et de mourir entre vos bras1. Cepen-
1. Petitpied écrit, ce môme jour, àson frère, M. Petitpied de Vaubreuil,
qui craignait sa réunion au P. Quesnel et l'en dissuadait : « Jl n'y a
qu'un seul lieu dans le monde qui me présente avec sûreté ce que la
piété et la science peuvent désirer. J'y trouve un vénérable objet, digne
de la compassion la plus tendre, à qui ma présence peut apporter beau-
coup de joie et de consolation. Mais, si vous persistez à craindre le dan-
ger d'une telle liaison, je suis persuadé qu'il entrera dans vos vues et
qu'il me trouvera quelque chose de convenable. » (Lettres de M. Petit*
pied, Archives d'Amersfoort.)
n 16
2i2 CORRESPONDANCE DE PASQUIER. QUESNEL
dant vous m'insinuez qu'il y a des raisons qui com-
battent ce dessein, et on m'en a déjà touché quelque
chose d'un autre côté. Si c'est un bien que Dieu ait
voulu seulement me montrer, il faut bien lui en faire le
sacrifice, et je vous assure, Monsieur, qu'outre l'amour
que je dois à sa volonté et la soumission à ses ordres,
je me sens à cet égard disposé à sacrifier ma satisfac-
tion à la vôtre.
Le chevalier [Quesnel] est logé proprement et assez
commodément, en bel air, à la ville et à la campagne en
même temps. Que si les raisons qui s'opposentau dessein
le font rompre, assurez-vous qu'il fera tout ce qu'il
pourra pour vous procurer autre chose. Mais il ne faut
pas vous dissimuler que ce n'est pas une chose si facile
à trouver qu'une personne qui vous prît en pension et
qui vous accommodât. Chez un marchand, c'est un tracas
de ménage, de négoce, de visites, de commerce, de
parenté, etc. Chez un pasteur, autre sorte de commerce,
de visites, de concours de gens, d'autres pasteurs, etc.
Outre que, chez les uns et les autres, leur manière de
se nourrir ne vous accommoderait pas. C'est ce qui
faitquenous avons tous conseillé à M. Del Pozzo [Quesnel]
de louer un logis. Il n'a voulu s'y engager d'abord que
pour un an, pour se conserver la liberté de suivre par-
tout ailleurs un ami qui devait le venir joindre, eu
cas que la ville, l'air ou autre chose ne l'accommode
pas. Mais je vois bien que cet ami est devenu si lépreux
qu'il le faut fuir du plus loin qu'on le voit.
Je vous expose, Monsieur, tout cela, afin que, si vous
veniez ici et que, ne trouvant pas où vous placer commo-
dément et conformément à votre besoin présent, vous
étiez obligé de retourner où vous êtes, vous n'eussiez
pas regret de vous être exposé aux difficultés d'une nou-
velle transmigration. Car il y a des façons pour
sortir aussi bien que pour entrer. Vous pouvez cepen-
dant en essayer. Ce serait toujours une grande joie
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 243
pour moi d'avoir la consolation de vous embrasser
une fois en ma vie, et en vous d'autres amis. Je me
fais violence en vous exposant les difficultés, et il
faut pourtant vous dire, Monsieur, pour en rabattre
un peu, que je ne désespérerais pas de vous trouver à la
campagne un lieu sûr et où vous seriez bien. J'en ai un
en vue, et plus d'un, quoique je n'aie garde de vous
flatter d'y avoir tous les agréments ettous les avantages
que vous goûtez présentement chez la dame Mélanie
d'Holenople1, et que je sais qu'elle sait assaisonner
avec tout ce que l'honnêteté et la charité ont de dou-
ceurs.
De peur de vous en sevrer, je n'ose presque vous
dire, Monsieur, veni et vide. Je le dis pourtant, car je
ne puis m'en empêcher ; mais c'est à condition que vous
ne consulterez pour l'exécuter que la volonté de Dieu
et votre propre convenance. Je voulais écrire àMonsieur
votre cher guide pour le remercier de la peine qu'il a
bien voulu prendre pour vous conduire au port ; mais je
n'en ai pas le temps; vous y suppléerez.
Quesnel à MUe de Joncoux
5 juin 1705.
Je viens de recevoir la vôtre du 30 mai ; vous aurez,
bientôt après sa date, appris l'heureuse arrivée de mon
cousin G... [Petitpied], qui est en bonne santé. Nous
nous accommodons fort bien ensemble, et ce ne sera
pas sans violence, de son côté et du mien, que nous
nous séparerons, s'il le faut.
J'espère que nous enverrons aujourd'hui à M. Piazza2
1. Mmo Vaës.
2. Ernest Rulh d'Ans écrit deux jours après, le 7 juin, à Mlle de
Joncoux : «M. de La Place \Fouillou] partira incessamment. Il a reçu
son passeport. » (Archives d'Amersfoort, boite 11.)
244 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
[Fonillou] ce qui lui est nécessaire pour s'aller pro-
mener et faire un petit voyage jusque chez M. le baron
Dupuis [Quesnel], qui l'aimera sans doute tendrement.
Je n'ai point vu les dernières nouvelles de Rome.
Je les attends. Les précédentes faisaient espérer qu'il
n'y aurait point de constitution1; mais on disait que
les évêques de l'assemblée pourraient écrire à Sa Sain-
teté et s'attirer de sa part quelque chose. Il faut tout
abandonner à Dieu.
Ayez un peu de soin de votre santé, ma chère sœur,
et ménagez un peu ce petit corps, en sorte qu'il ne suc-
combe pas au travail. Je suis tout à vous très cordiale-
ment, et je vous prie de le croire. Est-il à propos de
relever ces deux libelles, le séditieux et Y hérétique? Ils
sont bien malins. Peut-être n'en parle-t-on plus. Qu'en
pensent les amis ?
Quesnel à Mnc de Joncoux
25 juin 1705.
J'ai reçu la lettre du 15 de la mère Gêniez [Af lle de Jon-
coux], et j'avais reçu celle du 6 et le Plutarque dont elle
m'a fait présent. Je la remercie de tout et je l'assure,
avec votre permission, que je ferai tout ce qu'elle me
recommande pour ses deux nièces, qui sont toutes deux
J. Louis XIV demandait à Rome, depuis plusieurs mois, une bulle sur
le jansénisme, destinée, croyait-on, à finir toutes les querelles. Nous
suivons, jour après jour, dans les archives du quai d'Orsay, l'élabora-
tion diplomatique de cette constitution Vineam Domini, qui sera publiée
le 15 juillet 1705. Le cardinal de Janson écrit au roi, le 3 mars : « Sa
Sainteté m'a assuré qu'on couperait la racine à tous les subterfuges
des jansénistes. » « Le temps presse, répond Louis XIV; je vous réitère
encore les mêmes ordres que je vous ai donnés, afin que vous puissiez
dire au pape que vous ne recevez aucune lettre de moi où je ne vous
marque de renouveler les instances que vous lui avez déjà faites de
ma part. » (Atf. étr., Rome, 451.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 24S
fort bien nées et sont de fort jolies personnes, aussi
sages que des personnes de trente à quarante ans1. Vous
devez avoir reçu les quittances que l'on désirait.
Le petit monastère, où ces demoiselles sont en pen-
sion, est maintenant bien rempli, et il y a de quoi rem-
plir les charges et soutenir le chœur.
On mande de Hollande que notre internonce de
Bruxelles est arrivé là et qu'il se nomme le comte de
Bussi. Il a va les ministres de la Haye, où il arriva,
il y a aujourd'hui quinze jours. Le 19, leurs Hautes
Puissances résolurent de faire exécuter le résultat qui
ordonne aux jésuites de sortir, si, dans le 15 de ce mois,
ils n'avaient pas fait en sorte que l'affaire de M. de Sé-
baste et du clergé fût réglée et terminée à la satisfac-
tion du clergé. Et le 20 on fit signifier à quatre jésuites
de se retirer, et leur église fut fermée. Au moins
l'ordre en fut donné ce jour-là, et le jésuite d'Amster-
dam n'a point dit la messe publiquement. On ne sait
point encore à quoi tout cela aboutira. Il faut beaucoup
prier Dieu pour cette pauvre Eglise catholique de ces
pays-là.
Vous me réjouissez bien, ma très chère sœur, de
m'apprendre que votre santé est meilleure. Travaillez,
je vous prie, à la rendre tout à fait bonne ; ménagez
vos forces, qui sont nécessaires à votre famille et à vos
amis. Pour moi, je perdrais plus que personne, si ma
1. Petitpied avait alors quarante et un ans,etFoui]]ou seulementtrente-
cinq. Ils ramenaient la jeunesse et la vie au vieil exilé. Aussi l'excel-
lent Petitpied mande-t-il à son frère, à maintes reprises, son désir de
demeurer à Amsterdam : « Il a préparé pour moi une belle chambre,
dit-il, que j'ai trouvée toute meublée en arrivant, avecbeaucoup de livres.
11 a une chapelle fort propre où le Saint-Sacrement repose toujours.
C'est une douleur si sensible pour lui de se voir frustré de cette attente
et de sentir l'éloignement que je lui ai témoigné de m'établir avec lui,
qu'il regarde cet événement comme une nouvelle croix. Je sens très
vivement que ce serait me donner un ridicule, si, par des vues
humaines, je me séparais d'un homme de ce mérite. » [Lettres de
Petitpied, Archives d'Amersfoort.)
246 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
chère sœur venait à me manquer. Ce n'est pas pourtant
pour mon intérêt que je vous souhaite de la santé, mais
afin que vous puissiez avoir des ailes pour voler où votre
charité vous porte. Je crois que vous n'avez pas fait
tenir à M. du Noyer ou à M. Delpeche les 400 livres men-
tionnées dans une de vos lettres, ni les 300 livres. Il vaut
mieux que vous les gardiez, pour voir si le change ne
sera point plus bas qu'il n'est présentement.
Dans la somme précédente provenant de mes revenus,
vous marquiez 286 livres 2 sols. On ne m'en a compté
que 270. Peut-être que, depuis ine l'avoir écrit, vous
avez déboursé quelque chose ; car vous m'avez fait tenir
quelques livres. Si vous ne vous en souvenez point, il
n'y a qu'à n'en plus parler. Adieu, ma chère sœur et ma
très bonne amie. Nos deux chapelains me sont dune
grande consolation et d'un grand secours, et je les
aime bien.
Quesnel à illllc de Jonconx
26 juillet 1705.
Il y a deux ou trois jours que je reçus votre lettre du
10 à la campagne, où j'étais avec mes deux neveux1;
nous y avons passé douze ou treize jours fort doucement.
Je ne doule pas que vous n'ayez aussi trouvé dans votre
retraite toute la douceur que cherche la piété, et que la
présence des saints vivants et la mémoire des saints
morts font trouver d'une manière toute particulière
dans le lieu où l'esprit de Dieu les a formés. Eh! à qui
tient-il, ma chère nièce, que vous n'alliez souvent res-
1. MM. Peiitpied et Fouillou avaient quitté Amsterdam avec le P. Ques-
nel, le 12 juillet, pour un petit voyage à Harlem, Leyde, puis a une
maison de campagne où alla souvent le grand Arnauld. «J'occupe la
chambre et je couche dans un lit fait exprès pour lui », écrit Petitpied
à son frère, le 1G juillet 1705.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 247
pirer là un si bon air? Car je suis persuadé, aussi bien
que vous, que les grandes occupations extérieures,
quelque saintes qu'elles soient, ne laissent pas de dis-
siper. A force de converser avec les hommes, on perd
cette facilité à converser avec Dieu, qui se trouve dans
la retraite. Je vous félicite donc, ma très chère nièce,
du fruit que vous avez recueilli de votre séjour dans le
saint désert1, et je vous remercie du soin que vous avez
eu de nous y offrir au Seigneur avec ces saintes colombes
qui passent leur vie dans le gémissement et offrent à
Dieu un continuel sacrifice de douleur et d'amertume.
Je leur suis bien obligé de leur souvenir et de leur cha-
rité. J'y ai toujours fait un grand fond. Rien sur la
terre ne me console davantage que de savoir que je
leur suis toujours intimement uni en Jésus-Christ et
que leur amitié n'est pas capable de m'être ravie par
aucun événement humain. En leur considération,
j'aurais toujours été disposé à recevoir M. du Soleil2,
quoique la communauté soit présentement suffisam-
ment remplie.
Je vous dirai que l'on a eu communication de l'ins-
truction envoyée à l'internonce par le cardinal Paulucci3.
ïl n'y a rien de plus cruel ni déplus calomnieux contre
la réputation du prélat. On ne veut point entendre parler
de son rétablissement, à quelques conditions que ce
soit. On a fait toutes les instances possibles pour le
rétablissement du sieur Gock ou, à tout rompre, pour
un tiers qui soit, au jugement du seul internonce,
1. Port-Royal-des-Champs, où Mlle de Joncoux allait de temps en
temps faire une retraite.
2. M. Eustace, le confesseur de Port-Royal-des-Champs, l'auteur du
fameux Cas de Conscience, était alors sous le coup d'une arrestation
probable. Après être resté caché quelques mois à Paris même, il se
retira à l'abbaye d'Orval, où il vécut près de douze ans encore. Il avait
été question de l'envoyer, lui aussi, rejoindre le P. Quesnel.
3. Voilà pourtant un cardinal que le jésuite Lafitau nous présente
pomme « la douceur même » ! {Réfutation des Anecdotes, p. 112.)
248 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
d'une saine doctrine et d'une bonne conduite. Enfin
on y déclare qu'à moins de cela on laissera cette Eglise
dans la confusion où elle est. Tout ce qu'on fait espérer
au prélat est de le laisser comme il est et de ne le plus
déchirer, pourvu : 1° qu'il se déchire et se noircisse
lui-même, en se soumettant positivement à la sentence
du pape, aux condamnations et aux calomnies répandues
contre lui dans les brefs, les lettres et les décrets publiés
contre lui; 2° qu'il emploiera tout son crédit pour faire
rétablir le sieur Cock; 3° qu'il ne public plus rien
pour sa justification, etc.
On écrit de Rome qu'il n'y aura point de constitution.
Quesnel à Mne de Joncoax
6 octobre 1705.
J'ai su d'un chevalier Del Pozzo [Quesnel] que vous
pouvez connaître, qu'il a reçu de la révérende Mère de
Gêniez [MUR de Joncoux] une lettre du 25 du mois
dernier (cette diligence est grande) où il n'était ques-
tion que d'affaires de famille.
On dit qu'on transféra, le 26 du passé, au bois de Vin-
cennes, un janséniste1 qu'on avait mis dans la citadelle
d'Amiens. Voilà ce que c'est que de se mêler de trop
d'affaires ! Les avis que l'on a donnés à M. Hardi
[Ernest Rnlh d'Ans] et au neveu de M. Jeannot sont
bons pour l'un et pour l'autre ; car ils ne sont pas tous
deux d'un caractère à bien conduire une affaire de
chicane.
Cette grande fille que vous aimez tant répond-elle
bien à vos soins? En etes-vous bien contente? Sera-
t-elle bien fidèle à Dieu et à ce qu'elle lui a promis
dans le baptême? Dieu veuille qu'elle se souvienne bien
1. Gabriel Gerberon, transféré de Malines à Amiens, puis au donjon
de Vincennes, où il demeura jusqu'en 1710.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 249
que le monde est le plus grand ennemi de Dieu, que ses
pompes, ses vanités, ses plaisirs, sont des pièges que
le diable lui tend, et dont elle ne saurait se défendre
qu'en les fuyant de tout son cœur, et en se jetant sou-
vent dans le sein de Dieu et sous les ailes de Jésus-
Christpar laprière, par lalecture delà parole de Dieu, par
de fréquentes réflexions sur la vanité du siècle, sur le
néant delà vie, qui n'est qu'une vapeur qui passe ; enfin,
sur l'avantage inestimable qu'il y a à être toute à Dieu
et à ne point partager son cœur entre lui et les créatures !
Outinam! Vous m'entendez bien; mais ce n'est pas à
nous de former des desseins sur les âmes ; c'est à nous
de prier qu'il les fasse entrer dans la voie qu'il leur a
marquée pour aller à lui et espérer qu'il les tiendra et les
conduira toujours par la main souverainementpuissante
de sa grâce. Cependant j'ai bien de la peine à croire que
vous ne lui fassiez chanter souvent ces vers à'Esther :
Que le Seigneur est bon ! que son joug est aimable î
Heureux qui dès l'enfance en connaît la douceur!
Jeune peuple, courez à ce maître adorable :
Les biens les plus charmants n'ont rien de comparable
Aux torrents de plaisirs qu'il répand dans un cœur.
Quesnel à MUo de Joncoux
4 décembre 1705.
Je voudrais bien, mon cher cousin, que vous me
fissiez un plaisir. J'avais les Réflexions du P. Ques-
nel en quatre volumes in-8°, où je faisais mes petites
remarques. Je ne les ai plus, et je voudrais bien les
avoir, pliées, cousues, non rognées, reliées en carton,
de la dernière édition, et avoir à part les cartons que
l'on a faits en divers endroits; car je les avais aussi.
Mais tout cela m'a été volé. Je dois avoir dans une
armoire, qui est au logis de ma cousine, ces Réflexions
reliées en veau, dorées, bien conditionnées. Il faudrait
250 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
s'en accommoder, afin que j'aie ce que je demande
sans bourse délier.
Je serais assez aise de voir comment Nosseigneurs
les évoques ont fait leurs mandements1, pour la publi-
cation de la bulle si nécessaire pour faire connaître
combien est ardent le zèle de notre Saint Père le pape2.
Le R. P. Le Fort [Petitpied] se porte fort bien ; c'est
un fort honnête homme qui sait vivre, qui a beaucoup
de douceur, de politesse, d'agrément, d'esprit, de savoir,
de jugement, et qui n'est point enflé de ses talents, ni
de sa science, quoique tout cela, comme vous savez, se
trouvant dans un froc, en reçoive ordinairement quelque
mauvaise teinture. C'est une grande douceur pour moi
de savoir seulement que je ne suis pas fort éloigné de
lui ; mais, comme des gens de communauté ne sont
pas stables et qu'au premier ordre des supérieurs il
faut qu'ils décampent, je vois bien qu'il ne faut pas que je
compte sur son voisinage. Il a des amis qui sont quel-
quefois inquiets à son sujet, et cette inquiétude lui
1. La bulle fut reçue et publiée uniformément dans tous les dio-
cèses, sauf à Saint-Pons, où Percin de Montgaillard enregistrait le fait
accompli, non sans restriction.
2. La bulle Vineam Domini arrive à Paris, le 27 juillet. Le pape la
présente au cardinal de Janson comme «une porte honnête aux jansé-
nistes pour sortir de leurs mauvais engagements». Louis XIV signale
seulement, et c'est la première note discordante, «l'attention de la Cour
de Rome à profiter de toutes les occasions pour étendre son autorité»,
et le fait légèrement sentir dans ses lettres patentes pour l'enregistre-
ment, aussi bien que les évêques dans leur lettre- de l'assemblée du
clergé au pape. De là fureur et protestations de la Cour de Rome.
Clément XI regarde la manière dont sa bulle a été reçue « comme
une injure au Saint-Siège ». Une phrase des évêques : « Nous n'agis-
sons pas en simples exécuteurs des décrets apostoliques, mais nous
jugeons et nous prononçons véritablement avec le pape », a le don
de l'exaspérer. Et les doléances, les protestations, les brefs vengeurs,
enfin les attaques directes contre le livre des Réflexions morales,
visant beaucoup plus le cardinal de Noailles, qui présidait l'assemblée
de 170.'i, que le P. Quesnel lui-même, vont nous conduire, de négocia-
tions en négociations, durant six longues années, jusqu'à l'acceptation,
absolue de la bulle Vineani, en 1710,
CORRESPONDANCE DE PASQUTER QUESNEL 251
en donne beaucoup à lui-même. Je suis sûr au moins
qu'il n'ira pas prêcher le carême Tannée prochaine.
Notre P. Blancaërt [Ruffin]{ ne se porte pas trop bien.
Ma lettre était faite, lorsque le P. Le Fort [Petitpied]
m'est venu percer le cœur en nf annonçant qu'il a reçu
une obédience qui l'oblige à passer du couvent de cette
ville à un autre2. J'avais toujours espéré que les des-
seins qu'avaient sur lui ses supérieurs s'évanouiraient
et qu'il nous demeurerait. Mais je vois bien que les
douceurs de cette vie ne sont pas éternelles, et qu'il ne
s'y faut point attacher. La volonté de Dieu soit faite!
Quesnel à M. Petit pied de Vaubreuil*
28 décembre 1705.
Monsieur, vous connaissez une personne de grand
mérite à qui j'ai une singulière obligation. Elle m'a
accordé de nouveau un bien que je possédais déjà par
1. Le P. Ruffin, de l'Oratoire, chassé de ville en ville comme suspect
de jansénisme, vint se réfugier quelque temps près du P. Quesnel, mais
fut obligé de quitter bientôt Amsterdam, dont le climat ne lui conve-
nait point.
2. Lettre de Petitpied à M. de Vaubreuil, son frère, du 7 décembre 1705 :
« Sur ce que vous me mandez et sur le peu d'assurance que je puis
me promettre ici du secret, j'ai déclaré à ces messieurs que je les
priais de trouver bon que je me retirasse ailleurs et que je louasse une
maison daus quelque ville écartée, pour y vivre dans la solitude. Le
discours n'a pas été long, car nous sommes demeurés tous interdits,
moi tout le premier. Il me parait qu'il est indécent de quitter un homme
âgé, d'une piété et d'un mérite singuliers, qui, lui-même, a tout quitté
pour l'amour et le service de la vérité, et de témoigner par là qu'on a
de la honte ou de la peine de demeurer avec lui, et cela par égard pour
des gens qui ne le méritent pas et qui, assurément, n'en sauront au-
cun gré. Je ne puis digérer cette circonstance de ma séparation. »
(Archives d'Amersfoort, boîte R.)
3. Petitpied de Vaubreuil, frère du Dr Petitpied, était auditeur
des comptes. Un grand nombre de lettres de lui, qui se trouvent aux
Archives d'Amersfoort, le montrent comme un homme plein d'esprit
et très attaché au parti.
252 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
sa bonté avec beaucoup de plaisir1. Je brûle d'envie de
lui en témoigner ma reconnaissance, et ma reconnais-
sance même ne me permet pas de nommer le bienfait ni
le bienfaiteur. Vous n'aurez pas de peine, Monsieur, à
m'entendre ; mais il ne vous serait pas si aisé de com-
prendre combien je sens vivement ce bienfait et tous les
témoignages de votre bonté pour moi.
La lettre dont vous m'honorâtes, il y a quelques
mois, en était toute remplie, et j'en eus d'autant plus
de confusion qu'elle répondait à un billet qui vous fut
envoyé contre mon intention et qui était dans une
forme contraire au respect que je dois, Monsieur, à
votre personne. Les sentiments au moins en étaient
très sincères, et je vous supplie de trouver bon que je
me prévale de la liberté que donne l'entrée dans un
nouvel an pour vous les renouveler, non par coutume et
par cérémonie, mais par l'estime et le respect que je dois
à tant d'exellentes qualités que Dieu a mises en vous,
Monsieur, et par le fidèle souvenir des sentiments de
bonté qu'il vous a inspirés pour moi.
Quesnel à MUe de Joncoux-
11 février 1706.
Notre malade3 est entré dans les remèdes, confor-
mément aux avis envoyés. On a commencé par trois sai-
1. Petitpied s'était enfin décidé à demeurer avec le P. Quesnel. Il se
plaisait en sa compagnie beaucoup plus que Jacques Fouillou, qui
écrivait à MUl' de Joncoux, le 4 décembre 1705, croyant à la sépara-
tion de Quesnel et de Petitpied : « Je ne puis vous dissimuler que
j'aurais beaucoup plus de satisfaction à demeurer avec lui qu'avec le
sieur Del Pozzo [Quesnel]. Celui-ci est un bonhomme, fort pieux, mais
peu réjouissant et assez incommode par le caractère de son esprit,
qui est antipode du mien. » (Amcrsfoort, boîte K, 2.)
2. Bibl. nat., ms. 19736.
3. M. lîuffi n avait reçu, vingt mois auparavant, un coup de pied de
cheval dans la poitrine.
CORRESPONDANCE DE PASQLIER QUESNEL 253
gnées, et le malade en pourrait, en cas de nécessité,
porter encore quelqu'une. Son sang est vermeil et épais ;
peu de sérosités.
Il prit hier, 10 février, une médecine suivant l'ordon-
nance de M. Enghart1, excepté qu'on n'y a pas mis
de casse, parce qu'elle n'est pas à la mode du pays. On
le purgera encore demain, et on tâchera d'y mettre de
la casse.
11 prit aussi de l'opiat de M. Enghart, et il observe
le régime prescrit par M. Hecquet2, hors les lavements,
dont il ne croit pas avoir besoin, ayant le ventre libre.
Nous espérons que tout cela le soulagera avec le temps;
cependant il n'en a pas reçu jusqu'à présent de soula-
gement; au contraire, il a craché du sang comme aupa-
ravant, et il se sent actuellement autant et plus de
douleur.
Il n'est guère possible de lui faire prendre au prin-
temps du lait d'ânesse, parce qu'il n'y en a point dans
le pays; il faut savoir si on pourrait en suppléer le
défaut par quelque autre chose, comme par le lait de
vache ou de chèvre. Ayez la bonté de voir s'il y a
quelque chose à faire. Je ne sais si l'air humide de ce
pays lui est bon; mais il est pourtant dans le meilleur
air de la ville, et je ne crois pas qu'il lui soit nuisible.
Ce malade vous présente ses respects, aussi bien que
M. Gallois [Petilpied], qui a reçu votre dernière lettre.
1. « Médecin français », dit Petitpied à MUo de Joncoux. (Lettre du 19
février 1706, Archives d'Amersfoort, boîte 11.)
2. Philippe Hecquet, docteur de la faculté de médecine de Paris, suc-
céda à M. Hamon, comme médecin de Port-Royal, et en conserva l'esprit
toute sa vie. Il fut appelant de la bulle Unir/enitus et un fervent des
miracles du diacre Paris.
254 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Petitpied à Mlle de Joncoux1
22 mars 1706-'.
Il n'est plus question de délibérer sur le parti que
doit prendre notre ami malade3. Il Fa pris, tout de lui-
même, paraissant fort ennuyé d'être ici et fort attristé
de son mal. Je vous avoue que je n'ai point approuvé
son voyage; je crains pour lui la fatigue du chemin
et l'inquiétude du séjour. J'aurais bien plutôt été d'avis
qu'aux premiers beaux jours du printemps il eût été
prendre l'air et le lait dans une autre province que
celle-ci. Je l'aurais accompagné volontiers à Utrecht
ou en Gueldre. Je n'ai pas osé pourtant contredire le
voyage qu'il souhaitait et où d'autres personnes ne
voient pas si grand risque.
Quoi qu'il en soit, il est parti, il y a eu samedi
huit jours, ayant toujours son crachement de sang.
Nous ne savons point ce qu'il est devenu depuis ce
temps-là.
Il n'a point voulu souffrir qu'on l'accompagnât, et il
n'a point donné de ses nouvelles. Je ne m'en étonne pas,
car il est fort paresseux à écrire. Un de nos amis seule-
ment nous a dit qu'il Tavait rencontré à la Haye, mardi
dernier.
Au sujet de ce que vous me mandez de M. Dupuis
[Quesnel] et de M. de La Place [Fouillou], il y a quelque
i. Bibl. nat, ms. 10736.
2. Nous joindrons dorénavant à la correspondance du P. Quesnel
quelques lettres de M. Petitpied, qui, plus jeune et avec un tour d'esprit
plus laïque, donne, presque au jour le jour, à M11" de Joncoux des
détails intimes et précis sur l'existence des trois exilés, complétant
ainsi le tableau d'un milieu janséniste au xvm° siècle.
3. M. Itul'fin.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 255
chose de ce que vous craignez1 ; mais c'est assurément
peu de chose, par le bon esprit et la pieté de l'un et de
l'autre. Ce sont comme de légères pailles que le feu de
la charité a bientôt consumées et détruites. Ils m'édi-
fient beaucoup l'un et l'autre, par leur vie pénitente,
laborieuse et mortifiée, et je n'ai pas sujet de craindre
que la charité s'altère en eux.
uc s net a
19 avril 1706.
La calomnie est plus déchaînée, plus accréditée,
plus puissante et plus insolente que jamais; les puis-
sances plus prévenues et plus animées, la vérité et la
justice plus abandonnées de ceux qui sont plus obligés
de les défendre. Les ennemis ont tout pouvoir, et les
affaires sont en France dans un plus pitoyable état que
jamais. Depuis que j'ai publié Vidée générale et YAna-
tomie de la sentence, que je ne donnais que comme un
préambule, je n'ai pu rien faire davantage sur ce sujet.
Le dégoût de cette sorte de travail est grand; je l'aurais
cependant surmonté pour parcourir ce qu'il y a dans
le procès latin qui mérite éclaircissement; mais j'ai eu
divers empêchements qui ne m'ont pas permis, jus-
qu'à présent, de me remettre à cette désagréable
besogne. Je crois, d'ailleurs, qu'il y en a à peu près
1. Au sujet de ces nuages entre le P. Quesnel et Fouillou, ce dernier
écrivait, le 8 janvierl706, àMlle de Joncoux : « Quelque chose que je
vous ai mandée de l'humeur d'un ami et d'une certaine tournure d'esprit
qui n'est pas de mon goût, tout va bien. L'estime est grande dans le
cœur, et la charité fait qu'on ne manque à rien au dehors et que, s'il
échappe quelque petite chose, tout cela est raccommodé presque aussi-
tôt par une mécanique que je vous laisse à deviner. Au reste, cela est
rare, et Ton a soin d'envoyer promener bienloinles occasions bilieuses.»
(Amersfoort, boîte K, 2.) Cette mécanique ne serait-elle pas l'excellent
Petitpied, fort aimable homme, affectueux, et dont l'abbé d'Etemare
disait : « Il avait le talent de se faire aimer de tout le monde. »
256 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
assez dans ces deux écrits pour décréditer le procès. Je
crois que vous les avez reçus dans le temps et qu'on
vous aura aussi fait tenir, depuis peu, la nouvelle
édition de la Défense des théologiens^, accompagnée de
quelques autres écrits dans le même volume.
Il ne contient rien qui soit de moi, et je n'y ai de
part que le plaisir de vous le présenter. Je crois que
vous en serez content et que vous y trouverez la vérité
bien et solidement défendue. Dieu veuille ouvrir les
cœurs et les esprits à cette vérité sainte, si cruelle-
ment persécutée par les hommes!
Les pauvres religieuses de Port-Royal sont dans un
grand péril d être tout à fait dissipées, à l'occasion de
la nouvelle bulle qu'on leur a envoyée et de laquelle
on veut tirer d'elles une espèce d'approbation2. Priez
Dieu pour elles, Monsieur, et n'oubliez pas aussi mes
besoins devant le Seigneur, afin qu'il daigne; me faire
profiter du peu de temps qui me reste pour me rendre
moins indigne de paraître devant lui et de recevoir sa
grande miséricorde.
Quesnel à Mlle de Jonconx
Amsterdam, 28 avril 1706.
Nous prierons Dieu pour les deux défuntes3. Il
semble que Dieu ne veuille pas que l'on fasse une
1. Défense des théologiens et en particulier des disciples de saint
Augustin, etc., par Jacques Fouillou. Ce livre fut condamné par un
décret du Saint-Office, le 17 juillet 1709.
2. Elles ne reçurent la bulle, le 21 mars, qu'avec cette addition :
« Sans déroger à ce qui s'est fait, à leur égard, à la paix de l'Eglise,
sous le pape Clément IX. » « La ruine de Port-Royal, dit Sainte-Beuve,
était renfermée dans cette clause additionnelle : sans déroger. » En effet,
nous voyons le roi lui-même écrivant au cardinal de la Trémoille, le
12 juillet 1706, pour obtenir du pape «d'éteindre le monastère de Port-
Royal-des-Champs » (Aff. étr., Rome, 465.)
3. Le prieure de Port-Royal, Françoise-Madeleine de Sainte-Julie
Raudrand, et l'abbcsse, la mère Elisabeth de Sainte-Anne Boulard.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 257
destruction totale et violente de la Viémur [Port-
Royal] ; mais, s'il en reste une étincelle à la mort du
destructeur, elle pourra se rallumer.
Quesnel à MUe de Joncoux.
Lundi, 31 mai 1706.
Nous sommes depuis quinze jours à une très belle
maison de campagne, à quatre lieues de notre demeure
ordinaire ; on fait toutes sortes d'efforts pour nous
retenir encore quelque temps ; nous y avons toute
liberté et le temps d'étudier, comme chez nous. L'air est
très bon en ce lieu-là, et nous nous y portons fort bien.
On fait grand fracas, dans tout ce pays-ci, d'un avan-
tage que l'armée des alliés a remporté près Judoigne1,
et leurs Hautes Puissances ont ordonné un jour de fête
et d'actions de grâces dans tout le pays. Ce sera, je crois,
le 9 du mois. Les catholiques se conforment à ces ordres
et font aussi des prières extraordinaires. Ce serait avec
bien plus de joie, sites brouilleries, qui continuent tou-
jours avec scandale, étaient finies.
On dit que monsieur l'ancien internonce de Bruxelles
y demeurera incognito, pour tâcher de trouver quelque
fin et pour convenir d'une personne qui soit en état de
remplir la place de vicaire apostolique. On donne l'ex-
clusion à tous les plus honnêtes gens du pays, sous
divers prétextes ; d'un autre côté, le clergé donne l'ex-
clusion à un grand nombre d'autres. Il est presque
impossible de trouver un homme agréé des deux côtés.
Le secret échappe ici tous les jours. A l'égard de
M. Gallois [Petitpied], il a été reconnu dans les rues
par un libraire de Bruxelles, qui a demeuré deux ans à
1. Petite ville des Pays-Bas, à cinq lieues de Louvain.
II. I 7
â58 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Paris et qui a un peu parlé. 11 y a plus de vingt per-
sonnes qui le savent. M. Gallois se flatterait en vain
du secret pour la suite. Je vois que cela lui fait de la
peine. Il serait même fâcheux pour lui que cela éclatât
en ce temps-ci.
Petitpiecl à Mlle de Joticoux
28 juin 1706.
j'ai reçu votre lettre du 13 juin. Vous me marquez
d'abord que vous n'avez aucunes nouvelles de M. Blan-
caërt [Bu/fin]. Je vous dirai que nous en reçûmes, ven-
dredi dernier, avec des présents très considérables qu'il
fait à M. Dupuis [Quesneï] d'huile, d'olives, de fleurs
d'oranges confites, de prunes de Brignoles, etc. Il a vu
un médecin sur la route, qui, ayant examiné son mal,
lui a cl i L que c'était un abcès formé entre les côtes et lui
a prescrit quelques remèdes dont il nous assure qu'il
se trouve fort bien. Les présents qu'il nous envoie
viennent par un vaisseau de Livourne.
M. Pozzo [Quesnei] a fort bien pris la mauvaise nou-
velle que vous lui avez apprise et à laquelle il s'atten-
dait depuis longtemps2. Je lui ai offert, comme j'avais
déjà fait à l'autre ami, tout ce qui dépendrait de moi;
je m'estime trop heureux de partager avec eux ce qui
me ivstcra, supposé que, comme vous me le mandez,
on n'inquiète pas M. de La Roche [Petilpied] sur le point
essentiel.
Je tâche de ne faire aucune dépense tant soit peu inu-
tile. Notre ménage est bien réglé ; nous ne faisons qu'un
petit ordinaire, mais suffisant et convenable à notre état
et bon pour la santé. Cependant nous dépensons beau-
1. Bibl. nat., ms, 1073(5.
2. La saisie de ses revenus.
CORRESPONDANCE DE PASQUIEK QUESNEL 259
coup ; car tout est ici extrêmement cher, et Ton est fort
chargé d'impôts. Sans doute on vivrait ailleurs à meil-
leur compte; mais on a ici des agréments et des com-
modités qu'on ne trouverait point ailleurs. De plus le
change est énorme, et nous perdons beaucoup sur l'ar-
gent qu'on reçoit de France. Je compte qu'il nous
faut à chacun par an, en ménageant bien, sept ou huit
cents florins. Il faut pour cela douze cents livres de
France. Pour notre dépense de Tannée dernière, pour le
loyer de maison, la nourriture et autres frais que nous
faisons en commun, nous devons chacun à M.Lefèvre
[Brigode], qui a tout avancé, cinq cent trente florins.
Il faut, outre cela, du linge, des perruques, des habits;
il survient des maladies : il faut pour cela deux ou
trois cents florins. Je vous fais ce détail, parce que
vous me l'avez demandé et que vous souhaitez savoir à
quoi montent nos dépenses. Au reste, ne vous inquié-
tez point; je crois pouvoir vous assurer que M. Pozzo
[Quesnel] et l'autre ami1 ne manqueront de rien.
Que me l à Mne de Joncoux
20 août 1706.
On chante ici aujourd'hui un Te Deum pour la prise
de Menin2; on vient de recevoir la nouvelle que Ter-
monde a capitulé ce matin, à onze heures, après deux
ou trois jours d'attaque3. C'était une place forte et inon-
dée ; mais il n'y a plus de ville qui résiste à la manière
dont on les attaque aujourd'hui. On croit que l'on va
assiéger Ath.
1. Jacques Fouillou.
2. Par les alliés, après trois semaines de siège.
3. La ville fut prise par le duc de Marlborough, qui formait avec le
prince Eugène, à la solde de l'Autriche, et le grand-pensionnaire de
Hollande, Heinsius, un redoutable triumvirat contre Louis XIV.
260 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QTJESNEL
L'affaire du curé de Sainte-Catherine est entamée au
conseil de Brabant.
Vous désirez que j'écrive au premier président1 ; mais
je suis persuadé que cela ne fera rien, et puis ces sortes
de lettres, où il faut s'expliquer, font souvent plus de
mal que de bien. Je ne puis ramper, il faut que je parle
dans mon naturel. Cependant, par déférence à votre
sentiment, en voilà une, mais que je condamne au feu,
si elle ne vous plaît pas, ou à quelque bon ami en secret.
Vous l'examinerez, s'il vous plaît, et vous aurez la bonté
de m'en dire votre sentiment.
Quesnel à MUe de Joncoiix1
16 septembre 1706.
Le chevalier [Quesnel], qui reçoit quelquefois des
lettres de son pays, et même de Rome, m'a dit qu'on
lui mandait, du 14 d'août, qu'on avait vu h Rome la
censure de M. le cardinal de Noailles contre la Théolo-
gie du P. Juénin3 ; que M. le cardinal Fabroni l'a trou-
vée trop douce, et il a dit à un ami qu'il fallait bien
autre chose à M. le cardinal de Noailles pour se purger
du soupçon de jansénisme. Il dit que, dans cette Théo-
logie, il y a une proposition erronée sur la mort de
Jésus-Christ, contre laquelle il se récrie terriblement.
On écrit du même lieu, le 26 d'août, que, depuis
que ce cardinal Fabroni est revêtu de la pourpre, il
1. Jl s'agissait de réclamer, par l'entremise du premier président
Achille de Harlay, les revenus saisis du P. Quesnel et de son frère Guil-
laume.
2. Bibl. nat., ms. 19736.
3. Institutions t/iéotogiques, par le P. Gaspard Juénin, de l'Oratoire.
« On n'avait pas encore vu de meilleure théologie scholastique ; mais
l'auteur y ayant glissé avec beaucoup d'art quelques erreurs nouvelle-
ment condamnées, son ouvrage fut proscrit à Rome, le 25 septembre 1708.»
[Nouveau Dictionnaire historique.)
CORRESPONDANCE DE PASQTJIER QUESNEL 261
déclame hautement et d'une manière surprenante contre
le clergé de France, à cause de ce qu'on a fait dans la
dernière assemblée pour la réception de la bulle à
laquelle il a eu bonne part1. Il fit dernièrement un
grand discours à M. l'abbé Chevalier, député des
évoques pour l'affaire de Lorraine, qui allait prendre
congé de lui. Ce cardinal lui dit que c'était une chose
scandaleuse, que les évêques de France se fussent décla-
rés juges d'une affaire que Sa Sainteté avait déjà jugée
par sa bulle, qu'on ne pouvait pas ïaire peggio à Genève,
et que tous les malheurs dont la France était affligée
étaient en punition de ce qu'on avait fait dans cette
assemblée contre les droits et l'autorité du Saint-Siège.
11 avait parlé à peu près dans les mêmes termes à un
domestique du cardinal de la ïrémoille2. Gela semble
marquer qu'on travaille auprès de Sa Sainteté pour
l'obliger à faire quelque démarche éclatante contre les
évêques de France. On mande aussi qu'on a été averti,
de bonne part, qu'on travaille à Paris à obliger M. le
1. Le cardinal Fabroni était Fauteur delà bulle Yineam Domini, qu'il
avait « dressée de concert avec les jésuites ses bons amis>>. (Du Vaucel,
Archives d Utrecht, t. IX.) Aussi sa fureur fut-elle grande contre le cardi-
nal de Noailles, auquel on imputa à Rome les restrictions de l'assemblée
du clergé de 1705. « Le cardinal Fabroni dit publiquement qu'on trou-
vera dans les Réflexions morales de quoi punir le cardinal de Noailles.»
{Abrégé chronologique, de Nicolas Legros, p. 29.) Nous revoyons cette
même phrase dans les Annales pour servir (Tétrennes aux amis de la
vérité, par Adrien Le Paige (p. 171), et, deux ans plus tard, lorsqu'en
réponse à une lettre du cardinal au pape un bref condamne au feu le
livre du P. Quesnel, Noailles reconnaît la main qui dirige les coups :
« C'est un homme dangereux, écrit-il à Torcy à propos de Fabroni ;
j'éprouve déjà le ressentiment dont il avait menacé par la censure du
livre auquel je prenais quelque intérêt. » (AIL étr., Rome, 484.)
2. Le cardinal de Janson, fatigué et malade, ayant demandé son rap-
pel, laTrémoille, élevé au cardinalat depuis quelques semaines, le rem-
place comme ambassadeur à Rome. Ce petit bossu, plein d'esprit, « qui
n'eut que la considération de son emploi (dit Saint-Simon), et qui
personnellement n'en eut jamais aucune », panier percé, perdu d'hon-
neur et de réputation, mais bon homme au demeurant, entre en scène
et va s'occuper, durant de longues années, de toutes les querelles reli-
gieuses et de la fameuse bulle Unigenitus,
262 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
cardinal de Noailles à condamner aussi les Réflexions;
du P. Quesnel sur le Nouveau Testament. Plus cette
Eminence en accordera aux ennemis de sa dignité, plus
ils se rendront hardis à lui en demander davantage, au
préjudice de sa conscience, de son honneur et de la
vérité. Voilà ce qu'on croit et ce qu'on dit à Rome.
Quesnel à MUe de Joncotix1
20 septembre 1706.
Une personne bien informée écrit de Rome que
M. le cardinal de la Trémoille reçut, il y a quelque
temps, ordre de demander au pape, de la part du roi,
la suppression du monastère de Port-Royal-des-Champs
qu'on veut unir à celui de Paris, à cause du refus que
ces religieuses ont fait de se soumettre purement et
simplement à la dernière constitution de Sa Sainteté
et à l'ordonnance de M. le cardinal de Noailles2. On
dit que Je pape recule et qu'il a répondu que cela
regarde M. l'archevêque de Paris, qui est l'ordinaire
de ces filles. On assure que M. le cardinal a beaucoup
de peine a faire cette "démarche; qu'il a représenté au
roi et au pape qu'on ne doit pas pousser les choses si
loin; que ces filles sont toutes fort âgées, ou malades
et infirmes, et qu'elles ne peuvent pas vivre longtemps;
que cependant il continuera de travailler à les réduire
à l'obéissance par l'instruction et par d'autres moyens
de douceur; qu'il a surtout représenté que, si on les
excommuniait et qu'on les privât des sacrements,
comme certaines gens voudraient qu'il fît, ce serait
les réduire au désespoir et être cause de la perte de
1. BibUnat., ms. 19736.
2. Voir la note de la lettre du 19 avril 1706. Louis XIV, en elfet, écrit
en ce sens au cardinal de la Trémoille, le 12 juillet de la même année.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 263
leur âme, et qu'il ne voulait pas prendre cela sur
son compte. On craint tout du pape, qui est absolument
gouverné par les jésuites. Et moi, j'espère beaucoup et
de la bonté de M. le cardinal-archevêque et de la piété
et clémence duroi.Si Sa Majesté connaissait la sainteté
de ce monastère et le zèle avec lequel on y prie pour
attirer sur elle les bénédictions du ciel, je suis assuré
quelle les comblerait de biens et les honorerait de sa
royale protection. Malgré leurs ennemis, la postérité
les regardera comme des saintes, et ce ne sera, ni pour
le pontificat d'aujourd'hui ni pour le règne présent, un
événement louable d'avoir ruiné le monastère peut-
être le plus saint qui soit dans l'Eglise. Il est déjà plus
qu'à demi ruiné, et Dieu veuille qu'en fermant des
bouches dont les prières sont si agréables à Dieu et en
empêchant, comme on a fait, la multiplication de ces
saintes filles, on n'ait pas ôté à la France et à son
grand monarque une protection auprès de Dieu, qui
aurait peut-être épargné au royaume de grandes dis-
grâces !
Quesnel à Ml]e de Joncoux1
22 octobre 1706.
Je vous trouve admirable, mon cher enfant, de traiter
de piété trop subtile, dont vous ne vous sauriez accom-
moder, la morale de l'Evangile toute pure. J'ai peur
que vous ne lisiez pas assez l'Evangile et que vos occu-
pations ne vous accablent ; mais remettons la prédi-
cation à un autre temps, et parlons d'autre chose.
Une petite histoire pour vous divertir: M. le cardinal
de la Trémoille pria dernièrement à dîner deux jésuites
français. Il leur fit bonne chère et bonne mine, à son
1. Bibl. nat., ms. 19136,
264 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ordinaire ; mais, avant qu'ils prissent congé de Son
Eminence, elle leur dit qu'il était surpris que le P. de
La Chaise lui eût toujours été si contraire, qu'il n'avait
obligation de ses deux abbayes et du chapeau qu'au
roi et à M. de Torcy. Les jésuites, fort surpris d'un
pareil compliment, répondirent qu'il fallait que Son
Eminence eût été mal informée ; mais le cardinal
répliqua qu'il savait bien ce qu'il disait, et que sa
nouvelle dignité l'avait mis en état de leur parler
librement1.
Je remarque qu'au frontispice des Réflexions, de l'édi-
tion de 1705 (je crois qu'il n'y en a pas de plus récente),
il y a : Et approuvé par S. E. Mgc le cardinal deNoailles,
archevêque de Paris. Il me semble que cela n'était
pas aux précédentes et est remarquable dans les
conjonctures présentes; car je ne crois pas que le
libraire eût osé le faire sans ordre. Il serait même de
quelque utilité de le savoir. Vous avez toujours craint
que cet éminentissime approbateur n'abandonnât le
livre. J'espère qu'il ne le fera pas, et cette démarche,
ou soufferte ou ordonnée, en est un témoignage.
Quesnel à Guillaume Quesnel
24 octobre 4706.
Je ne vous écris, mon très cher frère, que pour vous
prier de ne pas interpréter à indifférence le silence que
je garde à votre égard. Je suis très sensible à la peine
1. Nous relevons, dans les Anecdotes secrètes (I, 2, 139), une aventure
assez plaisante arrivée au cardinal de la Trémoille. La réputation de
janséniste lui fut faite à Rome, du jour au lendemain, à la suite
d'une collation donnée en carême : « Le cardinal de la Trémoille crut
que le chocolat était un liquide un peu trop épais pour en servir en
carême Taprès-dîner, et se contenta de faire présenter des eaux pré-
parées en diverses façons. Il en fut fort loué des honnêtes g-ens ; mais
quelques personnes persuadèrent au pape que c'était une idée jansé-
nienne de prétendre que le chocolat rompait le jeûne. »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 265
que vous peut faire l'état où vous êtes, et je n'ai garde
d'oublier que c'est pour moi que vous souffrez, ni de
laisser éteindre dans mon . cœur les sentiments de
reconnaissance que je vous en dois toute ma vie1. Je
vous plaindrais davantage, si vous n'aviez point d'autre
récompense qu'une reconnaissance aussi stérile que la
mienne, et qui n'est stérile que parce qu'elle est
impuissante; mais, comme vous ne m'avez pas seule-
ment considéré dans ce que vous avez fait, et que
vous avez joint et rapporté à la vérité souveraine et
à la gloire de Dieu les raisons du sang et de l'amitié
qui vous ont fait agir, ce qui est promis dans
l'Evangile à ceux qui souffrent pour la justice et
pour l'Evangile môme vous est acquis par ce titre.
Ce doit être là votre consolation dans votre exil
et votre prison volontaire. Tout cela passera avec le
siècle, et le retour dans notre véritable patrie, où la
liberté nous sera rendue au centuple, nous dédomma-
gera abondamment de tout. Cependant il ne faut pas
négliger des soulagements temporels, et je désire fort de
savoir s'il ne vous manque rien et si vous êtes pourvu
à votre subsistance ; et, si on ne l'avait pas fait, je trou-
verais bien moyen d'y pourvoir; car, si je ne suis pas
assez fort ni assez vigoureux pour bêcher la terre, au
moins je n'aurai jamais honte de mendier pour vous,
et il y aura bien du malheur si je ne réussis pas. Quand
donc vous aurez besoin d'argent, vous n'aurez qu'à
prier la personne qui vous a mis où vous êtes de vous
le faire tenir, et j'aurai soin de la faire rembourser
sans délai. C'est parler bien hardiment pour un gueux;
mais la Providence n'est pas pauvre, et ses trésors sont
pour ceux qui ont confiance en elle.
1. A son retour de Bruxelles, où il était allé au moment de l'empri-
sonnement de son frère, on refusa de reprendre Guillaume Quesnel
comme supérieur de l'Oratoire d'Orléans, et il vécut caché pendant
plusieurs années.
2G6 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
J'ai écrit à une personne de grande distinction, pour
lui représenter votre innocence et pour tâcher de vous
faire avoir mainlevée de votre revenu et la liberté du
pavé du roi. Je ne sais encore ce qu'on fera de cette
lettre, ni si elle opérera quelque chose. J'en ai même
écrit aussi à une autre personne ; mais, comme les
temps sont fâcheux et les puissances prévenues, on ne
se peut rien promettre. Quand on aura fait tout ce
qu'on peut humainement, il faudra croire, encore plus
qu'auparavant, que c'est la volonté de Dieu que rien
ne réussisse, et qu'il aime mieux que nous l'honorions
par la privation de la liberté dont les autres jouissent
et par le dénûment de nos propres biens que par la jouis-
sance de la liberté.
Le changement qui est arrivé en Brabant pour les
affaires d'Etat en a aussi apporté dans celles de l'Eglise.
Les exilés sont rentrés dans leurs droits : M. Ernest
Ruth d'Ans dans sa résidence, le curé de Sainte-Cathe-
rine dans la sienne, mais non paisiblement ; l'arche-
vêque l'a interdit.
On prétend que le P. Quesnel doit aussi poursuivre
la cassation de la sentence de cet archevêque. Il a été
bien aise de laisser faire la planche à d'autres; il
pourra ensuite suivre la même route, si la conjoncture
demeure toujours aussi favorable. Elle le sera, tant
que les Etats généraux y auront autorité. Je ne sais si
le comte de Zinzendorf, qui va à Bruxelles pour y
agir au nom du roi Charles XIII, n'y brouillera rien.
L'Eglise de Hollande est loujours dans le trouble, tou-
jours sans gouvernemcmt.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 267
Quesnel à M"e de JoncouxA
On est fort en colère à Rome (on bien on fait sem-
blant de l'être) contre le cardinal Gualtieri2, parce qu'il a
donné la main et le pas aux enfants légitimés de France.
On croit qu'il la fait avec permission du pape, à con-
dition que Sa Sainteté pourrait le désavouer, comme
elle fait. Voilà la comédie; le monde en est plein.
Quesnel à Mile de Joncoux
4 novembre 1706.
Je vous prie, mon très cher ami, de me faire un plai-
sir : c'est de faire relier, le plus proprement qu'il se
peut, en veau doré sur tranche, avec tout ce qu'on a
coutume d'y mettre d'ornements, les Réflexions sur le
Nouveau Testament, en autant de volumes qu'on les peut
partager (c'est Fin-S0 de la dernière édition). C'est pour
un médecin anglais qui demeure à Londres3, et dont
j'ai acquis la connaissance et l'amitié. Il n'a pas qua-
rante ans et n'est point encore marié ; il écrit fort bien
en français, à quelques mots près. Il paraît avoir delà
politesse et un bon cœur. Ayant lu les Provinciales, il
comprit qu'il y avait une bonne et une mauvaise morale,
et se mit à étudier sa religion [catholique) et à vouloir
vivre dans la pratique de ses devoirs, par cette pensée
1. Bibl. nat., ms, 19736.
2. Le cardinal Gualtieri était le plus zélé partisan de la France dans
le Sacré Collège. Lin mémoire sur les cardinaux, envoyé par notre amba-
sadeur en 1708, le présente comme « un galant homme, capable d'affaires,
mais que le pape et les Allemands ne peuvent souffrir, parce qu'il a
paru attaché à la cour de France. » (Aff. étr,, Rome, 494.)
3. M. Schort,
'268 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
que, d'être rebuté en ce monde comme catholique et
damné dans l'autre comme mauvais catholique, c'était
un peu trop perdre. Il lut les livres des défenseurs de
la grâce et en est devenu un grand amateur. Il fit tra-
duire la prière de M. de Haute-Fontaine (en anglais)
pour obtenir une véritable conversion, et quantité de
personnes commencèrent, dit-il, à ouvrir les yeux et
sur la grâce et sur l'état présent de l'Eglise, parmi les
grands et parmi ceux de sa profession, auprès desquels
il a trouvé plus de facilité qu'il ne croyait pour y avoir
accès et les fréquenter. 11 m'a marqué aussi que Dieu
le bénissait d'une pratique extraordinaire. Il a lu une par-
tie de ce que le P. Quesnel a publié, et il en a été touché.
Enfin il lui a écrit et il lui a ouvert son cœur, comme
il aurait pu faire à un ancien ami. Il lui a offert un
petit présent, craignant qu'il ne fût dans le besoin,
quoiqu'il ne sût encore rien de la saisie et qu'elle ne
fût pas faite. Enfin il l'a forcé de recevoir une lettre
de change de trente pistoles qu'il lui a envoyée. Il a
père et frères, et vit seul, ayant perdu une sœur qui
tenait son ménage. Or il me mande qu'il a vu autre-
fois, entre les mains de M. de Lionne, évoque de Rosa-
lie, une belle édition des Réflexions du P. Quesnel sur
le Nouveau Testament, reliée en huit volumes, et il me
la demande fort honnêtement, et je suis bien aise de
lui en faire présent.
Il y a plusieurs années qu'un Père de la mission polo-
naise, passant à Mons en revenant de l'assemblée géné-
rale de leur congrégation, dit qu'on avait traduit en
polonais ces Réflexions ; je ne sais si on dit aussi qu'elles
fussent imprimées. Un ministre luthérien allemand en
a aussi entrepris la traduction en allemand; je ne sais
si elle est achevée et imprimée. Vous voyozqu'à mesure
que le monde les veut supprimer en France, Dieu
semble vouloir les faire imprimer partout et en toute
langue. On avait commencé de les imprimer en flamand ;
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 269
mais l'imprimeur, n'étant pas content de la traduction,
n'a pas continué. Elles sont imprimées en latin, à Lou-
vain. Dieu soit loué de tout, et qu'il daigne nous faire
la grâce de ne regarder et de ne chercher en tout cela
que sa gloire !
M. Humblot sera bien aise de savoir qu'il y a à Londres
un homme de son métier qui aime la vérité.
A-t-on donné un autre confesseur à nos bonnes reli-
gieuses1?
Quesnel à M. delà Querre2, à l'Oratoire de Toulouse
4 novembre 1706.
Permettez-moi, Monsieur, de vous écrire au moins
encore cette fois avant que de mourir. Depuis trois ans
que j'ai recouvré la liberté par une protection toute par-
ticulière de Dieu, j'ai toujours eu dans le cœur le désir
de me donner cet honneur, et je ne sais comment j'ai
pu être si longtemps sans le faire ; car je ne vous ai
point perdu de vue, et j'ai aussi cette confiance que les
portraits hideux que l'on a faits de moi ne vous ont
point fait de peur, parce que vous ne m'y aurez pas
reconnu. Grâces à Dieu, sa miséricorde ne m'a point
abandonné jusqu'au point que de manquer à la soumis-
sion que je dois aux vérités qu'il a révélées à son Eglise,
ni au respect dû aux puissances qui gouvernent l'Eglise
et l'Etat. C'est à quoi se réduisent les calomnies répan-
dues contre moi, et je crois que si vous avez vu, Mon-
1. Depuis la mort de leur confesseur, M. Marignier, qui avait suc-
cédé à M. Eustace, les religieuses n'avaient qu'un jeune et modeste
prêtre, M. Havart, tout dévoué à Port-Royal. 11 leur fut enlevé, en 1707,
par le cardinal de Noailles, et remplacé par un vicaire de Paris, M. Polie!,
qui débuta en leur refusant les sacrements.
'1. Cette lettre n'a été envoyée qu'au commencement de janvier 1707.
(Note du ms. 19736 de la Bibliothèque nationale.)
270 CORRESPONDANCE DE PASQIÎIER QUESNEL
sieur, le Motif, Vidée et Y Anatomie, vous m'aurez estimé
suffisamment justifié de ces accusations ; car, pour celle
de cabale, elle est si puérile qu'un homme raisonnable
n'y fera pas seulement attention. Mais oublions tout
cela, et permettez-moi d'espérer que j'aurai toujours
quelque part à l'honneur de votre amitié, comme je
me suis flatté d'y en avoir eu avant cette tempête. Sur
ce pied-là, vous me croirez obligé de vous dire com-
ment je me trouve. Grâces au Seigneur, je me trouve
très bien, en fort bonne santé pour le corps, très con-
tent et dans une grande paix pour l'esprit, persuadé
que ce que Dieu a permis qui me soit arrivé est pour
sa gloire et pour mon salut. Il ne dérange rien mal à
propos, et ce qui paraît aux yeux des hommes un ren-
versement d'ordre en est souvent le rétablissement véri-
table, parce que souvent nous nous écartons de l'ordre
de Dieu, en prenant pour nous-mêmes une situation
éloignée de ses desseins et en réglant nos affaires autre-
ment qu'il l'a ordonné dans les conseils de sa souveraine
sagesse.
11 m'a fait connaître à moi-môme en me laissant
faire beaucoup de fautes contre la prudence, qui ont
causé des disgrâces à mes meilleurs amis. J'avais atta-
chement à mes papiers, et il m'en a détaché en permet-
tant qu'on me les ait enlevés. J'ai mal usé de ma liberté,
et c'est peu de chose d'en avoir été privé pour si peu
de temps. Le petit commerce que j'avais avec peu
d'amis m'était une grande douceur, et il m'est mainte-
nant interdit; et j'avoue que je compte peu tout le
reste en comparaison de cetle privation. On m'avait
donné dans le monde une réputation que j'étais bien
éloigné de mériter; il était juste qu'elle fût déchirée
en pièces, et je n'ai rien à dire. Dieu me traite avec
trop de bonté; car ce qu'il semble m'ôter d'une main,
il me le rend de l'autre, au moins en partie, puisqu'il
me donne la liberté, le repos, des amis et beaucoup plus
Correspondance de p-asquîer qùesnel 271
de douceurs que je n'en mérite. De sorte que ma joie
pourrait être entière, si les maux de F Eglise et de
l'Etat n'étaient trop grands pour ne pas causer à mon
cœur toute l'amertume que doit sentir un fidèle enfant
de l'Eglise et un bon Français. Pour ceux de l'Eglise,
il y en a de bien des sortes : cette désertion si géné-
rale des docteurs et des pasteurs, qui abandonnent ou
combattent la vérité et l'innocence, et les laissent en
proie à ceux qui en sont les ennemis, et les faux témoi-
gnages que l'on force de rendre contre elle ceux que
l'on sait qui rendraient hautement témoignage en leur
faveur, s'il n'y avait rien à craindre de la part du monde.
La crainte ne glace pas seulement le cœur, elle répand
aussi des nuages dans l'esprit et lui fait souvent voir
les choses autrement qu'elles ne sont, et lui fait for-
mer des jugements tout différents de ceux qu'on a faits
dans un temps plus tranquille ou lorsqu'on était au-
dessus des craintes humaines.
Il semble qu'il en soit de la cour, des grands du
monde, comme des maisons où il revient des esprits.
On se hasardera de coucher dans une telle maison avec
une nombreuse compagnie. On aurait peine à le faire
avec deux ou trois personnes. Mais, d'y demeurer seul,
c'est ce que personne ne fera, sinon peut-être un athée
qui ne craint rien, parce qu'il ne croit rien, ou un
homme qui ne craint que Dieu, parce qu'il n'aime que
lui, et que sa foi et son amour lui donnent parfaite con-
fiance en sa protection. Ainsi tel évêque sera assez cou-
rageux pour parler avec vingt autres en faveur de la
vérité et de Finnocence, qui ne le fera qu'en tremblant,
si toutefois il le fait, avec un petit nombre. Mais, pour
parler seul, quelque persuadé qu'on soit de la vérité
ou de la justice, il faut être un Athanase, un Hilaire,
un Basile, un Grégoire de Tours, un évoque dAleth, de
Pamiers, de Beauvais, d'Angers; car, quoique ces der-
niers n'aient pas parlé seuls, chacun d'eux Faurait fait,
272 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
s'il s'était trouvé abandonné de tous ses confrères.
J'eus une grande consolation, quand je vis la lettre
d'un digne prélat de vos quartiers1, où il ne rougissait
point de rendre témoignage à la vérité. Et, quoiqu'il
fut seul qui parlât, sa voix néanmoins faisait entendre
de nouveau celle de ces grands évoques, dont le témoi-
gnage éclatant fit tant de bruit dans l'Eglise qu'il fit ces-
ser celui des ennemis de la vérité et étouffa la voix de
la calomnie. J'espère que ce généreux prélat soutiendra
jusqu'à la fin un si beau témoignage et qu'il ne cessera
point de prêter sa voix à ses illustres confrères, qui ne
peuvent plus parler qu'à Dieu pour la vérité et l'in-
nocence.
Qiœsnel à M. Schort, à Londres
6 novembre 1706.
J'ai différé, Monsieur, de répondre à votre lettre si
obligeante et si libérale, pour pouvoir vous dire que la
lettre de change que vous avez eu la bonté de m'en-
voyer a été payée exactement ces jours passés, quoiqu'elle
fût à deux jours de vue. On donne toujours quelque
temps de plus, selon la coutume. J'ai appréhendé de
vous faire de la peine, si je n'acceptais pas ce que
vous m'offriez de si bon cœur; mais je vous prie, encore
un coup, que ce soit pour la dernière fois, et soyez, s'il
vous plaît, persuadé que, connaissant comme je fais la
1. M. Percin de Montgaillard, évêque de Saint-Pons, écrivit à Fénelon
une lettre fort vive, défendant le silence respectueux et son mandement
sur l'acceptation de la bulle Vineam, qui l'avait fait traiter par l'ar-
chevêque de Cambrai de « revancheur banal de la morale sévère ». Son
mandement et ses écrits furent condamnés à Rome, en 1709: mais,
selon le mot de son amie, la marquise d'Huxelles, « la flétrissure ne
l'amollira pas », et il pourra s'écrier, avec juste raison : « J'ai parlé en
bon catholique et en évêque français. » (Ail*, étr., Home, 512.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 273
bonté de votre cœur, j'ai dès maintenant toute la
reconnaissance possible que j'aurais pour un présent
royal. Je me plains cependant de ce que vous avez
passé la mesure que vous m'aviez marquée : c'était bien
assez.
Je bénis Dieu, Monsieur, de tout ce que je vois qu'il
a mis de bien en vous, et de ce qu'il vous a conduit à
la connaissance de sa vérité et vous en a donné l'amour.
Les Provinciales, dont il s'est servi pour cela, est un
excellent livre. Vous savez que feu M. Nicole lésa tra-
duites en un très beau latin et y a fait des notes fort
savantes et très utiles, sous le nom de M. Wendrock.
Une demoiselle de mes amies de Paris les a traduites
en français très bien, et il serait à souhaiter que
quelqu'un les traduisît en anglais.
Vous avez entendu parler du monastère de Port-
Royal-des-Champs. Ces bonnes religieuses (dont les
jésuites, à moins d'un miracle, vont faire ruiner le
monastère) avaient un excellent médecin qui y demeu-
rait. C'était un vrai saint et d'une pénitence étonnante.
Il est mort en odeur de sainteté. Il était docteur de
Paris et très habile. J'en ai connu un autre, maisjeune,
et aussi docteur en médecine de Paris, que j'avais con-
fessé dans sa jeunesse, qui quitta tout pour aller ser-
vir dans une abbaye du pays de Luxembourg, nommée
Orval, où Ton vit comme à l'abbaye célèbre de la Trappe.
Il est mort à Orval depuis quelques années; il y vivait
comme un religieux en habit séculier et servait les
pauvres malades des environs. Enfin j'ai encore un
ami, médecin de la princesse douairière de Conti, qui
est un excellent chrétien, quoiqu'il vive à la cour. Il
est de l'Académie des sciences. Le premier s'appelait
Hamon, le second Save, le troisième Dodart, et tous
trois étaient de grands amateurs de la vérité et amis
de Port-Royal.
Les livres catholiques entrent-ils sans peine en
11. \è
274 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
Angleterre ? N'y a-t-il point de risque? A- t-on aussi
liberté de les imprimer?
Quesnel à MUo de Joncoux
26 novembre 1706.
J'apprends que vous êtes incommodée depuis quelques
mois et que vous avez été saignée depuis peu. Je n'en
suis pas peu en peine, et l'impuissance où je suis de
vous soulager n'est pas un sujet de consolation pour
moi.
Faites, je vous prie, en sorte, par le moyen de quelque
ami qui fréquente chez M. le nonce, de savoir ce que
c'est qu'un M. Passionei qui est auprès de lui.
Cette personne, qui est neveu d'un secrétaire des
chiffres de môme nom, a eu connaissance de l'état de
l'Eglise de Hollande par la lecture des écrits, et il a
fait offrir son entremise pour voir si on ne pourrait
point s'accommoder.
Il me paraît certain, ou au moins bien probable, que
ce n'est pas de son chef qu'il fait cette proposition,
mais apparemment de la part de M. le nonce, et tout
cela pour gagner du temps, pour amuser par de vaines
propositions et pour pouvoir détourner des coups qu'ils
craignent, en disant qu'on est en conférence, qu'on est
en terme d'accommodement, qu'on aura au plus tôt un
vicaire apostolique.
C'est l'artifice dont on s'est déjà servi; mais cet
artifice est usé. Toutes ces entremises n'aboutissent
qu'à dire : « Proposez-nous quelqu'un qui ne soit point
noté », et tous ceux qu'on leur propose sont gens
notés, si on les en croit. Mais j'ai ouï dire qu'on ne
leur en proposera plus. C'est à eux à songer tout de bon
à en proposer de raisonnables, s'ils sont aheurtés à ne
pas rétablir M. de Sébaste. Ils se feraient honneur, s'ils
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 2*,"S
entraient dans ces pensées de justice et de sagesse ; ils
effaceraient une partie de la honte qu'ils se sont attirée
en traitant si injustement et si méchamment un homme
du mérite de ce prélat. Car il est vrai qu'on ne pouvait
pas avoir un homme plus sage, plus doux, plus pru-
dent, plus circonspect, plus propre à ménager tout le
monde ; j'ajouterais : et d'une meilleure doctrine, et
d'une morale plus pure; mais c'est cela même qui le
rend digne de souffrir persécution.
Je vous prie, mon très cher ami, de tâcher de charger
quelqu'un de s'informer du caractère du sieur Passionei,
si c'est un homme intelligent, de bonne foi autant que
le pays le comporte, et de pressentir s'il y a quelque
sujet de prendre quelque confiance en lui.
Je suis un peu en colère de ce que, jusqu'à présent,
je n'ai pu parvenir à voir le résultat de l'assemblée
dernière sur la constitution du pape, il me semble
qu'on a dû croire qu'il nous serait utile de l'avoir, et
qu'il se peut présenter des occasions où Ion en aurait
besoin; et il s'en est présenté plus d'une, où l'on a été
obligé de marcher à tâtons.
On nous a écrit de bien loin (car de Paris nous
n'apprenons presque rien) que Sa Majesté a témoigné
être fort mal contente du choix qu'on a fait de quelques
évêques x. Je suis persuadé que la piété et la religion de
1. On relève, dans les nominations faites en 1706, les noms de
Berger de Malissoles, à Gap, évêque purement moliniste, qui condamna
les Réflexions morales à la suite de MM. de Lescure et de Ghampflour ;
François de Matha, à Aire ; Joseph de Revol, à Oléron, si dévoué aux
jésuites qu'il croyait nécessaire de réunir tous les opposants et appe-
lants de la bulle, dans une même ville qu'on nommerait Jansénie;
François Madot, à Belley, prêtre de Saint-Sulpice, « petit cerveau
brûlé, répandant de toutes parts son fanatisme» (Anecdotes secrètes, t. Il);
Pierre Sabatier, à Amiens, ultramontain enragé et persécuteur des
appelants, qui prétendait que toute confession, faite à eux, est nulle et
sacrilège. Voilà cependant des sujets peu susceptibles de déplaire à la
cour et qui ne justifient en rien le mécontentement du roi, si parfai-
tement inféodé alors à la compagnie de Jésus.
276 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
Sa Majesté ne veut point être trompée sur ce chapitre,
connaissant bien qu'elle en doit répondre devant Dieu.
Je salue la bonne mère et sa chère fille, qui est sur le
point d'augmenter sa famille de deux pieds. Je prie
Dieu de tout mon cœur que ce soit un fruit de béné-
diction, et je l'espère fortement.
Je suis tout à vous, mon cher petit père, mon très
honoré frère, mon très cher fils, et quidnon?
Petitpied à Mllc de Joncoux]
27 décembre 1706.
J'ai reçu voire lettre du 19 décembre. Il y a long-
temps que je ne vous ai écrit. J'ai été obligé d'être
environ douze jours à la Haye, pour solliciter la déli-
vrance d'un bon curé2, ami de M. Dupuis [Quesnel],
qui est prisonnier de guerre à Menin. Je n'ai pu refuser
ce voyage aux désirs de M. Dupuis; mais je n'ai pas
encore obtenu grand'chose. Il y faudra peut-être encore
retourner. Je vous écris fort à la hâte. J'ai été obligé
de passer la matinée auprès de M. Dupuis, qui est
enrhumé et a la fièvre. Je lui ai fait prendre un remède
et le reste. Nous aurons bien soin de lui. Il ne paraît
aucun danger à sa maladie. Je dois courir toute l'après-
dincr avec M. Lefèvre [Brigode] pour chercher une
maison pour nous. La nôtre est vendue à un juif, et
on nous a signifié qu'il en fallait sortir, au premier de
mai prochain. L'usage est ici de donner cet avertisse-
ment un peu avant Noël, et, clans la semaine de Noël,
il faut, et avec diligence, chercher une maison; car,
après ce temps, on n'en trouve guère de commode. Je
1. Bibl. nat., ms. 19736.
2. Le curé de Garvin fut relâché sans rançon, le 7 janvier 1707, par
les Etats généraux, à la sollicitation de M. Petitpied.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 277
suis fâché que nous soyons obligés de quitter une si
jolie maison, dans lequartierde la ville le plus agréable,
éloignée du commerce et dû bruit, à fort bon marché,
et au milieu des juifs qui ne sont point au fait de nos
affaires. Nous n'en aurons peut-être point une aussi
agréable, et il faudra certainement en donner sept ou
huit cents florins, ce qui va à onze ou douze cents
livres de France. Il faut passer par là ou se loger dans
une autre ville, ce qui serait impossible à M. Lefèvre
à cause de son commerce.
La somme d'argent destinée à une oeuvre de piété
peut se placer ici, ou en rente ou à fonds perdu. En
rente, à quatre pour cent, c'est-à-dire au denier vingt-
cinq ; à fonds perdu, à neuf pour cent, c'est environ au
denier onze. A l'égard de la perte du change, vous ne
la pouvez totalement éviter. Il faut compter que, pour
mille francs de France, vous n'aurez ici que six cent
cinquante, soixante ou quatre-vingts livres, un peu
plus un peu moins. Ce sera beaucoup si on peut aller
jusqu'à sept cents livres. Encore faut-il que l'argent
de France soit comptant, et non en billets de monnaie
qui sont ici fort décriés.
P. -S. — Le médecin sort d'ici, qui trouve à M. Dupuis
plus de fièvre que nous ne croyions. Il est d'avis d'une
saignée, à quoi le malade a peine à se résoudre. J'aurai
bien soin qu'il ne manque de rien.
Petilpied à Mïle de Joncoux
Amsterdam, 5 janvier 1707.
Je suis toujours en parfaite santé. Nous avons eu ici
quelques jours de gelée assez forte, mais qui n'a pas
duré. C'est un amusement de ce pays, dont nous avons
été témoins, que de courir et de glisser en patins sur
la rivière et sur les canaux glacés. Il n'y a point de
278 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
pays plus propre que celui-ci à celte sorte d'exercice.
Les femmes glissent aussi bien que les hommes et se
tiennent fermes sur la glace en glissant avec une vitesse
incroyable.
Petitpied à M[]c de Joncou./1
24 janvier 1707.
J'ai différé depuis huit jours à vous écrire, espérant
toujours vous pouvoir apprendre la guérison entière de
M. Dupuis [Qtiesnel], Mais sa maladie tire en longueur.
Il ne paraît cependant aucune raison de s'inquiéter.
C'est aujourd'hui le trente-troisième jour qu'il a la
lièvre, presque sans relâche. Il a pris, pendant trois
semaines, du quinquina qui n'a produit aucun soula-
gement. Le médecin a jugé a propos de l'interrompre
pendant quelques jours. Au reste, la lièvre n'est pas
grande; elle est sans frisson, sans mal de tête, sans
fluxion sur la poitrine, en un mot sans aucun accident,
sinon un petit dévoiement qui dure depuis dix ou
douze jours. Les accès sont toujours accompagnés de
sueur. Le malade est fort tranquille, fort résigné, fort
édifiant. 11 avait dessein de faire son testament et m'a
consulté en secret sur les dispositions qu'il devait faire.
J'avoue que je n'ai pas assez de lumière pour résoudre
certaines difficultés dont il vous écrira quand il se por-
tera mieux.
Nous n'avons point encore de maison arrêtée. Nous
tachons d'en avoir une extrêmement agréable et bien
située, accompagnée d'un très grand et très beau jar-
din que nous louerions à M. Aub... que vous avez à
Paris, nous réservant seulement la maison pour faire
moins de dépense, avec la permission de nous promener
1. Bibl. nat., ins. 11)736.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 279
dans le jardin. Il n'y a rien, dans tout le pays, plus
agréable que cette demeure, et le loyer en serait mé-
diocre.
Quesnel à MUii de Joncoux1
27 janvier 1707.
Me voilà, Dieu merci, en état de vous écrire, mon
très cher ami. Il a plu à la bonté divine de me rendre
la santé après un mois entier de fièvre presque conti-
nue, avec des redoublements en double tierce et une
fluxion sur la poitrine. J'ai plus de sujet qu'un autre
d'attribuer à Dieu ma guérison; car les remèdes qu'on
m'a donnés ne paraissent pas y avoir eu beaucoup de
part. Après une saignée et plusieurs purgations, le
médecin, déclarant ma fièvre intermittente, me fit
prendre du quinquina2, à trois prises par jour, et puis
quatre. Je n'en ai ressenti aucun soulagement qui ait
été bien marqué. Il chasse la fièvre aux autres; il parais-
sait l'irriter et l'entretenir en moi. Les autres disent
qu'il leur cause un appétit dévorant, et il me donnait un
grand dégoût; au moins il m'ôtait l'appétit. Enfin il
me causait une diarrhée, au lieu qu'il ne fait rien de
tel aux autres. Samedi dernier, ayant représenté tout
cela au médecin, il consentit que la nature fût laissée
à elle-même pour quelque temps. C'était à onze heures
du matin, heure à laquelle on me donnait la seconde
prise de quinquina, et les deux jours précédents, après
cette prise, j'avais eu un accès de plus de douze heures.
Mais, dès le moment que ce remède fut congédié, ma
fièvre prit congé de moi fort honnêtement; la diarrhée
cessa, l'appétit me revint, et, depuis ce temps-là, j'ai
1. Bibl. nat., ms. 19736.
2. Quesnel écrit : Kinkinna.
280 CORRESPONDANCE DE PASQUIÈR QUESNEL
toujours été de mieux en mieux, de sorte qu'il semble
que Dieu ait voulu avoir tout l'honneur de ma guéri-
son indépendamment des remèdes. Louez-en donc avec
moi le Seigneur, mon cher ami, et priez-le de vouloir
bénir de telle sorte le don qu'il me fait de la santé que je
n'en fasse, dans ce reste de vie, aucun usage que pour
sa gloire, que selon sa volonté et ses desseins, et que
par la direction et le mouvement de son esprit. Je
demande la même grâce à tous mes amis, de l'un et
l'autre sexe, que je salue tous avec beaucoup de respect,
tant les timides que les courageux, les froids que les
chauds, ceux qui plient que ceux qui sont fermes. Je
parle par rapport à ce que vous me dites dans votre
lettre du 6 de ce mois, qui me fut un régal dans le cours
de ma maladie, comme tout ce qui me vient d'un ami
si fort, si tendre, si fidèle, si attentif et si ardent pour
tout ce qui me regarde.
Petit-pied à MUe de Joncoux1
10 février 1"07.
Nous avons tout sujet de croire que M. Dupuis
[Quesnel] est entièrement guéri, quoiqu'il ait de temps
en temps quelques émotions. Ce ne sont que de légers
restes dune fièvre qui a toujours paru plus obstinée
que dangereuse. Il a bon visage; il dort bien; il mange
bien ; il n'est ni changé ni affaibli. Le médecin qui l'a
vu ne s'appelle point Sauvage. Nous ne connaissons
personne de ce nom. Son médecin est un Français réfu-
gié, docteur à Montpellier, parent et portant le nom
d'un célèbre philosophe cartésien, mortdepuis quelque
temps. Il est aussi médecin de M. Aubert. Il connaît
M. Dupuis, el il n'y a point d'apparence qu'il ait rien
1. Bibl. nat., ms. 19730.
COKKESP-ONDANCE DE PASQElEK QUESiNEL 28l
écrit à Paris sur ce sujet. Au reste M. Dupuis est connu
ici de tout le monde ; il n'y a pas le moindre secret. On
connaît aussi ceux qui demeurent avec lui, et on con-
jecture assez juste sur ce qu'ils sont, quoiqu'ils n'en
demeurent jamais d'accord.
Quesnel à M. Schort, à Londres
Février 1707.
Je ne me suis pas donné l'honneur de vous écrire,
Monsieur, au commencement de la nouvelle année,
pour vous la souhaiter heureuse : c'est que j'ai été
malade, depuis le 22 de décembre jusqu'au 23 de jan-
vier, où je me suis trouvé quitte d'une fièvre qui avait
commencé par un rhume ou fluxion sur la poitrine et
qui était assez bizarre; car elle ne me quittait guère,
et elle avait des redoublements en double tierce, mais
assez irrégulièrement. Un médecin français, nommé
M. Régis, me traitait. Je me fis saigner une fois, pur-
ger, etc., et enfin il me fit prendre du quinquina du-
rant dix-huit jours. Il me paraissait qu'il ne me fai-
sait pas de bien et qu'au lieu de chasser la fièvre il
l'irritait et l'entretenait; il me donnait du dégoût, au
lieu de l'appétit qu'on dit qu'il donne, et il me causa
môme une espèce de dévoiement. Je crus donc le
devoir quitter, et le médecin jugea aussi qu'il fallait
laisser la nature à elle-même pour quelque temps.
Gela réussit. Les deux jours précédents, j'avais eu
chaque jour un accès de douze heures. Dès que j'eus
quitté le quinquina, la fièvre ne revint plus; je man-
geai avec appétit, et le dévoiement cessa. J'eus, de
fois à autres, quelques bouffées de fièvre qui n'eurent
point de suite. Gomme on vit ces retours, on me vou-
lut faire prendre d'un quinquina qu'un médecin fran-
282 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
çais, réfugié à Rotterdam, prépare d'une manière par-
ticulière; un ami en fit venir une grosse bouteille. On
dit qu'il ne manque point d'avoir son effet et de gué-
rir; mais, grâce à Dieu, je n'en ai pas eu besoin. On
dit que ce médecin, qui se nomme Duchemin, jette du
quinquina dans une pièce de bon vin et qu'il l'y laisse
longtemps, et que, par ce moyen, ce remède réussit
mieux. Je n'en sais pas assez les circonstances pour
vous les dire, et je crois que le médecin garde pour
lui son secret. On prétend que le succès est imman-
quable.
Je vous avais demandé, Monsieur, s'il y avait quelques
mesures à prendre pour faire arriver sûrement des
livres chez vous, surtout des livres qui sont faits par
des catholiques et qui viennent de France originaire-
ment. Gomme je n'ai point reçu de réponse, j'ai pris
le parti d'envoyer la caisse de livres à M. van Rhyn, à
Delft, au lieu que je l'aurais pu faire embarquer à
Amsterdam sans détour. Quand vous aurez besoin
de livres ou d'écrits qui se trouvent en ce pays ou
en France, adressez-vous à moi, je vous en prie.
M. Dubois [Brigode] mon ami, qui demeure avec moi,
fait trafic de livres et a commodité pour avoir ceux
qu'il n'aura pas. Que votre générosité ne s'alarme
point, par la crainte que je fasse des façons pour vous
en faire présent. Non, j'en userai comme vous le vou-
drez.
Quesnel à MIU de Joncoiix
10 mars 1707.
Il n'y a guère d'amitié qui ne soit sujette à colle
vicissitude de joie et d'alarme que nous avons éprouvée,
1. Hibl. nat, ms. 19736.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 283
l'un et l'autre, depuis peu. Je souhaite que l'alarme
que nous avons eue à votre sujet soit aussi aisée à se
dissiper que celle que vous a causée ma maladie. Les
ressentiments de fièvre que j'ai eus n'ont point eu de
suite, et je me trouve, grâces à Dieu, très bien remis.
Ce sera pour autant de temps qu'il plaira à Dieu. La
course ne peut plus durer longtemps, et je vous prie
de vous souvenir, ma très chère cousine, que j'ai droit
de passer devant vous. J'ai une extrême peine de vous
voir tirer tant de sang. C'est ôter les forces du malade
et en donner à la maladie. J'ai été plus ménager du
mien. Je n'ai été saigné qu'une fois, et il faut que je
vous fasse rire des méchants vers que ma fièvre me
mettait dans la tête, lorsqu'on m'ai] ait tirer du sang.
Les voici :
Assez de sans français a coulé dans les plaines,
A Raraillie, Hochstet, Barcelone et Turin.
Mais, si celui qui roule encore dans mes veines
Peut éteindre le feu des guerres inhumaines,
Qui font rougir le Pô, le Tage avec le Rhin,
Tirez, je n'en puis faire un usage plus saint.
Reprenons la prose, pour vous dire, mon unique
amie, que j'ai reçu avec beaucoup de reconnaissance
tout ce que vous m'avez envoyé. Tout est fort bien, et
je vous remercie de bien bon cœur de la peine que
vous vous êtes donnée. Ne pouvez- vous point faire faire
par un autre la commission pour consulter le cas? Je
serais fâché que vous vous fatiguassiez mal à propos à
mon occasion.
L'aîné des frères du chevalier [Quesnel] lui a écrit par
un ami de cette ville qui le vit à Paris dans son voyage,
et il lui mande qu'il entreprend un procès au parle-
ment : ce qui est contraire à ce que vous mandez. Le
chevalier [Quesnel] lui a mandé qu'il faisait une folie.
Sa lettre était du 8 février.
284 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
J'ai appris d'un ami de ce pays-ci que, vers le com-
mencement de décembre dernier, le P. Gerberon avait
été transféré de la citadelle d'Amiens au bois de Vin-
cennes, et que, quelques semaines après, il avait été
conduit à la Bastille. Il est à craindre que de là on ne
le mène à la Conciergerie ou au Ghâtelet. Dieu sur tout.
Petitpied à Mne de Joncoux
14 mars 1707.
J'ai reçu votre lettre, qui nous a annoncé une triste
nouvelle à laquelle une lettre de M. de La Roche [Petitpied
de Vaiibreitil] nous avait déjà préparés-'. Mais il n'était
point entré dans ce triste détail dont vous nous ins-
truisez. Nous avions ici redoublé nos prières,, et nous
les continuerons pour ces personnes si dignes d'un
meilleur traitement. Je ne doute plus de la ruine entière
de cette maison: les desseins de Dieu sont accomplis, et
le siècle est achevé sur elle. Voici la centième année
que la règle y avait été remise, si ce que je lisais hier
est vrai, que la célèbre Mère Angélique avait réformé
ce monastère, l'an 1608.11 y aurait une belle histoire à
faire en rendant publics tant d'exemples de vertus sin-
1. Bibl. nat., ms. 19736.
2. Arrêt du conseil, du 9 février 1707, révoquant l'ancien arrêt de par-
tage et ordonnant la réunion des biens de Port-Royal-des-Champs avec
ceux de Port-Royal de Paris. Pour ce qui regardait l'extinction, l'affaire
était renvoyée devant le cardinal de Noailles. L'arrêt n'autorisait plus que
la présence de trente-six personnes entretenues aux dépens de la mai-
son, tant religieuses que converses, ordonnant de faire sortir toutes les
autres personnes séculières. La résistance désespérée des pauvres filles
était approuvée et entretenue par le P. Quesnel, consulté de loin, et
oracle du parti. Il leur écrit une longue lettre, en mai 1707 : « L'état de
mes sœurs, dit-il, me touche et m'édifie. L'orage paraît inévitable. Le
moyen qu'on leur propose pour le détourner est spécieux. 11 semble
qu'on ne leur demande presque rien pour sauver tout; mais, dans la
vérité, on leur demande tout, et on ne leur promet rien. »
CORRESPONDANCE DE PASQUIEK QUESNEL 285
gulières, qui y ont été pratiquées depuis ce temps-là,
au dedans et au dehors du monastère.
Je n'ai rien caché à M. Dupuis [Qiœsnel] de ce que
vous me mandiez. Je ne pouvais m'empccher de lui
faire part d'une chose à laquelle il s'intéresse si fort.
D'ailleurs sa santé est parfaitement rétablie, et je n'ai
trouvé de ce côté-là aucun inconvénient à lui dire ce
que je lui aurais caché pendant sa maladie, pour ne
point irriter son mal.
Qnesnel à M. de Beaufortx
Août 1707.
Monsieur, n'ayez point de peur de moi, je vous en
prie ; mon apparition ne sera que d'un moment et ne
pourra vous être imputée à commerce avec moi, ni vous
rendre coupable de ce nouveau crime. La compassion
que j'ai de l'état où se trouve M.Vuillart et l'amitié que
je lui dois me font chercher dans mon esprit s'il n'y
aurait pas moyen de le secourir et de lui procurer la
liberté qu'il a si peu mérité de perdre.
J'ai peine à croire que Msv le cardinal archevêque
de Paris ne l'obtînt pas de la bonté du roi, si Son
Eminence voulait sérieusement entreprendre cette
bonne œuvre; et, n'osant pas prendre par moi-même
la liberté de solliciter sa charité pastorale pour sa brebis,
je m'adresse à vous, Monsieur, parce que je sais que
vous avez beaucoup d'accès auprès de Monseigneur
notre archevêque, et que, d'ailleurs, je ne vous crois
pas insensible à l'état affligeant où est cet ami. 11 y a
trois ans qu'il souffre une dure captivité, et si dure, si
étroite, si extraordinaire, qu'à peiue est-on assuré delà
1. Bibl. de l'Arsenal, ras. 5781.
286 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
prison où il est. Cependant où est son crime, soit contre
l'Eglise on contre l'Etat? Qu'a-t-il fait qui mérite un
traitement si cruel? Et, puisque le commerce qu'il a eu
par lettres avec le P. Quesnel est son crime, qu'a-t-on
trouvé dans ces lettres qui soit le moins du monde
criminel?
On y a trouvé des choses qui ne font pas plaisir aux
jésuites, parce qu'elles ne leur font pas honneur. Le
crime n'est grand que parce que ces Pères ont grand
crédit parmi les grands. Ce serait une œuvre méritoire,
si, dans un siècle où la vérité et l'innocence auraient
plus de crédit, non seulement on disait autant à un
ami dans le secret d'une lettre, mais même si on
publiait partout à haute voix toutes les abominations
de leurs écoles, comme faisaient, il y a cinquante ans,
les curés et les évoques avec l'applaudissement de
toute l'Eglise. Mais les temps sont changés, et les idées
du bien et du mal sont changées avec le temps. Et il
est permis de nommer aujourd'hui mal ce qui s'appe-
lait bien en ce temps-là, et d'appeler bon aujourd'hui
ce qui alors était criminel. Eh bien! que ce soit donc un
péché d'écrire et d'envoyer des choses qui déplaisent
aux jésuites! Mais est-ce un crime inexpiable, et trois
ans d'une pénitence aussi rigoureuse que celle-là ne
sont-ils pas suffisants pour laver un crime de cette
espèce?
Je suis assuré que ceux qui ne s'en veulent pas con-
tenter, parce qu'elle ne satisfait pas leur vengeance,
traiteraient de cruel rigorisme et de conduite déses-
pérante celle d'un confesseur qui en imposerait une
semblable à un pénitent chargé des plus grands
crimes. Mais les règles qu'ils donnent aux autres ne
sont pas pour eux, quand il s'agit de faire sentir le
poids de leur colère à ceux qui ne les honorent pas à
leur gré. Monseigneur le cardinal est trop éclairé pour
croire qu'il soit permis à un évoque de laisser ainsi
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 287
l'innocence en proie à ses ennemis, sans ouvrir la
bouche.
Quand même ce pauvre prisonnier serait coupable,
unévêque, etsurtoutle propre évêquequiestle procureur
et le solliciteur des malheureux, n'est pas dispensé
de l'obligation d'intercéder pour lui. Mais je ne crois
pas qu'il soit besoin de suggérer à notre éminentissime
archevêque des motifs pressants pour rengager à flé-
chir la clémence du roi, en faveur de ce cher prison-
nier; je ne cloute pas que Son Eminence n'y soit portée
d'elle-même. Elle a seulement besoin dune personne
qui, ayant accès auprès délie, la fasse souvenir, au
milieu de cette foule d'occupations dont elle est acca-
blée, que ce pauvre homme, abandonné de tout le
monde et dans l'impuissance d'implorer le secours de
personne, attend que son pasteur ouvre la bouche en
sa faveur et frappe pour lui à la porte de la clémence
du roi. Ce grand prince, aussi plein de bonté qu'il est,
se laissera fléchir, et la parole du pasteur trouvera
grâce devant Sa Majesté, parla bénédiction que j'espère
qu'y donnera celui qui tient en sa main le cœur des
rois.
Quesnel à MHe de Joncoax l
8 août 1707.
Dormez-vous? Etes-vous morte et ensevelie, que
vous êtes si longtemps sans nous donner de vos nou-
velles? Ne savez-vous pas que c'est pour nous la moi-
tié de la vie que de voir de votre écriture et de vous
entendre un peu jargonner? Peut-être êtes-vous à la
campagne, et plût à Dieu que vous trouvassiez quelque
1. Bibl. de l'Arsenal, ms. 5781.
288 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
part un si bon air que vous en reçussiez un renouvel-
lement de forces et de santé!
Je voudrais savoir tout ce qu'on peut savoir d'un
P. Dubuc, théatin1, qui est à Rome professeur de con-
troverses à la Propagande. C'est un homme outré en
toutes manières, ami du sieur Cock, de Fabroni et
des révérends Pères. Il a fait soutenir des thèses où
il donne au pape toute infaillibilité pour la décision
des faits. J'en ai un extrait. J'avais autrefois une lettre
qu'il avait écrite à l'abbé de la Trappe défunt contre
M. Arnauld, au sujet de ce que cet abbé avait écrit à
l'abbé Nicaise de ce docteur. Je voudrais la ravoir et
savoir un peu l'histoire secrète de ce personnage. On
l'a nommé à Rome pour examiner l'apologie que M. de
Sébaste a fait imprimer en latin et en flamand, et qu'on
imprimera aussi en français. Je vous laisse à penser si
cette apologie peut éviter d'être condamnée sur l'avis
de ce personnage.
1. Le P. Dubuc, soutenu par le pape, était en rébellion ouverte
contre le roi de France, qui écrivait, le 15 août, au cardinal de la Tré-
moille : « J'apprends que le P. Dubuc, religieux théatin, entre dans
plusieurs affaires dont il ne devrait pas se mêler. Mon intention est
que vous lui ordonniez de ma part de revenir incessamment dans mon
royaume. » Le cardinal répond, le 24 septembre: « Le P. Dubuc n'est
point encore parti », et l'abbé de Polignac ajoute : « Il n'obéit plus, le
pape lui a défendu de sortir de Rome et veut le soutenir. » Il le défen-
dit si bien, en effet, pour avoir enseigné l'infaillibilité, que Polignac
assure que « le pape se croit déshonoré s'il l'abandonne ». Clément XI
alla jusqu'à envoyer un courrier en France pour obtenir du roi de le
lui laisser. Le cardinal de la Trémoille, indigné, écrit, le 17 décembre, à
l'abbé de Pomponne : « Ce P. Dubuc mérite tout châtiment de la part
du roi, et il est bien fâcheux de voir protéger ici ces sortes de gens. »
Puis, quelques mois après, n'ayant trouvé aucun moyen de faire obéir
le moine, il propose au roi de l'enlever secrètement. Toutes les mesures
sont prises; mais le pape ayant eu soupçon du projet, « lui a donné un
appartement au collège de Propaganda, qu'on a meublé magnifique-
ment ». Et, le 7 janvier 1710, le P. Roslet, agent du cardinal de Noailles
à Home, écrit en manière de conclusion : « Le P. Dubuc ne retournera
de sa vie en France, car il est mort à Rome. » (AU*, étr., Rome, 471
à 487.)
CORRESPONDANCE DE TASQCIER QCESNEL 289
N'a-t-on donc pas copie du bref du pape aux évêques
touchant l'assemblée dernière? On dit que Sa Sainteté
est toujours fort en colère contre eux et qu'il veutabso-
lument en avoir satisfaction1. Il faut qu'il y ait des
gens qui le poussent et qui pourraient bien l'engager à
quelque mauvaise démarche dont il se pourrait repen-
tir tout à loisir'-. Mandez-moi un peu de vos nouvelles.
J'ai lu une lettre de M. de Rosalie aux Pères jésuites
qui est de l'année passée. Comment est-ce que nou
l'avons si tard? Les affaires de cette Eglise sont tou-
jours en même état. M. Daemen, chanoine de Cologne
et natif d'Amsterdam, qui avait été envoyé pour succé-
der à M. de Sébaste, n'a pu être admis par les Etats,
après six mois de sollicitations3. Il s'en est retourné à
Cologne; mais cela n'avance pas les affaires. J'ai peur
que le pape ne s'obstine à n'en vouloir pas donner
d'autre, ou qu'il n'en présente aucun qui soit bien dis-
posé.
Adieu, ma chère personne, je ne vous prie pas de
1. Le pape prétendait, écrit l'abbé de Polignac àTorcy, que «c'étaient
les jansénistes qui avaient inspiré les évêques de France » (Aff. étr.,
Rome, 476), et que ce clergé « voulait le réduire comme un simple curé ».
Le bref dont parle Quesnel était seulement connu officieusement en
France, Louis XIV ayant obtenu que le pape n'insistât pas pour la
remise officielle et la réception de cette pièce.
2. Louis XIV semble penser comme notre P. Quesnel, à propos de ce
différend avec Rome. Il écrit le 20 juin 1707, au cardinal de la Trémoille,
une lettre bien curieuse, où, parlant des évêques de son royaume, il
espère « que le pape ne prétend pas les réduire à la qualité de simples
exécuteurs de ses jugements ». 11 assure que, si le bref aux évêques
avait été remis, « il aurait excité un feu difficile à éteindre ». Il souhaite
que Sa Sainteté « rejette les mauvais conseils », puis, passant aux
menaces : <\ Il est de son intérêt, dit-il, de vivre avec moi dans une
étroite union. Les Allemands étant aux portes de Rome, il est de sa
prudence de se conserver des amis pour l'avenir. » (Aff. étr., Rome., 476.)
3. Le nonce de Cologne, Bussi, ancien internonce de Bruxelles,
chargé des affaires de l'Eglise de Hollande, avait nommé vicaire apos-
tolique M. Adam Daemen, le 8 janvier 1707. Le chapitre refuse de le
reconnaître, et, le 25 décembre, Bussi le sacre, à Cologne, archevêque
d'Andrinople.
il. 19
290 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
maimer ; mais je vous remercie de ce que vous le faites.
Je sais que c'est tout de bon, et je vous assure que
je réponds de mon côté à votre amitié de tout mon
pouvoir.
Quesnel à M. Schort
16 septembre 1707.
Je ne sais si je vous ai envoyé la requête que les
religieuses de Port-Royal ont fait présenter au roi. A
tout hasard, j'en mettrai dans le premier paquet. Les
jésuites veulent abîmer cette maison, la plus sainte
qui ait été dans l'Eglise depuis beaucoup de siècles.
Il y a procès devant l'official de Paris; mais il est à
craindre qu'avant que l'on ait eu la sentence décisive
on n'abrège les procédures par voie de fait, en décla-
rant ces bonnes religieuses excommuniées et en réu-
nissant leur maison des Champs à celle de Paris.
Vous me parlez, mon très cher Monsieur, comme
si j'étais un grand personnage; ôtez-vous cela de l'es-
prit. La réputation est une lunette bien fausse, et elle
ne le fut jamais plus qu'à mon égard. Le mal qu'on m'a
fait et qu'on m'a voulu faire afait dire du bien de moi,
beaucoup plus qu'il n'y en a ; mais tout ce qu'il a plu
à Dieu d'y en mettre, il est à lui. Je prie Dieu qu'il con-
tinue de répandre sur vous ses bénédictions. C'est une
grande grâce que d'être appelé à la connaissance delà
vérité pendant qu'elle est combattue par ceux qui la
devraient défendre.
Quesnel à Mme de Maintenon
1707.
Madame, vous serez surprise qu'un homme, aussi
décrié que je le suis, prenne la liberté de vous écrire
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 291
et ose même aspirer à l'honneur de votre protection ;
car je ne puis. Madame, ignorer le malheur que j'ai
d'avoir été dépeint aux yeux du roi avec les couleurs
les plus noires, et l'amertume que je sens au fond du
cœur de me voir si mal dans l'esprit de mon souverain
ne peut être adoucie par le sentiment de mon inno-
cence. J'ai fait, dès que j'en ai eu la liberté, ce que le
respect exigeait de moi pour effacer les fausses impres-
sions qu'on a données à Sa Majesté de mes sentiments
et de ma conduite. Ne pouvant rien faire davantage,
j'attends en paix qu'il plaise à la bonté divine de dissi-
per ces nuages, et cette paix me tient dans le silence.
Aussi est-ce moins pour mes propres intérêts que je
le romps, Madame, qu'en faveur d'un frère presque
septuagénaire, prêtre de l'Oratoire aussi bien que moi,
qui, depuis trois ans et plus, est réduit à se tenir si caché
que je n'ai aucun commerce avec lui, ignorant même
le lieu de sa retraite. Pour comble de disgrâce, un
nommé Léger Lallemand vient de faire saisir le peu
de bien dont nous subsistions, mon frère et moi. Vous
comprenez bien, Madame, quelle extrémité c'est pour
un prêtre de son âge de se voir enlever sa subsistance
et de n'avoir pas même toute la liberté, comme l'ont
les plus misérables, d'exposer ses besoins à ses amis,
ni de recevoir d'eux les secours les pins nécessaires.
Car il est vrai que la calomnie a si fort prévalu contre
moi que c'est presque un crime d'être mon frère, et un
autre de secourir ceux qui portent mon nom. Je suis
devenu étranger à mes propres frères, et l'état où je
me trouve me rend l'opprobre de mes ennemis et un
objet de crainte h mes amis. Grâces à Dieu, qui me
donne la paix qui est au-dessus de tout sentiment, je
suis content de mon sort. Je ne doute point, Madame,
que mon frère ne soit dans les mêmes sentiments;
mais, puisqu'il ne souffre qu'à mon occasion, et parce
qu'il a fait pour moi tout ce que tout autre frère
292 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
devrait faire dans une semblable rencontre et dans les
mêmes circonstances, je dois à mon tour le secourir
autant par reconnaissance que par le sentiment de la
nature et de la charité, et, ne pouvant rien de plus, je
dois au moins rendre témoignage à son innocence.
Personne n'est plus capable que vous, Madame, de rece-
voir avec bonté ce témoignage très sincère et très véri-
table et de le faire valoir auprès du roi par la confiance
dont Sa Majesté honore votre sagesse et votre vertu.
J'ose donc vous prier très humblement, Madame, de
vouloir bien être persuadée de deux choses. La pre-
mière, que mon frère ne s'est jamais mêlé, ni de près
ni de loin, des affaires qui m'ont attiré tant d'ennemis.
Je sais que, pour le rendre odieux et pour pouvoir aussi
me persécuter dans un autre moi-même, ils ont assuré
que parmi mes papiers on avait vu des lettres de sa
main fort contraires au témoignage que je lui rends.
Mais permettez-moi, Madame, de vous dire que c'est
une pure calomnie, et que, si l'on fait voir des lettres
sur ces matières qu'on prétende qu'il m'ait écrites, ou
elles lui sont faussement attribuées, ou elles sont entiè-
rement fausses. Qu'il me soit permis de vous faire
remarquer, Madame, à cette occasion, combien il est
aisé à des gens malins et de mauvaise foi de rendre
criminel qui il leur plaît par des lettres, ou supposées
par calomnie, ou falsifiées par de sinistres interpréta-
tions, ou attribuées à ceux qui n'y ont aucune part. Ces
artifices ont été employés contre moi, et j'ai sujet de
craindre qu'on ne les ait aussi employés contre mon
frère et que l'on n'ait peut-être contrefait son écriture.
On a sujet de tout craindre de ceux qui, sans aucune
formalité de justice, se rendent maîtres des papiers
d'un homme qu'ils ont résolu de perdre et qu'ils mettent
en état de ne pouvoir jamais ni les contredire, ni se
défendre, comme ils croyaient m'y avoir mis. Vous ne
croirez pas, Madame, ces craintes trop téméraires, si
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 293
vous voulez bien vous souvenir des fameuses fourberies
de Douai et de Beauvais, dont la mémoire est encore
toute fraîche. Les fausses lettres n'y furent pas épar-
gnées, et un fourbe contrefit si bien le caractère d'un
des dix ou douze chanoines accusés d'avoir conspiré
avec le feu prince d'Orange contre le roi et contre l'Etat,
que ce bon chanoine y fut d'abord trompé lui-même
avant que d'avoir lu de quel crime il y était accusé.
Souffrez, s'il vous plaît encore, Madame, que je vous
fasse faire cette réflexion, que d'un grand nombre de
calomnies et de fourberies formées contre les préten-
dus jansénistes, celle de Beauvais est la seule que l'on
ait examinée et jugée par les formes ordinaires de la
justice. Par cette voie, qui seule est sûre, on décou-
vrit bientôt la vérité. L'innocence des accusés fut recon-
nue, et en môme temps qu'ils firent éclater leur charité
envers leur calomniateur, le roi fit admirer son amour
inflexible pour la justice. Un semblable jugement aurait
eu le même succès à l'égard des autres impostures, si
on avait pu obtenir qu'elles fussent approfondies par
une procédure régulière; et, au lieu qu'on a vu cent
fois la calomnie triompher de l'innocence des plus
gens de bien, on aurait vu les impostures découvertes
et les imposteurs humiliés.
La deuxième chose que je vous supplie, Madame, de
vouloir considérer par rapport à mon frère, c'est qu'il
n'est en aucune manière dans le cas des édits du roi
dont Léger Lallemand fait le fondement de ses préten-
tions. Le titre du dernier marque expressément qu'il
est contre ceux qui, étant relégués, s'absenteront du
royaume sans la permission de Sa Majesté, et les deux
autres, qui y sont rappelés, n'ont été donnés que contre
ceux de la religion prétendue réformée qui sortaient de
France pour toujours, et contre d'autres gens qui pas-
saient en des pays étrangers et y transportaient avec
eux le secret des arts et manufactures du royaume, à
294 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
son grand préjudice. Rien de tout cela, Madame, ne
convient à mon frère. Il n'a jamais été relégué, et on
ne saurait prouver qu'il soit sorti de France, ni par
conséquent qu'il soit du nombre de ceux qui, faute de
se représenter, sont sujets aux peines des édits. Il y a
même, à l'égard de mon frère, une circonstance parti-
culière qui le dispenserait de comparaître, quand il y
serait d'ailleurs obligé : c'est qu'il ne pourrait le faire
sans exposer sa liberté à un danger évident. Car il n'a
pris le parti de se cacher que par le conseil d'une per-
sonne de grande considération, qui connaissait son inno-
cence et le dessein qu'on avait de le faire arrêter. Or
je ne sais, Madame, si on aurait pu lui donner un autre
conseil, ni s'il aurait pu, en conscience, se jeter lui-
même dans le péril d'une prison, qui, à raison de son
tempérament et de son âge, n'aurait pas manqué de
lui causer la mort en fort peu de temps.
Quesnel à Mme de Fontpertvis
3 février 1708.
Je reçois à ce moment, ma très chère so>ur, votre
lettre du 13 de cette année, et je vous assure que c'est
avec bien de la joie. Je ne savais que dire de votre
silence, et, dans un temps où l'on voit frapper à droite
et à gauche sur des gens de bien, je me figurais tou-
jours que ceux qui sont de ce nombre ont reçu quelque
coup qui les empoche d'avoir un commerce si facile
avec les mortels. Mais enfin, vous vivez, vous parlez,
vous écrivez, et je suis ravi d'apprendre que vous ne
m'oubliez pas, que vous priez Dieu pourmoi etquevous
jouissez de sa paix.
Ces pauvres filles que nous aimons dans le Seigneur
sont dignes d'une grande estime, et je vois avec un
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 29$
plaisir sensible la grâce que Dieu leur fait de porter
leur état avec une si grande fermeté et une si grande
paix. On avait écrit de Rome que l'affaire de la réunion
souffrait de grandes difficultés1, et peut-être que le
différend qui paraissait devoir éclater entre le pape et
les évoques et le mécontentement de Sa Sainteté
auraient pu faire traîner cette affaire; mais on sait que
tout se dispose à une prompte exécution. Le pape a
témoigné beaucoup de mécontentement de la conduite
de ces filles et fort loué leurs adversaires. Le cardi-
nal Fabroni, qui était fort échauffé contre les évêques
de France, dit maintenant qu'il faut vivre en bonne
intelligence avec l'Eglise gallicane, afin de s'opposer
de concert aux hérétiques, c'est-à-dire aux jansénistes2.
Sa Sainteté a envoyé au roi un courrier pour pouvoir
retenir à Rome le P. Dubuc, théatin, qui avait ordre de
revenir en France. C'est une trop petite chose, pour ne
la pas accorder à Sa Sainteté.
1. La Trémoille écrivait, en effet, à Torcy, le 25 février 1708 : « L'af-
faire du Port-Royal trouve tous les jours de nouvelles difficultés, dont
je rends compte à M. le cardinal de Noailles. Je ne cesserai point d'en
reparler continuellement. Je suis bien fâché de n'avoir pu venir à bout,
jusqu'à cette heure, d'une chose qui me paraissait si aisée à faire. »
(Aff. étr., Rome, 489.)
2. On venait de nommer, à Rome, une commission pour l'examen
des Réflexions morales du P. Quesnel. Nous suivons, jour après jour,
dans les archives des Affaires étrangères, les inquiétudes du pauvre
cardinal de Noailles, et nous trouvons la preuve indéniable que cette
condamnation ne fut qu'une vengeance de Fabroni et du pape contre
l'archevêque de Paris. Polignac lui-même écrit à Torcy, le 3 avril, qu'il
a supplié Sa Sainteté « de ne se point faire le ministre de la haine
particulière et surtout de celle d'un religieux qui venait de le commettre
si mal à propos avec le roi». En effet, l'abbé de Polignac avait «appris
que le livre était entre les mains des examinateurs et que le P. Dubuc
était à la tête. Vous jugez bien, ajoute-t-il, qu'il ne s'épargnera pas pour
la condamnation, car il s'est persuadé que M. le cardinal de Noailles est
le principal auteur de sa disgrâce. » (Aff. étr., Rome, 489.)
296 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à M. Schort
6 avril 1708.
Votre dernière lettre commençait par les réflexions
sur les bonnes religieuses de Port-Royal persécutées
par leurs sœurs. Il faut un grand miracle pour empê-
cher leur entière ruine. J'appelle ruine la réunion des
deux monastères. Elle est résolue à Rome; la bulle en
est expédiée, signée, envoyée, comme on l'écrivait de
Rome, il y a un mois1. Cette affaire, qui est celle du
diable, a été poussée avec fureur, sans donner à ces
pauvres filles les moyens de se défendre, et en leur
ôtant môme les personnes qui les servaient. Un laïque
de bonne famille, et qui a un frère chanoine de l'église
cathédrale de Paris, s'était donné à elles et les servait
comme un ami fidèle, jusqu'à mener la charrette, et
cela par esprit de pénitence, par l'estime et rattache-
ment qu'il avait pour leur piété. On Tamis à la Rastille,
et, pour ne pas exposer à une semblable disgrâce une
autre personne qui leur rendait aussi de bons services,
elles s'en sont privées. On a même usé de menaces à
Rome contre ceux qui sollicitaient leur affaire. Un frère
du P. Quesnel a été obligé de se tenir caché depuis
que ce Père est sorti de prison, parce qu'on le soup-
çonne d'avoir eu part à son évasion, et un frère de
M. de Rrigode est mort en prison, au bois de Vincennes,
1. Cette bulle, du 27 mars 1708, ordonnant la réunion de la maison
des Champs à Port-Royal de Paris, quoique instamment réclamée par
Louis XIV au pape, est mal reçue à la cour de France. Torcy malmène
assez rudement, à ce sujet, le cardinal de la Trémoille : « Cette bulle est
d'un style si extraordinaire que je ne puis me résoudre à louer Votre
Eminence en cette occasion. » Le cardinal est « un peu mortifié » et
répond « qu'il n'y a qu'à la renvoyer et qu'on tâchera de la faire réfor-
mer ». Ce qui fut fait.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 297
depuis un mois1. C'était un ancien curé qui avait été
à Bruxelles solliciter la délivrance de son frère, qui
avait été arrêté avec le P. Quesnel. C'est un temps de
souffrance, de patience et de prières.
Quesnel à M. Schorl
7 août 1708.
Je reçois, avec toute la reconnaissance et avec toute
la correspondance que je dois à votre précieuse amitié,
les offres si obligeantes que vous me faites de votre
maison. Je conçois bien que ce me serait une grande
douceur d'achever mes jours avec une personne d'un
si bon cœur que le vôtre, et je l'accepterais sans façon,
si la Providence n'avait disposé les choses d'une ma-
nière qu'il ne m'est pas permis de changer. Mais, si elle
ne me laisse pas la liberté d'aller à vous, pour vous
être uni même de corps, je vous assure que les liens
qui munissent à vous de cœur sont beaucoup fortifiés
et serrés plus étroitement par les obstacles mêmes
qui m'empêchent de passer la mer pour vous aller
embrasser. J'entrai, le 14 de juillet dernier, dans ma
soixante-quinzième année ; mais ce n'est pas ce qui
m'empêcherait de faire le voyage, ma santé, grâce à
Dieu, étant bonne, n'ayant aucune des incommodités
de la vieillesse. Mais il ne faut pas m'endormir sur les
sentiments des forces de la nature. Le Seigneur nous
avertit qu'il faut veiller et attendre l'époux la lampe
à la main et avec la provision d'huile. S'il le faut faire
1. M. Anselme deBrigode, d'abord enfermé à Amiens, avait été trans-
féré à Vincennes, où il mourut. Son seul crime était ce voyage à
Bruxelles, entrepris pour défendre son frère. La mère de ces deux mes-
sieurs de Brigode, marchande à Lille, fut tourmentée au même sujet.
Le maréchal Vauban écrivit à Versailles pour la défendre, alléguant
qu'une pauvre vieille de soixante-douze ans était peu à craindre et
« ne songeait à rien moins qu'à quitter son pays ».
298 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
à tout âge, combien y suis-je plus obligé à l'âge où je
suis! Priez donc pour moi, afin que je rentre sérieuse-
ment dans les devoirs de la vigilance chrétienne et que
le voleur ne me trouve pas endormi. J'espère aller à
Leyde, vers le 45 de ce mois, passer quelques jours à
la maison de campagne de M. van Hussen, selon ma
coutume annuelle.
La bulle du pape pour la réunion des deux maisons
de Port-Royal n'a pas été trouvée en France comme on
la voulait, parce qu'il y a des clauses qui laissent les
religieuses en possession de leur monastère, tant
qu'elles vivront en assez grand nombre pour faire com-
munauté, qu'elle fournit à leurs besoins et qu'elle ne
contient aucune mauvaise note contre les religieuses.
On ne sait si on en demandera et obtiendra une autre.
Il y a à Rome (car je crois qu'il y est encore) un
théatin français, nommé le P. Dubuc, qui est dans des
sentiments bien différents du vôtre. C'est un moliniste,
le plus outré et le plus aveugle infaillibiliste qui fut
jamais. Pour avoir soutenu à Rome que c'était la doc-
trine du clergé de France, et pour son humeur inquiète,
il a eu ordre de retourner en France. Le pape a écrit et
fait solliciter en sa faveur. Le roi était demeuré ferme;
mais il y a toujours des ressources pour ces gens-là.
Petitpied à ***
13 août 17081.
Nous avons reçu de Rome un bref foudroyant contre
les Réflexions morales'2. Il doit faire grand bruit en
1. Archives d'Ainersfoort, boîte W.
2. Décret du pape condamnant au feu le livre des Réflexions moral es.
du 13 juillet 1708. Le cardinal de Noaillcs s'en plaignit vivement au roi,
disant « que c'était un affront qu'on lui Taisait et qu'on flétrissait ses
deux approbations, pour se venger de ce qu'il avait soutenu les inté-
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 299
France, parce que ce livre a été approuvé par plusieurs
évoques et se vend, depuis plus de trente ans, avec
l'estime et l'approbation de bien des gens. Gomment
M. le cardinal de Noailles pourra-t-il accommoder ce
bref avec les éloges qu'il a donnés à ce livre dans le
mandement qu'on trouve à la tête de l'ouvrage?
Quesnel à MmG de Fontpertuis
29 décembre 1708.
Vous avez sans doute ouï parler de la condamnation
du Nouveau Testament de Châlons. et des Réflexions.
L'auteur n'est point fort ému. Il attend en paix ce que
Dieu en voudra tirer de bien, ou permettre le mal que
les hommes en voudraient tirer. On dit qu'on travaille
à Rome pour extraire les propositions qui ont donné
lieu à la condamnation, selon que M. le cardinal l'a
demandé1.
Nicolas Petitpiedà M. de Vaubreuil
Amsterdam, 14 février 1709.
Ce que vous me mandez du froid rigoureux qu'on a
senti à Paris ne me surprend point; nous l'avons senti
ici. Les gazettes étaient remplies des plaintes qu'on
faisait de tous côtés de la rigueur de la saison. Mais je
suis bien étonné de ce que vous me mandez que tant
rets de Sa. Majesté, en renouvelant, dans l'assemblée du clergé, les
quatre articles de l'Eglise gallicane. » (Utrecht, Lettres manuscrites à
Quesnel, I).
1. « On tient pour certain, écrit-on de Paris au P. Quesnel, que ce
bref ne sera pas porté au parlement. On peut dire qu'on l'a en horreur.
Tout le inonde s'empresse d'acheter Y Abrégé, et ceux qui ne l'avaient
pas le veulent avoir. » (Utrecht, Lettres manuscrites à Quesnel, I.)
300 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
de personnes soient mortes de froid, que les classes
aient été fermées et que personne n'osait sortir de chez
soi. Ici, au contraire, je n'ai jamais vu tant de joie, tant
de mouvement, tant de inonde à la promenade, que
pendant ce froid excessif, surtout quand il fut tombé
un peu de neige.
La rivière, c'est-à-dire l'Amstel, large comme la
Seine l'est à Paris, était toute couverte de monde. On
avait balayé la neige, pour faire une route d'environ
une lieue pour ceux qui glissent avec des patins, et sur
la neige on voyait une infinité de traîneaux tirés fort
vite par de beaux chevaux qui avaient des aigrettes sur
la tête et des grelots sur tout le corps. Les traîneaux
sont petits et bien dorés, et les dames d'Amsterdam,
qui se promènent rarement en été, étaient ravies de se
trouver au milieu des neiges, dans des traîneaux décou-
verts et exposés au vent. Au reste, elles n'ont pas froid ;
elles ont des bonnets de velours, des masques, de
bonnes robes de chambre, des couvertures piquées et,
je crois, du feu dans des chaufferettes.
J'avais résolu d'abord de rester enfermé pendant le
froid; mais il passait tant de monde sous nos fenêtres
que la curiosité nous prit d'aller voir ce qui paraissait
faire plaisir atout ce monde. Nous y fûmes, M. Dupuis
[Quesnel], M. de La Place [Fouilloii] et moi, et nous
nous promenâmes deux heures sur la rivière même,
qui était bien chargée d'hommes, de chevaux, de
charrettes, mais qui était assez gelée pour soutenir un
si grand poids. Le spectacle me parut bien froid, et je
n'y trouvai rien de plaisant que de voir tant de gens se
réjouir au milieu des glaces et des neiges, nonobstant
un vent très perçant.
Je fus bien heureux, en sortant de là, d'entrer chez
un ami qui avait bon feu dans une chambre bien chaude.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 301
Quesnel à M. Schort
12 mars 1709.
On a vu ici, aussi bien qu'ailleurs, le décret de Rome
contre le Nouveau Testament de Chdlons, approuvé par
M. le cardinal de Noailles. C'est l'effet d'une puissante
cabale d'une part, et, de l'autre, du chagrin que la
cour de Rome a conçu contre ce cardinal, parce qu'il
était président de la dernière assemblée, en 1705, où la
bulle de Clément XI fut reçue. Avant que de la rece-
voir, on établit des principes qui déplaisent fort à la
cour romaine : 1° Que les évoques ont droit, par insti-
tution divine, de juger des matières de doctrine; 2° que
les constitutions des papes obligent toute l'Eglise, lors-
qu'elles ont été acceptées par le corps des pasteurs ;
3° que cette acceptation, de la part des pasteurs, se fait
toujours par voie de jugement, n'étant pas de simples
exécuteurs, mais jugeant et prononçant avec le pape.
Ils ont été irrités, à Rome, de cette doctrine. Le pape
en écrivit, il y a deux ans, une lettre au roi et une
aux évoques, où il fulmine contre les prélats. Comme
M. le cardinal était président, ils s'en sont pris à lui,
et les anciens auteurs du Problème, qui peuvent tout à
Rome, y ont bien contribué. Ils s'étaient flattés que le
décret serait porté au parlement et publié de l'autorité
du roi ; mais, jusqu'à présent, ils ont été trompés, M. le
cardinal ayant fait connaître au roi que c'était un effet
de la colère du pape, parce qu'il avait soutenu les droits
de la dignité épiscopale, défendu les libertés de l'Eglise
gallicane et obéi à Sa Majesté. Cela est tombé; on n'en
parle plus, et il en est de ce décret comme des autres.
Je ne sais pas si le nouveau confesseur, le P. Tellier1,
1. Le P. Tellier avait été nommé, en février 1709, confesseur du roi.
11 fut un des ennemis les plus acharnés des jansénistes et du cardinal
302 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
aura assez de crédit pour le faire publier; je ne le crois
pas. C'est lui contre qui ont été écrits les volumes III,
IV, V et VI de la Morale pratique, et Y Apologie des deux
censures. Jugez par là comment il sera disposé à favo-
riser les jansénistes 1.
Nicolas Petitpied à M. de Vauhreuil
13 juillet 1709.
M. de La Place [Fouillou] est malade. Il a de la fièvre,
un mal de tête, un rhume et un peu d'oppression. Je
crois que ce ne sera rien ; mais je suis plus touché à
son égard d'un mal habituel qu'il a depuis deux ans
et qui est la cause du mal présent. Il est toujours
comme enrhumé du cerveau, et il éternue continuelle-
ment, jusqu'à cinquante ou soixante fois par jour,
lorsque le temps est un peu plus froid et plus humide.
Il lui coule continuellement par le nez une humeur
acre et piquante, qui lui écorche les narines et le dessus
des lèvres. Il n'a guère eu de repos, depuis deux ans,
que dans certains jours fort chauds, mais qui sont assez
rares en ce pays-ci, où le vent du nord règne presque
toujours. Nous ne savons quel remède apporter à ce
mal. Il croit que l'air humide du pays lui est contraire.
M. Dupuis [Quesnel] se porte fort bien. Il eut hier
soixante-quinze ans accomplis, et il entre dans sa
de No ailes, voulant, dit Saint-Simon, « élever l'école de Molina contre
celle de saint Augustin », et « ajoutant à la haine innée de son habit
contre tout ce qui s'appelle jansénistes et jansénisme la haine person-
nelle d'un écrivain tant de fois vaincu par eux. Tel était le P. Tellier,
lorsqu'il devint le canal unique des grâces ecclésiastiques et le suprême
arbitre delà religion en France. » (Ecrits inédits de Saint-Simon, publiés
par Faugère, t. II, p. 470.)
1. Du Vaucel écrit à ce propos, le 18 avril 1709 : « Arnauld, le grand
Arnauld, l'a réduit quelquefois en poudre; il ne remporta jamais de
plus petite victoire. » (Utrecht, Lettres de du Vaucet, t. X.)
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 303
soixante-seizième année, en bonne santé et sans aucune
incommodité,
Quesnel à M. Schort
19 octobre 1709.
Ma santé, grâce à Dieu, est bonne, et, dans la soixante-
seizième année où je me trouve, Dieu m'a préservé,
par sa bonté, des incommodités ordinaires de la vieil-
lesse. Je suis entré en même temps dans la cinquantième
année de mon sacerdoce.
M. Dubois [Brigode] vous fera tenir quelques nou-
veaux écrits de ce pays. 11 y en a un qui contient trois
Entretiens1 au sujet du décret de Rome contre les
Réflexions du P. Quesnel sur le Nouveau Testament,
approuvées par M. le cardinal de Noailles. On attribue
ce livre au P. Quesnel, et cela me paraît assez probable.
On dit que M. l'archevêque de Cambrai va se mettre
à traiter le dogme sur 1'alïaire du jansénisme2. Ce pré-
lat aura peine à se tenir dans de justes bornes ; il s'est
barbouillé des opinions molinicnnes, et, s'il suit leurs
idées, il se rendra digne de la censure des plus habiles
théologiens; car, pour celle de Rome, les jésuites, ses
bons amis, y sont trop puissants pour avoir à craindre
les foudres du Vatican, et c'est à la faveur du grand
1. Entretiens sur le décret de Rome, par le P. Quesnel (in-12,
296 pages). L'auteur, parlant du bref contre les Réflexions morales, le
regarde comme « un attentat scandaleux qui blesse l'épiscopat dans le
cœur, un ouvrage de ténèbres et l'entreprise d'une horrible cabale ».
2. Un peu avec l'espoir de rentrer en grâce, et aussi poussé par ses
tendances naturelles, Fénelon se livre complètement, dès 1709, au nou-
veau confesseur. Il lui soumet ses ouvrages, les fait même sur com-
mande : « Je travaille actuellement sur le mandement de M. l'évêque
de Saint-Pons, selon le désir du révérend Père [Tellier] » (Lettre du
23 novembre 1709.) Et plus loin : « Je vous envoie ma lettre sur la théo-
logie d'Habert, et je vous supplie de délibérer avec le P. Tellier sur ce
qu'il convient d'en faire. »
304 CORRESPONDANCE DE PASQTJIER QUESNEL
crédit qu'ils y ont qu'ils lèvent le masque plus hardi-
ment que jamais contre la doctrine de saint Augustin,
Quemel à Ernest Ruth dyAns{
13 décembre 1709.
Je vous suis bien obligé, mon très cher Monsieur,
de l'attention que vous avez eue à l'état où je suis, en
parlant aux deux personnes, et de la proposition que
vous leur avez faite-, et je suis aussi fort obligé à celui
qui l'a reçue si favorablement et si obligeamment. A
dire vrai, l'offrande ne saurait venir que très à propos;
car la rareté de l'argent et toutes sortes de misères sont
telles, à Paris et dans toute la France, qu'il y a peu de
personnes qui aient du superflu, et une infinité qui
n'ont pas le nécessaire. Les dernières lettres qu'on a
reçues de Paris en font une peinture déplorable. De
sorte que j'ai peine à faire souvenir de mes besoins la
seule personne à qui j'écrive, qui est Mlle Petit [Mlle de
Joncoux]. Et j'y suis d'autant plus réservé que mon
frère est encore sur leurs bras, étant dans la même
condition que moi. Je ne sais où il est depuis un an
qu'il est sorti de Picardie, par la nécessité où il s'est
trouvé de changer de lieu. Dieu soit béni! La petite
sœur a bien de la charité et de l'amitié; mais la ciainte
qu'elle a (et très justement) que le commerce ne la
découvre fait que ce commerce est bien maigre et que
je ne sais quasi rien. Je n'ose même lui adresser des
lettres pour l'épargner.
Je vous prie, Monsieur, de témoigner ma reconnais-
sance à la personne qui est si bien disposée. Quand
même, par quelque encontre, sa bonne volonté n'aurait
1. Archives d'Utrecht.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 305
pas son effet, je ne laisserais pas d'en conserver pré-
cieusement le souvenir.
Nous venons d'apprendre la mort de Mlle de Brigode,
sœur de notre ami.
Quesnei à Ernest Rut h d'Ans
16 janvier 1710.
J'ai recula vôtre du 13, mon cher Monsieur; j'écrirai
à M. Valloni [dit Vaucel]1, quand je saurai sa demeure
fixe, et je lui toucherai quelque chose des papiers ou
lettres qu'il peut avoir. Il en a déjà envoyé quelques-
unes par Paris, avec beaucoup d'autres papiers qui sont
ou copies des actes qu'il a faits et présentés à Rome
dans l'affaire du formulaire, ou des copies d'écrits pour
et contre VAmor pœnitens. Je crois qu'il a donné à
M. de Louvois beaucoup de lettres originales.
Je ne doute point que certaines personnes à qui
vt)us écrivez n'aient retiré de la famille désolée beau-
coup de papiers'2. Ils les garderont si bien qu'enfin on
mettra la main dessus. Il n'y a plus de sûreté qu'en ce
pays où il faudrait tout envoyer. On en ferait usage
ici, et on n'en fera jamais rien là où tout tremble.
1. Du Vaucel, sur le point d'être chassé de sa résidence, écrivait à
M. de Sébaste, le 21 novembre 1709 : « Les noirs (les jésuites) ont
dressé une nouvelle machine pour faire chasser de Padoue un prêtre
français qui y est depuis plus de six ans. » C'était là, en effet, que du
Vaucel s'était fixé après son départ de Rome, et, le lor décembre de la
même année, il écrit de Ferrare : « Je suis parti de Padoue lundi, sur
un ordre portant que j'eusse à sortir de la ville dans vingt-quatre
heures et de tout l'état de la République dans trois jours. Ce coup, selon
toutes les apparences, vient de la Cour de France, à la suggestion du
Père confesseur. » (Utrecht, Lettres de du Vaucel, t. X.)
2. Nous trouvons, dans le Journal inédit du marquis de Torcy
(1884, p. 65), que « le roi ordonna que l'on remît à M. le cardinal
de Noailles tous les livres et tous les papiers trouvés dans le monas-
tère de Port-Royal, dont M. d'Argenson lui avait envoyé quatre
charrettes pleines ».
il. 20
306 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Je suis fort content qu'on commence l'action contre
nos geôliers et nos pillards. Faudrait-il pour cela beau-
coup d'écritures? Faut-il présenter d'abord une requête
sommaire où l'on renverrait à une plus ample déduc-
tion dans la suite? C'est que, présentement, je suis un
peu occupé à repondre aux deux Quesnel, séditieux et
hérétique, pour laisser au moins quelque chose à la
postérité. J'avais commencé, il y avait longtemps, et
obligé de quitter, un demandant une chose, un autre
en demandant une autre, outre des revisions. Et depuis
même que je m'y suis remis, je suis encore obligé de
le quitter pour des choses qui surviennent. Quand on a
une fois commencé à plaider, on entre dans un chan-
gement d'écritures sur écritures, et cela demande tout
le temps.
J'ai vu ce que le P. Hardouin ] dit sur saint Pierre
contre moi; cela ne me fera pas grand mal. Je m'en-
durcis aux injures. Cependant, en chemin faisant, je
pourrai bien lui dire un mot.
Quesnel à Ernest Ruth d'Ans
14 février 1710.
J'ai reçu, mon très cher Monsieur, votre lettre du 28
que l'ami a envoyée de la Haye. Je vous remercie de
nouveau de tout le soin que vous avez bien voulu
prendre pour l'exécution du présent que me fait mon
bienfaiteur invisible. Voilà un mot de remerciement
que je vous prie de lui donner. M. Maille, appa-
remment, n'aura que la peur2. Au moins il semble que
1. Le P. Jean Hardouin, célèbre par ses paradoxes. Celui-ci entre
autres : il prétendait que YEnéide n'était pas de Virgile, et qu'Horace
n'était pas l'auteur des Odes.
2. Déjà, en 1709, du Vaucel, écrivant qu'on était « plus entêté et
plus échauffé que jamais contre le prétendu jansénisme », ajoutait :
« C'est une providence particulière que M. Maille puisse se maintenir
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 307
les mémoriaux, qu'il a fait présentera la congrégation
et au pape, ont radouci les affaires. On verra si c'est
une espérance trompeuse.
Je ne crois pas que vous deviez rien renvoyer en
France. C'est se moquer d'y garder même ce qui y est.
Ils devraient au moins faire faire des copies bien corri-
gées et les envoyer ici; car jamais on n'aura tant de
commodité d'en faire usage, comme jamais on n'en
aura tant de besoin. J'ai dressé une courte requête; je
pourrai vous l'envoyer la semaine prochaine. On mande
que, dans la prochaine assemblée du clergé, qui com-
mencera le 10 du mois prochain, on prendra des mesures
pour faire le procès à M. de Saint-Pons, qu'on y résou-
dra une signature universelle; et qu'on condamnera le
Nouveau Testament du P. Quesnel, en acceptant le
décret de Rome. Dieu sur tout.
Quesnel à M. Sckort
12 septembre 1710.
La pauvre Eglise1 est toujours dans la désolation,
toujours divisée, toujours sans gouvernement. Il n'y a
que Dieu qui puisse la secourir, car les Romains
à Rome. » (L'trecht, Lettres de du Vaucel, t. X.) Cette providence semble
l'abandonner quelques mois plus tard, et l'agent de Noailles, le
P. Roslet, annonce au cardinal que « M. de la ïrémoille demande à Sa
Sainteté qu'elle fasse sortir de Rome le sieur Maille ». « 11 le mérite,
s'écrie-t-il, carc'est un véritable brûlot dejanséniste, qui commet beau-
coup d'honnêtes gens en les citant mal à propos »; puis, à sept jours
de date, le 12 juillet 1710 : « M. Maille fut arrêté avant-hier et conduit
au château Saint-Ange. Il était cru l'agent de la cabale jansénienne
avec assez de fondement Je m'en suis toujours défié comme d'un
homme dangereux. » (Ait", étr., Rome, 487.)
1. Il s'agit de l'Eglise de Hollande, « où les brouilleries sur le jansé-
nisme, écrit Petitpied, sont pires qu'en France. Là, les théologiens seu-
lement s'en mêlent ; ici, les enfants de sept ans en parlent selon les
préjugés de leurs parents, et les paysans composent des livres. »
(Amersfoort, Lettres de Petitpied.)
308 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
demeurent insensibles à ses maux et inflexiblement
attachés au dessein de la gouverner despotiquement et
comme une Eglise de la Chine. En France, le feu est
plus violemment que jamais. Le confesseur du roi très
chrétien, le P. Tellicr, qui est l'apologiste des cultes
chinois, contre qui ont été faits les six derniers volumes
de la Morale pratique des jésuites, ce Père, dis-je, est
tout-puissant; il fait introduire partout la signature du
formulaire1. Depuis la mort de l'archevêque de Reims2,
en vertu d'une lettre de cachet, on a fait signer tous
ceux de l'Université et delà cathédrale. Deux chanoines,
frères et très vertueux, ont abandonné leurs canonicats
et ont disparu. Vous savez la destruction de Port-Royal-
des-Champs3; on a abattu les bâtiments et enlevé toutes
les religieuses, qui ont été dispersées en divers monas-
tères étrangers. L'abbesse de Port-Royal de Paris, qui
avait poursuivi chaudement cette destruction et s'était
fait adjuger les biens et les meubles de Port-Royal-des-
Ghamps, est morte depuis peu, subitement, sans rece-
voir le saint viatique4.
On a mis, à Rome, à l'Inquisition deux vertueux
ecclésiastiques de nos amis, sans qu'on sache pourquoi.
L'un est M. Maille5, Français exilé pour l'affaire des
Filles de l'enfance; l'autre un monsieur Deschamps,
Liégeois, chassé par les jésuites du séminaire de Liège.
1. On écrivait de Paris au P. Quesnel : « On menace beaucoup l'Ora-
toire; on craint fort qu'on y demande une signature générale ; on donne
partout, plus que jamais, la chasse aux livres de, ces messieurs. » (Amers-
foort, Lettres au P. Quesnel.)
2. Charles-Maurice Le Tellier, mort en février 1710.
3. Le 29 octobre 1709.
4. M,,,c de Château-Renaud mourut, en effet, moins d'un an après la
destruction de Port-Royal, le 25 août 1710.
5. « 11 s'est parfaitement bien défendu, écrit du Vaucel, le 24 sep-
tembre 1710; son premier interrogatoire, qui fut fait par l'assesseur,
dura six heures le matin et six heures l'après-dîner. On dit que l'asses-
seur fut obligé de changer de chemise trois ou quatre fois. » (Utrecht,
Lettres de du Vaucel, t. X.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 309
Petitpied à M. de Vaubreuil
17 novembre 1710.
M. de La Place [Fouillou] est toujours dans le même
état, ou plutôt il est plus mal que Tannée passée. Le
rhume est continuel, et toutes les nuits il a une oppres-
sion de poitrine1. Les médecins disent que c'est le scor-
but, maladie presque universelle dans ce pays-ci, et
dont peu de gens sont exempts. Si cela est, il ne gué-
rira jamais à l'air d'Amsterdam. Le fond de cette mala-
die est une salure dans le sang, qui produit, selon les
sujets, une infinité d'effets différents. Le plus ordinaire
est d'attaquer les gencives et les dents. Ici, c'est une
eau acre et salée qui coule par le nez et qui se jette
sur la poitrine. Je ne m'étonne pas que les Hollandais
aient ce mal-là, car ils mangent toujours de la viande
salée et fumée; mais, pour nous, nous n'en usons jamais;
toujours de la soupe et de la viande fraîche à la fran-
çaise. M. Dupuis [Quesnel] s'en trouve fort bien, et moi
aussi; nous n'avons pas la moindre incommodité de
l'air de ce pays-ci. Je ne sais pourtant pas si les méde-
cins ont raison de traiter de scorbut la maladie de M. de
La Place. Pour lui, il souffre avec patience et ne veut
faire aucun remède. Il se porte mieux le jour que la
nuit et n'a ni fièvre, ni mal de tête.
Quesnel à su sœur, religieuse de Luxeuil
[Ordre de Cîleaux)
27 décembre 1710.
Vous savez peut-être, ma très chère sœur, que, pour
me rendre hérétique, on a été chercher des erreurs
1. Fouillou souffrait d'un asthme chronique.
310 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
dans mes Réflexions sur le Nouveau Testament. C'est
assurément où ils doivent moins espérer d'en trouver,
après l'approbation de trois évoques de Chàlons et sur-
tout d'un archevêque, M. le cardinal de Noailles, et
après que les plus savants hommes de l'Eglise n'y ont
rien trouvé que de catholique et d'édifiant. Gela me suf-
fisait, et au delà ; mais Dieu a bien voulu y ajouter
depuis peu un nouveau témoignage, et qui est d'un
grand poids. Il y a onze ans que feu M. Bossuet, évêque
de Meaux, fit une apologie de mes Réflexions, aussi
avantageuse qu'on la peut désirer, et je n'y vois qu'avec
confusion les louanges qu'il donne à cet ouvrage.
Cette apologie était demeurée ensevelie dans ses papiers ;
mais il est arrivé qu'une copie de l'écrit de ce savant
prélat a été découverte, m'a été mise entre les mains
et qu'elle est devenue publique par l'impression1. Je
ne sais qui pourra être assez hardi pour m'opposer
son jugement à celui d'un évêque qui était regardé,
dans toute l'Eglise, comme un des plus savants hommes
qu'elle eût et comme celui qui défendait la foi et la fai-
sait triompher de ses adversaires. Je n'aurais pas désiré
pour moi une apologie plus éclatante; mais ceux qui
ne cèdent à aucune autorité ne céderont point à celle-
ci. Je m'attends bien à leur voir continuer leurs calom-
nies, et je continuerai, avec le secours de Dieu, de les
souffrir en paix et d'attendre celui qui doit venir éclai-
rer les ténèbres les plus épaisses et mettre en évidence
les secrets des cœurs.
Comme les consolations de cette vie ne sont pas par-
faites, mais toujours entremêlées de quelque amertume,
\. Cette publication fut un coup de maître et reste assez inexplicable.
D'où Quesnel tenait-il le manuscrit? Le cardinal de Noailles, ou l'abbé
Boileau, son homme de confiance, ne sont-ils pas intervenus dans l'im-
pression d'un ouvrage si utile à leur cause et d'une portée si considé-
rable ? Toujours est-il que Quesnel, seul, en prend la responsabilité et
va ainsi lier étroitement sa cause à celle de l'archevêque de Paris,
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 311
celles que j'ai reçues des louanges de M. de Meauxont
été tempérées par la douleur de perdre le plus solide
et le plus illustre ami que j'eusse en ce pays'. C'est
M. l'archevêque de Sébaste, vicaire apostolique dans
ces provinces. C'était un prélat fort sage et attaché à
la vérité, d'un cœur bien droit, et qui avait un grand
soin d'établir l'ordre et la discipline dans l'Eglise. Il a
été opprimé par la calomnie, et il a porté avec beau-
coup de douceur, de fermeté, d'humilité et de courage,
l'humiliation et les vexations qu'on lui a procurées,
et il n'a jamais voulu s'en délivrer par aucune démarche
qui pût faire préjudice à la vérité, à son innocence et à
la justice.
Son Eglise est encore dans la désolation, et ceux qui
ont ruiné la religion dans le vaste empire de la Chine
la ruinent aussi, autant qu'il est en eux, dans cette
portion de l'Eglise qui subsiste parmi ses ennemis.
Je ne dis rien de la destruction de la plus sainte
maison de votre ordre. 11 vaut mieux n'en rien dire et
n'en parler qu'à Dieu.
Quesnel à M. Hugo van Httssen2
8 avril 1711.
L'invitation que vous avez la bonté de nous faire,
pour aller prendre l'air dans votre agréable campagne,
est une rente que vous payez toujours, Monsieur, avec
de nouvelles marques de votre amitié. Nous vous en
remercions très humblement, et nous l'acceptons avec
une parfaite reconnaissance envers vous, Monsieur, et
1. Pierre Codde, archevêque de Sébaste, mort le 18 décembre 1710,
à soixante-deux ans. Il fut jugé indigne de la sépulture ecclésiastique
par rinquisitionde Rome ; mais on l'enterra près de Leyde, à Warmond,
avec honneur.
2. Archives d'Utrecht, t. II, 625,
312 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
envers Mademoiselle votre sœur. Mais il faut donner le
temps à l'air de se réchauffer, à la terre de se revêtir
d'herbe et de fleurs, et à votre jardin de reprendre sa
première beauté. J'aurai l'honneur de vous demander
le temps de votre commodité, quand nous serons en
état de jouir de vos offres si obligeantes. Nous allons
avoir l'embarras d'un déménagement. Nous ne faisons
que passer le canal pour aller demeurer dans la mai-
son qui est vis-à-vis de la nôtre. Nous avions encore
un an de bail; mais un M. Muysaërt, échevin de cette
ville, gendre d'un bourgmestre défunt, et neveu d'un
autre vivant, M. de Haze, ayant eu besoin de notre
maison pour ses desseins, il l'a achetée et nous a priés
de sortir dès cette année, en cas que nous trouvassions
une autre maison qui nous accommodât; nous n'avons
pu nous en défendre. C'est un homme fort honnête,
qui sera, l'année prochaine, député de cette ville à la
Haye, et que nous aurions [désobligé si nous ne lui
avions donné cette satisfaction. La maison où nous
allons ne nous est pas si commode pour l'étendue,
quoiqu'elle soit beaucoup plus chère; mais elle a un
long jardin. Nous irons vous demander de quoi l'em-
bellir.
Peut-être aurons-nous, cet été, M. Valloni [du Vau-
cel] chez nous. Je le crois en France à l'heure qu'il
est; il est bon de n'en point parler encore à personne.
Quesnel à M. Schort
5 mai 1711.
Grâces à Dieu, Monsieur, il ne nous est arrivé aucun
malheur ; nous sommes en bonne santé et, si on pou-
vait oublier les maux de l'Eglise, qui croissent de jour
en jour, on pourrait dire que l'on est content.
Nous avons eu l'embarras d'un déménagement dans
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 34 3
lequel j'ai perdu ou égaré un cahier de lettres, entre les-
quelles étaient les vôtres, de sorte que je ne sais encore
si je me pourrai souvenir de votre adresse. Nous ferons
un petit paquet au plus tôt, où je ferai mettre la Réponse
de Messieurs des Missions étrangères à la protestation
des jésuites. C'est une pièce accablante pour eux. On y
joindra le septième et le huitième volume du Cas de
Conscience , quelques écrits pour Port-Royal détruit, une
Réponse aux deux lettres de M. l'archevêque de Cambrai
au P. Quesnel\ et tout ce qu'il y aura prêt à être en-
voyé. Il y aura aussi le Mahomètisme toléré par les
jésuites dans les îles de F Archipel. Les jésuites, dont
le crédit et l'abus qu'ils en font croissent de jour en
jour, ont engagé plusieurs évêques de leur façon à
faire des ordonnances contre les Réflexions morales.
Ceux de Luçon et de la Rochelle en ont fait une en
commun, où le pur molinisme et le demi-pélagianisme
sont établis sans ménagement2. Ce sont des évêques
sans lumière et sans science, et que récrit justificatif
de feu M. de Meaux doit couvrir de confusion. Ces Pères
ont engagé ces mêmes évêques à écrire au roi une
lettre lapins insolente contre M. le cardinal de Noailles,
1. Réponse aux deux lettres de M. V archevêque de Cambrai au
P. Quesnel. (1711, 140 pages.) « Ecrit, dit le Dictionnaire de Patouillet,
qui porte sur le front l'empreinte de l'erreur et de l'insolence. » L'erreur,
non pas; mais l'insolence, vis-à-vis de la compagnie de Jésus, nous
vaut l'admirable éloquence de certains passages : « Je vous l'ai déjà
dit, je n'ai ni école, ni disciples. Je ne suis chef d'aucun parti; je n'en
connais aucun, j'ai en horreur tout parti, soit dans l'Etat, soit dans
l'Eglise. Mon nom est chrétien, mon surnom est catholique, mon chef
est Jésus-Christ, ma loi c'est l'Evangile, les évêques sont mes Pères-, et
le Souverain Pontife est le premier de tous. » (P. 81.)
2. Cette ordonnance de MM. de Lescure, évêque de Luçon, et de
Champflour, évêque de la Rochelle, est du 15 juillet 1710, et fut élaborée
par Fénelon et les jésuites. L'archevêque de Cambrai chargea l'abbé
de Langeron de voir et de pousserM.de Champflour, tout en lui recom-
mandant de rester dans la coulisse : « Il est capital que ni vous, ni
aucun de nos amis ne puisse être soupçonné, ni de discourir, ni de
s'intriguer dans cette affaire. 11 faut ôter tout prétexte de dire que
nous nous donnons du mouvement contre les jansénistes. »
314 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
où ils se plaignent de ce que cette Eminence a obligé
deux de leurs neveux à se retirer du séminaire de
Saint-Snlpice de Paris, et où ils demandent au roi qu'il
veuille révoquer le privilège donné pour l'impression
des Réflexions* . Tout le monde en est indigné; on verra
ce qui en arrivera. Il y a un Deuxième Gémissement
sur la destruction de Port-Royal1. La mort, qui a enlevé
M. le dauphin3 et Mme la princesse de Gonti douairière,
fille naturelle du roi, parait à bien des gens un effet de
la justice de Dieu sur cette destruction, et la part que
le cardinal archevêque de Paris y a eue fait qu'on ne
le plaint guère dans les insultes qu'il souffre de la part
des jésuites et de leurs créatures.
Nous avons de la joie de ce que le pape a rendu
témoignage à l'innocence et à la catholicité de votre
Eglise et de ses pasteurs.
Quesnel à Mme de Fontpertnis
10 août 1711.
Nous revenons de la campagne, et une de mes pre-
mières pensées est de vous écrire, Madame, car il y a
longtemps que je ne l'ai fait, quoique mon inclina-
tion y soit tout entière; mais, comme il ne me faut pas
beaucoup d'affaires pour m'occuper, elles suffisent
aussi pour remplir tout mon temps.
1. MM.de Ghampflour, de Lescureet de Malissoles, évêque de Gap (qui
avait fait aussi son petit mandement contre les Réflexions morales, le
4 mars), s'indignent de l'ordonnance du cardinal de Noailles, qui rom-
pait ouvertement avec la cour et Mmc de Maintenon et interdisait dans
le diocèse de Paris la lecture des trois mandements.
2. Second Gémissement d'une âme vivement touchée de la destruction
du saint monastère de Port-Royal, 1710, par l'abbé Le Sesned'Etemare.
C'est une sorte de lamentation, d'un style étrange et symbolique, bien
particulier à cet abbé, dont nous nous occuperons plus tard, à propos
des convulsions.
3. Monseigneur mourut, à Meudon, de la petite vérole, le 14 avril 1111,
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 315
Mais parlons un peu devons, ma très honorée sœur.
Gomment va votre santé? Car vos dernières lettres ne
me donnaient pas contentement sur cet article, en me
faisant connaître de si fréquentes rechutes. Je veux espé-
rer que la belle saison vous aura donné une nouvelle
vigueur; mais je comprends bien que vous portez tou-
jours dans le cœur une source d'affliction qui ne se tarira
pas si tôt, ni si facilement. Les sujets de douleur aug-
mentent de jour en jour; mais aussi, de jour en jour,
nous approchons du terme où toutes les larmes de nos
chères amies seront essuyées de la main de Dieu même,
et quelles retrouveront dans Dieu même l'Eglise, la
maison, les biens de la sainte communauté, qui leur
ont été enlevés.
Nous vîmes, cet hiver, chez nous M. Paulin [Ernest
Rnth d'Ans]. Il nous est encore venu voir, il n'y a
que trois ou quatre jours, chez un ami commun1, à
trois lieues de la Hâve. 11 est encore dans cette dernière
ville pour l'affaire de son nouveau bénéfice de Tournai.
Je ne connais point de ses amis qui ne voulussent qu'il
ne se fut point engagé dans cette affaire, où l'on s'ima-
gine qu'il sollicite les puissances protestantes contre
celles de l'Eglise; mais l'engagement est pris, et il est
difficile de le rompre.
Nous avons ici l'ancien ami de Rome2, qui s'estretiré
d'Italie pour ne pas tomber entre les mains de ceux qui
n'épargnent personne.
Les deux seuls ecclésiastiques qui étaient à Rome,
de notre connaissance, y sont en prison, il y a plus d'un
an. L'un des deux a agi pour les religieuses extermi-
nées. C'est sans doute un de ses crimes.
1. M. van Hussen.
2. Du Vaucel.
316 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à M. Schort
G septembre 1111.
On a publié la mort du cardinal de Tournon ; on ne
sait si cette nouvelle est vraie. C'est d'Angleterre que
l'a apprise l'abbé Passionei, qui est à la Haye pour veil-
ler sourdement aux intérêts de la cour de Rome. Je
vous prie de tâcher d'avoir quelque habitude avec une
personne qui soit informée des vaisseaux qui viennent
de temps en temps delà Chine, et d'apprendre des capi-
taines ou des passagers, ou du cardinal, s'il est encore
en vie, ou de ce qui se passe dans cette pauvre Eglise
désolée et ravagée1. Les Portugais ou les Anglais en
peuvent apporter là des nouvelles. Les Romains, et
surtout le misérable cardinal Fabroni, font une cruelle
persécution aux ecclésiastiques, qu'ils soupçonnent
d'être jansénistes ou d'avoir quelque commerce avec
ceux de France ou de Hollande, s'il y en a. Ils ont mis
à l'Inquisition, il y a déjà plus d'un an, deux prêtres
démérite; un, nommé M. Maille, qui a enseigné autre-
fois la théologie dans le séminaire, sous le cardinal
Grimaldi, et qui avait à Rome un bénéfice et une chaire
d'histoire ecclésiastique; l'autre, un M. Deschamps, qui
enseignait dans le séminaire de Liège, avant que les
jésuites l'eussent envahi. Depuis un mois ou six semaines
ils ont fait arrêter à Florence un M. Alberti, ou, de son
1. Nous avons sous les yeux une lettre écrite de « Canton, au
royaume de la Chine, le 20 février 1711 », parle P. Mugnoz, mission-
naire dominicain et docteur de la faculté de Paris, donnant les détails
les plus précis et les plus douloureux sur la captivité et la mort du car-
dinal de Tournon : « La rage et la fureur de ses ennemis se porta jus-
qu'à lui refuser les aliments nécessaires à la vie. Enfin le pauvre To/o-
la-o-ve (c'était le nom chinois de M. le cardinal), succombant aux
ennuis et aux persécutions, tomba malade. Et, L'apoplexie qui survint
lui ayant ôté l'usage de ses membres, il mourut le jour de la Pentecôte.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 317
vrai nom, l'abbé Tourreil1, ecclésiastique de mérite et
de qualité, qui était professeur en droit canon, à Tou-
louse, et avait été obligé de sortir de France pour avoir
rendu service aux Filles de l'enfance. Il est fils d'un pro-
cureur général du parlement de Toulouse, et il trou-
verait de la protection dans sa famille, qui est considé-
rable, si ces vexations ne se faisaient pas à Rome, de
concert avec les jésuites de France.
Je ne sais si vous lisez les gazettes françaises d'Ams-
terdam ; elles ont parlé assez amplement du différend
qui est entre M. le cardinal de Noailles et les évoques
de Luçon, de la Rocbelle et de Gap. Elles ont même
publié plusieurs pièces qui concernent cette affaire, et
qu'on vient de mettre tout ensemble avec des réflexions
sur quelques-unes2. L'affaire a fait un très grand éclat;
on a tâché de l'accommoder; cela n'est pas encore fini.
La faiblesse de M. le cardinal de Noailles lui a fait perdre
de grands avantages, dont il pouvait se prévaloir pour
humilier ses ennemis, qui sont les jésuites3. Il en a
interdit trente, de quarante-huit qui confessaient ou prê-
chaient, de la seule maison professe de Saint-Louis, et
a restreint le pouvoir même du P. Tellier, confesseur
du roi, en lui continuant son pouvoir exceptis monia-
li/)tts'[. On croit que, quand on viendra à vouloir faire
1. Voir la noie du 9 septembre 1688.
2. Relation de ce qui s'est passé dans le différend de MM. de Luçon,
de la Rochelle et de Gap (1711, 52 pages), par Louis Tiberge, abbé
d'Andrès, savant et pieux ecclésiastique, celui-là même qui jouera un
rôle si touchant dans le roman de l'abbé Prévost, Manon Lescaut.
3. Le malheureux cardinal, poursuivi et traqué, adresse au roi ces
plaintes prophétiques : « Au surplus, Sire, quand ceux qui me tour-
mentent depuis si longtemps, c'est-à-dire les jésuites, voudront me
laisser en repos et se tenir à leur place, tout ira bien. Mais, s'ils con-
tinuent, ils troubleront tout; ils exposeront l'Eglise de votre royaume
à un schisme et aux plus grandes extrémités; car je puis assurera
Votre Majesté qu'il y a ici, et dans les provinces, plusieurs prélats très
impatients du joug qu'ils veulent nous imposer, et qu'ils me pressent
d'agir pour les en défendre. » 11 mai 1711. (Bibl. nat., ms. 23484.)
4. Excepté la faculté de prêcher en public.
318 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
continuer les pouvoirs à ceux du collège et du noviciat,
Son Eminence en retranchera encore beaucoup, si toute-
fois il en a le courage. Il a été fort sollicité, surtout du
côté du nonce, de retirer son approbation du livre des
Réflexions du P. Quesnel, ou môme de les condamner1.
Jusqu'à présent il a tenu bon; je ne sais ce qui en sera.
Je suppose que vous savez la découverte qui a été faite
de l'intrigue des jésuites, par l'interception d'une lettre
et d'un modèle de lettre au roi que ces Pères envoyaient
aux évêques2. Gela a fait un grand éclat.
Petit pied à ***
22 octobre 1711.
M. le cardinal fait paraître pour la vérité, quand
il y va de son honneur, une fermeté que je voudrais
qu'il eût fait paraître en faveur de la vérité seule. Ce
que vous me mandez de Son Eminence et du courage
qu'elle a témoigné depuis peu nous a fait beaucoup de
plaisir. Il paraît un petit ouvrage ici sur cette affaire,
1. L'évêque de Mirepoix, La Broue, qui tiendra ferme jusqu'à la
mort devant les prétentions romaines, inquiet de la faiblesse déjà con-
nue du cardinal de Noailles, lui écrit, le 2 août 1711 : « Quelques efforts
qu'on fasse contre la doctrine du livre que vous avez approuvé, j'es-
père bien que vous ne révoquerez point l'approbation que vous lui
avez donnée. ■>> (Amersfoort, carton 58.) Golbert de Groissy, le grand
évêque de Montpellier, lui écrit aussi, le 25 novembre 1711, à propos
de la révocation du privilège du livre en question : « Il est moins le
livre du P. Quesnel que le vôtre, Monseigneur, et vous devez le soute-
nir, non pas tant parce qu'il vous appartient que parce que c'est le plus
excellent ouvrage qu'on puisse mettre aux mains des ecclésiastiques
et de tous les fidèles. »
2. Par l'entremise de l'abbé Bochard de Saron, le P. Tellier faisait
parvenir aux évêques un modèle de lettre au roi contre le cardinal
de Noailles. « Le secret est promis, ajoutait-on, à tous ceux qui écri-
ront. » Cette lettre tomba miraculeusement entre les mains de Noailles,
qui en fit un grand bruit, mais ne sut pas en profiter adroitement.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 319
qui a pour titre : F Intrigue découverte^. Je ne sais s'il
est passé jusqu'à Paris.
M. l'abbé de Saint-Tropez, qui parle de sept per-
sonnes réfugiées chez un libraire, est mal informé de
ce fait.
Ce prétendu libraire est M. Dubois [Brigode], qui fait
imprimer et vend des livres ; mais il n'a point de bou-
tique, et il n'est point du corps des libraires de cette
ville. Ces sept réfugiés se réduisent à deux: M. Dupuis
[Quesnel] et M. Gallois [Petitpied]. M. de La Place
[Fouillou], qui était le troisième, est présentement à
Anvers. Quant à la dépense, elle est beaucoup plus forte
qu'on ne le suppose. 100 écus, c'est-à-dire 300 francs
de France, ne sont pas ici 200 florins, et nous en dépen-
sons chacun au moins 600 par an, parce que tout est
fort cher, et surtout depuis que nous avons été obligés
de prendre une maison de 700 florins, moins commode
que celle que nous avions à plus bas prix, mais plus
apparente, ce qui a été cause qu'on nous a augmenté
la taxe de tous les droits qu'il faut payer.
Pour la dépense qu'il suppose que nous faisons en
livres, elle est nulle. Nous n'en achetons aucun. Nous
nous contentons de ceux de M. Dupuis et de M. Du-
bois, et nous en empruntons. Du reste, il est vrai
qu'on vit en commun et qu'on récite ensemble l'office.
Quesnel à M. Petitpied l
Amsterdam, 15 novembre 1711.
Je reçois, Monsieur, votre lettre avec l'incluse. Je
vous en remercie, quelque mauvaise que soit la nou-
1. VIntrique découverte, ou réflexions sur la lettre de M. Vabbé
Bochard. (1711, 128 pages.)
2. Petitpied avait accompagné du Yaucel, qui quittait Amsterdam,
jusqu'à Delft. Il demeurait quelques jours malade, pendant ce court
voyage, « d'une fièvre double tierce », écrit du Vaucel au P. Ruiïin, le
23 décembre 1711. (Amersfoort, Lettres de du Vaucel, copies.)
320 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
velle qu'elle contient. Je ne suis guère surpris de ces
sortes de démarches. Il n'y a rien à quoi je ne me sois
toujours attendu. C'est l'affaire des jésuites : c'est tout
dire1. Je n'ai guère le courage de rien faire, parce que
je suis assuré que tout cela ne fera rien changer aux
projets. Le parti est pris; l'autorité est engagée; l'oppo-
sition est faible, et, quelque raisonnable que soit un
écrit, il n'y a personne pour le faire valoir. Je verrai
si je pourrai faire quelque chose; mais, comme à Rome ils
ne voudront pas paraître examiner un livre qu'on doit
avoir déjà examiné pour le décret, il ne s'agira là que de
donner une nouvelle forme à la condamnation, et cela
ira vite, tant par cette raison que pour ne pas donner
au prélat le temps de se reconnaître. Il aurait dû faire
agir les gens du roi et empêcher qu'on ne portât à
Rome immédiatement les causes que les évèques de
France doivent juger en première instance3. On cla-
baude pour les règles et contre les abus, et on agit
contre ses propres principes. Je me porterais par moi-
même à ne rien faire et à attendre en paix tout ce qu'on
voudra faire, parce que cela ne servira qu'à donner
plus de poids à la condamnation, en faisant dire qu'on
1. Arrêt du roi, du 11 novembre 1711, par lequel, « pour grandes et
sages considérations », il révoque le privilège qu'il a accordé pour
l'impression du Nouveau Testament du P. Quesnel. « Voilà l'arrêt que
l'abbé Bochard promettait, dit Mathieu Marais (décembre 1711). On
attendait de Rome une constitution; le pape a tardé, et le roi a fait le
pape. C'est un genre de martyre, pour notre cardinal, autre que celui
du cardinal de Tournon; mais c'est toujours un martyre. »
2. Le roi, sous l'influence du P. Tellieret des jésuites, demande enfin
au pape une constitution visant directement le livre du P. Quesnel. Il
écrit de Versailles à la Trémoille, le 16 novembre 1711 : « Je veux au-
jourd'hui que vous demandiez de ma part au pape une constitution
contre le livre du P. Quesnel, que Sa Sainteté a déjà condamné par son
bref du 13 juillet 1708. Je m'engagea faire accepter cette nouvelle cons-
titution par les évèques de France avec le respect qui lui est dû. »
(Aff. étr., Rome, 514.) Voilà un engagement un peu bien prématuré, et
dont Louis XIV pourra reconnaître lui-même la légèreté, alors que la
constitution Unic/enitus produira de si misérables elfets dans tout le
royaume.
CORRESPONDANCE DE PASQUÎER QUESNEL 321
a été écouté, qu'on n'a rien eu de bon à dire, que le
jugement a été contradictoire. Enfin je doute fort
qu'on reçoive aucune justification. On dira : « Qu'il se
retire d'un pays hérétique, qu'il signe le formulaire, et
puis on verra! C'est un homme noté, un fugitif, un
homme qui a une sentence sur le corps, qui est contu-
mace, qui ne s'est point purgé. Un tel homme ne doit
pas même être écouté. » La partie est trop forte; le
meilleur parti serait de porter en silence l'humiliation
et d'attendre le jugement de Dieu, qui réformera ceux
des hommes. Si vous voulez queje fasse quelque chose,
ayez la bonté de revenir le plus tôt que vous pourrez.
Que sue l au P. Ruffin
15 janvier 1712.
Dieu sait à quoi il veut faire aboutir tout ce qui se
passe en France, au sujet du livre. Tantôt on le regarde
comme abîmé, tantôt on le voit comme revenir sur l'eau.
Tout ce qu'il y a de bon vient de Dieu et est à Dieu, il
ne saurait périr. Ce que les hommes charnels ont con-
damné au feu en peut être consumé; mais la vérité,
dont le papier n'est que l'enveloppe, demeurera éter-
nellement, et, si les hommes la bannissent de la terre,
ils ne sauraient la chasser du ciel où nous la retrouve-
rons toujours. C'est une chose admirable que le sort
de ce petit ouvrage. Qui n'aurait cru que, sous la pro-
tection d'un archevêque de Paris, d'un cardinal, d'un
homme de la faveur, il était à couvert de l'orage? Et
c'est cette protection même qui a attiré sur lui l'orage
et la tempête. Si j'avais mendié et recherché cette pro-
tection, j'en aurais du scrupule; mais elle s'est pré-
sentée d'elle-même. Je ne laisse pas d'avoir sujet de
craindre d'y avoir trop mis ma confiance. Si l'humilia-
ii. 21
322 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QllESNËL
tion que les hommes me procurent sert à me purifier
et à expier toutes les fautes que j'ai faites par rapport
à ce livre, je serai trop heureux.
Quesnel à M. van Hussen
24 février 1712.
Voilà de tristes événements pour la France. En moins
d'un an perdre deux Dauphins et une Dauphine, après
avoir perdu la première! Voici une circonstance curieuse
de la mort de Mmc la Dauphine, dernière morte. Le P. de
La Rue ] , jésuite, son confesseur, était à Pontoise lorsque
cette princesse tomba malade. On l'alla quérir en
poste, mais assez inutilement; car, quand ce Père lui
eut annoncé qu'il fallait se confesser et que le médecin
lui eut confirmé que cela était nécessaire, elle se tourna
du côté des femmes qui étaient autour d'elle et ordonna
qu'on allât chercher M. Bailli, vicaire de la paroisse.
On lui dit qu'il était à Paris depuis deux jours. Sur
quoi le P. de La Rue lui dit : « Madame, il ne faut
point que vous vous contraigniez. Quoique cet ecclésias-
tique ne soit pas ici, il y a d'autres confesseurs; choi-
sissez qui il vous plaira, et je serai le premier à l'aller
quérir. » Elle demanda le gardien des récollets de Ver-
sailles, à qui elle s'est confessée, et ensuite on lui
donna les sacrements. C'est une petite mortification
pour les bons Pères. Quant à M. le cardinal de Noailles,
il demeure ferme jusqu'à présent sur les jésuites inter-
dits et ne paraît pas vouloir abandonner le Nouveau
1. Le P. Charles de La Rue, un des meilleurs prédicateurs de la com-
pagnie de Jésus. « Son éloquence touche au sublime », dit un écrivain
de la même compagnie, le P. Gibert. Mais l'abbé Trublet y trouve « du
vide, de la stérilité, de la sécheresse. A tout prendre, ses sermons
sont médiocres ».
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 323
Testament1. Cette dernière affaire avait été remise par
le roi à M. le Dauphin, et ce prince s'appliquait à trou-
ver moyen de l'accommoder. On dit même qu'il y a
deux évêques qui, sous son aveu, examinent le livre
par rapport à l'ordonnance de Luçon et de la Rochelle ;
mais la mort de ce prince, qui donnait tant d'espé-
rances par son équité et ses bonnes dispositions, ren-
versera peut-être toutes ces mesures.
Je veux croire que le bruit qui court de la mort du
roi ne se trouvera pas véritable. Ce serait un grand
malheur pour la France.
M. du Vaucel est chez M. Ernest Ruth d'Ans, à
Rruxelles. Il ne s'est pas accommodé de l'air de la
Hollande.
Quesnel au P. Ruffin
20 mai 1712.
Je ne sais si je vous ai remercié de votre remercie-
ment; mais j'aime mieux le faire deux fois que d'y
manquer.
En vous remerciant, je ne prétends pas me dispenser
de vous gronder, car vous répandez les louanges avec
profusion.
Je mentirais si je disais que je ne suis pas bien aise
qu'un écrit fait pour la défense de la vérité soit approuvé;
mais cette approbation ne doit pas être flatteuse. Je
m'attends bien à recevoir d'un autre côté du rabat-joie
1. Ses amis veillent toujours, craignant une défaillance. L'évêque
de Mirepoix, La Broue, le met en garde : « M. le cardinal de Rohan et
M. Tévêque de Meaux [Bissy] chercheront certainement à affaiblir Votre
Eininence, et je vous avouerai, Monseigneur, que je crains pour elle le
désir qu'elle aurait de rentrer dans les bonnes grâces du roi. Je vous
demande pardon, Monseigneur, si je vous parle avec cette liberté. Je
suis assuré que M. de Montpellier pense sur cela comme moi.» (Bibl.
nat., ms. 23216.)
324 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
plus qu'à foison, si la constitution qu'on demande à
Rome arrive enfin. Les uns disent que le nouveau nonce
Bentivoglio1 en apportera une; d'autres, qu'il vient
dire qu'il n'y en aura point- . Vous verrez, par les réponses
de M. le cardinal au roi, que Son Eminence est prête
à plier le cou sous le joug d'une constitution romaine
sans condition3.
Il y a un Mémoire adressé à feu Monsieur le Dauphin
par Messieurs les cvêques ducs de Laon et deLangres,
où ils se plaignent fort de ce qu'on demande à toute
occasion des constitutions et qu'on enlève aux évoques
la connaissance des causes dont ils sont les juges natu-
rels en première instance. Bienheureux qui aujourd'hui
n'est point évoque ! Heureux qui n'est rien et qui, fidèle
à la vérité et à ses devoirs, passe les moments si courts
de cette vie fugitive dans un coin de la terre et y sait
gémir pour l'Eglise et pour lui-même !
1. «L'infâme nonce », dit Saint-Simon; «celui dont les jésuites
sont plus les maîtres ». {Anecdotes secrètes, 11, p. vin.) « Il n'avait
nulle teinture de théologie, ni expérience dans les affaires », ajoute
l'abbé Legendre. (VI, 312.)
2. Le P. Roslet, correspondant du cardinal de Noailles à Rome, lui
écrit le l<r mai 1712 : « La constitution est toujours en même état.
Fabroni continue de la promettre à la Trémoille, mais il ne lui montre
rien. Les plus sages et les plus habiles sont toujours d'avis que cette
constitution peut avoir de fâcheuses suites. » Et il déclare, quoique
ennemi des doctrines du livre du P. Quesnel : « Une condamnation
faite par vous, dans les circonstances présentes, serait inutile pour
l'Eglise et déshonorante pour vous. » (Bibl. nat., ms. 23227.)
3. Quesnel se montre un peu injuste envers le cardinal, qui est
encore plein de zèle pour la vérité et d'indignation contre les jésuites.
Nous voyons, dans la correspondance de Noailles avec le roi, qu'il le
conjure de veiller à la sûreté de sa conscience : « Je crois devant Dieu,
dit-il, qu'elle n'est pas en bonnes mains », et plus loin : « Il ne m'est
pas permis, Sire, de craindre le crédit redoutable du P. Tellicr. 11 ne doit
pas m empêcher de parler, quoi qu'il m'en puisse arriver. Je ne puis
me dispenser d'avertir Votre Majesté du mauvais usage que les jésuites
font de leur crédit. Oui, Sire, ils en abusent manifestement. Il faut se
livrer absolument à eux pour être à l'abri de leurs mauvais offices, et
l'on peut dire sans exagération qu'il y a chez eux une boutique
ouverte de simonie.» (13ibl. nat., ms. 23484.)
CORRESPONDANCE DR PASOUIER QUESNEL 325
Quesnel au P. Ruffin
10 mars 1713.
Je me recommande à vos prières, mon cher Père;
j'en ai grand besoin. On dit que l'affaire de la consti-
tution s'avance à Rome1. 11 faut que ceux qui y ont un
particulier intérêt se disposent à tout événement.
La difficulté, en ces occasions, est de savoir quel parti
on doit prendre, pour ne pas manquer à des devoirs
différents qui semblent opposés les uns aux autres. Detts
illuminet vultum suutn super nos et misereatur nostri.
Petitpied à M. Petitpied de Vaubreuil
Lundi 18 mai 1713.
Nous sommes tout accoutumés au Prinse-Gracht, et
notre maison est plus commode que je ne l'avais cru
d'abord. Sans y faire beaucoup de dépense, nous l'avons
rendue propre et logeable. Je n'ai jamais été si bien
logé que je le suis. L'endroit où je me suis mis, et qui
ne convenait point aux autres, paraissait peu commode
aux amis qui nous venaient voir; c'était une partie du
magasin fort malpropre. J'en ai fait, à peu de frais, une
chambre bien carrée et bien commode, sur le devant,
avec la vue du canal. M. Dupuis [Quesnel] est logé
près de moi, sur le derrière. Nous lui avions donné,
1. Le P. Quesnel avait tenté un dernier effort, le 22 juillet 1712, en
écrivant au pape « une lettre fort soumise et pleine d'esprit », selon les
propres termes du cardinal de la Trémoille. « Je ne crois pas, ajoute
notre ambassadeur, qu'elle fasse aucune impression sur son esprit. »
(AIT. étr., Rome, 526.) Du reste l'impression, si elle fut bonne, sera effacée,
au commencement de 1713, lorsque Quesnel publiera les Vains efforts
des jésuites. « Ce dernier ouvrage fera plus de mal que de bien, écrit
du Vaucel à Petitpied, le 16 février 1713 ; j'entends à Rome, où l'on a
les oreilles si délicates sur la plupart des maximes qu'on débite dans
cet écrit. » (Amersfoort, boite R.)
326 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
comme il était bien juste, la plus belle chambre de la
maison et la plus commode au premier étage, avec la
vue sur le canal ; mais il n'y a passé qu'une nuit. Dès
le matin, il me vint dire qu'il y mourrait, si on ne le
plaçait ailleurs. Il est très sensible au bruit, et le canal
est fort tumultueux. Il a donc mieux aimé se placer sur
le derrière, dans une chambre haute où l'on n'entend
aucun bruit. M. de La Place [Fouillou] ne craint point
le bruit; il a pris la belle chambre sur le canal, et moi
je suis logé au-dessus de lui. M. Dubois [Brigode] est
au premier étage sur le derrière, dans la plus grande
chambre qui ne l'est pas encore assez pour toutes les
affaires qu'il a. Nous avons une chambre séparée pour
la chapelle, des chambres pour les domestiques, et,
sans déplacer personne, nous pouvons encore recevoir
deux amis et les loger, l'un dans la salle d'entrée où
l'on reçoit le monde, et l'autre dans la salle à manger.
Quoique nous n'ayons qu'une très petite cour sur le
derrière, cependant il y a une grande échappée de vue,
et, parce que les maisons sont basses de ce côté-là, on
a, sur le derrière, assez d'air et de jour. Ainsi, à tout
prendre, nous sommes contents et logés à meilleur
marché que sur le Keysert-Gracht. Mais notre canal
est fort offensé de se voir comparé à la halle de Paris,
où les herbes pourrissent dans la boue et exhalent une
mauvaise odeur. Il n'y arien ici de semblable; le canal
est beau et large, planté d'arbres des deux côtés, et si
long qu'on a peine à aller d'un bout à l'autre en une
heure de temps. Il est vrai qu'il n'est point bordé
de belles maisons et qu'il n'est point orné comme le
Keysert-Gracht. Nous n'avons ici que des artisans et
du menu peuple; mais c'est une sorte d'agrément de
voir bien du monde et d'être averti par le bruit, et par
le grand nombre de gens qui passent, qu'on est logé
dans une grande ville, au lieu que nous étions comme
dans une belle campagne sans bruit.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 327
Le Groèn-Marck n'est point incommode ; au contraire,
il me paraît fort agréable, surtout en ce temps-ci. Il
est toujours lini à huit heures du matin, et à peine nous
en apercevons-nous. Il commence à cinq heures par
l'arrivée de cent ou six vingts bateaux chargés de toutes
sortes de salades et d'herbes très fraîches et très vertes.
Tout cela est rangé fort proprement dans des petits
paniers; toutes les herbières se fournissent là et vont
vendre en détail dans la ville. À huit heures, tous les
bateaux disparaissent, et il n'y a plus aucune appa-
rence de marché
Qiœsnel à ***
2 juin 1713.
Il y a bien ongtemps, Monsieur mon très cher ami,
que je n'ai eu la consolation de vous écrire. Nous avons
eu l'embarras d'un déménagement et d'autres petites
occupations, qui ne m'ont guère donné de loisir. J'admire
comme une partie de la vie s'emploie à se ranger, à
se déranger, à se ranger de nouveau, à changer de
demeure, de situation, d'habitudes. Ce sont les néces-
sités de la vie qui nous causent beaucoup de dissipa-
tions, et souvent l'arrangement des choses extérieures
fait dans l'âme des dérangements qu'il n'est pas facile
de remettre dans l'ordre.
Que me l au P. Rufftn
23 juin 1713.
On me mande de Liège qu'une personne, qui avait
écrit à Rome pour s'informer de l'état où était l'affaire
de la constitution demandée, en a reçu pour réponse
qu'on lui mande que cette affaire embarrasse beaucoup
328 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
la cour de Rome1 ; qu'il y avait grande apparence qu'on
ne la poursuivrait point et qu'elle s'assoupirait.
On m'a mandé à peu près la même chose de Paris;
mais il ne faut pas chanter triomphe avant la victoire.
On cabale encore à Liège pour faire censurer six propo-
sitions d'un écrit de l'abbé de Bolduc. Voilà comme on
attaque de tous côtés la vérité.
Réception de la constitution Unigenitus
chez le P\ Quesnel2
Lorsque le P. Quesnel reçut en Hollande un exem-
plaire de la constitution Unigenitus3, il était à table, à
dîner avec M. Petitpied, M. Fouillou et M. de Brigode,
chez qui il demeurait. Ils lurent ensemble la nouvelle
bulle. Pendant la lecture, le P. Quesnel, assis, possé-
dait son âme avec beaucoup de tranquillité, sans parler,
mais en versant des larmes. M. Petitpied se prome-
nait dans la chambre, sans dire mot, et M. Fouillou se
récriait, à chaque proposition condamnée qu'on lisait,
et marquait son indignation par ses mouvements et
ses transports en frappant du pied. Quand la lecture
fut finie, ils se séparèrent sans presque se parler. Le
P. Quesnel monta dans sa chapelle domestique, où il
fut quatre heures en prière. M. Petitpied s'alla prome-
ner sur le port, sans penser à rien faire, quoiqu'il n'eût
que la constitution dans l'esprit, et M. Fouillou alla
1. M. de la Chausse écrivait, en effet, de Rome, le 11 mars 1713 :
« Le pape et les cardinaux ne sont pas peu embarrassés et craignent
les mômes difficultés qui se rencontrèrent clans l'exécution de la der-
nière. 11 paraît que si cette cour n'avait pas entrepris cette affaire,
elle ferait de sérieuses réflexions avant de s'y engager. » (Aff. étr.,
Rome, 527.)
2. Archives d'Amersfoort, Ecrits manuscrits du P. Quesnel, liasse 1713.
3 La constitution Unigenitus, condamnant 101 propositions du livre
des Réflexions morales du P. Quesnel, est du 8 septembre 1713,
CORRESPONDANCE DE PASQL'IER QUESNEL 329
d'un autre côté, étant presque dans la môme agitation
qu'il avait montrée du temps de la lecture. Ils se ras-
semblèrent le soir, ne parlant que de la constitution et
continuant chacun de montrer son caractère. Ce ne fut
qu'au troisième jour que M. Petitpied dit qu'il était temps
de faire quelque chose pour la défense de la vérité.
Petitpied à M. Petitpied de Vaubreuil
2 novembre 1713.
Je souhaite de tout mon cœur que le soulèvement de
tous les honnêtes gens contre la bulle produise un bon
effet et donne du courage aux évoques, pour soutenir la
vérité et la religion qui, assurément, est en danger, si
la constitution a lieu dans toute son étendue. On mur-
mure et on se plaint de tous côtés1.
Pendant que les gens de bien gémissent, deux sortes
de personnes triomphent dans ce pays-ci : les jésuites
et les protestants.
Petitpied à ***
22 janvier 1714.
M. Gandidus [de Witte) espère bien des évoques de
France. Pour moi, je n'en ai pas si bonne opinion. On
1. L'apparition de la bulle souleva un immense mouvement de
révolte. « Ce monument éternel de la faillibilité du pape », suivant
l'expression de d'Aguesseau, mit en émoi tout le clergé de France.
Soanen, évêque de Senez, appelle ce nouveau décret « une vraie tem-
pête ». << Elle est affreuse et horrible », gémit du Vaucel, et Gaston de
Noailles, évêque de Ghàlons, écrit à son frère : « La constitution fait
ici beaucoup de bruit; elle y révolte les esprits. » (Bibl. nat., ms.
23206 ) L'évêque de Pamiers dit que « la constitution est mauvaise ».
MM. de Mirepoix, de Boulogne et de Montpellier, poussent des cla-
meurs. Seuls les trois consultants du parti moliniste, Tellier, Bissy
et le secrétaire d'Etat Voysin, puis Fénelon, « l'ange Gabriel de la
bulle », selon le joli mot de Michelet, se déclarent ses champions dès
le premier jour.
330 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
m'a mandé1 qu'ils devaient s'assembler le 45, et que
M. le cardinal de Rohan ferait son rapport, ce jour-là et
les suivants. On m'écrit en même temps qu'on a mis
pour une seconde fois à la Bastille le P. dom Thierry
de Viaixne2.
On envoie aujourd'hui, par la poste, aux évoques et
aux magistrats, la lettre du P. (Juesnel à rassemblée3.
Elle est imprimée; mais l'auteur l'a signée de sa
main.
La dissertation du P. Daniel, qui nous est venue
peut-être par votre canal, est très mauvaise. C'est un
sophisme continuel, un tissu de faux raisonnements,
d'injustices contre Jansénius et contre ceux à qui on
donne le nom de jansénistes, et de calomnie contre eux,
jusqu'à leur imputer d'être dans la disposition de cau-
ser une révolte en France. Cette dissertation, en forme
de lettre, est adressée à M. Dumas. M. Tournély en est
l'approbateur.
1. Lettre de son frère, M. Petitpied de Vaubreuil, du 13 janvier.
(Amersfoort, boîte R.)
2. « Dom Thierry de Viaixne, qui fut mis, il y a plusieurs années, à la
Bastille et depuis relégué à une abbaye près de Saumur, a encore été
enlevé. C'est pour le jansénisme, car un docteur m'a dit que c'est pour
un méchant libelle qu'a fait cet incorrigible bénédictin et qui s'appelle
Vidée f/énérale de la bulle. » (Même lettre de M. de Vaubreuil.) Ce béné-
dictin fut un des premiers appelants de la bulle Unigenilus; car nous
trouvons aux Archives nationales (Hisl. ecclés., L 17, jansénisme) une
lettre de lui, du 21 octobre 1713, ainsi conçue : « La nouvelle consti-
tution me cause d'étranges distractions. J'ai pris mon parti et j'en
appelle au futur concile général, qui est le souverain tribunal de
l'Eglise, le supérieur du pape, là où seulement l'infaillibilité se ren-
contre. »
3. Cette lettre du P. Quesnel aux évêques est fort belle; mais elle a
été imprimée et ne trouve pas sa place parmi ces documents absolu-
ment inédits. Elle est datée du 25 décembre 1713 et se termine par cette
apostrophe : « Ce n'est quedepuis cette année-là (1696) que les Réflexions
morales, après avoir été lues pendant vingt-cinq ans comme un livre
pieux et catholique, sont devenues impics et hérétiques. On sait par
qui et par quelles vues! Et, sans m'en apercevoir, je suis devenu plus
que suspect en la foi, afin que mon archevêque le fut avec moi et moi
avec lui ! »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 331
Quesnel à Soanen, évêque de Senez
2a janvier 1714.
Mon très honoré Seigneur,
Positifs in medio, qno me vert am nescio. Que ferai-je
le premier? Vous sauterai-je au cou pour vous em-
brasser, ou me jetterai-je à vos pieds pour les baiser1?
Mon cœur me presse d'un côté et me dit: Osculetur me
osculo oris sut. Il en sait le chemin, et il n'en a pas
perdu l'habitude. Car combien de fois a-t-il grimpé sur
ces montagnes pour vous aller embrasser, mon cher
Seigneur, en la manière qu'il le pouvait! Mais ce môme
cœur, revenu de son transport, rentré dans son devoir,
se jette à vos pieds et crie avec le transport d'une
sorte de joie : Qitam pulchri super montes pedes annnn-
tianlis et prœdicantis pacem, annuntiantis bonmn, prœ-
dicantis salntem, dicentis sicut regnabit Deus tuus. 11
est vrai, Monseigneur, qu'il semble que vous quittiez
plutôt la paix de vos montagnes et la douceur d'un
diocèse tranquille pour vous venir jeter au milieu de
la guerre. Vous venez vous engager dans un rude com-
bat contre le monde et l'esprit du monde.
Il serait à souhaiter que votre métropolitain2 eût
1. La commission, nommée par l'assemblée du clergé pour recevoir
la bulle, ayant présenté son- rapport et déclaré qu'elle acceptait la cons-
titution avec respect et soumission, le 22 janvier, n'avait été suivie que
de quarante évêques, tandis que huit autres, MM. de Noailles, arche-
vêque de Paris, d'IIervault, archevêque de Tours, Soanen, évèque de
Senez, de Béthune, évêque de Verdun, de Langle, évêque de Boulogne,
Desmarets, évêque de Saint-Malo, Dreuillet, évêque deBayonne, Gaston
de Noailles, évêque de Chàlons-sur-Marne, s'étaient opposés à la récep-
tion sans explications préalables. M. Petitpied de Vaubreuil, en donnant
ces détails à son frère, parle de l'union des huit évêques comme d'une
v< sainte conjuration » et cite le mot du cardinal de Noailles : « Ce
n'est pas moi qui ferai le schisme, et la vérité est préférable à l'unité. »
2. Charles Brulart de Genlis était, à cette époque, le plus ancien des
archevêques, ayant été nommé à Embrun en 1608. Il mourut au cours
de cette même année 1714.
332 CORRESPONDANCE DE PASQDIER QUESNEL
été en état de venir au secours de la vérité. Il avait
fait espérer de laisser sortir quelque chose de ses mains
pour sa défense. Cela aurait été d'une grande consola-
tion et d'un grand secours. Son âge, ses infirmités, peut-
être d'autres raisons, l'auront empêché d'exécuter son
dessein. 11 me semhle au moins qu'il aurait pu, et j'ose
dire dû donner une procuration à un de ses comprovin-
ciaux, ou en envoyer une à un des prélats de l'assem-
blée en qui il aurait eu confiance, pour donner en son
nom son suffrage qui, je suppose, était conforme au sen-
timent de ceux qui ne cherchent que Dieu. D'autres,
qui ne peuvent venir, en auraient dû user de même.
Que de choses, mon très cher Seigneur, se sont passées
depuis trente ans! Me voilà arrivé à un âge où je dois
attendre de jour à autre que le Seigneur vienne frap-
per à ma porte, et je ne devrais point avoir d'autre
affaire que celle de me préparer à le recevoir. Cepen-
dant la Providence permet que je me voie engagé à
bien d'autres choses.
Dieu merci, je suis en bonne santé, et je ne me sens
d'aucune des infirmités de la vieillesse, et je lis la plus
petite lettre sans lunettes. Dieu m'épargne de ce côté-
là par sa bonté, et, pour le reste, il me fait la grâce
d'être tranquille. Je suis devenu le loup-garou pour
beaucoup de gens; mais, pourvu que Dieu ne me rejette
pas de sa miséricorde, comme je l'espère, tout le reste
n'est rien.
Quesnel au P. Ruffin
26 janvier 1714.
Je vous suis très obligé, mon très cher ami, de votre
lettre de l'onzième et de tous les souhaits et les vœux
([ne vous faites pour moi, à l'entrée du nouvel an.
Nous en avons tous grand besoin. Voilà une affaire qui
est d'une grande conséquence pour l'Eglise et pour la
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 333
vérité, et la démarche que M. le cardinal de Noailles
vient de faire, avec sept ou huit autres évoques, en se
déclarant positivement contre la constitution, est la
semence de beaucoup de grands événements pour le
cours de cette année, et il semble que Dieu veut con-
soler les amis de la vérité en lui donnant des témoins
fidèles et des défenseurs, qui paraissent disposés à tout
sacrifier pour elle1.
On fait un grand nombre de beaux écrits et ou en
envoie autant qu'on peut en France. Ceux que fait
Fauteur des Réflexions sont les moindres et viennent
un peu tard; mais les autres suppléent atout. Son
premier mémoire a été fait avec trop peu de soin; le
second est un peu meilleur. On dit qu'il continuera
sans se presser. Il paraît une lettre qu'il a écrite à l'as-
semblée du clergé et que Ton espère qui y sera lue.
Mais il n'en faut pas attendre un grand succès.
L'évêque de Senez, le P. Soanen, arriva, le 13, à
Paris, à une portière de la diligence de Lyon où il était
incognito. Il dit qu'il serait venu à pied, son bâton à
la main, s'il n'avait point trouvé d'autre voie. Il est
bien résolu de défendre la vérité aux dépens de tout.
Gomme il a le don de la parole, il sera utile à la cause
de Dieu-. Il ne faut pas douter qu'il ne se joigne à
1. Louis XIV, écrivant à la Trémoille le 25 janvier 1714, atï'ecte de
traiter légèrement le désaccord des évèques de l'assemblée : « Puisque
le pape est impatient, je dépèche donc un courrier pour vous faire
savoir que le cardinal de Rohan, ayant l'ait le rapport aux évéques
assemblés du projet qu'il a dressé pour l'acceptation de la bulle, ce
projet a été accepté par quarante évèques de l'assemblée. Les autres,
au nombre de neuf seulement, ont différé à donner leur avis. Ce délai
ne sera que de peu de jours, et je suis persuadé que j'aurai bientôt la
satisfaction de les voir tous, d'un sentiment unanime, accepter la
constitution. » (Atl*. étr., Rome, 53o.)
2. Il fut le seul qui parla dans l'assemblée pour la défense du
P. Quesnel. Un évoque marquant sa surprise de lui voir prendre le
parti d'un homme abandonné de tout le monde: « C'est le parti d'un
innocent que je prends, lui répondit ferme M. de Senez. » (Lettre de
Petitpied de Vaubreuil, du 12 février 1714, Amersfoort, boîte R.)
334 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUE^NEL
M. l'archevêque de Paris. J'aurai bien de la joie qu'il
se serve de cette occasion pour réparer les défauts de
sa vocation et ceux de la dispensation de la parole de
Dieu, car je l'aime tendrement, et je crois qu'il m'aime
de même. Je laisse à M. Petitpied le soin de vous dire
tout le détail qu'on lui a mandé et dont on m'a aussi
informé.
Petitpied de Vaubreuil à M. Petitpied
Paris, 4 février 1714.
La fermeté de M. le cardinal et de ses amis leur fait
beaucoup d'honneur; elle est sage et mesurée1. N'ayant
point été trop avant, ils ne sauraient être obligés de
reculer, et ils sont en état d'aller plus loin, s'il le faut.
Ils n'ont point fait signilier dans les formes leur oppo-
sition et ne se sont point retirés de l'assemblée, le roi
l'ayant ainsi souhaité et les en ayant fait prier. Ce qu'ils
disent, dans les circonstances présentes, les met hors de
toute atteinte et ferme la bouche à leurs lâches con-
frères et à leurs adversaires les plus animés. Quarante
évêques admettent la bulle, il est vrai, mais avec une
explication concertée eutre eux. Donc elle a besoin
d'explication, et voilà des gens, soi-disant très soumis,
qui se mêlent d'expliquer la doctrine d'un pape plein
de vie et qui peut parler lui-même! Cette prétendue
soumission, qui accepte en faisant la leçon au docteur
par excellence, est plus offensante que le simple refus
de M. le cardinal de Noailles et des huit prélats. Leur
procédé est net, et leur soumission sincère. Ils sup-
plient le Saint-Père de s'expliquer lui-même sur la
1. Le iïùre de M. Petitpied lui écrivait, le 21 février 1714: « M. le
cardinal de Noailles est tranquille et donne ses audiences avec un
front serein et une grande liberté d'esprit. On y a reçu des jésuites, des
évéques des quarante, etc. » (Amersfoort, boîte 11.)
CORRESPONDANCE DE PASOU1ER QUESNEL 335
constitution et d'en éclaircir les difficultés, qui causent
tant de mouvements.
Petit pied à M. Petitpiecl de Vaubreuil
19 mars 1714.
C'est un vrai brigandage que les trois assemblées de
Sorbonne pour l'enregistrement de la bulle i. J'y vois,
d'une part, la fureur et la violence portées à l'excès, et,
de l'autre, une excessive lâcheté. Les uns se retirent ou
n'osent paraître pour donner leur avis; d'autres cèdent à
la crainte et se laissent plutôt arracher leurs consente-
ments qu'ils ne les donnent; d'autres, après avoir opiné
en faveur de la vérité, l'abandonnent et se rétractent.
Il faut que M. Blouin, M. Hideux, le P. Alexandre,
M. Garson2 aient été de ce nombre, puisque je ne les
trouve point parmi les vingt ou vingt-deux qui ont
tenu ferme. Jamais il n'y eut d'enregistrement plus
irrégulier. La nullité est visible ; mais la bulle est dans
les registres, et elle y demeurera. On aura beau dire et
beau représenter (si pourtant on ose le faire), la cabale
et la violence feront toujours valoir la bulle, de sorte
que je ne puis m'empêcher d'en regarder l'enregistre-
ment comme un grand mal, et apparemment irrépa-
rable. Je ne puis excuser ceux qui se sont absentés ; je
compte que MM. Thomassin sont de ce nombre.
1. M. de Vaubreuil écrivait de Paris, à son frère M. Petitpied, le
10 mars 1714 : « Les gens sensés disent que ce beau règlement de la
faculté deviendra rien par la suite. On convient qu'il n'y eut jamais de
pareilles intrigues. On a été atout le monde en particulier, ou caresser,
ou jeter des craintes, ou menacer. Heureux qui a pu demeurer ferme,
battu de tant de vents! » (Amersfoort, boîte R.)
2. Nous trouvons cependant, dans les Archives du Vatican {Francia
I, 2074), ce mot de M. Garson, « que, puisque la constitution défendait
la lecture de l'Ecriture Sainte, il se contentait de citer Cicéron, qui dit
qu'il ne faut pas opiner où il n'y a pas de liberté ».
336 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Autant que j'en puis juger par les variations et les
incertitudes de ceux mômes qu'on pouvait regarder
comme des colonnes, je vois que la tête a tourné à la
plupart des docteurs1. C'est l'effet des lettres de cachet,
qu'on a bien fait d'enregistrer pour servir de preuve
du peu de liberté qu'on a eu dans cette affaire.
Il faut que M. le cardinal de Rohan soit bien changé,
depuis le temps que je le voyais si familièrement et que
je l'entendais souvent se plaindre des jésuites de Stras-
bourg. Je n'aurais jamais pu croire alors qu'il dût, un
jour, se portera de tels excès. Mais me serais-je aussi
attendu à voir Vivant et Le Moine joints à Dumas et
Tournély contre M. le cardinal de Noailles?
Qiiesnelan P. Ruffin
19 avril 1714.
Je vous suis bien oblige, mon cher Père, de ce que vous
levez au ciel les mains et le cœur pour moi. J'en ai
grand besoin, car je n'ai aucune consolation, ni aucun
secours à attendre des hommes. Quand vous aurez vu
l'instruction pastoraleet les lettres des quarante évoques
au pape et à leurs collègues, vous verrez avec quelle
cruauté ils traitent le livre, en le chargeant de tous les
mauvais sens qu'ils ont pu imaginer pour le rendre
odieux et pour en justifier la condamnation. Et, d'un
autre côté, M. le cardinal et ses huit consorts traitent
ce livre comme s'ils le croyaient effectivement rempli
de toutes les erreurs qu'on lui impute 2. Ils le con-
1. Les relations de ces assemblées de Sorbonne nous montrent que
« ce fut une confusion horrible et sans exemple; cris, menaces, em-
portements, visages pâles et défigurés, mêlés parmi d'autres allumés
de colère et furieux. La salle de Sorbonne était aujourd'hui l'enfer ».
(Amcrsfoort, boîte R.)
2. Le malheureux cardinal avait cherche à se donner les apparences
d'avoir devancé la constitution Unigenitus. Le 28 septembre, obtenant que
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 337
damnent, le proscrivent et en défendent la lecture, sous
peine d'excommunication et sous les peines de droit.
Lévêque d'Angoulême *, qui n'est pas des huit, ne
reçoit pas la bulle, et il défend le livre pour raisons à
lui connues. C'est le moins mauvais. Vous avez peut-
être vu la lettre pastorale de M. le cardinal. Le mande-
ment de M. l'archevêque de Tours est le premier qui
a paru2. Ces deux pièces sont arrivées de Rome, et par
les lettres venues, hier au soir, de Rouen, on apprend
que l'un et l'autre est condamné par un décret de l'In-
quisition3. Ils crieront bien plus haut, quand ils auront
vu les deux lettres des neuf au roi, où il y a des clauses
qui leur feront bien plus mal au cœur. Nous les avons
reçues en manuscrit. La faculté de Paris est fort brouil-
lée. Le syndic a lu en faculté une rétractation du
P. Alexandre de l'avis qu'il avait donné assez bon. C'est
la publication officielle delà bulle fût retardée de quarante-huit heures,
il fit paraître un mandement qui révoquait son approbation du livre de
Quesnel. Il désavoue ainsi toute la première partie de sa carrière épisco-
pale et ouvre la seconde, semée de faux pas, d'écarts et de regrets.
Cependant, malgré l'abandon du livre, l'archevêque n'accepte pas la
constitution du pape et protestera durant quelques années avant de
faiblir.
1. Benard de Rezay ne publia pas la bulle dans son diocèse et fut
appelant, en 1717. Une de ses lettres inédite au cardinal de Noailles, du
17 juillet 1715, défend chaudement le P. Quesnel : « 11 a clairement jus-
tifié, par quantité de passages de son livre, avoir enseigné sur plu-
sieurs sujets tout le contraire de ce qui lui est imputé. Ce qui, à la
vérité, saute aux yeux. » (Bibl. nat., ms. 23216.)
2. Isoré d'Hervault, archevêque de Tours, « un homme doux, étroite-
ment uni au cardinal de Noailles, un vrai gentilhomme debien et d'hon-
neur, et un excellent et courageux évêque » (Saint-Simon, VIII, 418), est
le premier qui fit mention de la constitution, pour déclarer qu'il ne
l'acceptait pas. Exilé dans son diocèse le 8 février, il dut, dit Dorsanne,
faireson mandement en route, car il le publia le 15 février.
3. Le pape condamna, par un décret du 28 mars 1714, les mandements
du cardinal de Noailles et de l'archevêque de Tours. Le premier fut qua-
lifié beaucoup plus fortement que le second, comme redolens schisma
et in illud inducens. Le roi, peu satisfait de ce décret, écrit le 23 avril
au cardinal de La Trémoille : « Le mieux que je puisse faire, c'est de
l'ignorer. » Et l'ambassadeur se demande « si la condamnation du man-
dement du cardinal contribuera à le ramener». (Aff. étr., Rome. 536.)
ii. 22
338 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNKL
un écrit supposé. Ce Père s'enplaignit au premier men-
ais dernier, et plusieurs se plaignirent aussi qu'on les
avait confondus parmi les partisans de l'enregistrement.
11 viendra sans doute des ordres de la cour pour arrê-
ter le cours et les effets de ces plaintes. Sans cela on
jouerait un mauvais tour au syndic, au premier mensis
prochain.
Vous savez sans doute qu'il y a ici deux de vos bons
amis1. Nous les avons, il y a déjà huit jours. Ce sont
deux excellents amis de la vérité. Ils sont du nombre de
ceux qui la servent avec beaucoup de lumière, de cou-
rage et de fidélité. Je prends part à la joie que vous
aurez de les embrasser quelque jour, à leur retour. Ce
sera le plus tard que nous pourrons, car leur séjour ici
nous est d'une grande consolation.
Voici un grand fracas : lettre de cachet à M. Witasse2,
professeur, relégué à Noyon; une autre à M. Habert3,
relégué à Blois. M. Vitasse ne s'est pas trouvé à Paris;
on ne croit pas qu'il y revienne. A MM. de Bragelone4,
Navarre, Garson, Gourcier, des Moulins, Begon, défense
de se trouver aux assemblées et ordre au syndic de
faire passer la conclusion de la faculté pour l'enregis-
trement et de ne plus parler de cette affaire. Un bref du
pape aux quarante, qui est d'une grande hauteur.
1. MM. Poncet et d'Etemare.
2. Witasse, docteur et professeur de théologie, plein de droiture et
d'une profonde érudition.
3. Louis Habert, docteur deSorbonne, auteur delà fameuse Théologie
si violemment attaquée par Fénelon. Opposant à la bulle, il fut exilé et
ne revint à Paris qu'à la mort de Louis XIV. « C'était, dit Lichtenberger,
un homme distingué par son savoir et par ses vertus. »
4. M. de Bragelone, chanoine de Paris et docteur de Sorbonne, déjà
suspectpour son attachement à Port-Royal, fut exilé, après sa protesta-
tion contre l'enregistrement de la bulle.
CORRESPONDANCE DE PASOUTER QUESNEL 339
Qaesnel à M. van Hussen
27 avril 1714.
Les nouvelles publiques vous ont appris, Monsieur,
comment l'affaire de la constitution a été terminée en
Sorbonne. Dans la dernière assemblée, on lut une lettre
de cachet qui défendait de délibérer davantage sur la
conclusion de la faculté. Ainsi personne n'osa parler
delà conclusion qui, étant déjà imprimée, a été rendue
publique. La violence est toute déclarée, et elle est si
visible qu'il y aurait lieu d'y revenir et de la faire cas-
ser, si le temps devenait plus favorable l; mais il n'y a
guère d'apparence que ce soit si tôt, à moins que la
Providence ne fasse un coup de sa droite toute-puissante.
C'est une affaire toute pleine de nullités, et dont les
conséquences seront fort pernicieuses à la saine doc-
trine par le crédit énorme qu'ont les noirs [les jésuites]
pour faire valoir cette constitution et l'enregistrement
qui s'en est fait en Sorbonne. C'est une grande perte
pour cette école que celle du professeur qui s'est absenté
pour éviter la lettre de cachet2. On mettra en sa place
un homme dévoué à la morale de la constitution et aux
jésuites, et il n'enseignera qu'une mauvaise doctrine.
Mais Dieu a des ressources que nous ne connaissons
pas et qu'il saura bien faire valoir, quand il lui plaira.
Nous voyons l'événement de la prédiction que fit le
cardinal Noris en sortant du conclave où ce pape fut
élu. Il dit que la bonne doctrine souffrirait beaucoup
sous ce pontificat. Nous le voyons.
On écrit de Paris que douze cardinaux ont écrit à
1. C'est ce qui eut lieu après la mort de Louis XIV. Dans une assem-
blée du 4 janvier 1716, le syndic Ravechet fit déclarer nulle l'accepta-
tion de la constitution Unigenitus, intervenue en 1714.
2. M. Witasse.
340 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QL'ESNEL
M. le cardinal de Noailles pour lui représenter le tort
qu'il se fait de ne se soumettre pas, et ils l'exhortent à
le faire. S'il n'y en a que douze, c'est une marque qu'on
n'en a pu engager davantage à souscrire à cette lettre
commune. Cependant ce cardinal est ferme jusqu'à pré-
sent, et on espère qu'il le sera. 11 y a pourtant toujours
sujet de craindre, parce qu'il est d'un naturel fort doux
et qu'on emploie toute sorte de moyens pour l'amolli r1.
Quesnel au R. P. Dehvardc, oratorien, à Mons
30 août 1714.
Je me suis bien attendu que le prélat2 [Fénelon] ne
m'épargnerait pas. Il se croit autorisé par la constitu-
tion pour m'outrager, et ses calomnies lui paraissent
apostoliques, en ayant le modèle dans une bulle sur
laquelle il s'imagine voir reluire la lumière infaillible
de la vérité éternelle. Je lui pardonne volontiers, et je
le plains, le voyant dans un aveuglement si déplorable.
Je suis peu touché de ses déclamations, que je n'ai pas
encore vues, n'ayant pas reçu avant-hier, avec votre
lettre, le mandement que vous avez la bonté de m'en-
voyer. Nos amis l'auront retenu pour en prendre la
1. Mmo de Maintenon s'emploie très activement à attendrir le cardi-
nal. « C'est une expression de ma peine, Monseigneur, lui écrit-elle
le 27 avril 1714, qui m'a fait vous demander si vous vouliez miner le
roi; car je suis persuadée que vous voudriez prolonger ses jours. Je
n'ai rien à dire sur le reste de votre lettre: mon ignorance et mon res-
pect pour vous m'empêchent d'y répondre. Mais, Monseigneur, vous
avez l'avis du pape et de bien des évêques contre vous, et c'est en ce
cas-là que le nôtre nous peut être suspect. Je n'en voulais pas tant
dire. »
2. Fénelon fit pour l'acceptation de la bulle Unujcnilus « un mande-
ment qui lui ressemble parfaitement; il y a du roman, comme dans
tous ses ouvrages; l'illusion et le sophisme y régnent partout».
(Lettre inédite du cardinal de Noailles à M. de Boulogne, 19 août 1714,
Amersfoort, boîte i.)
CORRESPONDANCE DÉ PASQU1ER QUESNEL 341
lecture, et je m'attends à le recevoir demain. J'attendrai
jusque-là à vous envoyer cette lettre, pour vous pou-
voir mander que je l'aurai reçu. Je suis bien fâche,
mon très cher Père, d'être en partie l'occasion de Fin-
justice que vous fait ce prélat et du décri qui en revient
à la congrégation dans votre pays. Je n'y vois guère de
remède, ni de consolation du côté des hommes. C'est
un grand malheur qu'une communauté utile à l'Eglise
soit décriée et lui devienne inutile par ce moyen, qu'elle
soit môme en péril de périr. Mais, si on ne la peut
conserver sans blesser la vérité, sans agir contre sa
conscience, sans préférer les intérêts du repos et de la
conservation d'un corps sans lequel l'Eglise a subsisté
durant seize cents ans; si, dis-je, on ne peut servir ni
conserver la communauté sans préférer tout cela à la
vérité, que la communauté périsse plutôt que de faire
une préférence si injurieuse à Dieu et à sa vérité !
C'est pourquoi je ne parle pas volontiers de ces sortes
de vérités à des personnes de communautés. Ils n'en-
tendent point ce langage, et il n'y a guère de personnes
que je plaigne davantage que ceux qui sont à leur tète
et qui, pour la conserver, se croient obligés à ce qu'ils
appellent des ménagements. L'exemple de la destruc-
tion de Port-Royal les effraie, et ils devraient plutôt
considérer la fidélité des saintes vierges, qui ont tou-
jours regardé leur devoir, indépendamment de toutes
les disgrâces humaines. Elles ont vu comme on ten-
dait par degrés à les ruiner. Elles n'ont rien omis pour
l'éviter. Elles ont employé tous les moyens compatibles
avec leur conscience, et Dieu a permis que tout ait été
inutile.
Pour ce qui est d'avoir recours au Conseil royal de
Bruxelles, c'est une chose impraticable. Les noirs [les
jésuites] y sont tout-puissants. Ce Conseil lia les mains
au Conseil de Brabant, il y a trois ou quatre ans, lorsque
le P. Ouesnel y présenta requête pour avoir raison des
342 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
injustices de M. van Susteren ; et, dans le décri où l'on
a mis ce Père, quelle apparence qu'il fût seulement
écouté! Et puis je ne vois pas que Notre-Seigneur ait
conseillé à ses disciples de plaider devant les tribu-
naux de la terre, pour avoir justice des calomnies et
des injures dont on les chargeait. Il faut attendre le
souverain juge; il est à la porte. 11 faut avoir un peu
de patience. Je ne condamne pas, néanmoins, ceux qui,
dans quelques occasions, ont recours aux tribunaux de
la justice humaine, encore moins ceux qui se défendent
devant celui du public, pour remédier au scandale des
calomnies.
Quesnel à Roi lin x
30 septembre 1714.
On ne saurait être plus agréablement surpris que je
l'ai été en recevant votre lettre, Monsieur mon très cher
et très fidèle ami. Votre cœur s'y est répandu tout en-
tier, et le mien s'est trouvé inondé des douceurs que
vous avez laissé couler du vôtre.
Vous n'avez pas voulu que je perdisse rien par un
silence de dix ans, et tout ce que vous aviez retenu,
forcé par la digue du temps où nous sommes, vous me
Tavez fait retrouver dans une seule lettre. Vous avez
rompu la digue, et un fleuve d'amitié est venu fondre
sur moi. Rien ne fait un plus grand bien et ne donne
plus de consolation à des amis que l'iniquité du siècle
a séparés de corps, que d'être assuré qu'elle n'a pu sépa-
rer les cœurs l'un de l'autre, qu'au contraire ils sont
d'autant plus unis ensemble que la liaison est devenue
plus spirituelle, les sens n'y ayant plus de part, et
1. Charles Rollin, l'auteur du Traité des études, avait été privé de sa
place de coadjuteur au collège de Beauvais, dès 1712, comme suspect
de jansénisme. Cette accusation datait de loin, car il fut sur le point
d'être arrêté, en 1703, en même temps que M. Vuillart.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 343
n'étant plus présents l'un à l'autre que par l'esprit et
la pensée, ne faisant plus de pas l'un vers l'autre que
par les mouvements du cœur, et surtout n'y ayant
point d'autre lien qui les unisse que le Saint-Esprit,
ce sacré lien qui unit ineffablementles personnes divines
dans l'éternité.
J'ai confiance, mon précieux ami, que c'est lui qui
nous a donnés l'un à l'autre et qui a formé notre amitié.
Elle est née de l'amour de la vérité; elle se nourrit et
se fortifie par la part que nous avons en commun à la
haine du monde.
Si Dieu a permis que je sois en butte aux ennemis
de la vérité et que ma cause se trouve liée avec la sienne,
ce ne doit pas être à mes amis une occasion de me
flatter, et c'est à moi un vrai sujet de m'humilier,
ayant grand lieu de craindre que mes péchés à l'égard
de Dieu et mes imprudences envers les hommes n'aient
attiré sur ce livre et sur les vérités qu'il contient l'orage
qui s'est élevé contre elles.
J'ai reçu votre lettre, Monsieur, en voyage, ou plutôt
en promenade. J'y fais réponse de même, el comme
en volant. Je l'ai commencée à Leyde, continuée à Delft,
et je crois que je vas l'achever à la Haye, où je suis
depuis hier au soir. Je n'y suis pas venu pour voir le
roi Georges, et il est parti, en effet, ce matin 27, sans
que je l'aie vu.
Je n'ai point encore reçu la préface que vous nous
avez fait l'amitié de nous envoyer. Adieu, mon très cher
ami, et que sais-je si je serai en état de vous le dire
encore une fois? Vous savez mon âge, et si on peut
promettre deux jours de vie à cet âge. Ce m'a été une
très grande consolation de recevoir votre lettre, lettre
si cordiale, si chrétienne, si digne d'un disciple de la
vérité, et ce m'est une sensible satisfaction d'avoir eu
occasion de vous faire un nouveau serment de fidélité
dans l'amitié que je vous dois.
344 CORKESPONDA.NCE DE PASQUIER QÙESNEL
Quesnel au P. Ru f fin
24 janvier 1715.
Voilà un grand changement arrivé dans votre dio-
cèse. Ce pauvre prélat aura trouvé, en l'autre monde,
le grand livre de la vérité ouvert à ses yeux et aura
reconnu bien du mécompte dans ses systèmes1. Dieu
veuille qu'avant que de quitter ce pays d'erreurs et
d'égarements il ait fait des réflexions efficaces sur sa
conduite et qu'il ait prévenu le jugement de Dieu! Son
diocèse sera peut-être plus agité qu'il ne l'a été de son
vivant, si on lui donne un successeur selon les vœux
des révérends Pères2. M. le cardinal de la Trémoille
ne le troublerait pas comme on croit, s'il était votre
archevêque, comme on l'a écrit, mais sans doute par
pur souhait ou simple conjecture, car on n'en arien dit
depuis.
Tout est calme sur la constitution, et on attend ce
que les premières nouvelles de Rome nous apprendront
de la négociation de M. Amelot et de M. de Targny3.
Cependant on ne laisse pas en repos ceux qui parlent
1. Fénelon était mort le 7 janvier 1715. Voici comment le cardinal de
Noailles, auquel il avait fait tant de mal, s'exprime à son sujet : « Je
regrette fort les grands talents que Dieu lui avait donnés; il n'en a pas
fait assez bon usage. t> (Amersfoort, boîte /.)
2. On nomma à Cambrai Jean d'Estrées, neveu du cardinal de ce
nom. Saint-Simon nous le montre de belle prestance, galant et connu
pour ses mauvaises mœurs ; mais, « avec de l'honneur et une grande
envie de bien faire, il se méprenait souvent et se faisait moquer de lui ».
3. Après les négociations vaines d'un certain P. Timothée de La Flèche,
appelé. « le courrier de la bulle », en février 1714, le roi crut que le meil-
leur parti était d'envoyer au pape un homme sage et entendu, pour en
finir de manière ou d'autre. On choisit M. Amelot de Gournay, conseil-
ler d'Etat, qui avait déjà mené à bien diverses négociations en Espagne.
Saint-Simon nous le dépeint « ami des jésuites, mais homme d'hon-
neur ». Le principal objet de sa mission était d'obtenir du pape la convo-
cation en France d'un concile national. L'abbé de Targny lui était
adjoint en qualité de théologien.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER OUËSNEL 34t)
ou écrivent contre la constitution, quand on vient à
en savoir des nouvelles.
M. Fouillou a été rudement attaqué de son asthme;
mais il se porte assez bien maintenant.
Quesnel au P. Raffin
17 juin 1715.
Les affaires de la constitution sont toujours en môme
état. Le roi demande au pape de consentir à rassem-
blée d'un concile national, et, si Sa Sainteté n'y donne
pas les mains, Sa Majesté le fera assembler de son
autorité royale ; et assurément elle n'a pas besoin de
Rome pour cela1.
Il est certain qu'on soutient en Sorbonne les pro-
positions de 1682. Il faut qu'il y ait raison pour cela,
et on dit que c'est que M. Amelot a mandé au roi qu'on
se moque de lui, à Rome, et qu'on n'en veut la qu'aux
libertés de l'Eglise gallicane : ce que je crois sans
peine2.
1. M. Amelot, à peine arrivé à Rome, discerne la parfaite inutilité de
sa mission. Le cardinal Fabroni, maître absolu de l'esprit du pape, ne
veut rien entendre et demande la dégradation de M. le cardinal de
Noailles.« 11 n'y a rien à espérer du pape. Le roi ne doit compter que
sur ce qu'il jugera à propos de faire lui-même. 11 n'y a ici ni cardinal,
ni prélat, ni ecclésiastique de toute espèce, qui n'ait le concile en hor-
reur. Si l'on vous en écrit autrement, on vous trompe. » (29 mai 1715,
Correspondance diplomatique de M. Amelot, Arch. Nat., F10 60.)
2. M. Amelot écrit, en effet, à M. le chancelier, le 9 avril 1715:
« Cette cour est uniquement occupée de ce qui intéresse son autorité
et de trouver des moyens d'étendre sa juridiction en sapant les libertés
et les usages de l'Eglise gallicane. » (Correspondance diplomatique de
M. Amelot, Arch. Nat., F1(l GO.)
346 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Qûesnel au P. Dubois1
25 juillet 1715.
Mon révérend Père, je vous souhaite de tout mon
cœur la grâce deNotre-Seigneur Jésus-Christ pour vous
éclairer, vous conduire et vous faire faire sa sainte
volonté dans la conjoncture où vous vous trouvez. Mes
lumières sont trop courtes pour vous être d'un grand
secours, dans le conseil que vous me faites l'honneur de
me demander, et il me semble même que je devrais
me récuser moi-même dans une affaire où je suis inté-
ressé. J'espère, néanmoins, que je ne me laisserai ni
aveugler, ni corrompre par la vue de la part que j'ai
dans la cause dont il s'agit. Et d'ailleurs il ne faut que
savoir un peu son catéchisme pour voir tout d'un coup
qu'on ne peut adhérer aux décisions de la bulle en
question, sans condamner une partie des dogmes de la
foi, et, par conséquent,: sans faire à sa conscience une
plaie mortelle, ni sans s'exposer à se perdre éternel-
lement. Cela supposé, ayant à régler la conscience
d'une personne, dont l'âme vous était confiée de la part
de Dieu et qui vous consultait sur ce qu'elle avait à faire,
vous n'avez pu lui donner d'autre conseil que celui de
ne prendre aucune part à cette constitution, ni par elle-
même, ni par ses religieuses; etcette supérieure, ayant
fait sur cela, une démarche contraire à sa lumière et à
sa conscience, et ayant par là donné, autant qu'il était
en elle, quelque approbation et quelque autorité à
des décisions préjudiciables à la doctrine de l'Eglise,
à sa morale, à sa discipline, et à un grand nombre
1. Le P. Dubois, de l'Oratoire de Mons, confessant une abbesse de la
ville, la blâma d'avoir accepté la constitution et l'engagea à se rétrac-
ter. Elle le répéta. L'affaire fît un éclat terrible. Le sieur Goulart, offi-
ciai de Hombrai. exigea l'evclupion du P.Dubcis.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 347
de maximes évangéliques, le moins qu'ait pu exiger
d'elle son confesseur a été çle la porter à s'en humi-
lier devant Dieu et à réparer par ses gémissements
une faute qu'elle avait faite, peut-être par une complai-
sance trop humaine envers ses supérieurs, par une
timidité d'amour-propre, par la crainte des vexations
qu'on pourrait lui faire, par attachement ou à sa charge
ou à quelque autre avantage temporel ou spirituel. Je
suis donc très persuadé que le confesseur, ayant par
la grâce de Dieu fait son devoir en cette occasion, ne
pourrait, ni sans ingratitude, ni sans offenser Dieu, se
repentir et se rétracter, et il doit s'exposer plutôt à la
colère des hommes qu'à la colère du Dieu des hommes.
Pour moi, je ne comprends pas avec quelle confiance
un prêtre, qui est le ministre de la vérité et de la justice,
pourra paraître devant le juge qui s'est livré à la mort
et à l'ignominie pour la vérité et pour la justice, dans
ce moment terrible, s'il se trouve chargé et accusé
d'avoir trahi la vérité et violé la justice, en approuvant,
d'une part, la condamnation et la proscription de cent
vérités et, de l'autre, en livrant à ses ennemis un prêtre
qui a eu le courage de faire son devoir à cet égard.
C'est concourir aune double conspiration, l'une tramée
contre la vérité, et l'autre contre ceux qui la défendent.
Ce n'est pas ici le lieu de le prouver. Le cri public des
fidèles, une infinité d'écrits convaincants, quinze ou
seize évoques qui sont l'élite de l'épiscopat et qui seuls
se sont trouvés à l'épreuve des craintes et des espérances
de ce monde, et qui se sont exposés à tout plutôt que de
recevoir la constitution, toutes ces preuves suffisent
pour prouver qu'elle est si énorme qu'on s'est cru
obligé de s'exposer à la colère des puissances les plus
respectables plutôt que de souffrir qu'elle soit reçue
dans l'Eglise.
Je finis, mon révérend Père, en louant Dieu de vous
avoir rendu fidèle à sa vérité et a son Evangile, et en le
348 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QLESNEL
priant de vous continuer sa miséricorde et sa protec-
tion. Tout ce que vous pourrez faire sans blesser votre
conscience pour vous conserver dans la congrégation à
laquelle Dieu vous a appelé, vous le devez faire. S'il
faut sortir, abandonnez-vous à Dieu, qui vous accom-
pagnera et vous protégera partout.
Quesnel au P. Rit/fin, à Mans
Amsterdam, 25 juillet 171o.
J'apprends par vos deux lettres, la vôtre et celle du
P. Dubois, l'extrémité où ce bon Père est réduit. J'en
suis fort touché En considérant devant Dieu ce qu'il a
fait à l'égard de l'abbesse, je ne crois pas qu'il puisse se
rétracter. Il n'a rien dit que ce qu'il devait dire, et il a
même traité cette religieuse avec beaucoup d'indul-
gence en la portant seulement à s'humilier devant Dieu,
et néanmoins il a fait prudemment en n'en exigeant pas
davantage, pour tâcher de conserver la paix dans la
communauté.
Si ces bons Pères voulaient un peu s'aider, ils trou-
veraient moyen de faire passer le P. Dubois dans un
autre diocèse. Le révérend Père général pourrait aussi
lui assigner une maison en France, dans une province
un peu éloignée, où il pourrait demeurer inconnu en
changeant de nom, et il pourrait en échange donner un
autre sujet aux maisons wallonnes. Ce Père pourrait
toujours disparaître et aller faire la retraite dans le lieu
où il a dessein de la faire; j'entends, s'il est poussé à
bout et qu'il soit obligé de se retirer.
Quand on a affaire à des lilles dont le naturel est
timide et inconstant, il ne faut traiter de ces affaires-là
que dans le secret de la confession, parce qu'alors on a
la langue liée et qu'on a droite! obligation de dire aux
supérieurs mômes que c'est une affaire du secret sacra-
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 349
mentel, qu'on n'a rien à leur dire, qu'on a fait son
devoir en conscience.
Je ne désapprouverais pas qu'après sa retraite il allât
travailler dans un diocèse dont l'évêque soit tel qu'il n'y
ait rien à craindre de sa part. Arras est un peu trop près,
et peut-être que ce préJat serait plus diflicultueux. Bou-
logne ou Châlons en Cham pagne seraient bons. Je crains
que le contre-coup ne tombe sur vous l. Il faut s'attendre
à tout et pratiquer l'ordre que Notre-Seigneur a donné
à ses apôtres : « Quand ils vous persécuteront dans
une ville, fuyez dans une autre. » Le Fils de l'homme
viendra avant que l'on ait parcouru toutes les villes
d'Israël. La Providence ne vous manquera pas, ni à
l'un, ni à l'autre. J'ai entre mes mains quelque argent,
dont une partie m'a été donnée pour de semblables
usages. Ainsi le révérend P. Dubois peut compter qu'il
aura de quoi subsister jusqu'à ce qu'il ail trouvé un
établissement. Je ne mettrai rien de cela dans la lettre
que je vas avoir l'honneur de lui écrire, afin que, si
elle venait à tomber en mains étrangères, ces gens-là
n'en sachent rien.
Quesnel à M. Vuillart [
19 septembre 1715.
Je vous embrasse avec toute la tendresse de mon
cœur, mon très cher frère, mon précieux ami, la vic-
1. Le P. Collart et le P. Denis-Ruffin refusèrent de voterl'expulsion du
P. Dubois. Aussi le P. Ruffin.s'attendant atout, écrivait, le 9 août 1715,
à M. Petitpied : « En voilà déjà un dehors, je ne sais à quoi je tiens à
un cheveu. » (Amersfoort. boite \V.)
1. A la mort de Louis XIV. arrivée le l,r septembre, les malheureux
jansénistes, pour un temps bien court, voient leurs affaires prendre en
France une tout autre allure. Le régent reçoit le cardinal de Noailles
et le place à la tête du Conseil de conscience. Aussitôt M. de Montpel-
lier, Colbert de Croissy, lui écrit : « J'espère que le premier usage que
350 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
time de ma liberté et le successeur de mes chaînes, si
ce n'est pas parler trop fastueu sèment d'un séjour de
trois mois dans un palais archiépiscopal. Au lieu de
prendre la confiance de vous embrasser, je devrais plu-
tôt me jeter à vos pieds, pour vous demander pardon
d'avoir été comme la cause de votre emprisonnement
par mon peu de précaution et de prudence.
Je n'ai pas été trouvé digne de souffrir pour la vérité.
Vous avez été substitué à ma place, et la couronne, qui
m'avait été montrée et comme destinée, a été transfé-
rée à vous, mon cher frère, et je ne dois pas vous
envier cette grâce dont vous avez été trouvé digne et
que je ne méritais pas. Cependant souffrez, mon cher
ami, que je vous soupçonne un peu d'avoir eu part à
l'enlèvement de cette grâce et de vous l'être attirée par
une fraude et une surprise dignes d'un Jacob. Car la
connaissance que j'ai de votre bon cœur et de votre
piété, jointe à la facilité que vous aviez de prévenir
votre détention, m'ont fait croire que vous vous étiez
offert à Dieu pour être misa ma place et que Dieu vous
avait pris au mot. Je me tiens au moins assuré que
c'était la disposition de votre cœur. J'espère que Dieu
nous conservera tous deux assez longtemps pour que je
puisse vous en témoigner de vive voix ma reconnais-
sance et que nous ayons la consolation mutuelle de nous
embrasser. C'a été pour moi un rabat-joie d'apprendre
que l'émotion d'un changement, auquel je crois que
Votre Eminence fera de son crédit et de son autorité sera de faire
ouvrir la porte des prisons où sont renfermés tant de gens de bien, qui
n'y ont été mis qu'en haine de la vérité. Et, pour qu'elles ne demeu-
rassent pas tout à fait vides, on aurait pu y mettre un seul homme,
le P. Tel lier, qui Ta bien mieux mérité que ceux qu'il y a fait mettre. »
(Bibl. nat., ms. 23216.) En effet, le confesseur est exilé, le nonce Benti-
voglio renvoyé à Rome, et un grand nombre de prisonniers sont rendus
à la liberté. M. Vuillart après douze ans de Bastille, M. Duplessis après
onze ans, l'abbé Servien, le P. d'Albissy, le marquis d'Aremberg, plu-
sieurs docteurs de Sorbonne, reviennent d'exil. C'est «le triomphe de
Mardochée », selon le mot de Duclos.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 351
vous vous attendiez peu, a causé quelque altération dans
votre santé. J'espère que ce ne sera rien. Vous êtes
maintenant entre les mains de nos deux chères sœurs
et vous respirez avec elles un air libre et naturel, et
avec tout cela vous avez, en la personne de M. Hec-
quet, un Esculape chrétien qui vous aime et qui ramas-
sera toutes les lumières et tous les secrets de son art
pour vous conserver à vos amis, si c'est la volonté du
souverain médecin, qui est en môme temps le maître
de la santé et de la maladie, de la vie et de la mort. Je
voudrais être en état de partager avec eux les soins
qu'ils auront tous de votre chère personne. Vivez donc,
mon cher ami, pour la consolation de ceux qui vous
aiment et que vous aimez en Jésus-Christ.
Quesnel à ïabbé tVEtemare
4 octobre 1715.
Depuis que je vous sus, Monsieur, entré dans le pays
d'inquisition, je n'osai plus me donner l'honneur de
vous écrire. Maintenant qu'il semble être devenu une
terre de promission, je reprends la confiance de vous
faire souvenir de moi; car je craindrais enfin que mon
nom ne s'effaçât de votre mémoire, surtout dans un
temps où l'on va, comme je l'espère, commencer à n'en
plus parler.
Voilà, Monsieur, d'heureux changements et qui pro-
mettent quelque chose de plus heureux encore. Il faut
rendre grâces à Dieu de ce qu'il a déjà daigné faire et
tâcher de ne nous pas rendre indignes des autres misé-
ricordes qu'il nous prépare; j'entends à son Eglise, car,
pour chacun de nous en particulier, peut-être que l'état
où nous étions nous était plus avantageux. Pour moi,
je vous avoue que Paris me fait peur, quoique je ne
le voie encore que de loin. Cependant on nous dit, de
352 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
tous côtés, qu'il faut retourner, et il semble qu'on nous
chante avec feu M. Racine:
Les chemins de Sion à la fin sont ouverts :
Rompez vos fers, tribus captives,
Troupes fugitives ;
Repassez les monts et les mers,
Rassemblez-vous des bouts de l'univers.
Si nous en avions cru l'ardent chanoine de Bruxelles1,
nous serions déjà à Paris ; mais nous ne nous pressons
pas si fort. 11 y a, pour un de nous, quelques formali-
tés à observer et des ordres à attendre, et, quoique je
n'aie sur le corps ni ordre ni lettre de cachet, la figure
({Lie mon nom a faite dans cette affaire m'oblige à tem-
poriser, pour voir quelles mesures on prendra pour la
terminer.
Les Romains, voyant bien qu'il ne faut plus penser
à pousser M. le cardinal à bout, ni à faire recevoir la
constitution par des voies violentes, tenteront des voies
d'accommodement. C'est ce que l'on écrit de Rome, par
les lettres arrivées hier2. On y savait la mort du roi,
dès le 10 du mois, et l'on en était fort consterné. Que
si l'on écoutait à la cour des propositions d'accommode-
ment, je ne sais si les conseils, composés de gens du
monde qui n'ont souvent que des vues politiques, ne
pourraient pas donner les mains à des conditions pré-
judiciables à la vérité, à l'Eglise, à l'honneur et à la
conscience. Ils peuvent croire que le respect dû à l'au-
torité du Saint-Siège demande qu'on ait certaines con-
descendances; que le pape, poussé à bout, pourrait se
1. Ernest Huth d'Ans.
2. M. de la Chausse, conservateur des archives à Rome, écrivait au
maréchal d'Huxelles : «Les démarches de Son Altesse Royale en faveur
de M. le cardinal de Noailies ont consterné cette cour, et on pourrait
profiter de la confusion où elle est pour terminer cette affaire. » (Ait.
étr., Rome, 549. ;
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 353
porter à des démarches violentes; que presque tous les
évoques de France, engagés à recevoir la constitution,
ne peuvent pas reculer. Le nonce, les deux cardinaux
acceptants, toute la cabale des jésuites, pousseront à la
roue, pour tirer le pape avec honneur, et eux-mêmes
avec lui, de ce bourbier. Quelque bien disposé que soit
M. le cardinal, vous savez combien son naturel doux
et pacifique est à craindre. Il a déjà sacrifié le livre, et
ses consorts l'ont fait avec lui; ils pourraient bien, dans
une négociation, abandonner aussi l'auteur et l'obliger
à quelque démarche fâcheuse, sans lui faire d'ailleurs
aucune justice1. Si on en venait là et que je le pusse
prévoir, j'aimerais mieux le voir de loin que de près,
et, sous prétexte d'aller voir mes amis et mourir dans
le sein de ma patrie, j'irais me jeter entre les bras des
ennemis démon honneur et de ma liberté.
Il faut pourtant vous dire, Monsieur, avec confiance,
qu'une personne qui devait venir ici, et qui y est venue
en effet, ayant vu M. le cardinal à Gonflans, où elle
avait été comme mandée, Son Eminence lui donna
ordre de dire à l'auteur plusieurs choses qui marquent
sa bonté pour lui et la disposition où elle est de le
protéger, et, entre autres choses, de l'assurer qu'elle
ne songeait point du tout à donner aucunes explications
et qu'elle demeurerait inséparablement unie avec ses
confrères opposants. L'auteur ne fut pas peu surpris
de ce compliment, et d'autant plus que c'était plusieurs
semaines avant la mort du roi. Il semble que c'en est
assez pour nous rassurer; mais je comprends fort bien
que, les conjonctures étant changées, il pourrait bien
changer avec elles. Résolu alors de se laisser écraser
1. Le P. Quesnel raisonnait fort sagement, car le maréchal cTHuxelles
écrit de Rome à la Trémoille, le 19 novembre 1715 : « Le P. Quesnel
n'a pas eu la permission de rentrer dans le royaume, et moins encore
celle de venir à Paris. On est bien éloigné de vouloir donner aucune
protection à son livre. » (Aff. étr., Rome, 549.)
ii. 23
3j4 correspondance de pasqcier quesxel
par ses ennemis qui ne lui laissaient aucune espérance
d'échapper à leur violence, il avait pris la résolution
d'en avoir le mérite tout entier. Maintenant qu'il a le
dessus, il craindra peut-être que ce ne soit en user trop
durement et avec trop de hauteur que de ne rien
relâcher. J'espère pourtant plus que je ne crains.
Mais, supposé que tout aille bien, je suis encore
assez embarrassé à me déterminer au parti que je dois
prendre et en quelle situation je me mettrai. Je ne me
suis jamais senti d'autre inclination que celle de retour-
ner à mon premier poste. Dieu m'y a appelé, et je ne
me suis séparé qu'à regret du corps dont je faisais par-
tie. J'y ai toujours été uni de cœur, et cette disposition
ne mourra qu'avec moi; mais, comme je n'ai jamais
cru me trouver en liberté de retourner à cette commu-
nauté, je ne me suis aussi jamais fait aucune objection.
Maintenant que le chemin est ouvert d'un côté, je com-
mence à douter s'il le serait aussi de l'autre. Les supé-
rieurs, qui étendent leurs vues et leurs réllexions dans
l'avenir et qui sont encore pleins des craintes où ils se
sont trouvés par le passé, craindront peut-être de
déplaire à Rome en recevant un homme qu'elle a rendu
si noir et si hideux. Ils craindront les reproches du
nonce, l'indignation du pape, celle desdeux cardinaux1,
des évêques de leur parti. Le prince régent peut mou-
rir; en ce cas, les affaires reprendraient peut-être la
première face, et les jésuites le même crédit. Nouvel
embarras alors, et pour les supérieurs et pour moi.
Il est vrai qu'à l'âge où je suis c'est une crainte, de
mon côté, qui ne doit pas faire beaucoup d'impression.
De plus, quand ils ne s'opposeraient pas ouvertement
à me voir rentrer avec eux, ils n'y consentiraient peut-
être qu'avec répugnance et comme à regret, et je ne
1. Les cardinaux de Rohan et de Bissy, acharnés à la réception de
la bulle.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 355
voudrais pas vivre avec des gens qui ne me verraient
pas volontiers. Onm'allègue.aussi mon âge, comme trop
avancé pour suivre le train d'une communauté; l'in-
commodité d'être sans perruque, après y avoir été
accoutumé durant trente ans. Enfin je n'aurais pas,
apparemment, assez de liberté pour continuer à traiter,
comme j'ai fait, avec les amis de la vérité, de ses inté-
rêts, et je serais éclairé de trop près par des gens qui
n'ont pas les mêmes vues, ni les mêmes engagements
que moi, de la part de la Providence.
Ce n'est pas, Monsieur, sans dessein que je prends
la liberté de vous faire ce détail problématique. C'est
afin que vous ayez la bonté de peser tout devant Dieu
et de me dire ce qu'il vous aura mis dans le cœur. Je
me sens une confiance particulière pour vos avis ; vous
n'êtes pas dans cette communauté; mais vous êtes à
portée d'en connaître la disposition par rapport à moi,
et dans une espèce de neutralité qui vous exempte de
toute prévention.
Conservez-moi, s'il vous plaît, l'honneur de votre
amitié. Si l'estime que j'en fais m'y peuldonner quelque
droit, je m'en tiens assuré ; vous ne voudriez pas me
faire injustice. J'en demande autant àM. Poncet. Quoique
je ne vous aie pas beaucoup parlé, ni à l'un, ni à
l'autre, je n'ai pas laissé de conserver pour tous deux
l'estime et l'attachement que mérite le bien que Dieu a
mis en vous.
P. -S. — 4 octobre au soir.
Ma lettre était écrite, quand nous avons reçu la triste
nouvelle de la perte que nous avons faite de notre
chère et incomparable amie1. Dieu l'a voulu ainsi, et sa
1. Ml,c de Joncoux était morte le 27 septembre 1715, n'ayant pu résister
probablement à l'excès de son zèle et aux fatigues endurées pour arra-
cher de prison les victimes des jésuites. Ce fut elle, en effet, qui, « par-
courant Paris brouettée dtxus sa vinaigrette», suppliant, discutant, allant
356 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
volonté est la sagesse et la bonté môme. Qu'il soit adoré
et loué pour les secours qu'il nous a donnés par sa
fidèle servante, et qu'il daigne lui en donner la récom-
pense abondante pour tout le bien qu'elle a fait et pour
tout celui qu'elle avait désir de faire, et qui était déjà
fait devant lui! J'ai eu communication de la lettre que
vous avez écrite, Monsieur, à nos deux amis d'ici. Vous
voyez par ma lettre que nous ne sommes pas tentés de
nous presser, et apparemmentnous passerons ici l'hiver.
J'enverrai lundi la procuration. Je crois que mon frère
en a déjà une; mais j'aime beaucoup mieux que ceux
qui ont la bonté de demander celle-ci agissent. Ils le
feront avec plus de mesure et de circonspection.
Quesnel à une personne de qualité, attachée
à S. A. R. le duc d'Orléans
o octobre 1715.
Il est vrai, Monsieur, que les changements que nous
voyons dans l'Eglise et dans l'Etat nous obligent de
reconnaître qu'il y a un Dieu dans Israël, et qu'il y
fait éclater sa puissance par des jugements bien diffé-
rents, les uns de justice, les autres de miséricorde. Il
appesantit sa main surle royaume, en lui enlevant un
roi auquel sa gloire et sa félicité temporelles semblaient
être attachées ; mais il tire de cette perte un grand gain
pour l'Eglise, en ôlant par là à ceux qui abusaient de
la confiance dont il les honorait tout leur appui et toute
l'autorité dont ils se servaient pour troubler l'Eglise et
pour vexer des personnes dont la foi atoujoursété pure
et la conduite irrépréhensible; mais l'Eglise, Monsieur,
n'est pas seule à sentir combien Dieu est puissant pour
tirer le bien du mal. Le grand prince qu'il misait gou-
de l'un à l'autre, obtenait du régent la grâce de ses amis, moins de quinze
jours après la mort du roi.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 357
vernail de ce grand Etat y va faire régner l'ordre et la
justice, et les heureux commencements que nous voyons
nous font espérer de voir, sous le règne de Louis XV,
l'Etat aussi florissant et plus paisible qu'on ne l'a vu
sous le grand prince que nous pleurons.
Parmi les différents mouvements que cette nouvelle
face des affaires excite en vous, Monsieur, vous avez la
bonté de faire attention à la part que je puis avoir dans
ces changements, et je vous ensuis très obligé. Cepen-
dant tout ce qui m'en peut revenir d'avantage en mon
particulier, c'est que j'aurai la liberté d'aller mourir
dans le sein de ma patrie. Ce n'est pas grand'chose;
peut-être y perdrai-je plus que je n'y gagnerai. J'ai tou-
jours joui d'un grand repos dans ces provinces, et j'irai
me plonger dans un chaos et dans un monde où je ne
serai pas à moi. Dans l'exil de ce monde, il importe
peu en quel coin de cette terre étrangère on passe cette
misérable vie ; mais il importe beaucoup à un homme,
qui a si peu de teuips à y demeurer, d'avoir un lieu de
repos où il puisse se préparer à aller devant Dieu.
Qtœsnel à ***
7 octobre 1715.
Je crois que la peine de ne pas voir où M. de La Place
(Fouillou) pourrait se retirera Paris peut contribuer à
lui donner de la répugnance pour retourner et le fait
plutôt penser à Bruxelles; mais nous craignons qu'il
ne s'y ennuie, ne trouvant pas là de compagnie sor-
table. Ayez donc, s'il vous plaît, Monsieur, la bonté de
considérer avec les amis où, sans être à charge à per-
sonne, il pourrait demeurer. Il faudrait quelqu'un qui
pût avoir soin de sa santé et lui ménager les secours
dont il pourrait avoir besoin. Il lui faut un bon air, et
quelqu'un qui puisse s'accommoder avec lui et avec qui
358 CORRESPONDANCE DE PASQUIKK QIJESNEL
il puisse vivre commodément. Si Dieu ne nous avait pas
enlevé notre chère amie1, ce qui est pour nous une
perte irréparable, elle se serait chargée de ce soin.
J'écris à Mmede Senlis et je lui en dirai un mot, quoi-
qu'elle ne soit pas en état d'agir, étant prête à faire ses
couches. Une autre dame, qui, par ordre de notre chère
défunte, m'a annoncé sa mort, pourrait se donner pour
cela quelque mouvement. C'est une Mrae Mol, dont je
n'avais jamais entendu parler et qui est parente de
M. Duguet et de son nom2. C'était la bonne amie de
Mlle de Joncoux, et elle me paraît bien pleine d'affec-
tion pour servir les amis de la vérité en ce qu'elle pourra.
11 me semble qu'elle est veuve et, par cette raison, plus
libre pour se donner aux bonnes œuvres dont la chère
défunte se chargeait et qui l'ont tuée.
Qnesnel à Vabbè d'Etemare
6 décembre 17 Jo.
Je vous suis bien obligé, Monsieur, de vos soins et de
votre attention pour ce qui concerne mes affaires par-
ticulières. Nous avons toujours communication des
nouvelles qui passent parle canal de M. Fouillou, et il
est juste qu'il en soit informé sans que les lettres soient
multipliées. On lui a fait de nouvelles instances pour
l'obliger à écrire la lettre qu'on lui demande. 11 a la
générosité de ne vouloir pas retourner seul; mais il
n'a pas la même raison d'attendre que les deux autres,
et il en a de particulières et d'essentielles, du côté de
1. M,u de Joneoux.
2. Cette M"" Mol, nièce de M. Duguet, ne remplacera pas, bien loin
de là, MUo de Joncoux. D'un caractère entier et impérieux, «cette Dalila»,
selon le mot de Soaneu, prendra sur l'espritde son oncle une influence
telle que ses amis et son parti s'en plaindront amèrement Ce fut
presque la séquestration qu'elle infligea aux dernières nnnées du
savant et faible docteur.
CORRESPONDANCE DE PÀSQEIÉR QUESNEL 3^
sa santé, pour accélérer son retour, indépendamment
d'eux. Car je ne crois pas que l'air d'Anvers soit beau-
coup meilleur que celui-ci pour son incommodité, qui
demande un air plus pur et un pays plus chaud et moins
sujet aux vents et aux brouillards. Celui de Bruxelles
lui conviendrait assez ; mais je doute qu'il y pût trouver
facilement un logement et une compagnie qui lui
convint.
Je ne sais s'il est de l'honneur des magistrats de
laisser débiter dans Paris les Journaux de Trévoux, qui
sont pleins des calomnies les plus grossières. M. l'évêque
de Mirepoix y est traité fort injurieusement. Peut-être
que M. le duc du Maine ne donnerait pas, comme il fait,
sa protection à ces journalistes, s'il faisait réflexion que
ces gens-là ne s'en servent que pour donner cours et
autorité aux mensonges et aux calomnies qu'ils y
débitent. Si M. le premier président en disait un mot à
ce prince qui a confiance en lui, cela ferait impression
sur son esprit et pourrait lui faire comprendre qu'il ne
lui est pas honorable de servir de passeport à des libelles.
Tout cela soit dit, Monsieur, pour telle fin que de raison.
J'ajoute, touchant les Journaux de Trévoux, que la
permission et la liberté qu'on s'y donne dépend plus de
M. le chancelier que de l'intendant de la police. C'est
pourquoi, si on a quelqu'un qui ait accès à cette Gran-
deur, il serait bon de lui faire entendre qu'il est de son
équité et de l'intérêt qu'il doit prendre à l'honneur des
évèques de ne pas souffrir que, sans son aveu, des
jésuites les traitent avec insolence et les foulent aux
pieds.
Quemel au P. Rufpn
février 1716.
Vous savez déjà que M. l'abbé d'Estrées sera votre
archevêque, et on a sujet de croire qu'il sera pacifique
360 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
et qu'il ne fera de peine à personne1. Je ne crois pas
qu'il donne sa confiance aux Pères jésuites; car ni son
oncle ni lui n'ont pas eu trop sujet de se louer d'eux.
Dans l'impuissance où ils sont de servir et de nuire,
sinon peut-être à Rome, je necroispas qu'on s'empresse
à leur faire la cour. Si le cardinal d'Estrées vivait
encore, je crois qu'il aurait engagé son neveu à mettre
l'Oratoire de Paris dans son séminaire.
Je vous suis bien obligé, mon très cher Père, de tous
les souhaits que vous faites pour moi au commence-
ment de cette année. Je n'y serai pas moins disposé
que les autres à vous rendre service selon mon pouvoir,
qui est très petit et, s'il se rencontre occasion, de vous
dire mes sentiments de la manière la plus emmiellée
qu'il me sera possible; car vous êtes si accoutumé au
miel de M. Gallois (Petitpied) que votre goût trouve le
reste amer.
P. -S. — Je viens de voir le grand recueil des mande-
ments de Nosseigneurs les évoques. Vous l'avez vu sans
doute, Monsieur; ainsi je n'ai rien à vous en dire, sinon
que c'est une sanglante insulte à M. le cardinal de
Noailles. Ce bon prélat avale tout comme l'eau.
Quesnel à l'abbé d'Eté mare
24 février 1716.
On nous a mandé, Monsieur, qu'au commencement
de ce mois il y avait eu une assemblée chez M. l'arche-
vêque de Tours, où s'étaient trouvés cinq évoques
avec ce prélat, et que là étaient venus M. le maréchal
d'Huxelles et M. le procureur général, pour leur
demander quand ils pourraient donner leurs difficultés
sur la constitution pour être envoyées à Rome, et qu'ils
1. Voir la note de la lettre du 24 janvier I7ln.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 361
avaient promis de les livrer à la fin de ce mois. C'est
une grande démarche et de conséquence. Si elle est faite
sur le plan de la consultation, je ne sais ce qu'on en
peut attendre. Je ne sais si on y aura fait quelque
mention de l'auteur du livre, ni en quels termes; mais
je vous dirai, Monsieur, qu'on me mande que quelques
évêques sont bien étonnés de ce que cet auteur ne leur
a point écrit, c'est-à-dire à ceux qui s'assemblent avec
M. le cardinal, et qu'il paraissait s'y être engagé, je ne
sais par où. On ajoute qu'il ferait bien de leur écrire,
pour leur demander la justification de sa foi et de son
livre. lia peineà faire cette démarche, parce qu'en môme
temps qu'on entre en négociation et qu'on demande
pi'otection, on s'expose à des propositions qui peuvent
être telles qu'on ne pourrait pas les accepter et qu'en
les refusant on passe pour obstiné dans leur esprit et
pour suspect, et qu'on se trouve par là noté et qu'on se
fait un titre positif d'exclusion de retour. On croirait en
faire bon marché que de se contenter de la signature
du formulaire. Ce môme ami me mande que l'auteur
ne doit point compter sur M. le cardinal pour son retour,
à moins de signer ce formulaire, et lui propose de le
faire demander au prince régent par un placet. Mais il
ne considère pas que le placet sera infailliblement
envoyé au Conseil de conscience et que, par là, on
retombe entre les mains de Son Kminence. Cet ami
me dit que l'avis qu'il me donne d'écrire promplemeut
est sur ce qu'il leur a entendu dire. Je crois que c'est
à M. de Mirepoix, et peut-être encore à M. de Verdun,
dont il me marque la demeure, rue d'Enfer. Mais, si on
écrivait à ces messieurs, il faudrait que quelqu'un à
Paris reçût les lettres pour les leur présenter, et que ce
quelqu'un môme fût en état déraisonner avec eux sur
la matière. Ce dernier prélat croit qu'il y a des proposi-
tions bien condamnées, comme tendantes à établir une
grâce nécessitante. Je ne suis pas éloigné d'écrire à
3&2 CORRESPONDANCE DE PASQIIER QtiÉSNËt
M. do Mircpoix, et, s'il faut écrire à ces évoques en
corps (quoiqu'ils ne fassent pas de corps), il faudra bien
le faire. Si ce promptement est dit par rapport à ce qu'on
doit envoyer à Home, je crois qu'il est trop tard. Si
c'est indépendamment de cette circonstance, j'aurai le
temps, Monsieur, de recevoir vos sages avis.
J'ai reçu, par la vive dame1, copie de l'ordonnance de
M. d'Argcnson, qui lève la saisie pour les termes échus.
Je ne sais si je dois en remercier le juge par une lettre,
pour l'inviter à achever ce qu'il a commencé.
Quesnel à l'abbé d'Etemare
19 mars 1716.
Nous avons reçu, Monsieur, toutes vos lettres depuis
le 27 février jusqu'à présent, et nous vous sommes bien
obligés du soin que vous avez la bonté de prendre de
nous apprendre ce qui se passe. C'est encore un chaos.
Les ténèbres couvrent encore la face de l'abîme; il faut
que l'esprit de Dieu se porte sur les eaux et qu'il dise :
Fiat lux. J'ai reçu le mandement de M. de Poitiers. Il
y a une méprise dans cette copie ; je ne sais pas si c'est
le copiste qui l'a faite ou si elle est de l'original ; car,
dans un morceau tiré de l'instruction pastorale où les
prélats disent que la lecture de l'Ecriture sainte est très
utile et très salutaire, il y a dans le mandement très
utile et très nécessaire. Ce mot est contraire au système
du prélat, et c'est un changement considérable. Cela ne
m'arrête pas.
M. Petitpied est très content de l'entretien que vous
avez eu, Monsieur, avec M. Duguet; mais nous suspen-
drons la publication de son écrit, tant qu'il lui plaira.
11 lui viendra peut-être, dans l'intervalle, quelquesbonnes
1. MmeMol,
CORRESPONDANCE DE PÀSQUIER QUESxNEL 3o3
pensées qui serviront à embellir et à illustrer la pièce.
Nous n'avons garde de trouver à redire à l'édition des
lettres de M. de Montpellier., Ce sont des monuments
qui rendront témoignage de ses sentiments à la posté-
rité, quand il n'aurait point, dans la suite, d'autre occa-
sion de le faire, et c'est pour lui un heureux engage-
ment qui ne laisse pas d'être utile dans l'occasion. Ce
prélat est bien estimable. Une trentaine seulement de
ce caractère feraient miracle. Dieu peut changer les
prélats, durs ou muets comme les pierres, en des évoques
animés de la foi d'Abraham et prêts à sacrifier leurévê-
ché à la vérité.
Le plan de doctrine me paraît un dessein chimérique
par la difficulté de l'exécution et la diversité des sen-
timents l.
Je suis fort content de ce qu'on juge qu'il n'est pas
à propos que j'écrive à ces Messieurs en corps. Je n'y
ai aucune inclination. Ils doivent prendre pour eux
celle que j'écrivis à leurs confrères, il y a deux ans.
S'il y en avait qui n'en eussent pas d'exemplaires, j'en
enverrais volontiers. J'ai seulement écrit à celui qui
demeure dans votre auberge ; mais c'est une lettre pure-
ment d'amitié, et d'une amitié très étroite depuis trente
ans. Il m'écrivait en même temps; nos lettres se sont
croisées. J'espère qu'il demeurera ferme. Celui qui
m'avait écrit pour me conseiller d'écrire est M. le mar-
quis de Téligny, de nos bons amis, et j'ai compris qu'il
savait de la bouche des évêques, c'est-à-dire de M. de
1. Le cardinal de Noailles et les évoques opposants avaient obtenu
du récent d'envoyer en mission à Rome, pour présenter au pape une
sorte de Corps de doctrine ou de résumé des difficultés soulevées par
la constitution, l'abbé Chevalier et le P. de La Borde, de l'Oratoire. La
mission échoua, par le refus de Clément XI, d'avoir même une entre-
vue avec l'abbé Chevalier. CcCorps de doctrine ne plaisait qu'à moitié,
môme au parti; car M. de Montpellier déclare amèrement que « la ten-
dresse de M. le cardinal de Noailles pour ce misérable ouvrage est
pitoyable. » (Lettre à M. Boursier, 17 avril 1717, Archives d'Amersfoort,
carton 58, n° 1.)
364 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Mirepoix et de M. de Verdun, ce qu'il m'écrivait. lime
marquait que ce dernier loge dans la rue d'Enfer, sup-
posant que je lui écrirais par une raison particulière,
qui est que ce prélat est persuadé qu'il y a dans la bulle
des propositions qui sont bien censurées, attendu
quelles tendent à établir une grâce nécessitante. Je
l'avais déjà compris par son mandement. Mais, pour
peu que ce prélat, dont j'ignore la portée, se soit ouvert
de cette difficulté ou à M. de Montpellier ou à M. de
Mirepoix, ces prélats lui auraient aisément levé ce
scrupule.
Le sentiment de M. du Moulin [Ditguet\, de non scri-
bendo, me déterminerait seul à ne le pas faire, quand
j'en aurais eu l'envie. Je suis bien aise de vous marquer,
pendant que je m'en souviens, que votre dernière lettre,
du 8 de ce mois, avait été décachetée et que le cachet,
dont on s'est servi pour la recacheter, est une tête en
bosse qui n'est pas votre cachet ordinaire. Il est bon
d'observer ces petits accidents de curiosité.
La Lettre d'un évêque à un évêque1 nous paraît fort
bonne et solide. L'éveque de votre auberge, que vous
aviez toujours joint aux trois autres et que vous ne nom-
mez point dans votre dernière, se séparerait-il donc?
J'ai peine à le croire.
Quesnel à M. l'abbé <P Eté mare
8 mai 1716.
Vous nous apprenez, Monsieur, beaucoup de bonnes
choses. Il est bon que le peloton des demandeurs d'expli-
cations se grossisse. C'est un engagement qui lesarretc
et les détache des acceptants outrés dont ils ramène-
ront peut-être une partie à leur sentiment.
1. Lettre d'un évêque à un évêque touchant ce qu'il pense d'un écrit
intitulé: «Consultation sur la constitution de N. S. P. le pape Clé-
ment XI. » (4 février 1716, un volume in-12.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 365
J'ai vu ici un Italien, qui est présentement secrétaire
de l'ambassadeur de Veniser à qui j'ai demandé com-
ment on avait reçu à Venise la constitution. Il m'a dit
que le nonce, ayant demandé audience au Sénat, avait
été introduit dans leur assemblée ; qu'il avait présenté
la constitution, qu'il l'avait laissée sur la table, et que,
sans autre cérémonie, on l'avait mise dans une armoire,
On ne nous a point mandé pour quel sujet les deux
docteurs, M. Gaillande1 et M. Eudes, ont été relégués.
La Gazette flamande d'Amsterdam, qui a paru
aujourd'hui, nous donne une nouvelle que nous ne
voulons pas croire. Elle porte que M. le cardinal de
Noailles et celui de Bissy avaient eu une conférence en
présence de M. le régent; que ce prince les avait fort
exhortés à s'accorder sur l'affaire de la constitution;
qu'il en voulait voir la lin ; que M. le cardinal de
Noailles était résolu de recevoir la constitution2 sous
1. Jean-Noël Gaillande, docteur de Sorbonne, fut exilé à Blois à la
suite de ses manœuvres en faveur de la constitution. Court exil, du reste,
d'où il reviendra « plus redoutable encore par sa méchanceté extrême,
espion habile, délateur infatigable, calomniateur sans conscience ».
Que si le portrait semble un peu noir, venant des Nouvelles ecclésias-
tiques, un de ses bons amis, le cardinal Fleury, n'en parle guère en
meilleurs termes au cardinal de Tencin : « Il a trop d'activité, veut se
mêler de trop de choses. Il se croit chargé de la sollicitude de toutes
les Eglises et se rend un peu odieux. » Puis, dans une autre lettre :
« M. Gaillande a mille bonnes qualités; mais Votre Eminence ne peut
ignorer qu'il écrit trop à Rome. » Enfin l'abbé Legendre le montre « du
matin au soir par voies et par chemins pour fureter et pour ramasser
tout ce qui se dit et se fait », et acquérant un nom « à bon marché,
par un zèle brûlant pour la constitution, beaucoup plus que par sa
capacité ».
2. Bien au contraire, le cardinal de Noailles, plein d'espoir dans la
mission de l'abbé Chevalier, en attendait l'effet avec fermeté 11 ne pou-
vait, à cette époque, revenir en arrière, et son grand-vicaire, Dorsanne,
écrivait à Rome à M. de la Chausse. « Si M, le cardinal voulait aujour-
d'hui accepter la constitution, il aurait la douleur de se voir aban-
donné de la Sorbonne, des curés de Paris, des religieux même et de
presque tout son peuple. Toute ma douleur, c'est que le pape ne con-
naît pas toute l'étendue du mal. On lui déguise; mais j'espère que
M. l'abbé Chevalier sera écouté. » (Arch. Nat., Jansénisme L. 21.) Cepen-
3G6 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
certaines conditions ; qu'il aimait mieux renoncer à son
propre sentiment que de voir le schisme dans l'Eglise;
qu'on allait défendre de plus écrire, de part et d'autre;
que, sous prétexte de la constitution, on savait que des
gens se voulaient joindre pour attaquer le pape sur
d'autres matières. Ces nouvelles ne s'accordent pas
avec les mesures que les prélats, joints à Son Emi-
nence, ont prises pour la négociation de Rome.
J'ai toujours bien cru que les adversaires de la grâce
abuseraient des écrits de la Grâce générale; mais le
prolit qu'ils en retireront sera fort médiocre. M. de La
Place [Fouiliou] s'étant déterminé à donner au public
ceux de M. Arnauld, on ne pouvait, sans être accusé
de manquer d'équité, se dispenser de donner ceux qui
y avaient donné occasion. Ceux qui en ont des copies
n'auraient pas manqué de les faire imprimer. M. Nicole
avait chargé feu M. le curé de Saint-Jacques de les
faire présenter à M. le cardinal de Noailles de sa part,
après sa mort. Ce curé, en les lui mettant entre les
mains, lui demanda si on les pouvait faire imprimer.
A quoi Son Eminence répondit : « Ah vraiment! ce n'est
pas le temps d'exciter de nouveaux sujets de dispute,
nous n'en avons que trop. »
Nous avons reçu le monstrueux mandement. Il ne
faut que de la santé à un certain homme pour lui
donner moyen de l'examiner de la bonne manière.
dant, ce bruit étant arrivé jusqu'à M. de Mirepoix, il adresse au car-
dinal de Noailles cette objurgation : « Vous allez donc, Monseigneur,
accepter la constitution? Votre Eminence connaît mieux que personne
les manières artificieuses et hautaines de la cour de Rome. Ainsi, au
nom de Dieu, qu'elle ne s'expose pas à en être le jouet, après avoir été
un sujet d'admiration à toute l'Eglise par sa fermeté et son courage à
défendre la vérité ! » (Amersfoort, carton 58 bis.)
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 367
Quesnel à M. de Beau brun
17 août 1716.
Il ne faut plus, Monsieur, parler par truchement et
par énigmes, puisqu'il a plu à Dieu nous rendre une
partie de notre liberté. Je ne sais encore ce que je devien-
drai. Je n'ai fait faire aucune démarche pour avoir la
liberté de revoir ma pairie. Je ne crois pas même avoir
besoin d'en faire aucune, n'ayant jamais eu d'ordre
qui puisse m'empêcher de rentrer dans mon pays. Cepen-
dant il y a des personnes qui ne sauraient s'empêcher
de se donner des mouvements pour me faire retourner.
M. Petitpied doit se rendre à Troyes, d'ici à trois mois,
et M. Fouillou est entièrement rétabli dans tous ses
droits et dans sa liberté. Quand je demeurerais ici tout
seul, je n'en aurais aucune peine, et j'appréhende plus
d'être forcé de retourner qu'un ordre qui m'oblige de
demeurer ici et d'y finir mes jours.
f l y a longtemps que je n'ai entendu parler de M. Cher-
temps. Je le suppose toujours dans le même état d'infir-
mité. Dieu épargne ma faiblesse, et il lui plaît de me
laisser jouir d'une parfaite santé sans aucune des incom-
modités de la vieillesse, quoique né, non le 15, mais le
14 juillet 1634. On a pris le jour de mon baptême pour
celui de ma naissance.
Quesnel à M. EeurteauxA
1er octobre 1716.
Si, parmi les protestants, il y avait beaucoup de per-
sonnes de votre caractère, Monsieur, je ne désespérerais
pas de voir tomber cette muraille de séparation qui nous
1. Archives cTUtrecht.
368 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
divise, et de nous voir lous réunis dans le sein dune
môme bergerie et sous la houlette d'un môme pasteur.
L'affaire de la constitution n'est pas encore finie, et
on ne voit guère d'apparence qu'elle finisse sitôt1. Les
politiques cherchent des moyens d'accommodement et
achèvent de porter les parties à relâcher quelque chose,
chacun de son côté, pour se rapprocher. Comme si la
vérité se pouvait partager, comme si les hommes en
étaient les maîtres et qu'elle se pût partager de la même
manière qu'on partage une terre ou un royaume pour
avoir la paix! Il n'y a point de véritable paix que dans
la vérité, ni de vérité vraiment pacifique que dans
l'unité. Il n'y a pas sujet d'espérer que la cour de Rome
recule dans cette affaire, et d'ailleurs M. le cardinal de
Noailles est, dit-on, plus ferme que jamais, lui et les
sept évoques qui lui sont unis, outre qu'il yen a encore
plusieurs qui se joindront à eux et qui n'ont point
encore voulu publier la constitution. Une si bonne
cause, et qui touche de si près les intérêts de Dieu, ne
saurait périr. Mais la bonté de la cause vous fait juger,
Monsieur, trop favorablement de celui qui y a donné
occasion par les Réflexions. Je suis confus, au dernier
point, de l'idée que vous paraissez en avoir par les
titres magnifiques que vous lui donnez et par les louanges
outrées dont vous l'accablez. Si la cause n'était défen-
due que par un si faible avocat, elle serait bien mal
soutenue.
1. L'affaire s'embrouillait à Rome de plus en plus. Le cardinal delà
Trémoille soutenait mollement l'abbé Chevalier, combattu par le jésuite
Lafitau. « 11 y eut, depuis ce temps, deux négociations à Rome sur l'af-
faire de la bulle. Une plus secrète et plus vive, et qui était la véri-
table, dont le jésuite Lafitau avait l'intrigue. L'autre publique, mais
languissante, qui servait comme de voile à l'autre : c'était celle de l'abbé
Chevalier. » (Mémoire sur la négociation deVabbé Chevalier, Amersfoort,
boîte R.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUÈSNEL 369
Quesnel an cardinal de Noailles
30 novembre 1716.
Monseigneur,
Le bruit d'une nouvelle assemblée de Messeigneurs
les évoques, qui doit se tenir à Paris au sujet de la
constitution, est venu jusqu'à ma retraite, et l'on espère,
dit-on, que cette grande affaire s'y va enfin terminer
par un bon accommodement.
S'il était possible d'en espérer un bon, personne ne
le désirerait plus sincèrement que moi, et je sacrifie-
rais volontiers ce qui me reste de vie, pour contribuer
à relever les ruines de la vérité et à réparer les brèches
faites à l'unité chrétienne et ecclésiastique par ceux à
qui l'une et l'autre sont fort indifférentes.
Je ne doute pas qu'entre les conditions d'un bon
accommodement la justice ne soit comptée; mais je
ne sais, Monseigneur, si celle qui m'est due en parti-
culier est connue de tous les prélats de cette assemblée,
ni si tous ceux qui la connaissent sont bien disposés
à me la rendre. Si ceux qui ont approuvé l'instruction
pastorale des quarante, ou qui ont tait des mandements
particuliers pour la publication de la constitution, sont
encore dans les mêmes sentiments, je n'ai rien à attendre
d'eux que des malédictions. Mais vous, Monseigneur,
qui êtes mon père et qui m'avez fait autrefois la grâce
de me bénir, n'avez-vous plus de bénédictions pour
moi? D'un Jacob que je paraissais être à l'égard de
Votre Eminence, il y a quelques années, serais-je
devenu un Esaù? Suis-je criminel, parce que les temps
ont été malheureux, et mon innocence demeurera-t-elle
opprimée, parce que je ne plais pas aux satrapes ?
Elle n'est ni inconnue, ni indifférente à Votre Eminence^
j'en suis assuré; je me flatte aussi qu'elle a quelque
bonté pour moi.
U. 24
370 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Je ne vous en dis pas davantage, Monseigneur. Sur-
fait si noveris ; non enim amas et deseris. J'aurais à
souhaiter que tous Messeigneurs, qui prendront connais-
sance de cette affaire, fussent aussi bien disposés en ma
faveur. Mais, quoi qu'il en soit, on m'a fait entendre
qu'il était de mon devoir que je me donnasse l'honneur
de leur écrire, pour implorer leur justice et leur pro-
tection. Je l'ai fait et j'ai cru, Monseigneur, que Votre
Eminence ne trouverait pas mauvais que je prisse la
liberté de déposer ma lettre entre ses mains, pour en
faire ce que sa sagesse trouvera à propos. Il ne me
reste qu'à supplier Votre Eminence de vouloir bien me
donner sa sainte bénédiction.
Quesnel à Jean Soanen, évêqne de Senez
Amsterdam, 1717.
Je ne saurais, mon très cher et très honoré seigneur,
vous exprimer la joie que ma causée votre dernière
lettre1. La tendresse de votre aimable cœur s'y était
répandue tout entière, et la respectueuse tendresse du
mien en recevait cette effusion cordiale; il s'en est fait
un mélange de douceur que je sens mieux que je ne le
puis dire. Que ne suis-je plus proche de vous, mon cher
seigneur? J'irais mourir entre vos bras et avec votre
bénédiction pastorale. Je crois qu'il ira vers vos quar-
1. Voici un passage de cette lettre inédite de Soanen au P. Ques-
nel : « Que Dieu fortifie toujours et votre patience contre les calomnies
de ceux qui vous haïssent, et, encore plus, votre humilité contre les
louanges de ceux qui vous aiment ! Les applaudissements des gens de
bien sont une tentation plus dangereuse que tous les opprobres des
méchants. 11 vous défendra contre les uns et les autres, parce que sa
cause devient la vôtre. Ni les flèches lancées contre 'vous durant le jour,
ni les souterrains creusés dans les ténèbres ne pourront vous nuire, et
sa vérité sera votre bouclier. Aimons-la jusqu'à la mort. S'il faut périr,
périssons pour elle. Notre perte à tous sera un gain. » (Amersfoort,
boîte E, Soanen II, a.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QCESNEL 371
tiers deux novices du même ordre que ceux qui ont
passé, il y a quelque temps, au pied de votre château;
je crois qu'ils sont en chemin. Vous aurez, s'il vous
plaît, charité pour eux, en cas de besoin. On m'a fait
une description de votre solitude, qui n'a rien de char-
mant selon l'homme ; mais, moins l'homme y trouve
de satisfaction humaine, plus il y en a pour lui selon
Dieu.
Je suis dans une grande ville; mais j'y suis assez soli-
taire. Je suis, toute la semaine, enfermé dans un petit
trou de cabinet; j'en sors le dimanche et les fêtes, pour
aller à vêpres, tantôt chez un pasteur, tantôt chez un
autre ; car, pour la messe et les heures canoniales, nous
avons une chapelle domestique, où nous récitons en
commun chaque office à son heure. Nous recevons, deux
fois la semaine, des nouvelles de Paris, et nous rece-
vons les nouvelles et les nouveautés assez exactement.
Elles sont tristes, ces nouvelles; la division augmente
et éclate, et nous sommes à la veille de voir un grand
scandale dans l'Eglise de Dieu, si lui, qui est la charité
et l'unité, ne fait renaître l'amour de l'une et de l'autre
dans le cœur de ceux qui prêchent la division et le
schisme. On croit qu'il y aura bien cinquante évoques
qui suivront cet esprit. Les trois Avertissements de M. de
Soissons1 sont de vrais tocsins; ils ont beaucoup d'art
et d'artifices ; mais le fonds en est très faible. On fait
une nouvelle impression des Hexaples, mais fort augmen-
tée, et c'est un ouvrage tout nouveau, de quatre ou cinq
volumes in-4°. Je ne sais ce qui pourrait empêcher
que les quatre évêques appelants ne l'autorisassent par
un témoignage qui serait à la tête. Cet ouvrage sera
une pleine justification du livre des Réflexions morales.
Mais de ce dernier, Monseigneur, ne serait-ce pas une
chose utile que quelques évêques laissent après leur
1. Languet de Gergy, plus tard archevêque de Sens.
3l2 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
mort une approbation? Il serait de la justice que ceux
qui l'ont condamné, et qui en reconnaissent présente-
ment la catholicité, en rendissent quelque témoignage
au public, pour effacer la flétrissure qu'une condamna-
tion telle quelle laisse sur un livre. J'ai ajouté plu-
sieurs réflexions à la marge de mon exemplaire in-8° ;
je pourrai en faire faire une nouvelle édition, ou on
pourrait la faire après ma mort, qui arrivera peut-
être, selon toutes les apparences, dans ce pays. Je sais
que diverses personnes ont parlé en plusieurs occasions
au prince régent de me laisser revenir; il répond qu'il
n'est pas encore temps, que cela n'est pas encore mûr.
Je n'ai donné charge à personne d'en parler; au con-
traire, j'ai prié mon frère de n'en point parler. Il l'a fait
une fois à mon insu, ayant quelque accès auprès du
prince, et il en a eu la réponse que je viens d'avoir
l'honneur de vous marquer, mon très honoré seigneur.
M. Gallois [Petitpied] m'écrit qu'il y a de grandes dif-
ficultés. Je ne sais d'où elles peuvent naître. Je n'ai
jamais reçu ni lettre de bannissement ou de relégation.
J'ai droit de rentrer dans ma patrie et, si j'avais eu
bien envie d'y retourner, j'y serais allé sans crainte.
Mais je vous dirai sincèrement que j'appréhende plus
d'y retourner que de demeurer ici; au moins je n'y
voudrais être qu'incognito et en état de n'être point
accablé par le monde. A quatre-vingt-quatre ans dans
six ou sept mois, ce n'est pas la peine de déménager;
il vaut mieux se préparer au grand déménagement, et
il est plus avantageux de partir d'ici avec la consolation
de mourir extorris pro Christo qu'au milieu des amis
du monde et des douceurs de la patrie.
Si on vous a envoyé l'appel de l'Université de Paris,
vous en aurez été bien content, Monseigneur, et vous
y aurez vu, je crois, avec plaisir comment elle a pris
l'ait et cause pour moi. De plus la pièce est admirable,
bien faite, et fait beaucoup d'honneur à cette Université.
CORRESPONDANCE DE PASOUIER QUESNEL 373
Adieu, mon très cher et très honoré seigneur, je me
colle à votre cœur et je me jette à vos pieds, et je baise
avec un profond respect la main avec laquelle je vous
supplie de me donner votre sainte bénédiction. Je vous
la demande aussi pour notre petite église domestique,
qui est pleine d'une tendre vénération pour vous.
M. Fouillou, dont vous avez pu entendre parler, n'y
est pas; il a passé l'hiver à Utrecht, et j'ai passé deux
mois de l'automne avec lui.
Quesnel à Colberi de Cronsy, évêque de Montpellier1
1 1 janvier 1717.
La réponse que vous m'avez daigné faire est pour
moi un monument précieux et dont j'aurai toute ma
vie une vive et respectueuse reconnaissance. J'en ai,
Monseigneur, un sujet particulier dans le duplicata que
vous avez eu la bonté d'y faire ajouter : précaution trop
obligeante, et que je dois à l'attention que vous avez
bien voulu avoir à ce que M. de Yerteuil vous a dit de
la faiblesse de mes yeux. Grâces à Dieu, ils ne sont
pas si mauvais qu'on l'a cru, et le plaisir que j'ai à lire,
écrites de votre main vraiment épiscopale, les marques
si singulières de votre bonté pour moi et de la part
que vous prenez, Monseigneur, à mes intérêts, me
fait préférer votre caractère, d'ailleurs si beau et si net,
aux plus belles copies du monde. Mais le comble de
ma consolation et de ma joie est que votre Grandeur
ait la générosité de me permettre de vous regarder
comme le défenseur de ma cause et de mon honneur.
Il y a longtemps, Monseigneur, que je me flatte de cette
grâce, et les témoignages en étaient trop publics pour
m'être inconnus; mais vous daignez m'en donner vous-
1, Archives cTAmersioort, carton 39,
374 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
môme le titre et, pour ainsi dire, les provisions qui me
sont plus chères que celles du plus riche bénéfice de
France. C'est une ample compensation pour tous les
mauvais traitements et toutes les injustices que m'ont
faites la plupart de Messeigneurs vos confrères, dans
leurs mandements, ordonnances et lettres pastorales,
dont apparemment je n'ai aucune réparation à espérer.
J'ai assez mérité d'ailleurs d'être humilié, et, quand la
vérité et la justice ne le seront pas en ma personne, je
n'aurai pas sujet de me plaindre.
Quesnel au R. P. abbé de Senones (Dom PetitdidierY
12 février 1717.
11 n'y a guère de grâce que j'estime plus que celle
que vous m'offrez avec une bonté si prévenante, et il
n'y a personne à qui je fusse plus aise d'en avoir obli-
gation qu'à vous, mon très révérend Père. J'en ai donc
reçu la propositiou avec joie et avec une extrême con-
solation ; et cela dans le temps où je me suis senti plus
persuadé que jamais que les puissances ne sont pas
disposées à me souffrir auprès d'elles, ou dans leur
voisinage. La vérité est que sur cela je suis fort d'ac-
cord avec elles, et j'aurais beaucoup de peine, si elles
m'obligeaient d'aller m'établir de nouveau à Paris. Je
n'en ai jamais été banni. Jamais je n'ai eu de lettre de
cachet, ni été relégué en province, et je pourrais, en
bonne justice, retourner dans ma patrie. Mais les con-
jonctures présentes m'ordonnent assez de ne me pas
mettre sous la main de ceux qui peuvent disposer de
moi contre mon gré, en cas que, dans un mauvais
accommodement, Home ou les évoques le désirassent.
Je vous suis donc très obligé de ce que vous avez
1. Voir la note du 13 avril 1700.
CORRESPONDANCE DE PASQDIER QUESNEL 375
la générosité de me vouloir recevoir chez vous. Il ne
mefautqu'unc cellule, et pour la nourriture je m'accom-
mode de tout. Grâces à Dieu, je ferai le carôme cette
année, comme je l'ai fait il y a quarante ans, et j'es-
père que je n'en serai point incommodé. Mais je vous
supplie, mon révérend Père, de considérer si mon
séjour chez vous ne vous peut point faire d'affaire,
soit du côté du prince, soit du côté de Rome, et si enfin
la sûreté y sera de tous côtés.
Quesnel à M. van der Schuren,
chez M. Kemp, à Utrecht
30 mars 1717.
Vous avez su, Monsieur, le généreux appel des quatre
évêques1 auxquels ont adhéré les universités de Paris,
de Nantes et de Caen. Les évêques de Verdun et de
Pamiers y ont aussi adhéré, et d'autres suivront sans
doute et les imiteront. On ne cloute pas que M. le cardi-
nal de Noailles ne parle bientôt2, et il en entraînera beau-
coup d'autres avec lui. Plusieurs des évêques acceptants
s'élèveront contre les appelants, et M. l'archevêque de
Reims a déjà fait une ordonnance par laquelle il excom-
munie ipso facto ceux qui ont rétracté leur acceptation
de la bulle ou qui adhéreront à l'appel, si dans huit
1. Le l" mars, les quatre évoques de Montpellier, de Senez, de Mire-
poix et de Boulogne, par un acte authentique passé par-devant notaire,
firent appel comme d'abus au futur concile général de la constitution
Unigenitus. « Nous apprenons, écrivent-ils le 5 mars dans une lettre
collective, que tout Paris a reçu cette nouvelle avec une joie infinie et
que la plupart des ecclésiastiques du second ordre se préparent à y
adhérer. » (Amersfoort, carton 38, n° 3.)
2. « 11 aurait moins de chagrin, s'écrie M. de Montpellier, s'il avait su
prendre son parti en grand capitaine et sortir de cet état flottant où il
est depuis près de quatre ans. » (Amersfoort, carton 58, n° 1.) « Qui donc,
écrit aussi M. de Boulogne à Boursier, pourra lui donner du courage?»
{Ibid., n° 3.)
376 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
jours ceux de la ville et dans trois semaines ceux de la
campagne ne rétractent leur appel et ne se soumettent
à la constitution. Il nomme soixante-dix-huit, tant cha-
noines que curés ou autres ecclésiastiques, qu'il soumet
à cette censure. Son chapitre métropolitain et les curés
de la ville ont adhéré à l'appel, et on y adhère de tous
côtés. Cette conduite de ce prélat engagera peut-être le
parlement à agir avec vigueur pour soutenir les appe-
lants. Car le recteur de l'université deReims est à Paris,
comme député, pour porter ses plaintes, appeler comme
d'abus et faire les autres poursuites et sollicitations.
Rome, qui a déjà fait un décret fulminant contre les
rétractations et les déclarations des curés que l'Inquisi-
tion a fait brûler par la main du bourreau apostolique,
ne manquera pas de s'élever fortement contre les appels
et les appelants. Voilà de grands troubles qui vont
naître de tout cela, et il ne faut pas cesser de prier
Dieu, afin qu'il impose silence aux flots orageux qui
vont s'élever1.
Quesnel à F abbé Bertiri2
2 avril 1717.
Voilà donc nos quatre braves en chemin, chargés de
malédictions par les uns et comblés de bénédictions
1. Quoique le régent fût certainement favorable aux évoques appe-
lant, les nécessités de la politique d'entente avec Rome ramènent les
persécutions. De nouveau, nous entrons dans l'ère des violences, par
l'exil des quatre évêques. « Cependant quasi tout le monde allait con-
tinuellement voir ces évêques, qui se sont arrêtés à deux lieues de
Paris, en différents villages. Même plusieurs de nos princes et princesses
allèrent les voir. » (Archives du Vatican, mémoire du 15 mars 1717,
collection de M. Gazier.)
2. Probablement M. Nicolas Bertin, acolyte, qui était très attaché
à la maison de Port-Royal et à Golbert de Groissy, évêque de Mont-
pellier.
CORRESPONDANCE DE PASQUÏER QUESNEL 377
par les autres1. Ils sont heureux d'avoir mis au large
leurs consciences. Je vous rends grâces de la peine
que vous avez prise de me mander le détail de leur
aventure. On a achevé la seconde édition de la Protes-
tation, sans que j'aie eu l'honneur de vous en donner
avis, par rapport à la lettre que j'avais eu la pensée
d'y insérer, mais que j'ai cru depuis n'y devoir pas
mettre, ni en devoir demander la permission au prélat.
Elle pourra entrer ailleurs plus naturellement, et, si
vous avez occasion de pressentir s'il le trouvera hon,
vous me ferez plaisir, et nous en userons comme il
l'ordonnera. Ce serait dommage de laisser ensevelir
dans l'oubli ce beau monument de la générosité épis-
copale.
En voilà déjà deux qui ont suivi2. On verra si on
s'empressera de les imiter. Celui qui aurait dû être à
la tête croira faire beaucoup, s'il se meta la queue. Je
ne comprends pas le fin de cette politique, qui ne sert
qu'à décourager les autres et à faire voir qu'on ne fait
les choses qu'à son corps défendant.
J'attends vos lettres, où je m'attends d'apprendre des
nouvelles consolantes. Mais que fera M. le cardinal de
Rohan avec sa bande d'expliquants, après le décret de
l'Inquisition qui ne veut point de limitation? Ils dis-
1. Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, Soanen, évêque de
Senez, La Broue, évêque de Mirepoix, et de Langle, évêque de Bou-
logne, avaient donné lecture de leur appel, en Sorbonne, le 5 mars 1717.
La faculté ayant adhéré avec empressement, le régent sévit contre les
opposants, et Petitpied peut s'écrier avec indignation: « Les quatre
évêques obligés de sortir de Paris, le syndic exilé, l'école de Sorbonne
fermée, les notaires à la Bastille! Quoi donc, le P. Tellier est-il redevenu
le chef du Conseil de conscience ? Quel mystère y a-t-il dans toute cette
conduite? (Amersfoort, boîte Vv\ Lettre de Petitpied à Quesnel, du
9 mars 1717.)
2. M. de Béthune, évêque de Verdun, qui adhère « à cet appel si sage
et si nécessaire » (Bibl. nat., Lettres inédites de M. de Béthune,
mss. 23207), et M. de Verthamon, évêque de Pamiers, qui « sera ferme
comme un rocher». (Lettres inédites, recueil LePaige, 1716-1717, collec-
tion de M. Gazier,)
378 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
tingueront sans doute entre expliquer et limiter. Mais le
pape lui a assez déclaré qu'il ne veut ni l'un ni l'autre.
Le décret de l'Inquisition et l'ordonnance de Reims1
donnent beau jeu aux parlements, s'ils veulent faire
leur devoir,
M. Gallois [Petitpied] est toujours en purgatoire2, et,
si M. le cardinal le voulait, il en sortirait bientôt.
Quesnel à dom Louvard*
Amsterdam, 16 avril 1717.
Il est vrai que cette année je suis heureux en béné-
dictins, et que je m'y suis vu prévenu par des marques
particulières de bienveillance de sept ou huit de votre
ordre. Un môme4, entre les autres, m'a offert, par le
mouvement d'une charité prévenante et pressante, une
retraite dans une belle solitude dont il est le maître,
ayant regret de me voir finir mes jours parmi les philis-
tins qui servent des dieux étrangers.
Il est vrai qu'une telle retraite me conviendrait mieux
que la confusion de laBabylone où je me trouve volon-
tairement relégué, quoique par un choix forcé. L'attrait
d'une telle solitude me l'avait fait d'abord accepter avec
l.Le parlement condamne au feu l'ordonnance de M. de Mailly, arche-
vêque de Reims, qui, à ce sujet, fonde « une messe en actions de
grâces ». Le chapitre, l'université, plus de cent ecclésiastiques, loin de
suivre le prélat, protestent et adhèrent à l'appel des quatre évoques.
2. A Troyes.
3. Doin Louvard, bénédictin de Saint-Maur, ami fervent des jansé-
nistes, fit un écrit pour prouver que « recevoir la bulle, c'était aposta-
sier ». Il était le directeur de la princesse d'Orléans, future abbesse de
Chelles. Cette lettre de Quesnel est une réponse à un envoi du bénédic-
tin, les Effusions du cœur de lu princesse, au moment où elle prenait le
voile. Après son appel, en 1717, dom Louvard fut disgracié, puis rap-
pelé et, pendant vingt ans, ballotté de prison en exil, pour mourir en
Hollande, ou il trouva asile, en 1734.
4. Dom Mathieu Pelitdidier, abbé de Senones, de la congrégation de
Suint-Vanne.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 379
ardeur; mais mes amis ne jugent pas que, dans la con-
joncture présente, je doive changer de situation. Il faut
voir les suites que pourra avoir la crise où nous sommes,
par rapport à la grande affaire, et après cela examiner
ce que Dieu demandera de nïoi. Si la politique ne s'op-
pose point, celle de la cour à mon retour en France, et
celle des supérieurs de l'Oratoire à m'en rouvrir la
porte, c'est où je dois aller consommer mon sacrifice.
Sinon, Domini est terra, etc.
Vous avez eu, mon révérend Père, le bien de posséder
quelques jours le généreux évêque de Mi repoix, pour
qui tous les fidèles disciples de la vérité doivent avoir
une estime singulière et un respect plein de recon-
naissance1. Il la servie à découvert et sans ménage-
ment. Aussi a-t-il reçu, le premier, la récompense qu'il
devait attendre de la part du monde; mais, de la part
des gens de bien, mille et mille bénédictions Font suivi
et accompagné dans sa retraite, plus glorieuse mille fois
que celle des Dix Mille.
Je ne suis pas moins heureux, cette année, en béné-
dictines qu'en bénédictins. Ce que vous m'apprenez de
Mme du Fourni m'est un sujet de joie et de consolation,
et je lui suis très obligé des sentiments que sa charité
lui inspire pour moi, quoique la vérité en appelle pour
revendiquer ses droits comme contre un injuste pos-
sesseur.
Mais, pour ce qui est de la nouvelle fille de Saint-
1. Les sentiments de Quesnel pour M. de La Broue, évêque de Mire-
poix, étaient payés de retour par ce prélat, qui l'avait en haute estime.
Il lui écrivait, le 20 janvier 1117, pour le prier d'examiner la doctrine
des lettres pastorales qu'il allait publier : « Comme je n'ai fait cet ou-
vrage que depuis la mort de feu M. l'évoque de Meaux (Bossuet) à qui
je communiquais tous mes sentiments, je n'ai pu savoir s'il les aurait
approuvées. Mais, sivousvoulez m'en écrire votre sentiment, je croirai
n'avoir rien perdu en perdant cet illustre ami. Je regarderai le juge-
ment que vous en porterez comme j'aurais regardé le sien, persuadé
que vous n'êtes pas moins instruit de la doctrine de l'Eglise que l'était
ce savant prélat. >> (Amersfoort, boîte G.)
380 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Benoît1, aussi humble dans ce qu'elle embrasse qu'au-
guste dans ce qu'elle quitte, je ne sais où trouver des
termes pour exprimer, en même temps, et la joie dont
je suis pénétré pour la grande et ineffable miséricorde
quelle vient de recevoir de la main de Celui qui se
glorifie d'être le père des miséricordes, et l'étonne-
ment, l'estime, le respect, la reconnaissance et toutes
les autres impressions que t'ait sur moi la bonté de
cette illustre princesse de faire attention à ma chétive
personne. Quoiqu'elle ait mis un voile sur son visage
et sur tout ce qu'elle est par son auguste naissance,
pour en cacher l'éclat et la gloire, et qu'elle travaille
même à l'ensevelir avec Jésus-Christ, on ne saurait
l'ignorer ni en perdre le souvenir, et n'en point être
ébloui quand on est né comme moi et élevé dans l'obs-
curité. Cette seule raison aurait suffi pour réprimer la
pensée que j'aurais pu avoir de faire par moi-même
mes très humbles et très respectueux remerciements à
cette religieuse princesse. Mais j'ai appréhendé de plus
que, si Son Altesse Royale le duc d'Orléans venait à le
savoir, elle ne trouvât mauvais qu'un homme, noté
comme je le suis, eût pris cette liberté. Enfin l'entrée
dans un noviciat est un temps si sacré et où la commu-
nication avec le dehors est si rigoureusement interdite,
que j'ai appréhendé d'en dérober la moindre portion à
une princesse qui ne veut point d'exemptions qui ne
soient absolument nécessaires, quelque droit que sa
qualité lui en donne. Je vous supplie donc, mon révé-
rend Père, de vouloir bien vous charger de mes devoirs
envers Son Altesse Royale. Vous voyez, par ce que vous
m'avez fait l'honneur de me mander, combien ils sont
grands et que je ne puis mettre de bornes à ma recon-
naissance et à mon attachement inviolable envers la
sérénissime samr Louise-Adélaïde.
1. MIU de Chartres, fille du régent, en religion sœur Adélaïde
d'Orléans,
<
CORRESPONDANCE DE PASOUIER QUESNEL 381
Pour le devoir de mes vœux et de mes prières, quelque
faibles qu'elles soient, je ne m'en décharge point sur
personne. J'ai déjà commencé, et j'espère de m'en
acquitter tous les jours de ma vie, aussi bien que pour
son auguste père Son Altesse Royale, entre les mains de
qui Dieu semble avoir mis le bonheur de la France et
de l'Eglise du royaume. Je ne sais si c'est par un pres-
sentiment de ce que nous voyons aujourd'hui que la
dernière ou pénultième abbesse de Port-Royal des Champs
disait qu'il fallait beaucoup prier Dieu pour lui, pré-
voyant peut-être qu'il serait un jour un instrument de
la miséricorde de Dieu sur notre Eglise.
Quesnel an P. Ru ff in, à Douai
19 avril 1717.
Je vois bien que votre maison n'est pas encore ce
qu'il me faut pour trouver une retraite sûre et sans
inquiétude. Je ne sais point si le prince régent trouve-
rait bon que je rentrasse sous la domination du roi sans
sa permission, et il seraitdangereuxde la demander, de
peur qu'il ne m'assignât un autre lieu qui ne m'accom-
moderait pas; 2° Le prélat pourrait venir à savoir mon
séjour et à ne m'y pas souffrir que sous des conditions
dont ma conscience serait blessée. C'est le plus faible
des hommes. Il ne parle, me mande-t-on, que d'accep-
tation; 3° Dans un pays aussi ennemi que celui-là, on
serait exposé à être découvert; trop de gens sont atten-
tifs sur la maison, et il n'est guère agréable de vivre
toujours dans la défiance et dans l'inquiétude. La néces-
sité d'avoir encore commerce avec les amis de Paris ne
peut souffrir qu'on soit si resserré et qu'on soit obligé
de se comporter, môme avec ceux de la maison, comme
avec des inconnus. Bref, je conclus qu'il n'y faut plus
penser et que ma vision est vraiment vision.
382 CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL
Le révérend P. Petitdidier, que vous connaissez sans
doute par réputation, est abbé régulier dune riche
abbaye, en Lorraine. Belle solitude, appelée Senones.
C'est là qu'il m'avait invité de me retirer de la manière
la plus obligeante. M. Gallois (Petitpied) n'en est point
d'avis. 11 pourrait néanmoins arriver telle chose que j'y
reviendrais. Gela seraittrop solitaire pour vous. J'espère
que le printemps rendra votre santé meilleure. Il me
semble qu'il vous serait aisé de vous donner de l'occu-
pation. Vous pourriez, par exemple, faire connaissance
avec quelques bons curés de la campagne, dans le voi-
sinage, et les aller aider à instruire leur peuple.
Au moins il vous faut quelquefois prendre l'air et
faire quelque petit voyage.
Quesnel à M. van der Schuren
21 mai 1717.
Je reçus, Monsieur, en son temps la lettre que vous
me fîtes l'honneur de m'écrire, en même temps que
j'avais celui de vous rendre ce devoir.
J'ai fait prier M. Helen de ne point parler de moi
dans ses scandaleuses prédications, dont je lui ai fait
témoigner que j'étais effectivement scandalisé.
Je vous envoie, pour vous divertir, une petite pièce
de poésie1 qu'on m'a envoyée de Paris, à l'occasion du
choix fait de M. d'Aguesseau pour la charge de chan-
celier. Gomme vous êtes maître dans cet art, vous en
1. Probablement celle qui se trouve dans le recueil Olairambault-Mau-
repas (Régence, t. II, p. 185). D'Aguesseau avait reçu du régentla charge
de chancelier après la mort de Voysin, le 2 février 1717. II fut un des
plus ardents parmi les adversaires de la bulle Lhiigenilus. Aussi Qui-
rini, depuis cardinal, allant lui rendre visite dans sa propriété de Fresnes,
lui dit, en entrant dans son cabinet : « C'est donc ici que Ton forge
des armes contre le Vatican? — Non, Monsieur, répondit le chan-
celier, ce ne sont que des boucliers. »
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 383
jugerez en maître, et je serai bien aise d'en savoir
votre sentiment.
Je ne sais si vous avez vu ce recueil de cantiques
que M. Ackoi emporte avec lui. Cette sorte de poésie
est fort simple et fort naturelle, et est fort propre à
apprendre aux enfants les mystères de la religion et
les devoirs du chrétien. Si vous en faisiez de semblables
en flamand, sans trop étudier la délicatesse ni vous
trop élever, elles pourraient être utiles et de grand
secours pour les pasteurs et les catéchistes.
Quesnel à l'abbé dEtemare
A Pozzo, 15 juillet 1717.
Gomme M. le cardinal, dont j'attendais l'appel, dif-
fère toujours de le faire paraître et que je n'ai pas
lettres de vivre jusqu'au jour qu'il se résoudra de le
publier, je n'ai pas cru devoir attendre plus longtemps
à faire le mien. Vous en trouverez ici l'acte, tout écrit
de ma main1. Je n'y fais point mention de l'appel de
M. le cardinal, parce qu'il veut qu'on l'ignore et parce
que, quand il aura publié son acte, j'en prendrai occa-
sion de faire un second acte d'appel, qui est tout prêt
et qui paraîtra imprimé, et qui sera beaucoup plus long,
accompagné de preuves et de plusieurs autres motifs.
Celui-ci ne doit point être imprimé et doit demeurer
secret pour attendre la publication de celui de Son
Eminence.
Voici une procuration sous seing privé. Elle suffira.
Comme il est assez naturel que ce soit mon frère2 qui
1. Le premier appel du P. Quesnel au futur concile général est du
15 juin 1717. Le second, du 15 juillet de la même année, n'est qu'un pré-
cis et un abrégé du premier, pour en faciliter l'enregistrement dans
les greffes.
2. L'abbé François Quesnel. (Voir la note du 20 août 1668.)
384 CORRESPONDANCE DE Î>ASQU1ER QUESNEL
fasse en cette occasion l'office de mon procureur, étant
comme mon procureur-né, et qu'il peut attester de mon
écriture, j'aurais pu remplir de son nom ma procura-
tion; mais, parce qu'il peut survenir des raisons ou
des événements qui obligeraient d'en prendre un autre,
j'ai laissé la place en blanc. Vous conduirez ]e tout,
Monsieur, selon votre prudence.
Si c'est mon frère qui aille présenter mon acte, il
est peut-être à propos qu'il y soit accompagné de quel-
qu'un qui puisse parler, répondre et répliquer aux
difficultés qu'on pourrait faire.
Si on refusait de donner acte de la réception de
celui de l'appel, il faudrait demander acte du refus; et,
si on ne voulait point accorder celui-ci, peut-être fau-
drait-il faire une protestation devant notaire. Cet acte
est fait de manière et presque tout composé des paroles
des quatre évoques, de sorte que je ne doute pas qu'on
ne le reçoive; et je l'ai fait ainsi, parce qu'on voudra
faire voir à l'archevêché l'acte plus long cl qu'on pour-
rait ne vouloir pas en donner acte.
J'ai parlé, dans la procuration, du nonce du pape,
parce que feu M. Ravechet1, en partant de Paris, avait
marqué dans un billet que je devais faire signifier l'acte
à un ministre du pape. Il ajoutait même : aux agents du
clergé de France. En ce cas, il faudrait que j'envoyasse
deux autres copies, ou qu'on en fît faire à Paris des
copies collationnées devant notaires, ou bien attendre
l'acte imprimé et par moi signé, pour faire faire ces
deux significations. Vous aurez, s'il vous plaît, Mon-
sieur, la bonté de faire sur tout cela vos sages réflexions.
1. Ravechet, syndic de Sorbonne, avait été exilé à Saint-Brieuc,
au mois de mars. Il mourut dans son voyage d'exil, à Rennes, le
25- avril 1717, en renouvelant au lit de mort son appel au futur concile.
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 385
Quesnel à dom Lonvard
19 août 1717.
J'étais, mon révérend Père, tout à fait en peine de
vous et du paquet que j'avais eu l'honneur de vous
adresser pour la sérénissime personne que vous savez l.
Craignant que ce paquet ne fût pas venu jusqu'à vous,
ni jusqu'à elle par conséquent, je n'osais hasarder le
second. Mais, ayant appris avant-hier, par la lettre que
M. Duhois [Brigade] reçut de vous ce jour-là, que vous
êtes du nombre des vivants et que rien ne s'est perdu,
je vous renvoie les papiers en question2.
J'ai été extrêmement touché des sentiments que l'Es-
prit-Saint forme dans le cœur de cette princesse, et
surtout de l'humilité, de l'esprit de pénitence, de son
amour pour les vérités saintes de l'Evangile, de sa recon-
naissance pour les miséricordes ou, pour mieux dire
avec le prophète royal, pour la multitude des miséri-
cordes que Dieu fait éclater sur elle. Le seul regard
qu'il a jeté sur son àme, pour la tirer de cet affreux
tourbillon du monde et de la cour qui en est le centre,
et dans lequel elle roulait comme les autres, agitée et
emportée par les vents des passions qui y régnent, ce
seul regard sans doute la ravit d'admiration delà bonté
de Dieu, de cette préférence toute de grâce qui, la met-
tant au rang des servantes de Jésus-Christ, l'élève plus,
sans comparaison, au-dessus de toutes les grandeurs
humaines que sa naissance ne l'élevait au-dessus de ce
qu'il y a de plus bas et de plus méprisable dans le monde.
Mais quelle humilité, quel abaissement de cœur ne
1. Louise-Adélaïde de Chartres, fille du régent, future abbesse de
Chelles, se préparait alors à entrer à l'Abbaye-aux-Bois.
2. Il s'agit de différents papiers, prières, élévations de cœur, que la
princesse soumettait au jugement et à l'approbation de Quesnel.
u. 2b
386 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
doit point produire en elle cette élévation de grâce et
de miséricorde î Et c'est, en effet, de ces sentiments
que je la vois pénétrée dans les prières. Une telle
humilité est le ciment de la charité et la gardienne de
toutes les autres vertus. C'est d'elle que naît l'estime
pour la grâce du Sauveur et la fidélité à lui rapporter
tout le bien qui est en elle; c'est ce qui lui inspire des
sentiments de bonté pour ceux qui combattent pour
elle. J'ai si peu de part à ces combats, et ce que j'ai fait
pour la vérité est si peu de chose, que je n'ai pu lire
sans rougir et sans une extrême crainte ce que cette
religieuse princesse pense de ma petitesse. C'est cepen-
dant pour moi une vraie consolation de voir son grand
cœur se répandre devant Dieu en prières pour moi. J'en
ai une sensible et respectueuse reconnaissance.
Quesnel au P. de La Tour,
supérieur général de l'Oratoire
9 septembre 1717.
Mon révérend Père, je vous supplie très humblement
de me bénir, au nom de Jésus-Christ, comme un des
plus soumis enfants de la congrégation dont il vous a
confié la conduite.
Peut-être, mon révérend Père, que vous me jugerez
indigne de la qualité que j'ose prendre, si vous consi-
dérez que trente-deux ans et demi se sont passés, sans
que j'aie résidé dans aucune des maisons de l'Oratoire ;
que je m'en suis absenté sans ordre et sans permission,
et que, depuis ce temps-là, j'ai vécu sans dépendance
de l'autorité de la congrégation ou de la vôtre. Mais,
si vous avez la bonté de faire attention à la nécessité où
je me suis trouvé, par le malheur des temps et par les
différentes conjonctures des affaires, d'en user comme
j'ai fait, et qu'une des raisons que j'en ai eue a été
CORRESPONDANCE DE PASQUIER oUESNEL 387
d'épargner à mes supérieurs des démarches fâcheuses
et désagréables où ils auraient pu être engagés, j'es-
père que vous ne me jugerez pas à la rigueur. D'ail-
leurs, j'ai donné des témoignages publics de mon
tendre et inviolable attachement à l'Oratoire; j'ai, en
toutes rencontres, fait profession d'y être uni d'esprit
et de cœur, et le public m'en a, pour ainsi dire, donné
acte, en me traitant toujours de prêtre de l'Oratoire,
pour me maintenir dans la possession de cette qualité
où j'ai commencé d'entrer il y a soixante ans.
J'ai toujours espéré, mon révérend Père, qu'un jour
viendrait où j'aurais la consolation de me voir réuni à
mes frères, et j'en sens le désir s'augmenter de jour en
jour, à mesure que le dernier des miens s'approche
davantage.
Il ne tiendrait pas à moi que ce désir ne fut rempli
au plus tôt, et rien de ma part n'en retarderait l'accom-
plissement. Je me flatte qu'il ne tiendrait pas non plus
à vous, mon révérend Père, et que vous seriez le pre-
mier à aplanir les difficultés qui pourraient naître des
statuts et des règlements de la congrégation ; car, d'un
autre côté, je ne sais s'il s'en rencontrerait quelques-
unes. Il est vrai que, par la conduite de la Providence,
je me trouve engagé dans l'affaire de la constitution,
qui fait aujourd'hui tant de bruit dans l'Eglise et dans
l'Etat; mais, grâces à Dieu, je n'ai rien fait contre
l'une ni contre l'autre, dans la part que j'ai été forcé
de prendre dans cette affaire, non plus que dans le reste
de ma vie et de ma conduite. Si j'ai souffert quelques
vexations par le crédit de mes ennemis, je ne crois pas
qu'on voulût me les imputer à crime, ni ajouter à mes
peines de nouvelles afflictions.
Vous voyez bien, mon révérend Père, à quoi tend
l'exposé que j'ai l'honneur de vous faire : c'est à vous
supplier très humblement, et par vous tous nos révé-
rends Pères présentement assemblés auprès de vous, de
388 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
vouloir bien n'avoir point d'égard ni à l'irrégularité de
ma retraite forcée, ni à ma longue absence, ni au silence
que j'ai gardé depuis tant d'années, mais me faire la
grâce de me tenir toujours pour un de vos enfants,
comme un membre de la congrégation dans le sein de
laquelle j'ai été, quoique indigne, ordonné prêtre, il y
aura cinquante-huit ans le 21 de ce mois, et où je tien-
drai à une singulière bénédiction de finir mes jours.
Au reste, quand je vous fais souvenir, mon très révé-
rend Père, de l'ancienneté de mon entrée dans la con-
grégation et dans le sacerdoce, je ne prétends nullement
m'en prévaloir pour aspirer au rang qu'elle m'aurait
acquis, si j'avais toujours résidé dans les maisons de
l'Oratoire. Je n'en prétends aucun autre que celui
qu'elle voudra m'assigner. Le dernier, que je recevrai
comme une grâce, me sera le plus avantageux, parce
qu'il me tiendra dans l'humiliation qui m'est due en
toute manière, et que celle-ci pourra contribuer à me
faire consommer mon sacrifice, in spiritu humilitatis
et in animo contrit o. Que si des raisons de ménage-
ments, par rapport aux affaires publiques, ne permet-
taient pas encore qu'une maison de l'Oratoire me fût
ouverte, j'attendrai sans murmurer que le moment
marqué pour cela dans l'ordre de la Providence soit
arrivé, et je me consolerai du délai, par la confiance
que j'ai qu'en quelque lieu que je sois je serai toujours
réputé membre de la congrégation.
Comme elle est présentement assemblée par les
députés de toutes ses maisons, mon inclination m'aurait
porté à lui rendre mes devoirs par une lettre où je lui
aurais ouvert moi-même mon cœur et expliqué les
sentiments de vénération, de soumission et d'amour,
que j'ai toujours conservés pour elle, comme ma très
chère et ma très honorée mère. Mais, outre que j'ai
voulu éviter tout ce qui pourrait avoir quelque éclat
et tenir de la singularité, j'ai été persuadé que je ne
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 389
pouvais avoir un interprète de mes sentiments qui lui
fût plus agréable que celui qu'elle a jugé digne de la
gouverner et à qui elle a confié toute son autorité. J'ai
cru aussi, par la confiance que j'ai en votre bonté pour
moi, que, vous ayant pour père, je ne pourrais man-
quer de vous avoir pour protecteur et pour avocat.
Quesnel au P. Ruffin, à Douai
21 octobre 1717.
Je reçus mardi votre lettre du 13. et j'y apprends
avec joie que vous avez appelé avec quatre autres de
nos révérends Pères, c'est-à-dire les PP. Bosson, Le Roi,
Le Prévôt et David. Je vous salue, vous embrasse et
vous félicite, tous cinq, de la grâce que Dieu vous a
faite de vous choisir pour rendre témoignage à la vérité
et de ce qu'il vous a rendus fidèles à sa grâce. Vous êtes
les cinq vierges sages qui avez eu de l'huile dans vos
lampes. Vous êtes venus un peu tard, et il s'en est peu
fallu que vous n'ayez trouvé la porte fermée, comme
elle est maintenant1; vous avez bien fait de taper à la
porte de Pierre, car celle de Louis-Antoine [de Noailles)
ne vous aurait peut-être pas été ouverte. Je crois que
le meilleur parti est d'en demeurer là, sans faire son-
ner la trompette. On le sait à Arras; on ne manquera
pas de le savoir dans l'Oratoire; cela suffit.
On m'écrit de Paris que l'appel de M. le cardinal
n'est point au concile, mais au pape mieux informé. Je
ne le croirai pas que je n'en aie confirmation, quoique
cela soit fort de son génie.
1. Une déclaration du roi, du 7 octobre 1717, imposait le silence sur
les affaires de la bulle. Le cardinal de Noailles avait fait un appel, non
rendu public, le 3 avril précédent. Cet appel fut imprimé et répandu,
vers la fin de Tannée, puis condamné par le parlement, comme contre-
venant à la loi du silence, le l6r décembre 1717.
390 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
L'oracle de la porte de Richelieu (Duguet) est cause
que je n'ai pas publié le mien, m'ayant conseillé, sans
que je le consultasse, de ne pas prévenir mon arche-
vêque.
La déclaration ne contentera ni un parti ni l'autre1.
Tout le bien qu'elle fait, c'est qu'elle arrête la fougue
de vingt-huit évêques acceptants, qui avait comploté
de rompre de communion avec les non-acceptants. On
en est bien mécontent, à Paris, aussi bien que de la
lettre de M. le cardinal au pape2. Il y a sujet de croire
qu'il n'en a pas été tout à fait le maître.
Qnesnel à dom Louvard
21 octobre 1717.
J'ai reçu, mon révérend Père, votre lettre du 6 de
ce mois. Elle m'a mis en repos à l'égard des papiers, en
m'apprenant que vous les avez reçus. Je ne sais pas d'où
pouvaient venir les bruits qui avaient couru, touchant
le prétendu commerce de lettres avec la princesse1;
1. Le cardinal de Noailles en était satisfait et écrivait à son frère, le
10 octobre 1717 : «Je m'attends bien qu'à la première vue vous n'en
serez pas content; mais suspendez votre jugement jusques après quelques
réflexions. J'y voulais quelque chose de plus, mais je n'ai pu l'obtenir.
11 n'y a rien dans cet acte qui condamne les appels et les appelants.
Cet acte est donc très bon; aussi n'y a-t-il que les esprits outrés, de
part et d'autre, qui n'en soient pas contents » (Bibl. nat., ms. 23215.) 11
paraît que Clément XI était de ceux-là, car le cardinal de la Trémoille
écrit de Rome au régent, le 2G octobre 1717 : « Sa Sainteté ne laissa
pas de me dire, à la fin de la lecture [de la déclaration) qu'elle se serait
attendue à autre chose et qu'au premier aspect cette déclaration lui
faisait de la peine. » (Aff. étr., Rome, 574.)
2. Du 2 juin 1717.
3. Dom Louvard, alors le directeur et l'ami de la future abbesse, écri-
vait, le (i octobre, au P. Quesnel : « Depuis quelques semaines, il s'était
répandu un bruit à la rour et à la ville que la princesse vous avait
écrit et que vous lui aviez répondu. M. le cardinal de Noailles et
M,n0 la duchesse d'Orléans étaient allés à Chelles en demander des nou-
velles à Mademoiselle. (Elle expliqua qu'elle avait seulement échangé,
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QCESNEL 391
mais j'étais bien assuré que je n'y avais donné aucun
lieu, et je suis ravi que l'éclaircissement se soit fait,
comme vous me faites l'honneur de me le mander. Je
me tiendrai si bien sur mes gardes à cet égard que je
serai toujours en état de répondre de ma fidélité et de
mon silence.
Je suis bien aise, mon révérend Père, d'avoir plus tôt
appris votre guérison que votre maladie, et, si celle-ci
vous a empêché de m'envoyer plus promptement la rela-
tion du combat de Chelles1, votre convalescence vous
aura donné moyen de la faire plus à loisir et de la
rendre plus complète. J'ai été comblé de joie par la
victoire que la princesse a remportée dans ce combat,
et j'en ai chanté le Te Deam de bon cœur. La gloire en
est due tout entière à la grâce du Sauveur. C'est par
elle que la princesse a vaincu. C'est par elle que le
prince s'est laissé vaincre. Le père est heureux d'avoir
cédé à la fermeté de sa fille, et la fille plus heureuse
mille fois davoir trouvé dans l'époux céleste le secours
tout-puissant sans lequel elle aurait succombé. C'est
pourquoi je ne doute point qu'à tous les moments
qu'elle pense à la miséricorde qu'il lui a faite de l'affer-
mir dans sa vocation aux noces de l'Agneau, elle ne
fonde en esprit à ses pieds pour lui rendre hommage
de sa victoire.
Je ne savais pas que la princesse eût refusé l'abbaye
de Montmartre. Rien de plus sage, rien de plus édifiant.
Pour la tentative de Mme la duchesse de Berry, elle n'était
par intermédiaires, quelques réflexions édifiantes.) Sur quoi, je deman-
dai si on pouvait en parler ainsi dans le public, et on me répondit que
je le pouvais. Il reste ainsi pour constant que la princesse a pour vous,
mon révérend Père, et cela est public, un respect et un attachement
dignes de la foi dont vous êtes le principal défenseur. » (Amersfoort,
boîte W.)
1. Entrevue, le 8 septembre 1717, entre le régent et sa fille, où le
prince, qui l'aimait tendrement, essaya, durant trois heures entières,
d'ébranler sa résolution de prendre le voile.
392 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
pas si fort à craindre, après que le sérénissime prince
avait en vain épuisé son éloquence la plus énergique et
toute la tendresse paternelle.
Quesnèl à F abbé Bertin
29 octobre 1717.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous me fîtes l'hon-
neur de m'écrire le 18 septembre, en partant pour aller
voir M. Petitpied, et celle que vous m'écrivîtes au
retour.
Je crois sans peine que vous ne l'aurez pas détourné
du dessein qu'il avait de nous venir voir; mais d'autres
se sont opposés à notre consolation. On a tant consulté
qu'à la fin on a attiré un conseil qui vaut une défense.
Il faut s'accoutumer à se priver des consolations et des
douceurs de cette vie. Les hommes ont soin de nous en
sevrer; mais c'est Dieu qui l'a ordonné avant que les
hommes y aient pensé.
Voilà les bouches fermées et les plumes brisées par
la déclaration1. Je ne sais qui y gagne plus, ni qui en
est plus dolent; car les acceptants sont arrêtés en beau
chemin, et les non-acceptants mortifiés de ne pouvoir
pousser leur pointe. M. le cardinal en sera le moins
affligé. On dit que son appel invisible n'était qu'au pape
mieux informé. Ce n'est pas un appel, où l'on rend le
pape juge en sa propre cause.
Nous venons de recevoir la première partie de YApolo-
1. « Je me suis enfin déterminé, écrit le roi au cardinal de la Trémoille,
à donner une déclaration pour imposer par provision un silence géné-
ral dans toute l'étendue de mon royaume. Si, contre toute vraisem-
blance, vous prévoyez que Sa Sainteté, accoutumée à se plaindre de tout,
voulût témoigner quelque mécontentement de cette déclaration, vous
devez non seulement lui faire connaître qu'elle ne contient rien qui
puisse lui en donner le moindre sujet, mais qu'elle estremplie d'expres-
sions honorables et respectueuses pour elle.» (Aff. étr., Rome, ri 74.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUES^EL 393
gie des curés de Paris *, et nous avons reçu une fort
bonne lettre de M. l'évêque d'Agen à M. de Bissy, avec
des observations sur la sienne au prince régent. 11 aura
à essuyer encore quelque écrit dogmatique. La matière
est trop sérieuse pour être mise en chanson et en méta-
morphose. J'avoue que la déclaration était nécessaire,
mais on y donne un coup de dent aux appelants et
aux appels. On dit même qu'on y a fait plusieurs chan-
gements depuis qu'elle a passé sous le sceau, et cela
sans la participation de M. le chancelier.
M. de La Place (Fouillait) est revenu ici dès la Pente-
côte, et il se disposait à passer l'eau avant l'hiver;
cependant, il est encore ici et ne peut se déterminer.
Il vous assure de ses respects, aussi bien que M. Dubois
(Brigode).
Il faut quitter la plume, je ne fais plusque griffonner.
Quesnel à M. Boursier
Ce dernier jour de l'année 1717.
Je reçois à ce moment la lettre si réjouissante dont
vous m'avez honoré. Je vous en rends mille grâces. En
me réservant d'y répondre plus à loisir, je crois, pour
avancer les affaires, vous pouvoir répondre qu'il n'y
aura aucune difficulté pour faire agréer le changement
que vous jugez à propos. M. van Espen, qui a dressé la
consultation, est docile comme un enfant, quoiqu'il
soit hardi et ferme comme un lion quand il s'agit de la
vérité. Vous pouvez donc assurer ces messieurs qu'ils
peuvent dresser le changement comme ils Je jugeront
à propos. On fera un carton pour l'endroit fautif. Il est
plus nécessaire que jamais d'avoir des prêtres.
1. Apologie des curés de Paris contre V ordonnance de Ms' V archevêque
de Reims, depuis cardinal de Mailly, condamnant la Lettre des curés
de Paris, etc. Cet ouvrage de M. Boursier fut condamné par le parle-
ment, le 23 octobre 1717.
394 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
On a voulu donner ici un vicaire apostolique, un
homme très indigne, et dont l'indignité est si connue
que des magistrats et un ministre que je connais nous
ont dit qu'ils auraient honte pour nous si on le recevait.
Cependant il est nomme par le pape.
Quesnel à l'abbé d'Étemare
Dernier jour de 1717.
J'ai attendu cette occasion du nouvel an pour me
réjouir avec vous de votre heureux retour et pour
souhaiter en même temps une heureuse entrée dans le
nouvel an. Je vous y souhaite mille et mille bénédic-
tions et, entre celles-là, celle devoir la vérité et la paix
s'embrasser, sans que la paix étouffe la vérité en l'em-
brassant. Ce qui ne sera pas, si c'est Dieu qui nous
donne la paix, et non pas le monde, comme il se vante
de nous la vouloir donner.
Il y a, en ce pays, un abbé de La Porte, qui est de
vos quartiers ou d'auprès de Saumur. Cet homme nous
est venu, et il est, de son aveu même, fort violent. Il
faut qu'il ait eu quelque affaire qui l'ait obligé de sortir
de France. Il a rôdé l'Allemagne. Quelqu'un d'auprès
de Saumur en saurait des nouvelles.
Mes yeux ne sont pas meilleurs. Je ne puis du tout
lire sans lunettes; mais, avec ce secours, je metire assez
bien d'affaire. Je me recommande, Monsieur, à vos saintes
prières.
Quesnel à V ahhé iï Étemare
27 janvier 1718.
Le sieur Pozzo [Quesnel], dont la famille n'est pas
pourtant sortie d'Italie, mais d'Ecosse, a fait un appel
farci de qui plus; l'impression en est si avancée qu'elle
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 395
sera finie avant que vous receviez cette lettre. Il y aura
huit feuilles. Je ne sais si cela vaut quelque chose;
mais enfin, puisque les frais en sont faits, il faut voir
si le moment est bon pour en faire part au public. M. de
La Place [Fonillou], qui l'a lu, a toujours été assez d'avis
qu'on le donnât, sinon qu'il me disait en dernier lieu :
« Je ne sais que vous dire de cet acte. » Peut-être
parce que je lui ai mandé que M. Gallois \Petitpied] me
conseillait de ne le pas publier. « L'auteur, dit-il, aura
un arrêt sur le corps et sera noté. » Mais un arrêt
n'est pas capable d'assommer un homme qui a bon dos.
Et puis il me semble que h» vent est changé et que
peut-être on laissera passer sans dire mot cette petite
nuée. Si on tire une fusée contre huit feuilles impri-
mées à Batavia, il faut tirer un canon contre l'in-folio
qui vient de sortir de laSapienza1. J'ai, à la vérité, de
la peine à faire une chose contre l'avis de M. Gallois ;
mais il peut avoir changé depuis que la scène semble
un peu changée. J'attendrai, Monsieur, votre avis.
Qiiesnel à M. de Montempuis, chanoine d(j Notre-Dame2
6 février 1718.
Monsieur, le jour que vous m'écriviez, il se faisait
un triste changement en la personne de M. le chan-
1. Il veut parler d'une tentative d'accommodement, basée sur un
« précis de doctrine », présenté au pape par les cardinaux de Rohan et
de Bissw et renvoyé en France fort augmenté. « J'apprends, écrit le
cardinal de la Trémoille au roi, que le cardinal de Rohan prétend qu'il
y a quelque différence entre ce qui a été présenté ici et ce qui avait été
arrêté en France. » (25 janvier 1718, A If. étr., Rome, 583.)
2. Petit de Montempuis, professeur de philosophie au collège du
Plessis, puis recteur de l'Université, grand érudit et fervent janséniste,
aura, en décembre 1726, une notoriété inattendue. A soixante ans,
l'envie lui vint d'aller à la Comédie. Est-ce, comme le prétend Barbier
(I, 448), la crainte d'être reconnu qui l'induisit à s'affubler des vête-
ments de sa grand'inère, jupe, écharpe et cornettes, retrouvés dans un
396 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
celier. Si c'est l'amour de la vérité et de la justice qui
lui a attiré cette disgrâce, il lui est plus honorable
d'avoir rendu les sceaux que de les avoir reçus ; mais
le public en soutire, et c'est ce qui est déplorable1.
S'il est vrai que M. l'évêque d'Apt2 ait fait publier,
le 2 janvier dernier, un mandement dans sa cathédrale,
il est difficile qu'il puisse faire croire que c'est sans sa
participation qu'il s'est imprimé. Toutes les démarches
qu'il a faites depuis qu'il est en place ne marquent pas
un grand jugement. Le premier mandement épiscopal
contre les Réflexions , c'est le sien. Il prime en tout. Si
c'était pour la gloire de Dieu, Userait digne de louange.
M. de La Place [Fouillou] passe l'hiver à Utrecht,
pour essayer si l'air de ce pays-là lui sera plus favo-
rable que celui-ci.
Je vous suis bien obligé, Monsieur, de la part que
vous voulez bien prendre à ma santé : celle du corps
vieux coffre, extravagants à force d'être démodés? Ou bien, suivant le
dire de Mathieu Marais (III, 466), est-ce l'avarice poussée jusqu'à ce
point de voler les bouts de chandelles dans les lanternes en Sorbonne,
qui lui fît accepter un billet de vingt sous, valable seulement pour une
femme, à ce que lui conta quelque mauvais plaisant? Campé aux troi-
sièmes loges, il fut montré du doigt par les gens du parterre, appré-
hendé par la garde, conduit chez le lieutenant de police, exilé par
Noailles et chansonné par les jésuites. Voici le moins mauvais des in-
nombrables couplets qui circulèrent sur le chanoine hermaphrodite :
Question rare et nouvelle
Pour les savants de Paris ;
Dira-t-on Mademoiselle
Ou Monsieur de Montempuis?
Hé! allons, ma tourlourirette,
Hé! allons, ma tourlourirou.
1. D'Aguesseau, ne se prêtant pas avec assez de docilité aux desseins
du régent dans les questions de finance, fut exilé, le 28 janvier, à sa terre
de Fresnes ; les sceaux furent donnés à M. d'Argenson, lieutenant de
police. Cet exil fut l'apogée de la grandeur morale de d'Aguesseau.
Trois ans plus tard, lorsqu'il est ramené par Law, le public le reçoit
froidement et s'écrie, nous dit Saint-Simon: Et homo faclus est.
1. Foresta de Colongue, « loué par les jésuites et digne de l'être »,
donnait le pape pour « l'oracle du Saint-Esprit sur terre ». {Table des
Nouvelles Ecçlésiast loues.)
CORRESPONDANCE DE PASQU1ER QUESNEL 397
va aussi bien que je le puis souhaiter à mou âge. Mes
yeux, avec le secours de lunettes que j'ai prises à
quatre-vingt-trois ans, me servent encore à lire et à
écrire. De temps immémorial, je ne pouvais lire de
l'œil gauche en aucune manière, mais seulement de
l'œil droit; maintenant l'œil droit ne me sert de rien
pour ces deux fonctions. H y a une taie, et je ne vois
plus que de l'œil gauche, que Dieu m'a rendu en même
temps qu'il m'a ôté l'usage de l'autre. C'est une grâce
dont je vous prie, Monsieur, de le remercier pour moi,
et plus encore de le prier de m'en faire faire usage uni-
quement pour sa gloire et ses desseins.
Cette imposition de silence incommode certaines gens,
qui voudraient, avant que de mourir, publier leur
appel.
Quesnel à l'abbé Berlin
18 février 1718.
A vrai dire, Monsieur, je ne savais que dire de votre
silence. Je me disais quelquefois: « Le pèlerin soli-
taire et piéton ne sera-t-il point mort au coin d'un
bois, ou naura-t-il point été mangé par les loups1? »
Votre lettre a heureusement renversé toutes mes con-
jectures, et la raison de votre silence n'est que trop
bonne. Je loue Dieu de ce qu'il vous a délivré.
Le changement subit, qui est arrivé du coté de la
cour, ne nous a pas peu surpris, et il n'y a néanmoins
rien en cela qui ne soit arrivé comme on devait s'y
attendre. Car un si homme de bien pouvait-il s'em-
pêcher de faire son devoir2?
1. Allusion aux voyages que M. Bertin faisait souvent pour voir, con-
soler et secourir les amis de la vérité.
*2 Saint-Simon prétend que le chancelier d'Aguesseau « n'avait pas
réussi dans cette grande place » et surtout que « ses hoquets conti-
nuels à arrêter les opérations de Law déplurent».
308 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
Quesnel à L'abbé (PÉtemare
31 mars 1718.
Oui, Monsieur, vous m'avez fait un singulier plaisir
en m'envoyant l'extrait de la lettre d'un évêque [M. de
Pamiers] qui parle en évêque parce qu'il aie cœurépis-
copal'1. Plût à Dieu que l'Eglise de France en eût un
grand nombre de ce caractère ! La vérité aurait bientôt
le dessus, et ses ennemis seraient forcés à lui rendre
justice.
11 me semble que si quelques-uns des évoques, qui
ont le cœur fait à peu près comme celui de M. de
Pamiers, écrivaient à M. le garde des sceaux pour lui
demander l'interprétation de la déclaration du roi, et
principalement à l'égard du temps que doit durer la
trêve et le silence imposé, ils pourraient obtenir quelque
chose; car il ne faut s'attendre qu'on obtienne quelque
chose sans le demander.
Si nil, China, polis, nil libi, Cinna, dabo.
Ce magistrat n'est pas, dit-on, mal intentionné, et,
si plusieurs évoques le pressaient et lui représentaient
combien c'est déshonorer le caractère épiscopal que de
lui imposer silence sur les affaires de la religion, dans
une occasion où elle est si violemment et si indigne-
ment attaquée dans cent un chefs importants de sa
doctrine, il se piquerait peut-être d'honneur pour rendre
1. J.-B. de Verthamon écrivait, avec une pointe d'amertume, au
magnifique évêque de Montpellier, qui ne répondait guère à ses lettres :
« Je vous dirai, Monseigneur, que, quoique je ne fasse pai tant de
bruit que beaucoup d'autres, quand j'ai découvert le parti de la vérité,
personne ne le soutient avec plus de fermeté que moi. Je ferai mon
devoir; ni menaces, ni espérances, ne ni ébranleront. » (Amcrsfoort.
carton 38..
CORRESPONDANCE DE P-ASQÙiER QlJESNEL 399
service à l'épiscopat et aux évêques de mérite qui
défendent l'Eglise et la vérité.
On avait dit dans le monde que Son Altesse Royale
ne demandait de surséance que jusqu'à Noël, et voilà
trois mois entiers que Noël est passé et six que le silence
dure. Sa Majesté avoue et reconnaît quelle n'a pas le
pouvoir d'imposer un tel silence pour toujours; mais il
y a des conjectures où un silence et une léthargie de
six mois pourrait être aussi pernicieuse aux affaires de
la religion que si elle était continuelle. En six mois, la
vérité peut perdre ses principaux défenseurs; ceux qui
sont en cause, et ceux qui mettent leur fort dans la
cabale et les intrigues peuvent, en six mois, faire jouer
de si puissants ressorts qu'au lieu delà paix qu'on pré-
tend que cet interstice peut procurer on verrait l'Eglise
dans une plus grande agitation et sa paix plus déses-
pérée que jamais1. C'est une grande condescendance
qu'ont eue les évêques de donner les mains à une
imposition de silence. Comme les évêques n'y sont
point nommés, ils auraient pu supposer avec fondement
qu'eu égard à leur dignité Sa Majesté n'a pas eu dessein
de les y comprendre.
Quesnel au P. Ru /fin, à Gand
lorjuin 1718.
Vous savez que M. Gallois [Petitpied) est maintenant
à Paris, et fort caressé de quelques puissances. M. le
1. L'ambassadeur à Rome, lui-même, se désole et écrit au roi, le
•29 mars : « C'est une grande mortification pour moi de voir que, dans
le temps qu'elle me comble de ses grâces, je ne puisse pas me voir en
état de lui mander une seule chose agréable de ce pays-ci. J'ai prié
M. Allamani de représenter à Sa Sainteté de ma part, dans les termes
les plus forts et les plus expressifs, que l'état de l'Eglise de France
était trop violent, qu'il ne pouvait plus demeurer sans un remède prompt
et efficace. » (Aff. étr., Rome, 589.
400 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
cardinal [de Noailles) a consenti très volontiers à son
retour, et il Ta vu deux fois1.
M. de La Place (Fouillou) vous salue. Il a été, ces
jours-ci, incommodé de son oppression, et il Test encore.
Quesnel à M. Martelly 1
Amsterdam, 1er juin 1718.
Quand on compare le différent caractère de ceux qui
suivent les cardinaux, chefs de parti, on ne balance
pas, pour peu qu'on ait l'esprit bon et le cœur droit,
de reconnaître qu'on est prêt, du côté de M. le cardi-
nal de Noailles, de sacrifier tout à la vérité. Et serait-
il possible que tant d'honnêtes gens, que tant de gens
de bien, eussent pu conspirer à se piquer du malheu-
reux honneur que l'on mettrait à ne pas céder, mais à
vouloir vaincre pour vaincre? Une conscience tendre
ne concevra jamais un soupçon si injurieux du pro-
chain le plus vulgaire. Combien moins de tant d'illustres
et vertueuses personnes!
J'ai dix volumes in-4° des écrits des constitution-
naires. On n'y voit partout qu'aigreur ou prévention,
même dans les écrits des évoques. Comparez-les avec
l 'instruction de Son Eminence, avec le mandement de
1. Petitpied écrit au P. Q.uesnel, le 14 mars 1718 : « J'ai vu deux fois
M. le cardinal de Noailles, qui m'a reçu d'une manière pleine de bonté.
Je fus hier une heure seul avec lui. Il me dit que cinquante évêques
de France menaçaient d'une rupture de communion. Il me parla du
P. Quesnel avec beaucoup de bonté, et me dit : « Nous nous sommes
fait bien des affaires l'un à l'autre, sans y penser. » Il ajouta que ce
Père lui avait écrit depuis peu, et que, « si Son Eminence ne répondait
point, c'était par certains ménagements que sa place demandait ». (Amers-
foort, Lettres de M. Petitpied.)
■2. Antoine Martelly, docteur en théologie, chanoine théologal d'Agde,
fut interdit après ses appels et plusieurs fois exilé. Il mourut, privé des
sacrements, en 1745.
CORRESPONDANCE DE PASQCIER QUESNEL 401
Bayonne et avec la célèbre lettre du chapitre de Tours.
Bon Dieu ! quelle différence !
Je sais qu'il y a des occasions où il faut reprendre
durement. Mais il faut que cette dureté soit le fruit
de la charité, et la charité ne saurait être où n'est pas
la vérité. Nos adversaires, me direz-vous. tiennent le
môme langage, parce qu'ils croient aussi défendre la
vérité. Qui nous jugera? Dieu, Monsieur, nous jugera
dans l'éternité, et l'Eglise universelle en ce monde.
On écrit de Rome que, depuis quelque temps, on n'y
parle plus tant de la bulle1. On me mande de Soissons
que le prélat aux Avertissements* a reçu le portrait du
pape, enrichi de diamants, et le premier tome de l'ou-
vrage du maître du sacré palais pour soutenir la cons-
titution.
Les grandes et solides réponses à M. de Soissons se
font à Paris. Le dernier coup doit être porté par une
savante main épiscopale.
Voilà bien de l'écriture pour de mauvais yeux. Mais
il est permis quelquefois de faire une de ces sortes de
débauches avec ses fidèles amis.
Quesnel au P. Ruffui
"I septembre 1718.
Si le P. Le Prévôt est exclu de la congrégation pour
avoir appelé, c'est une injustice de la part des hommes
1. Le cardinal de la Trémoille écrit, en effet, le 24 mai, au maréchal
d'Huxelles : «Nous sommes ici dans une espèce d'inaction, sans pouvoir
encore pénétrer les résolutions que le pape prendra. 11 se pourrait faire
que cette inaction durât longtemps de sa part. » (Atî. étr., Rome, 586.)
2. Languet de Gergy, prélat livré aux jésuites, est connu pour une
certaine Vie de. Marie Alacoque, que le Dictionnaire historique appelle
un fatras de puérilités et d'indécences. Il fut un des premiers à se signa-
ler en faveur de la bulle par ses fameux Avertissements ou Tocsins, qui
causèrent scandale. Ils étaient de Tournély, ce qui fit dire à la mort de
ce docteur de Sorbonne : « Tournély a emporté l'esprit de l'évêque de
Soissons et ne lui en a laissé que la coque. »
il 26
402 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
et un sujet de mérite devant Dieu. Mais je crois que
c'est plutôt pour la signification de l'appel que pour
l'appel môme. Je ne vois pas qu'il y eût nécessité ni
obligation de faire une telle signification à son propre
évêque. Il aurait suffi de faire enregistrer son appel
au greffe d'un évoque appelant, comme la plupart des
autres l'ont fait. Il y a encore d'autres manières de le
rendre public. Mais quand un évêque, fort prévenu,
voit qu'un particulier lui fait signifier en personne un
appel auquel il est fort contraire et contre lequel il s'est
déclaré, il prend cela pour une insulte, et il s'en tient
offensé et s'en aigrit davantage. On peut bien avoir
envers son évoque cette déférence de ménager sa déli-
catesse et de ne lui pas donner occasion de se roidir
davantage contre la vérité et contre ceux qui la sou-
tiennent.
J'attends Y Avertissement adressé par M. l'évêque de
Soissons aux appelants de son diocèse. On l'a emprunté
pour me l'envoyer; car on dit qu'il ne se vend point,
peut-être de peur qu'on y réponde.
Quesnei à dom Thierry de Viaixne ,
30 septembre 1718.
Je ne sais où vous êtes, mon cher Père, ni ce que
vous faites ; car d'être sans rien faire, c'est ce que vous
ne voudriez pas.
-
1. Bénédictin de Saint- Vanne et «chaud janséniste », dit l'abbé Legendre,
dom Thierry de Viaixne subit à maintes reprises la prison et l'exil ;
mais son caractère intraitable y donnait volontiers prétexte. « C'est un
homme d'un commerce bien incommode », écrivait Quesnei en 1703. De
fait, dom Thierry, poursuivi par la haine des jésuites, pourra mettre à
bon droit au bas de son testament : « Dom Thierry de Viaixne, persé-
cuté depuis plus de quarante ans pour la vérité et la justice, et réfugié
depuis plus de huit ans dans l'n,glise très catholique d'Utrecht. »
[ Archives d'Utrecht.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 403
Si vous êtes vers la Lorraine, dites-moi un peu si
Mg,s les évêques de Metz1, de Verdun2, de Châlons-
sur-Marne, etc., qui, en se joignant à Msr le cardinal de
Noailles, condamnèrent le livre des Réflexions morales
avec cette Eminence, sont encore dans la même dispo-
sition à cet égard. Depuis le temps des complaisances
et des ménagements qui arrachèrent cette condamna-
tion de la main même de ceux qui approuvaient l'ou-
vrage dans le cœur, n'ont-ils point été satisfaits des
éclaircissements qu'on a donnés depuis quatre ans, et
qui ont dû dissiper ces nuages des préventions et effa-'
cer les soupçons de jansénisme dont ils ont noirci ce
pauvre livre si infortuné?
M. l'évêque de Boulogne3 leur a donné un bel
exemple de la générosité avec laquelle un évêque doit
réparer le tort qu'il a fait à un prêtre et à ses écrits,
par une condamnation et une proscription qui laissent
une tache sur l'un et sur l'autre. S'ils ne se rendent
pas à la lumière qu'on leur a portée jusque sous les
1. Du Gambout de Coislin, évêque de Metz, mandait à Gaston de
Noailles, le 25 janvier 171o : « Je vous jure qu'il n'y a rien dans le
monde qui puisse m'empêcher de soutenir la vérité », et le 28 mai 1717 :
« Je suis toujours dans les mêmes sentiments et prêt d'en donner
toute sorte de marques les plus éclatantes.» 11 resta favorable aux
appelants, sans appelerlui-même (Bibl. nat., ms. 23207) : «M. de Metz est
toujours incompréhensible, s'écrie M. de Béthune, évêque de Verdun;
tout le fait trembler. » (Amersfoort, carton 38.)
2. M. de Béthune demeurera ferme appelant jusqu'au dernier jour.
« Avec la grâce de Dieu, écrit-il à M. de Montpellier, je soutiens la
vérité avec force et ne suis pas susceptible de la peur. » Et, quelques
années plus tard : « Je vous serai uni, Monseigneur, jusques au dernier
soupir de ma vie. » (Amersfoort, carton 38, n° H.)
3. M. de Langle, évêque de Boulogne, écrivit, le 12 janvier de cette
année 1718, une fort belle lettre au P. Quesnel : « De quelque estime,
lui dit-il, que je fus prévenu pour vous, dès il y a longtemps, Monsieur,
vous n'êtes entré cependant dans les vues que j'ai eues, dans ce que j'ai
fait en dernier lieu, que pour réparer l'injustice que je vous avais faite,
en condamnant par des motifs trop humains un ouvrage que j'avais
toujours estimé, et qui mérite aussi tant de l'être et qui est si utile à
l'Eglise. » (Amersfoort, boîte E.)
404 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
yeux, ils sont bien à plaindre, et ils le sont encore plus,
si, étant convaincus de la pureté de la doctrine du
livre, un respect humain les retient et les empêche
de rendre justice à qui ils la doivent, quelque élevés
qu'ils soient au-dessus d'eux.
Quesnel à dom Louvard
17 octobre 1718.
Votre lettre du 27 septembre, mon révérend Père, m'a
fort réjoui, et tous ceux à qui j'en ai fait part en ont
tressailli de joie. Vous avez pu voir, dans les nouvelles
publiques, que toute l'Europe est déjà informée de cette
conspiration si unanime avec laquelle la congrégation
de Saint-Maur a rendu témoignage à la vérité, et avec
quelle vigueur elle s'est déclarée contre ses ennemis1.
On ne pouvait rien attendre de moins d'un ordre dont
les maisons sont les archives de l'Eglise, qui par les
travaux de ses enfants a purgé le canal des vérités
salutaires de la foi, et qui la soutient en tant de manières
et avec tant de bénédictions.
Je félicite le révérend Père prieur du succès de la
journée du 27, qui sera mémorable dans les annales
de l'ordre et dans l'histoire del'abbaye. Je lui présente
mes très humbles respects et le remercie très humble-
ment d'avoir fait parler en ma faveur.
Le 23 d'août a été aussi une grande journée pour
Tordre qui a arraché au monde une religieuse prin-
cesse et l'a reçue dans son sein, comme un dépôt, jus-
1. Dom Louvard écrivait au P. Quesnel : « Je me hâte de vous annon-
cer notre appel capitulaire. Nous l'avons fait ce matin, 27 septembre, à
huit heures, au nombre de soixante capitulants, en même temps que la
communauté de l'abbaye de Saint-Germainetcelle des Blancs-Manteaux.
Jamais unanimité et zèle n'ont été pareils à celui d'ici. Les malades
sont sortis du lit pour venir au chapitre; ceux qui ne l'ont pas pu ont
envoyé dire qu'ils adhéraient. » (Amersfoort, boîle W.)
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUËSNËL 40o
qu'au jour du Seigneur. Les pieux enfants de cet ordre
n'auront garde de s'élever contre cet exemple d'humi-
lité, et on ne dira pas d'eux ce qu'un grand homme de
nos jours a dit d'un certain ordre, qui se gloriliait de
la retraite d'un prince de la maison de Lorraine qui
était entré parmi eux (c'était la petite société) : «L'hu-
milité d'un seul les rend tous orgueilleux. »
Votre consolation et votre joie, mon révérend Père,
est d'avoir fait votre devoir en contribuant à faire con-
naître ses devoirs à cette pieuse princesse, sans en
recevoir des hommes la récompense et, au contraire,
d'en avoir reçu des rebuts et des désagréments1. Tout
cela vaut mieux que des louanges, des caresses et des
honnêtetés, qui ne font qu 'entier et qu'élever, quand
elles viennent de la part de personnes fort distinguées.
Nous nous en servons nous-mêmes pour nous distin-
guer des autres, si Dieu ne nous fait une grande grâce.
Voilà votre mission finie. Ce que Dieu n'a point fait par
votre ministère, il faut espérer qu'il le fera par lui-
même. Je suis très aise qu'on vous ait empêché de faire
imprimer. Je n'en serais pas content, si vous y aviez
fait entrer dans ce dessein quelque chose qui fût du
mien. Je vous prie instamment de ne rien publier, ni
même communiquer ce que je puis avoir dit sur le
sujet de cette personne dans mes lettres. Il est bon
même, dans ces circonstances, de garder le silence à
son égard. Ce qui peut servir, quand on a ouverture de
cœur pour nous, peut nuire quand le cœur est fermé.
Ce que vous lui avez dit est une semence et un grain
qui doit pourrir et mourir, pour pousser et porter du
fruit. Celui à qui il appartient de donner l'accroisse-
1. Nicolas Pelitpied écrit cTAsnières au P. Qucsnel. le 21 sep-
tembre 1718 : « Je vis M. Vivant, le chancelier, qui me dit que le
P. Louvard était exclu de Ghelles; que la religieuse s'était relâchée:
quelle s'était dégoûtée du P. Louvard. On lui a reproché qu'il était
outré. » (Utrecht, Epislolœ ad Quesnellum, t. III.)
406 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
ment en est le maître. Et nous n'avons qu'à nous humi-
lier de ce que nous n'avons pas été jugés dignes de ser-
vir à son œuvre, comme nous le désirions.
Vous ne sauriez me faire plus de peine que de lui
faire parler de mon retour, et je serais très affligé de
le devoir à ces voies extraordinaires1. Et, si vous vous
souvenez des alarmes qu'on a prises dans la famille,
quand le bruit se répandit que j'avais écrit à la novice,
vous pouvez aisément conclure que, si je retournais
à sa sollicitation, ce serait à condition que je ne la verrais
pas. Pour M. de La Place [FomMok], il a toute liberté
de retourner quand il voudra. Les attaques qu'il a eues
de son oppression, depuis qu'il est à Utrecht, l'auraient
peut-être fait partir, si la saison n'était pas si mauvaise
comme elle est depuis quelques jours. Mais ce n'est
pas tant la saison que son obstination qui l'a empêché
de se rendre aux instances de ses amis.
Quesnel à dont Thierry de Viaixne
1er décembre 1718.
Je vous suis très obligé, mon très révérend Père, de
votre lettre du 18 octobre, où j'ai trouvé mille bonnes
choses et fort agréables, par rapport aux affaires de
l'Eglise ; mais, si votre caractère était plus gros, il
m'accommoderait mieux, car ma vue est très alfaiblie,
et, après m'être dispensé de lunettes jusqu'à quatre-
vingt-trois ans, j'ai été trop heureux de trouver ce
1. Extrait de la lettre de dom Louvard, du 27 septembre. « Je ne vois
plus qu'un remède; soutirez, mon révérend Père, que nous remployions:
c'est de vous faire demander par la princesse. Elle s'y mettra jusqu'au
cou, j'en suis sûr. Car sa vénération pour vous n'a point diminué. Elle
y gagnera son âme, et nous le bien de votre présence. » Malgré l'avis
formel du P. Quesnel, un placet fut remis entre les mains de Mllc d'Or-
léans, qui le donna au régent. 11 répondit qu'il aurait bien voulu accor-
der le retour demandé, mais que des raisons d'Etat l'en empêchaient.
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 407
secours. Mais, comme je ne ménage guère mes yeux,
j'ai encore de la peine avec mes lunettes de lire de
petits caractères. Le vôtre est fort net et fort lisible,
et néanmoins ce n'est pas sans peine que je le lis.
Vous avez bien fait de l'honneur à l'appel du P. Ques-
nel de le lire en si bonne compagnie. L'auteur est
bien content d'apprendre qu'il ne vous ait pas déplu. Il
ne pouvait manquer de valoir quelque chose dans votre
bouche. Ce même auteur a encore adhéré à l'appel de
M. le cardinal de Noailles. Vous savez qu'il est son
archevêque. Je suis ravi que vous soyez en lieu où
vous avez toute sorte de satisfaction. Les bons offices
que vous m'avez rendus de tous les côtés viennent de
votre bon cœur; je reçois avec une respectueuse recon-
naissance les témoignages que MRr de Verdun1 vous a
donnés de sa bonté pour moi. J'ai toujours ouï faire
de ce généreux prélat une peinture semblable à celle
que vous m'en faites. Nous devons tous prier Dieu qu'il
nous conserve longtemps des évoques de son caractère.
Nous avons su ce qui s'est passé, en sa présence, au
sujet de la lecture de son mandement, le jour de la
Toussaint, et on a beaucoup loué la tranquillité et la
modération avec lesquelles il a vu l'échappée de ce
jeune conseiller et le tumulte du peuple'2.
La proposition de faire des corrections au livre des
Réflexions morales est dangereuse; ce serait un aveu
que ces expressions auraient été bien condamnées et
donner un sujet de triomphe aux ennemis de la vérité.
Feu M. de Meaux les a défendues et justifiées avec
1. Hippolyte de Béthune, appelant de la bulle et des lettres Pastoralis.
2. «Il s'est passé une scène extraordinaire dans mon église, écrit M. de
Verdun à M. de Montpellier, en ma présence, le jour de la Toussaint.
Les jésuites, les capucins, les récollets, que je puis traiter d'hommes
abominables, ont persuadé au menu peuple que M. le cardinal et moi
voulions changer la religion et permettre à nos chanoines de se marier.
J'ai interdit les récollets, qui ont fait bien du mal à Verdun. » (Amers-
foort, carton 38, n° 11.)
408 CORRESPONDANCE DE PASQL'IER QUEsNEt
vigueur; les évoques, qui ont envoyé au pape le corps
de leurs difficultés, les ont aussi autorisées et justi-
fiées; outre tant d'autres écrits qui ont fait la môme
chose, après tant de revisions de ce livre faites avec
scrupule, on ne peut pas croire qu'il y soit resté quoi
que ce soit de condamnable. Ce ne sont pas mes
expressions, ce sont celles de l'Ecriture et de la tradi-
tion; je n'en suis pas le maître.
Ce m'est une grande consolation d'apprendre les
sentiments si favorables et les bontés qu'a pour moi
Mgr de Chutons. Je me suis toujours flatté d'avoir
quelque part à l'honneur de sa bienveillance.
Il faut que je vous parle d'une chose que j'ai fort à
cœur. Vous n'ignorez pas l'état déplorable où est
l'Eglise catholique de ces provinces. La cour de Rome
s'en est emparée et veut la gouverner avec une verge
de fer. Cependant, il y a deux chapitres qui ont tou-
jours conservé leur autorité, telle que l'ont les cha-
pitres, sede vacante. Cette autorité est très bien fondée,
et c'est une injustice criante que de prétendre la gou-
verner comme une Eglise de la Chine, de la Perse ou
du Tonkin.
Quesnel à M. Coffin 1
5 janvier 1719.
Monsieur, quoique je n'aie pas eu jusqu'à présent
l'honneur' de vous être lié par un commerce particu-
1. Charles Coffin, clerc tonsuré, principal du collège de Beauvais à
Paris, et recteur de l'Université de 1718 à 1721, composâtes hymnes du
nouveau bréviaire de Paris, « qu'on peut appeler, dit le Dictionnaire de
Lichtenberger, des poésies admirables, joignant la simplicité la plus
touchante et l'onction la plus tendre avec une latinité exquise ». Voici
un passage de sa réponse, du 20 février 1719, à la lettre du P. Ouesnel :
« J'ai fait lecture, dans notre assemblée des députés, de la lettre que
vous avez adressée à l'Université et de celle que vous y avez jointe
pour moi. On les a entendues, l'une et l'autre, avec une très grande
CORRESPONDANCE DE PÂSQUlER QUESNËL 400
lier, je n'ai pas laissé de connaître par plus d'un
endroit le mérite qui vous distingue si particulière-
ment, dans le célèbre et illustre corps à la tête duquel
vous vous trouvez présentement. Je vous assure, Mon-
sieur, que, quand j'ai appris que notre Université vous
avait choisi pour son chef, j'en ai eu une véritable
joie, persuadé qu'en tout temps, et surtout dans la con-
joncture présente, cette savante compagnie ne pouvait
mettre en des mains plus sûres et ses propres intérêts et
ceux de la vérité, de l'Eglise et de l'Etat, pour lesquels
elle prévoyait qu'il faudrait continuer de combattre le
combat du Seigneur. Les effets ont si abondamment
et si glorieusement répondu à la confiance que l'Uni-
versité vous a témoignée, Monsieur, par son choix, que
ce choix ne lui fait pas moins d'honneur qu'à vous.
Après Tappel de l'Université, lequel couronna si
heureusement le rectorat de M. Godeau, le vôtre,
Monsieur, ne pouvait avoir une entrée plus glorieuse
que par cette belle et généreuse déclaration de l'Uni-
versité, où les motifs de son appel de la constitution
Unigenitus sont expliqués avec tant de lumière et
d'érudition. Vous y avez ajouté un nouvel éclat par le
discours que vous prononçâtes, avec une égale dignité,
le 13 du mois dernier, à la tête d'une des plus nom-
breuses et en même temps des plus religieuses assem-
blées que Ion ait vues depuis longtemps.
Je ne méritais pas, Monsieur, que vous me donnas-
siez une part si singulière dans l'exposition des motifs
de l'appel de l'Université ; et, dans l'opprobre (pour
satisfaction, et nous les conserverons à la postérité comme un monu-
ment authentique de votre attachement à un corps dont la principale
gloire est d'avoir toujours été inviolablement attaché lui-même aux
intérêts de l'Etat et de la religion. » (Amersfoort, boîte des papiers de
Quesnel, liasse II, 1700-1719.) Au lit de mort de Coffin, on lui refusa
les sacrements, comme appelant et réappelant. Son rectorat fut illustré
par rétablissement de l'instruction gratuite auquel il prit activement
part.
410 CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL
parler humainement) et le dénûment de toute protec-
tion extérieure où je me suis trouvé, je ne pouvais
recevoir une consolation plus sensible que celle de me
voir réclamé par cette illustre mère à qui j'étais devenu
comme étranger et inconnu, mais pour qui je n'avais
jamais cessé de conserver une haute estime, un pro-
fond respect, un amour filial et une vive reconnais-
sance pour tous les biens dont je lui suis redevable.
Je suis né comme dans son sein et au milieu des livres
et de la littérature, et, durant cinq ans, j'ai sucé le lait
de cette mère des sciences. Après soixante-cinq ans
d'oubli, Dieu, par sa providence, l'a fait souvenir de
moi au jour de mon aftliction. Elle m'a accordé sa
puissante protection de son propre mouvement, et,
lorsque j'aurais à peine osé la demander, elle a pris en
main ma défense et a fait voir ce que Dieu dit par ses
prophètes, qu'une mère ne saurait oublier son enfant.
Quesnel à M. Powxhoi,
syndic de V Université de Paris {
Amsterdam, 5 janvier 1719.
Monsieur, puisque vous avez eu la première part à
l'honneur que l'Université m'a fait de me reconnaître
pour un de ses enfants et de me prendre en sa protec-
tion, je vous dois, après elle et après son digne chef,
mes premières reconnaissances2. Gomme je reconnais
dans cet événement le doigt de Dieu et une attention
particulière de la providence de Dieu sur moi, quelque
indigne que j'en sois, je dois avoir pour vous, Mon-
sieur, comme à l'instrument qu'elle a choisi pour
1. Archives nationales, Histoire ecclésiastique, jansénisme, L 14.
•2. M. Pourchot fut syndic de TUniversité de Paris pendant quarante ans
f!694-1734).
CORRESPONDANCE DE PASQUIER QUESNEL 411
l'exécuti on de ses desseins à cet égard , un respect particu-
lier, accompagné des sentiments d'une sincère gratitude.
Je n'ai jamais tant estimé qu'aujourd'hui l'avantage que
je possède depuis soixante-cinq ans d'être membre de
l'illustre Université dans laquelle vous avez, Monsieur,
un rang si considérable. Vous m'avez fait revivre cet
avantage qui était comme enseveli, dans le temps où
j'en avais plus besoin et lorsqu'il devait mètre plus
utile. Plût à Dieu que je fusse en état de vous témoi-
gner, Monsieur, combien je suis sensible à la grâce
que vous m'avez faite en me procurant la protection
d'une mère aussi charitable et aussi bienfaisante qu'elle
est illustre et célèbre par tout le monde! Ma situation,
qui n'est pas de mon choix, dans la vérité, me fait
désespérer de me trouver jamais dans le pouvoir de
vous témoigner ma reconnaissance autrement que par
des paroles. Au moins elles partent du cœur, et je
tâcherai d'otïrir à Dieu mes vœux et mes prières au
saint autel, où je trouverai dans l'adorable victime que
nous y sacrifions un riche supplément de ma pauvreté
et de la faiblesse de mes prières. L'estime que votre
réputation, Monsieur, m'avait fait concevoir pour
votre mérite, s'est beaucoup augmentée par la preuve
que j'ai reçue, en cette occasion, de votre générosité;
générosité chrétienne qui naît en vous de votre amour
pour la vérité et de votre zèle pour la justice. Je prie
de tout mon cœur celui qui l'a gravée dans votre cœur
de l'y faire croître de jour en jour, et vous. Monsieur,
d'avoir la bonté de me conserver la part qu'il vous a
plu me donner dans votre bienveillance, dont vous
m'avez fait sentir des effets dans cette conjoncture.
Je suis ravi d'avoir cette obligation à un si honnête
homme et si célèbre dans la première Université du
monde, par les leçons qu'il y a données de la belle et
solide philosophie.
412 CORRESPONDANCE DÉ PASOUIER QDËSNËL
Quesnel à M. Lenfant, à Rouen
24 février 1719.
J'ai besoin, mon très cher et cordial ami, d'une
indulgence plus que plénicre, de votre part, pour un
silence aussi long que celui que j'ai gardé à votre
égard. Mais, je vous prie, n'en accusez pas mon cœur,
car il n'y a aucune part. Il mourait d'envie de vous
voir, de vous remercier, de vous souhaiter la bonne
année, mais il n'a pu l'exécuter. Il a mis à part un tas
de lettres, en attendant que j'eusse le temps d'y ré-
pondre, et la vôtre a attendu avec les autres. Mais
enfin je trouve un peu de temps pour vous parler,
mon cher enfant, car je suis bien aise que votre nais-
sance, qui vous a donné ce nom, me donne lieu et droit
d'employer un nom si doux.
Vous aurez vu, sans doute, la belle instruction de
M. le cardinal de Noailles1. Elle est fort méthodique,
fort solide et convaincante. La vérité y parle avec la
dignité, la modestie, la douceur et la force qui lui
conviennent. Je suis sûr que si Messieurs de votre
parlement prennent la peine de la lire ils en auront
plus de courage pour repousser les desseins et les
efforts que font de temps en temps les constitution-
naires pour soutenir leur mauvaise causé.
Avez-vous vu l'appel de l'Université et la déclara-
tion des motifs qui l'y ont engagée2? C'est une pièce
achevée en son genre. Si vous l'avez lue, vous n'aurez
1. Mandement du 24 septembre 1718, dans lequel le cardinal de
Noailles déclare lui-même son appel de la bulle Unigenitus, en date
du 3 avril 1717. Il en envoie copie au parlement, et la Sorbonne y
adhère par un vote de quatre-vingt-dix-neuf docteurs contre deux.
2. Il s'agit de l'appel du mois d'oc